99 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790 | fection des toiles de Jouy, et même des fabriques d’Alsace. La manufacture de Jouy n’imprime guère que sur des toiles blanches venues des Iodes. Je n’examinerai pas si, dans un état de prospérité, les marchandises étrangères sont nécessaires : tant que l’inégalité des fortunes amènera l’inégalité des jouissances, l’abus du luxe sera un besoin; jamais nos manufactures ne feront aussi bien que les Indiens. L’Angleterre fait dans l’Inde un commerce de 80 millions; cependant elle est toute vivante de fabriques, ou plutôt elle n’est qu’une grande manufacture. Gomment donc... Plusieurs membres demandent l’ajournement à samedi. 11 est prononcé. La séance est levée à 10 heures et demie. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DÜ 15 JUILLET 1790. SECOND RAPPORT DU COMITÉ DE MENDICITÉ. État actuel de la législation du royaume, relativement aux hôpitaux et à la mendicité (1). C’est dans l'hospitalité des anciens temps que l’on doit rechercher les premières traces des éta-blissemenls connus parmi nous sous le nom d'hôpitaux. Dans ces siècles reculés, où l’exercice de cette vertu était en grand honneur, il y avait dans toutes les contrées civilisées des asiles ouverts pour les étrangers. Tel était surtout l’usage généralement établi en Orient; divers monuments historiques ne laissent aucun lieu de douter que les premiers hôpitaux n’aient été une imitation de ces antiques établissements. Lorsque la religion chrétienne se fut répandue, ces asiles prirent une autre forme. Les pèlerinages furent alors en grande pratique, et le premier fruit de cette religion fut d’apporter parmi ses prosélytes une charité que les persécutions tendaient encore à rendre plus ardente. Touchés des maux auxquels étaient exposés des milliers de fidèles, à peine échappés aux supplices, aux prisons affreuses, aux travaux publics, auxquels ils avaient été condamnés, les empereurs s’empressèrent de leur assurer, dans de spacieux hospices, les secours et les consolations de la religion qu’ils avaient embrassée et défendue. Tel fut l’objet des premiers édits publiés par Constantin, à la piété duquel on dut les premiers asiles de ce genre; cet usage religieux se perpétua dans le Bas-Empire. Les hôpitaux se multiplièrent prodigieusement en Italie, en Espagne, surtout du temps des croisades. Ce fut à ces pieuses expéditions que dut principalement son origine l’hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem. A Malle, il y avait un riche hôpital pour les malades indigents, servi par des chevaliers, en mémoire de l’institution des chevaliers hospitaliers. Enfin, on ne peut douter que les premières com-manderies de Malte n’aient été des hospices ou auberges de pèlerins, allant et revenant des Croisades. (I) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. En France, comme dans toute la chrétienté, les premiers hôpitaux ne furent aussi que des asiles pour les pèlerins. On les trouve existants dès les premiers temps de la monarchie; mais on n’a nulle trace certaine de leur première institution. L’origine des plus anciens hôpitaux du royaume se perd dans l’obscurité des temps; on sait seulement que leurs revenus étaient assignés sur les revenus faits au clergé, car, dans les temps de la primitive Eglise, on n’accordait de biens à ses ministres qu’à la condition d’en consacrer une partie aux hôpitaux. Ce n’est guère que vers le vme siècle que l’on commence parmi nous à suivre leur histoire. On les voit, depuis cette époque, prendre, surtout, différentes formes. Dans les temps antérieurs, on semblait avoir laissé confondre les divers genres de malheureux et de misères : alors on parut sentir la nécessité de soigner plus particulièrement, ou à part, les pauvres malades; on en fit une classe séparée, et ce fut d’abord dans les cloîtres, et même quelquefois dans les églises, qu’on crut à propos de les placer : de là le nom et l’origine de ceux de nos hôpitaux, connus sous la dénomination d 'Hôtels-Dieu, et leur situation près des métropoles. Bientôt après, deux maladies cruelles donnèrent lieu à des fondations, d’où résultèrent deux genres particuliers de ces hôpitaux ou hospices : tel fut le feu Saint-Antoine, le feu sacré ou mal des ardents, qui, vers le Xe siècle, fit de si grands ravages en France. Presque tout le royaume, le Dauphiné surtout, se ressentit de la maladie, ce qui détermina le pape Urbain II à fonder un ordre hospitalier sous le nom de Saint Antoine, dans la vue de secourir ceux qui en étaient atteints, et de choisir, pour le chef-lieu de cet ordre, Vienne en Dauphiné, où, vingt-trois ans auparavant, le corps de ce saint avait été transporté de Constantinople. On sait que c’était le temps de la plus grande ferveur des Croisades. Sur la fin du XIe siècle, elles introduisirent en Europe une nouvelle caJi-lamité; la lèpre se répandit de toutes parts, et le caractère de malignité contagieuse qu’avait cette espèce de maladie, faisant abandonner les malheureux qui en étaient atteints, on fut obligé d’élever des hospices pour les soigner; ces hospices furent connus sous le nom de Léproseries ou Maladre - ries. Le nombre en fut bientôt très considérable. Suivant Mathieu Paris, il passait dix-neuf mille, au xiii0 siècle, dans la chrétienté. Un legs de Louis VIII , en 1225, annonce que, dans ce royaume de France seul, il y en avait plus de deux mille. Ainsi, dès ces premiers siècles, la France fut couverte d’établissements ou asiles pour les pauvres, qui furent de vrais hôpitaux. Ces établissements étaient des hospices pour les pèlerins, des Hôtels-Dieu pour les malades, des établissements d’ordres hospitaliers, des maisons pour le feu Saint-Antoine, et des Léproseries ou Maladreries dont le nombre était surtout le plus considérable. . Le feu Saint-Antoine ayant bientôt disparu, les maisons, qui lui étaient destinées, ont été successivement abandonnées; on vit bientôt aussi la lèpre s’éteindre, et la fureur des croisades s’étant assoupie en même temps que l’habitude et le goût des pèlerinages, les ordres hospitaliers se sont insensiblement anéantis : des débris de ces grands établissements, que des calamités passagères avaient nécessités, se sont agrandis les hôpitaux, si éloignés d’abord de l’usage qu’ils devaient avoir, et de l’étendue qu’ils ont acquise dans des temps postérieurs. