389 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 mai 1790.] fait lecture du procès-verbal de la séance d’hier au matin. M. Rœderer, autre secrétaire , lit le procès-verbal de la séance d’hier au soir. Ces procès-verbaux sont adoptés sans réclamation. M. Camus. M. l’évêque de Tournay, instruit par la voie des journaux que, dans la séance du 21 avril dernier, on s’était plaint de mandements et d’ordres donnés dans son diocèse, contraires au respect dû aux décrets de l’Assemblée nationale, m’a adressé aussitôt une lettre en date du 28 avril pour me charger de faire connaître la fausseté de V imputation qu'on lui a faite et rappeler à l’Assemblée la conduite qu’il a tenue, notamment lorsqu’il s’est agi d’ordonner l’envoi aux hôtels des monnaies, de l’argenterie des églises, non nécessaire au culte divin. (L’Assemblée applaudit à cette déclaration et ordonne qu’il en sera fait mention au procès-verbal.) M. le Président annonce qu’il a présenté hier à l’acceptation et à la sanction du roi les décrets dont l’extrait suit : Premier décret. Décret sur les gabelles, qui distrait du bail passé au sieur Mager les grandes et petites gabelles locales, à compter du 1er janvier 1789, à charge par ledit adjudicataire et ses cautions de compter de clerc à maître. Deuxième décret. Décret par lequel l’Assemblée déclare que les notaires et huissiers aux greniers à sel ne sont ppint compris dans les dispositions de l’article 2 du décret du 23 avril dernier. Troisième décret. Décret portant que les trésoriers des dons patriotiques remettront aux payeurs de rentes les sommes nécessaires pour acquitter les rentes de 100 livres et au -dessous. Quatrième décret. Adresse de l’Assemblée nationale aux Français, sur l’émission des assignats; y joint le décret par lequel Sa Majesté est suppliée de donner des ordres pour qu’elle soit promptement envoyée dans les départements. Cinquième décret. Décret portant exécution de celui du 5 février relatif au département du Tarn ; portant, en outre, que, dans le cas où le décret général de la division du royaume présenterait quelques difficultés, les décrets rendus pour chaque département seront exécutés, à moins de dispositions particulières de l’Assemblée. Sixième décret. Décret portant que les officiers municipaux n’ont, pour l’exercice de la police, d’autre serment à prêter que celui d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi et de remplir fidèlement leurs fonctions. Septième décret. Décret qui autorise les officiers municipaux de Saint-Omer à imposer sur les propriétés, proportionnellement aux vingtièmes, la somme de 12,000 livres destinée au payement des pauvres ouvriers; Et renvoie au département la demande d’être autorisés*à la vente de certaines maisons en ruine, et de terrains appartenant à la commune. M. le Président. J’ai reçu de M. le garde des sceaux des expéditions en parchemin pour les archives de l’Assemblée : 1° De lettres-patentes sur le décret du 17 du mois dernier, qui autorise les officiers municipaux de Pont-à-Mousson à faire un emprunt de 40,000 livres ; 2° De lettres-patentes sur les décrets dudit jour, concernant la contribution de la somme de 6,000 livres à lever dans la ville de Montélimart; 3° De lettres-patentes sur le décret du 18, qui autorise les officiers municipaux de la ville de Chatel-sur-Moselle, à retirer de la caisse d’Epinal la somme de 4,000 livres ou telle autre somme qu’ils justifieront leur appartenir; 4° De lettres-patentes sur le décret dudit jour, concernant l’assiette des impositions ordinaires de la ville de Paris, de la présente année ; 5° De lettres-patentes sur le décret du 19 qui abolit le droit de ravage, fautrage et autres, et porte que les procès intentés à raison de ce droit, ne pourront être jugés que pour les frais des procédures ; 6° D’une proclamation sur le décret du 23 relatif à l’élection des officiers municipaux