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juillet 1790.] 100 Lorsqu’on recherche quelle était, au milieu de ces diverses vicissitudes, l’autorité qui dirigeait ces grands établissements, on ne peut être assez étonné du résultat. On ne sait ce qu’on doit remarquer le plus, ou de la multitude d’abus qui n’ont cessé de se multiplier en ce genre, ou de l’inutilité constante des efforts faits par l’autorité légitime pour s’assurer les droits qu’elle devait avoir à cette administration. Dans les premiers temps, cette administration des hôpitaux ne fut qu’une fonction purement ecclésiastique; soit qu’alors, les vrais principes du gouvernement fussent entièrement ignorés, ou gue les clercs fussent les seuls lettrés, on ne confiait cette direction qu’à des diacres ou à des prêtres, qui ne reconnaissaient d’autre juridiction que celle de leur évêque; mais en s’emparant de cette gestion dans les premiers temps, le clergé n’y porta pas l’esprit de charité et de désintéressement qui devait Je caractériser. Le soin des malades fut abandonné à de simples clercs, le plus souvent, qui, sous le nom de maîtres , géraient à leur gré le patrimoine des pauvres. On les vit bientôt, dans le relâchement de la discipline, convertir ces établissements en titres de bénéfice, et appliquer à leur profit, contre l’intention des fondateurs, des revenus dont ils ne devaient être que des dispensateurs charitables et désintéressés. Sous une pareille administration, le désordre dut nécessairement s’introduire et amener des malversations. Ces abus, d’abord obscurs ou ignorés, acquirent enfin un grand éclat, et il ne fallut pas moins que des actes de rigueur de la part des conciles pour les réprimer. Celui de Vienne défendit de conférer les hôpitaux en titre de bénéfice à des clercs séculiers, et ordonna de n’en confier la gestion qu’à des laïques capables et solvables, qui prêteraient serment comme tuteurs et rendraient compte aux Ordinaires. Ce décret fut confirmé par le concile de Trente, qui donna aux Ordinaires toute inspection sur les hôpitaux. Alors la puissance civile ne semblait avoir aucune part à la direction de ces pieux établissements qu’on regardait sans doute comme n’ayant rien de commun avec les choses de ce monde. Vers le vie ou vit® siècle, elle avait paru s’occuper avec quelque soin de leur administration : ainsi l’on attribue à Justinien une loi sur les hôpitaux, par laquelle il était interdit aux administrateurs de disposer de ce qu’ils auraient acquis depuis qu’ils seraient entrés en charge, non plus que les évêques. Mais ces traces de l’autorité civile, si elle existait, ne se retrouvent presque plus ; en France, au moins, à peine y en avait-il à cette ancienne époque; l’Empire de Rome prévalait alors, par ses légats, sur la puissance des souverains ; les titres des hôpitaux étaient des brefs ou des bulles des papes qui exerçaient la plus grande autorité sur ces établissements; plusieurs existent encore n’ayant pas d’autres titres. Les conciles mêmes, en appelant des laïques à la gestion des hôpitaux, en réservaient toute l’inspection aux Ordinaires. Enfin, c’était au centre de la juridiction ecclésiastique qu’ils étaient placés, dans ces temps où la partie dominante de la législation française était le droit canon. J Cependant, soit que la puissance ecclésiastique crut devoir se fortifier de l’autorité civile, soit nue les malversations des clercs, dans la gestion des hôpitaux, eussent appris que ce serait un moindre sacrilège que l’on ne pensait, de s’immiscer dans leur administration, on vit le gouvernement y prendre quelque part. Des lettres patentes furent données en faveur de quelques ordres hospitaliers et de plusieurs hôpitaux et maladreries de la capitale et des provinces. On rapporte au xme siècle les premières qui furent données; elles étaient relatives à l’Hôtel-Dieu de Paris. Dans les mêmes temps, les rois s’empressaient, ou de confirmer ou d’augmenter les privilèges de ces établissements charitables. De uis Philippe-Auguste, François Ier et Philippe-le-Bel, jusqu’à Henri II et François II, tous les rois marchèrent sur ces traces. Mais à cette bienfaisance libérale, ils en joignirent une plus réelle et plus éclairée, en y rétablissant peu à peu l’ordre et l’autorité. Ainsi on retrouve une ordonnance de François Ier, du 20 juin 1546, portant règlement pour la réformation des hôpitaux; on retrouve de même un règlement de Henri II, du 12 février 1553, prescrivant l’emploi des revenus de ces maisons, et un édit de François II, du 23 juillet 1560, donnant des règles pour leur administration. Ces édits et règlements tendaient à opérer un changement considérable. Henri II avait attribué au grand aumônier la connaissance et visite des hôpitaux de son royaume ; François Ier l’avait déléguée aux juges royaux : il fut formé par les Ordinaires une opposition contre cetle ordonnance ; mais on la vit bientôt rejetée par le Parlement, qui arrêta qu’ils seraient seulement admis à la visite, soit en personne, soit par députés, avec les juges royaux. On avait profité d’ailleurs des sages dispositions du concile de Vienne, pour introduire, peu à peu, les syndics ou chefs des communautés, et les plus notables bourgeois dans l’administration des hôpitaux ; en même temps la lèpre ayant totalement disparu, les maladreries ou léproseries furent supprimées et leurs revenus destinés aux hôpitaux. Mais de ces entreprises si bien dirigées on ne retira, pour ainsi dire, aucun fruit. Les administrations des hôpitaux, à dater de cette époque, commencèrent bien à être composées des différents ordres de citoyens ; mais aux entreprises, aux malversations des clercs, elles en substituèrent d’autres. Dans ces temps de trouble et d’anarchie, elles n’eurent d’autres règles que leur volonté ; les biens furent dissipés ; le clergé, les tribunaux, les corps municipaux, toujours occupés d’étendre leurs prérogatives, continuèrent, autant qu'ils le purent, de s’arroger des droits, et de là vint la forme si multipliée et si bizarre des administrations qu’on remarque aujourd’hui. En vain, sous Charles IX, parut le fameux édit de 1561, confirmé par les non moins fameuses ordonnances de Moulins et de Blois, qui illustrèrent ce règne. En posant les premières bases de la législation française, le chancelier de l’Hôpital avait cru devoir porter ses vues sur l’administration des revenus des hôpitaux et maladreries et sur l’entretien des pauvres. L’ordonnance de Moulins ordonnait aux officiers de justice de faire rendre compte aux personnes commises à la régie des biens des hôpitaux, et ordonnaient que les pauvres fussent nourris dans leur territoire sur la contribution de la communauté. L’ordonnance de Blois ajoutait que les administrateurs feraient inventaire, et qu’ils ne seraient ni ecclésiastiques, ni nobles, ni officiers ; mais de simples bourgeois, bons économes; que leur nomination appartiendrait aux fondateurs; qu’ils seraient trois ans en charge, etc., etc. On ne retira presqu’aucun avantage de ces sages dispositions. Dans les secousses que la France éprouvait par les guerres, aucune loi ne pouvait alors avoir [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790.] 101 de force. La féodalité d’ailleurs s’était emparée de tous les établissements dans les domaines usurpés, et le temps n’était pas encore venu de réprimer ces entreprises, et de soumettre le royaume à des lois uniformes. Depuis cette époque, cependant, la réforme des hôpitaux parut être suivie avec plus de confiance et de succès. Henri III, par une déclaration de 1581, en prononça de nouveau la réformation; mais ce qu’on s’était borné jusque-là à ordonner, on prit des mesures pour le mettre à exécution, et des commissions furent créées pour s’en occuper. Henri IV en créa une à deux reprises (en 1599 et 1606) sous le nom de Chambre de la charité chrétienne : une autre fut établie, en 1612, par Louis XIII, sous le nom de Chambre de la générale ■, réformation des hôpitaux; elle fut composée du grand aumônier, de quatre maîtres des requêtes, et de quatre conseillers au grand conseil. Cette commission fit beaucoup de bien pour les circonstances; elle supprima les maladreries, désigna les hôpitaux inutiles, ceux à conserver avec les moyens de les améliorer : elle proposa de réunir aux hôpitaux les biens des maladreries. Cette disposition ne fut exécutée qu’en partie, ces biens ayant été principalement attribués aux ordres de Saint-Lazare et du Mont-Carmel, ce qui fut confirmé parles édits de 1664, 1672, et par les déclarations de 1674, 1675 et 1681. Mais cette grande violation des droits des pauvres, consommée parLouvois, protecteur des ordres hospitaliers, ne tarda pas à être réparée. Peu avant cette réunion, avait paru, en 1662, l’édit mémorable, registré en Parlement, portant établissement d’hôpital général pour les pauvres mendiants, invalides, orphelins, dans toutes les grandes villes ou gros bourgs, où il n’y en avait pas dans le royaume. C’était le fruit d’une des plus humaines et des plus grandes conceptions de Louis XIV ; il s’agissait de subvenir à la formation de ces nouveaux hôpitaux. Les biens attribués aux ordres hospitaliers lui parurent propres à cet usage, et, en 1693, il donna un édit ôtant à l’ordre de Saint-Lazare les biens des maladreries, et les attribuant aux pauvres et malades des lieux, sur l’avis des archevêques, ainsi que des intendants et commissaires députés des provinces. Une nouvelle commission de réformation était ainsi créée par cet édit; elle subsista jusqu’en 1705, et ne remplit pas aussi utilement son objet qu’on aurait pu l’espérer. Ses fonctions remplies, elle fut révoquée, toute contestation étant renvoyée par Mémoires au chancelier, pour, sur son avis, et celui des évêques et des intendants, être statué ce qu’il appartiendrait. En accordant ce bienfait, Louis XIV imposa de nouvelles règles aux hôpitaux. La plupart de ceux alors existants avaient des lois et des règles différentes : de grands abus résultaient de cette diversité de régime ; il y fut pourvu par la déclaration de 1 698, portant règlement général pour l’administration des hôpitaux auxquels, par les édits antérieurs, il avait été uni des biens des léproseries, et pour ceux qui n’avaient point encore de règlements; d’autres dispositions furent encore ajoutées dans cette déclaration et parcelle du mois d’août 1693 qui l’avait précédée. Mais le fruit de ces dispositions le plus remarquable fut l’amélioration des hôpitaux généraux, on pourrait même dire leur création. Ce n’est pas cependant qu’il existât très anciennement de ces derniers : on en trouve des traces dès les plus anciens temps; et dans le Bas-Empire, au VIIIme siècle, on en comptait déjà plusieurs ; mais il n’en avait été créé qu’en petit nombre et c’était avec les Hôtels -Dieu qu’ils avaient été plus particulièrement confondus. Eri les séparant ou créant de