d’Arbois; 7° Enfin d’une proclamation sur le décret du même jour, qui rectifie une erreur reconnue dans la formation des districts de Guingamp et Saint-Brieuc et dans celle du canton de Ghâteau-Lau-dren. M. Antholne. Le comité des rapports m’a chargé de vous rendre compte d’une affaire qui, sous quelques points de vue, présente un très grand intérêt. La ville de Decize, département de l’Ailier, a arrêté un convoi de blé qui appartenait à la villedeNevers,sousleprétexted’unecréancequ’elle avait sur cette ville. Le comité des rapports a été consulté; il a répondu qu’il fallait s’adresser à l’assemblée du département. Le département a condamné la conduite de la ville de Decize, qui n’a encore pas eu d’égard à cette décision. Le comité des rapports vous propose un projet de décret. {Le rapporteur donne lecture du projet de décret .) M. Moreau. Je ne vois pas de motif pour admettre la dernière clause. M. Cliabroud. Il y a une identité très réelle entre le fait dont il s”’agit et ce qui s’est passé à Dieppe et dans le pays de Gaux. Cette identité pourrait faire redouter des projets funestes à la subsistance du peuple. Ce n’est donc pas hors de propos que la dernière disposition du décret vous est présentée. Le projet de décret est adopté ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale, après avoir ouï sou 390 [Assemblée nationale.] comité des rapports, déclare que ses décrets concernant la libre circulation des grains, et notamment celui du 6 octobre 1789, doivent être exécutés suivant leur forme et teneur; qu’en conséquence les officiers municipaux de Decize n’ont pu, sous prétexte d’une répétition de créance, ni sous aucun autre, arrêter la circulation des grains destinés pour la ville de Nevers, et que tous les convois destinés à l’approvisionnement de cette dernière ville doivent lui être restitués; a arrêté que son président se retirera par devers le roi pour le supplier de pourvoir dans sa sagesse à l’approvisionnement de ces deux villes. L’Assemblée nationale charge, en outre, son comité des recherches de redoubler de soins et d’attention pour qu’il ne soit apporté aucun obstacle à la libre circulation des grains dans l’intérieur du royaume. » M. le comte de Tessé, député du Maine, écrit à M. le président pour lui dire que l’état de sa santé lui fait un devoir de donner sa démission. Il prie l’Assemblée de vouloir bien admettre son suppléant. M. le Président consulte l’Assemblée, qui accepte la démission de M. le comte de Tessé. M. le comte de Rochechouart, député de Paris , est frappé par des circonstances malheureuses qm l’obligent à demander un congé de quelque temps. Ce congé est accordé. M, le Président. L’Assemblée reprend la suite de la discussion sur l'ordre judiciaire. La question à l’ordre du jour est la suivante : « Les juges seront-ils élus par le peuple et dans ce cas doivent-ils être institués par le roi? M. Croupi 1. La manière dont la question est posée ne peut donner lieu à une discussion utile. Les juges seront-ils élus par le peuple? Cette question ne présente aucune espèce de doute. Les juges seront-ils institués par le roi? C’est une seconde question qui ne demandera pas non plus une très grande discussion. Mais voici la véritable question : Sera-t-il choisi par les électeurs populaires, pour l’élection d’un juge, une ou plusieurs personnes qui seront présentées ail roi et quel en sera le nombre? M. d’André. Ce ne sont pas encore là lés véritables termes delà question ; elle se divise et présente trois objets : 1° les juges seront-ils élus par le peuple? Personne ne contestera : il faut mettre cet objet aux voix; 2° les juges seront-ils institués par le roi? On peut penser que le peuple, créant des juges pour lui, doit pouvoir les instituer lui-même ; 3° dans le cas où cette question serait jugée affirmativement, on en viendrait à savoir combien de noms seraient présentés au roi. La