nouveau, Louis XIV s’employa pour les fortifier par un bon régime, et différentes dispositions avantageuses au bon ordre de ces sortes d’établissements furent le fruit de ses soins. Cependant quelques germes des anciens vices d’administration, laissés encore dans ces réformes, y développèrent bientôt une nouvelle source d’inconvénients et d’abus. L’ordonnance ou règlement général de 1698 semblait bien, dans ses détails, devoir embrasser la direction entière des hôpitaux du royaume et pourvoir à tout ce que pouvait exiger la composition des bureaux d’administration, la forme des assemblées générales et particulières, les fonctions des trésoriers, la tenue des registres; mais la vraie source du mal échappait encore à la vigilance des réformateurs. L’article 10, rappelant l’édit de 1695, confirmait aux évêques, archevêques et, en leur absence, à leurs vicaires généraux, la préséance dans les assemblées ordinaires et extraordinaires. Les premiers officiers de la justice du lieu devraient être également appelés aux assemblées. Cette permanence des présidents des bureaux, et l’établissement des différents ordres religieux qui s’étaient emparés de tous les détails des hôpitaux, durent nécessairement y propager une sorte de régime monastique, et éloigner toute idée nour-velle de perfection; l’autorité d’ailleurs pénétrait difficilement à travers les ténébreux et mystérieux détails d’administrations qui se dirigeaient et s’inspectaient elles-mêmes. La comptabilité ne pouvait qu’être illusoire, n’étant pas publique: concentrée dans un bureau, elle devenait une espèce de secret dès que quelqu’un voulait la surveiller. Aucuns efforts n’étaient déployés contre cet oubli de toute espèce de règles, qui ramenait insensiblement tous les abus. Depuis le règlement dont il s’agit, le gouvernement ne parut plus dans l’administration des hôpitaux que pour confirmer des concessions d’octrois, accorder des secours ou autoriser des emprunts. Police intérieure, règlements, soin des pauvres, desvieillards,des enfants, tout était confié aux administrateurs. D’anciens édits les avaient revêtus des pouvoirs les plus absolus, et l’amour de l’autorité les faisait teudre naturellement à la recouvrer. L’édit de 1656 leur avait attribué le droit d q justice, punition et cor - rection sur les pauvres; il leur avait délégué le pouvoir d’ériger, dans l’intérieur des maisons de charité, des poteaux, carcans , et d’y avoir des prisons et basses fosses ; des troupes d'archers armés marchaient d’ailleurs à leurs ordres ; enfin, par le même édit, on leur avait encore attribué le pouvoir de faire les règlements de police qu’ils jugeraient convenables et de diriger 1 emploi des fonds qui leur étaient confiés. Ainsi, maîtres absolus de la recette et de la dépense, libres d’admettre ou de renvoyer les pauvres, et pouvant à leur gré faire de nouveaux règlements, une semblable autorité conduisit à de nouveaux abus: le premier de tous fut de restreindre, autant qu’il était en leur pouvoir, le droit d’entrée ou d’admission ; et, dans le partage des soins charitables, on vit bientôt tout accordé aux villes, et les campagnes entièrement oubliées: en même temps tout ce qui pouvait intéresser le régime intérieur était abandonné ou négligé. G’est [Assemblée nationale.[ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790-] m à ce sujet une remarque frappante, que parmi cette foule d’édits qui règle l’autorité des administrations charitables, oo n’en voit aucun qui règle les conditions du travail qui devait être établi dans les hôpitaux et qui ait le plus léger rapport au prix de la main-d’œuvre. Sous un régime aussi arbitraire, sous une administration aussi négligée, on sent combien les pauvres ont dû souffrir, et l’on voit combien il est important de rappeler toutes ces administrations à un nouvel ordre de choses. Sous le dernier règne on avait peu fait pour remédier à ces abus. Cependant, un édit remarquable dû au chancelier d’Aguesseau, digne successeur de l’immortel l’Hôpital, parut en 1749; il portait défense aux maisons de charité, comme aux communautés, d’acquérir des biens-fonds: mais ce fut à ce seul acte de l’autorité que l’on se borna ; les autres ne furent guère que des lettres patentes particulières, données pour confirmer ou augmenter les privilèges des hôpitaux, et il n’y avait eu rien de changé aux lois générales. Au commencement du règne actuel, cette partie d’administration, si intéressante pour le bonheur du pauvre, fixa de nouveau les regards et plusieurs bienfaits du gouvernement ont signalé cette époque : un arrêt du Conseil des dépêches, en 1777, établit une commission de plusieurs magistrats et administrateurs d’hôpitaux pour s’occuper de la réforme de ceux de Paris. En 1780 parut un édit mémorable concernant la vente des immeubles appartenant aux maisons de charité ; et pour veiller à ces salutaires projets de réforme, et en étendre les bienfaits à tous les asiles de ce genre existants dans le royaume, il fut formé un département particulier pour l’administration et la surveillance des hôpitaux. Mais ce fut surtout sur le sort, jusqu’alors si malheureux et si négligé des pauvres enfants trouvés ou abandonnés, que l’attention fut portée. Il semble que, dès les premiers temps de Père chrétienne, on s’en était occupé: on fait mention d’un hôpital fondé, dès le Villme siècle, dans le Bas-Empire, pour y recueillir les enfants orphelins. En 1180, à l’hôpital du Saint-Esprit, à Montpellier, et à Lyon, dès 1533, on avait ouvert des asiles pour les enfants trouvés et délaissés ; mais ces soins avaient été ou très faibles ou peu généralement imités. Dans les premiers temps, les enfants exposés appartenaient, comme esclaves, à ceux qui les recueillaient. Ces expositions se faisaient à la porte des églises, où l’on plaçait une coquille ou un berceau; il est souvent question de ce berceau dans les anciens titres de 1 église Notre-Dame de Paris. Le défaut de secours et d’asiles, et peut-être la barbarie des mœurs, avaient, dans ces temps éloignés, dû faire exposer beaucoup d’enfants, et il paraît que le mal devint assez grave pour exciter la rigueur des lois : tel fut l’objet du fameux édit d’Henri II qui, pour prévenir le crime de l’exposition, déclara que toute femme convaincue d’avoir celé , couvert et occulté , tant sa grossesse que son enfantement, sans avoir pris de l'un et de Vautre témoignage suffisant, serait réputée avoir homicidé son enfant, et, pour réparation, punie de mort. On peut reprocher à l’usage où l’on est encore de publier cet édit au prône, d’avoir le double inconvénient de révéler la dépravation du cœur humain et d’offenser la pudeur. L’ordonnance de Moulins, qui parut peu de temps après, en 1586, avait chargé chaque ville, bourg ou village, de prendre soin de ses pauvres. Les enfants exposés étaient compris dans ces dispositions; mais cette ordonnance éprouva de grandes difficultés : après beaucoup de variations la jurisprudence s’était enfin fixée. On pensa que l’entretien des enfants exposés devait être supporté par les seigneurs hauts-justiciers, comme une compensation des profits attachés à leurs fiefs : un arrêt du Parlement, en 1667, et un arrêt du Conseil de 1668, confirmèrent cette loi, alors déjà très ancienne ; mais comme aucune disposition ne déterminait le genre de secours que l’on devait à ces êtres infortunés, comme on n’avait aucun intérêt à leur conservation, tout avait aggravé le malheur de leur sort. Ce qui se passait alors à Paris, montre quelle était à leur égard la barbare insouciance du gouvernement. C’était dans les rues qu’on trouvait ces malheureux, abandonnés à la merci des passants. En 1638, une veuve charitable, touchée de leur sort, s’était chargée du soin de les retirer : c’était dans sa maison, près Saint-Landry, qu’elle exerçait cette œuvre touchante de pitié et de commisération. Mais bientôt ses facultés ne suffisant pas à la charge qu’elle s’était imposée, ses servantes, fatiguées des cris des malheureux enfants en firent un commerce scandaleux; elles les vendaient à des mendiants qui leur tordaient les membres et les estropiaient de mille manières pour exciter la charité du public : des nourrices, dont les enfants étaient morts, s’en procuraient pour conserver leur lait, et plusieurs leur en donnait un corrompu; on en achetait pour en supposer dans les familles ou pour servir à des opérations magiques; le prix de ces enfants était fixé à vingt sous. Ce fut dans ces circonstances, qu’en 1640, saint Vincent-de-Paul émut tous les cœurs sensibles en faveur de ces malheureux enfants et leur assura une éternelle protection. Louis XIII entra dans ces vues charitables : le château de Bicêtre fut donné pour leur servir d’asile. Les enfants qui y furent portés n’ayant pas paru s’accommoder de l’air qu’on y respirait, l’établissement fut d’abord errant; mais en 1640, il fut fixé où il est maintenant au parvis Notre-Dame. Dans l’édit de Louis XIV, revêtu de lettres patentes qui prononça l’établissement de cet asile, ou remarque une disposition singulière, c’est que le roi, en fixant la dotation des enfants trouvés, faisait entrer pour motif que ces enfants pourraient servir dans les troupes ou être utiles aux colonies. Ainsi on leur faisait acquitter le bienfait de leur éducation. Ge fut aussi dans ces mêmes vues, qu’en 1761, les enfants trouvés furent admis à tirer à la milice, à la place du fils, du frère ou du neveu de celui qui les avait en pension. Quoiqu’il en soit, la première dotation de l’hôpital des enfants trouvés fut fixée à 12,000 livres. L’édit avait arrêté umétat des sommes qui seraient annuellement payées par les seigneurs hauts-justiciers de la ville de Paris; mais en 1675,1e roi, par ses lettres patentes, ayant réuni au Châtelet toutes les justices des seigneurs, il ordonna qu’il serait pris, tous les ans, sur son domaine, une somme de 20,000 livres pour pourvoir à la dépense. Cet établissement formé à Paris servit bientôt de modèle. Suivant quelques auteurs, c’est à la France qu’on doit les hôpitaux d’enfants trouvés. L’exemple de Paris fut suivi par des villes célèbres : Lyon, Rouen, Londres, Varsovie, élevèrent des asiles semblables à l’enfance abandonnée. Mais on n’avait point accompagné ces secours 103 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790.] des mesures et des précautions qui devaient en assurer le succès, et l’abus suivit de près le bienfait. Le nombre des enfants trouvés s’accrut successivement dans le royaume, en proportion des facilités qu’on trouvait à les exposer; et les asiles ouverts pour les recevoir ayant été bornés aux grandes villes, on les y apportait, avec le plus grand risque de les faire périr, des eudroits les plus éloignés de nos provinces. En 1722, l’administration s’était bien occupée du transport de ces enfants; mais les mesures furent mal prises ou négligées, et les abus ne cessèrent pas. En 1722, on lit encore vérifier le nombre d’enfants trouvés amenés à Paris; sur 6,459 reçus à l’hôpital du premier janvier au dernier octobre, il s’en trouva 2,350 qui venaient des provinces, ce qui faisait à peu prè3 le tiers. Le gouvernement donna de nouveaux ordres qui eurent peu d’effet, puisque du 1er janvier 1772 au dernier décembre 1776, sur 32,222 enfants reçus à l’hôpital, on en trouva encore à peu près le tiers, c’est-à-dire 10,068que ies provinces avaient envoyés. Ce fut principalement à cet abus qu’au commencement du règne actuel, on crut le plus instant de remédier. En 1779, le