division est admise. La question se trouve ainsi réduite : Les juges seront-ils élus par le peuple ? M. Rouche. Il convient de décréter un grand principe. L’histoire nous apprend que jusqu’à l’année 697 le peuple nommait ses juges : à cette époque, qui fui celle où le clergé entra aux Etats-Généraux , le peuple co nmeuça à perdre ses droits... Dès que l'Assemblée ne veut pas entendre les détails auxquels j’allais me livrer, je me borne à proposer de rédiger le décret dans ces termes : « L’Assemblée, considérant que le droit le plus [5 mai 1790.] ancien des peuples et notamment du peuple français, est d’élire ses juges, a décrété que les juges du peuple seront élus par le peuple. » La question qui avait d’abord été posée est mise aux voix et décrétée à l’unanimité en ceà termes : « Les juges seront élus par le peuple? » On passe à la question suivante : Les juges seront-ils institués par le roi? M. ülongtns de Roquefort. Le comité pensq que les juges de police doivent être institués par le peuple; mais il croit que les autres juges lié peuvent être institués que par le roi, sur la présentation qui lui sera faite de trois candidats. Le veux attaquer ce principe et prouver que l’instL tution des juges appartient au peuple. Le peuple est la source de toute puissance ; il peut retenir les pouvoirs qu’il peut exercer et qu’il ne pourrait confier sans danger. Le dépositaire du pouvoir exécutif ne doit avoir aucune influence sur les agents du pouvoir judiciaire ; le choix de ceux qui exerceront ce pouvoir appartient, sans contredit, à ceux pour qui ce pouvoir s'exerce. Si trois sujets sont présentés au roi, le roi ne saura lequel choisir, puisqu’il ne les connaîtra pas : les ministres nommeront ; le plus intrigant, le plus bas adulateur l’emportera; les prétendants seront plus nombreux : la complaisance des électeurs sera plus facile. On placera un homme équivoque à côté de deux bons juges, et l’on pourrait, sans beaucoup de témérité, assurer que celui-là sera préféré. Les fonctions déjugé sont trop délicates; elles exigent trop d’études, de talents et de vertus pour que le nombre des gens dignes de les remplir soit considérable : vous écarterez ce petit nombre, s’il doit lutter contre l’intrigue ..... Je conclus à ce que les juges soient élus par le peuple et institués par lui. M. le comte de Clermont-Tonnerre, je supplie d’abord l’Assemblée d’observer que partant, pour établir mon opinion, des bases qui ont été fixées, je dois seulement être conséquent à ces bases. Les juges seront-ils institués par le roi? Voilà la première question. Pour y répondre, je me demande qu’est-ce qu’un juge dans l’ordre de choses adopté par l’Assemblée? Est-ce un homme chargé d’instruire la procédure? est-ce un homme chargé d’appliquer la loi? Non : c’est un homme dont les fonctions complexes lui permettent de dire ? il y a un fait, voilà ce que la loi ordonne, ma décision doit être exécutée Le premier objet de ce prononcé du juge émane du peuple; le second du pouvoir exécutif. D’après cette base, je dis que le juge doit tenir son pouvoir du peuple et du roi. Il reçoit ses fonctions du peuple ; il reçoit la portion exécutive du monarque ; il doit donc être institué par le roi, après avoir été élu par le peuple. M. La Réveîllère de Lépeaux. Donner au peuple le droit de nommer les juges et lui refuser celui d’instituer les magistrats, c’est une inconséquence palpable. Le peuple doit conserver tous les pouvoirs qu’il peut exercer; établir ou partage ou concurrence, c’est lui enlever sa liberté. Vous l’avez senti en donnant exclusivement au peuple l’élection et l’institution des administrateurs. Il importe sans doute aux citoyens que la chose publique soit bien administrée; mais il leur importe aussi que leur honneur, leur vie, leur fortune ne soient jamais compromis. De quel prétexte appuierait-on l’opinion contraire ? ARCHIVES PARLEMENTAIRES.