gouvernement s’assura qu’il venait encore des provinces des enfants qui périssaient par le défaut de précautions qu’on prenait dans leur transport, et il fut rendu le 10 février un arrêt qui, en ordonnant de les porter dans les hôpitaux les plus voisins, annonçait que si ces dispositions nouvelles occasionnaient à quelques-uns une dépense extraordinaire, il y serait pourvu provisoirement parle Trésor public. Le gouvernement fit encore sur cet objet quelques tentatives en 1782; mais il parait que le grand but de la loi proposée alors était de décharger le Trésor royal des dépenses relatives aux enfants abandonnés dans les provinces. Le roi, les hauts-justiciers, en proportion du nombre des feux de leurs justices, les communautés dans le rapport de leur capitation, devaient rembourser par tiers, à la fin de chaque année, les avances qui auraient été faites par le Trésor royal. Après de longs débats, qui durèrent près de trois ans, le résultat futque l’imposition, tellequ’on la proposait, ne convenait pas, et c’est là où se trouvait le nœud de la difficulté. La ligue, alors puissante, des privilégiés doublement atteints dans leurs justices et leur capitation, ne voulait admettre que la partie réglementaire du projet, tandis que l’administration, au contraire, ne sollicitait qu’un nouveau mode d’imposition. Dans cette lutte, où l’intérêt personnel était opposé à l’intérêt, général, on est étonné des moyens faibles avec lesquels on couvrait les motifs du refus de l’enregistrement de la loi. Tantôt en attaquant le style, l’éloquence du préambule, tantôt en laissant entrevoir qu’il y avait du danger à révéler au peuple que l’on ne surveillait pas assez les mœurs, et que l’impôt n’était pas également réparti, on vint à bout de fatiguer l’administration qui abandonna son projet. Mais ce n’étaient toujours que de premiers pas formés dans une carrière où des abus multipliés, et profondément enracinés, exigeaient que l’on pénétrât plus avant.Après avoir don néàces malheureux enfants des asiles destinés à les recevoir, une administration vraiment paternelle n’aurait cessé de les suivre dans tous les moments, de veiller sur les premiers soins dus à leur conservation, de prodiguer tous les secours à leur enfance, et de considérer en eux une génération intéressante par son malheur; tant desoins n’entrèrent point dans les vues du gouvernement. Une fois déposés dans les hospices qui leur étaient destinés, l’Etat cessait de s’en occuper; c’était aux administrations qu’ils étaient abandonnés, sans que Ton eût songé même à leur en demander compte. Mais dépourvues de tout ce qui pouvait, soit en faisant le bien, exciter et provoquer en elles une utile émulation, soit en s’acquittant mal de leurs fonctions, prévenir l’abandon et l’insouciance par la crainte du blâme, ces administrations veillaient peu sur le dépôt précieux qui leur était confié. Jetés presque au hasard, et répandus çà et là dans les campagnes, sans surveillance, sans intérêt, livrés à des nourrices mercenaires, que l’appât même du gain n’attachait pas à leur conservation, ces malheureux enfants périssaient dévorés, dès leurs premiers jours, par une effrayante mortalité. Les meneurs, encouragés en quelque sorte par les profits d’un transport plus considérable d’enfants, avaient à cette calamité une sorte d’intérêt caché, auquel ils pouvaient n’être pas insensibles. Les sœurs chargées d’ailleurs presque entièrement de ce genre de secours et de soins, tendaient naturellement à ramener dans leurs maisons tout ce qui pouvait augmenter leur autorité et agrandir leur administration. Ainsi le très petit nombre d’enfants qui survivaient, étaient bientôt arrachés au séjour des champs. En les y conservant, on aurait pu leur assurer des moeurs pures, une constitution robuste et saine ; on ne sait quel préjugé qui leur faisait croire que, sous leurs yeux, ils seraient mieux instruits des principes de la religion, portait les administrateurs à les entasser dans des hôpitaux, où, languissants bientôt, ils devenaient la proie de tous les genres de dépravations et d’infirmités. C’était, d’ailleurs, dans cette administration, comme dans celle des hôpitaux, de simples règlements qui servaient de guide , et qui étaient considérés comme lois dans tout le royaume, lorsqu’il fallait fonder pour chacune de ces différentes parties une bonne législation. Il en était de môme de l’administration relative à la mendicité. Il serait utile de remonter au delà de 1524 pour en avoir l’histoire; avant cette époque, nulle autorité n’était en vigueur dans le royaume. Ce fut alors qu’on ordonna à tous les mendiants valides de Paris, de sortir ou de travailler. La loi ne manquait pas de rigueur, car dans le cas où un homme se faisait emprisonner, il était, à la troisième fois, marqué d’un fer chaud et banni. Cette loi ne put être exécutée; on n’avait aucun travail à offrir; le bannissement ne faisait que rejeter à quelques lieues de Paris des brigands, qui infestaient les provinces, et l’état affreux où se trouvait la capitale y multipliait le nombre des vagabonds. Le Parlement de Paris ordonna, en 1532, que les mendiants valides seraient renfermés et conduits, deux à deux, dans les fosses et les égouts qu’ils devaient nettoyer ; la ville était chargée de les nourrir; on condamnait au fouet ceux qui contrefaisaient les estropiés ; cette espèce de galère de terre ne dura pas longtemps ; on fut bientôt fatigué de nourrir et d’entretenir des hommes dont le nombre ne faisait qu’augmenter à mesure que la quantité de travail diminuait. Une loi de rigueur qui ne produit pas d’effet est succédée par une autre plus dure. En 1532, on enchaînait les mendiants deux à deux; on condamna, en 1535, à être pendus ceux qui ne sortiraient pas de Paris. Cette étrange jurisprudence fut remise en vigueur en 1543 et 1547. Ces 104 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790,1 hordes de mendiants vagabonds , auxquels on n’offrait aucune ressource, qu’on flétrissait et qu’on exterminait, s’unirent enfin, et commirent dans le royaume tous les forfaits, qui furent les suites de la guerre dite des Gableurs. Ce fut à cette époque, que quelques villes, fatiguées par la mendicité, firent des règlements particuliers. Orléans, Chartres, Lyon et Toulouse établirent des bureaux d’aumônes. Le Parlement de Toulouse força les bénéficiers à abandonner le dixième de leurs revenus aux pauvres. En 1566, époque de l’ordonnance de Moulins, qui fut rendue générale pour tout le royaume, la peine des galères à perpétuité pour les hommes, et celle du fouet pour les femmes furent renouvelées ; pour subvenir à la nourriture des pauvres, le roi fit lever cinq sous sur chaque minot de sel, vendu dans la généralité de Paris. Pendant l’espace d’un siècle, depuis l’ordonnance de Moulins, on parut ne pas avoir pensé que toute loi contre la mendicité devenait inutile, si on ne préparait pas, avant tout, du travail. Enfin, en 1683, on commença à établir quelques ateliers à Paris, et on renouvela encore la peine des galères, dans tout le royaume, pour tous ceux qui seraient trouvés mendiants ; mais il n’y avait dans les provinces aucuns ateliers comme dans la capitale, et la misère était extrême. En 1693, le Parlement de Paris rendit un arrêt, qui établit une imposition dans les paroisses, et qui fut perçue sur des rôles particuliers. Toutes ces lois de sang, de rigueur et de peines furent successivement renouvelées en 1699, 1700 et 1709, années si désastreuses, que l’on fut obligé de porter au double, à Paris, l’imposition sur les boues et lanternes pour soulager les pauvres. En 1719, le gouvernement ne pouvant plus ni occuper les mendiants, ni les renfermer dans les hôpitaux, ni continuer à les flétrir, imagina d’en faire transporter aux colonies, où ils devaient travailler comme engagés, soit à terme, soit à perpétuité, sans que cette peine emportât la mort civile. Les Parlements, jaloux de l’autorité peut-être illégale des juridictions prévôtales, défendirent la transportation, sans mettre aucune autre loi à sa place. La maréchaussée, qui, dès l’année 1720, fut mise sur un nouveau pied, fut chargée spécialement de l’exécution de toutes les lois contre la mendicité, et la rigueur des anciennes ordonnances se déploya avec de nouvelles formes. On devait recevoir dans les hôpitaux tous ceux qui voudraient librement s’y présenter, et en même temps ceux qui, arrêtés sur les routes, y seraient conduits ; on devait les distribuer par compagnies de vingt hommes, et les employer aux travaux des ponts et chaussées. Cette idée, sans cesse reproduite par ceux qui s’occupent des pauvres, n’eût pas l’effet qu’on s’en était promis; aucun sergent ne voulut conduire ces ouvriers; on les redouta sur les grandes routes. Après une dépense de plus de six millions, faite en moins de trois ans, les hôpitaux renvoyèrent tous ces individus indistinctement, et le gouvernement manqua son but. C’est vers cette époque, en 1733, qu’il faut rapporter l’imposition de trois deniers pour livre sur la taille, imposition qui, encore aujourd’hui, versée au Trésor royal, fait les premiers fonds qui sont distribués aux différents dépôts de mendicité du royaume. On n’avait pas négligé, au milieu de toutes ces dispositions, d’mfliger la peine d’être marqué M sur le bras, quand un mendiant était arrêté en récidive, et de prononcer celle des galères quand il était pris la troisième fois. Cette lutte perpétuelle entre les mendiants, auxquels on n’offrait pas de travail, les hôpitaux qui refusaient de les garder, et la loi qui voulait les punir, sembla être terminée par l’établissement des dépôts de mendicité, qui, proposés par la commission créée à cette époque, et ne devant être ni des prisons, ni des hôpitaux, parurent plus propres à corriger les mendiants valides. Après de longues conférences sur les lois qui devaient diriger cette partie d'administration, parut l’ordonnance de 1764, confirmée par un arrêt du conseil du 21 septembre 1767, qui, avec quelques lettres ministérielles de détail, forment encore aujourd’hui l’unique code de la mendicité. En résumant cette longue suite de lois, on s’aperçoit qu’elles étaient principalement dirigées contre les mendiants que la misère force à être vagabonds. L’administration, presque toujours dans l’impuissance d’offrir du travail au peuple, n’avait pas d’autre ressource que d’entasser dans les hôpitaux une mendicité importune et factice, ou d’armer la loi de rigueur, pour renfermer tous ceux qui fatiguaient la société. On feignait d’ignorer que les secours donnés par les hôpitaux, étaient insuffisants, et que les dépôts étaient à peu près inutiles. D’ailleurs, ces espèces de prisons manquaient souvent d’ateliers : alors la fainéantise y était obligée; elle n’était pas beaucoup plus détruite dans les dépôts où il y avait quelque moyen de travail, car souvent celui qui était offert aux renfermés, n’était ni analogue à leurs forces, ni à leur genre de vie, quelquefois même il y était contraire, et rarement il était assez pénible pour être un châtiment. Enfin, un des plus grands inconvénients de tous, était qu’en sortant d’un dépôt, un individu était rejeté dans la société, sans ressource et peut-être moins bon qu’en n’y étant entré. Il régnait en général, dans cés maisons, un grand oubli, un défaut absolu d’instructions morales, si nécessaires aux pauvres, et l’arbitraire dans le terme de la détention achevait de révolter contre les lois des hommes auxquels il importait si fort de les connaître et de les respecter. Ainsi, dans ses rigueurs comme dans sa bienfaisance envers Je pauvre, tout était resté également imparfaitet défectueux dans les soins du gouvernement. Le désir si touchant de soulager la misère, d’adoucir l’infortune, était incessamment entré dans ses vues; mais peu éclairé sur cette partie de ses devoirs, et embarrassé dans sa marche par des entraves étrangères, il n’en avait jamais ni bien conçu le projet, ni efficacement pu l’exécution. C’était à prévenir la misère publique plutôt qu’à la soulager, qu’il fallait porter ses soins. C’était dans les sources mêmes, qui entretiennent une pauvreté habituelle et forcée, qu’il fallait chercher à étouffer les germes de la mendicité. On semblait n’avoir jamais Saisi ce principe : rien ne se faisait pour alléger le poids de l’impôt, incessamment aggravé sur le peuple; rien pour animer, entretenir l'industrie. La misère faisant des progrès journaliers, et frappant les yeux de toutes parts, on ouvrait des asiles, on entretenait des établissements pour venir à son secours. Mais cette bienfaisance n’était bientôt plus qu’une apparence illusoire, qui décevait cruellement l’espérance du pauvre. De nombreux abus assiégeaient de tous côtés ces maisons de secours et d’assistance publiques, déjà si humiliantes par leur nom de Maison de charité L’œil de l’administration pénétrait seul jusqu’à ces abus, que son [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790. ) 105 influence ne pouvait atteindre. Enorgueillies de leur fondation, et fières d’un titre qui devait les rendre humbles et modestes, fortes de la faiblesse d’un gouvernement où des corps intermédiaires avaient des droits prétendus légitimes, que l’on se croyait forcé de respecter, les administrations d’hôpitaux alléguaient hautement leur indépendance. A toute démarche pour ramener l’ordre et prendre connaissance de la situation de leurs finances, elles opposaient leurs titres de fondation, la qualité des personnes qui administraient, et l’autorité fléchissait devant cette extraordinaire résistance. Ainsi, nulle puissance ne veillait sur ces établissements, qui s’étaient tous éloignés, plus ou moins, de l’esprit et de la loi de leur institution. Delà des emprunts viagers ou perpétuels, faits par les hôpitaux au delà de leurs forces : delàdes constructions magnifiques etjdes dépenses infinies avaient absorbé, dans le plus grand nombre, le patrimoine du pauvre, qui, toujours sacrifié dans ces asiles, n’y était plus regardé que comme l’accessoire. Ainsi, tandis que d’un côté les torts et la dureté du gouvernement envers le peuple multipliaient les sources de la misère, que par les erreurs non moins funestes de sa part, d'une bienfaisance mal entendue, qui multipliait les secours pour un mal qu’on aurait dû prévenir, il encourageait l’imprévoyance, source encore plus féconde de misère que toutes les autres; de l’autre côté mille abus, sans cesse renaissants, dévoraient ces secours mêmes offerts à la détresse et à l’infortune. Ainsi se multipliait et se produisait incessamment une génération imprévoyante et factice de pauvres, l’ouvrage même du gouvernement: ainsi croissait incessamment un mal, dont les progrès surpassaient toujours et devançaient ses efforts. Tels étaient les résultats nécessaires d’une admr nistration qui, agissant sans loi générale, sans plan unique, par des règlements particuliers et d’après des circonstances du moment, n’avait et ne pouvait avoir qu’une marche incertaine. Si le système entier des secours à donner à la classe de la société, qui a droit de les réclamer; si le moyen de prévenir l’indigence, de soulager la pauvreté, de réprimer la mendicité, ne sont pas les conséquences d’un même principe; si la bienfaisance et la sévérité de la législation des pauvres ne s’élèvent pas sur les bases communes de la politique et de la justice, cette législation ne peut être qu’imparfaite et dangereuse. Voilà la tâche que nous avons à remplir; elle est pénible sans doute; les difficultés se rencontrent à chaque pas dans cette importante carrière; mais la grandeur, la beauté du motif en feront triompher l’Assemblée, qui voit, dans une utile et équitable assistance des malheureux, son plus précieux devoir. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 15 JUILLET 1790. Troisième rapport du Comité de mendicité sur les bases de répartition des secours dam les différents départements , districts et municipalités , de leur administration et du système général qui lie cette branche de législation et d’administration à la Constitution (1), par M. de La Rochefoucauld-Liancourt , député dti département de l’Oise (2). Messieurs, la législation qui, ayant pour objet l’extinction de la mendicité, veut porter des secours à la véritable indigence, doit poser sur la base commune de la Constitution, et employer les moyens d’administration indiqués par elle pour l’a"dministration de toutes ses autres parties. Cette manière d’envisager l’important et honorable travail que l’Assemblée nationale a chargé le comité de lui préparer, semble donner la solution de la première question qu’il devait examiner; celle sur la manière de répartir les fonds dans toutes les parties du royaume, dans une juste proportion des besoins. Nous n’hésitons pas à penser, Messieurs, que tous les fonds, appartenant aux hôpitaux, au maisons de charité, doivent être réunis, en une masse commune, dans les mains de la nation. Sans doute, si la nation, en voulant répartir les secours avec égalité dans les différents départements, avait le projet de ne donner que des secours insuffisants, les villes pourvues d’hôpitaux pourraient réclamer, avec raison, contre un ordre de choses qui augmenterait à leurs dépens les ressources des autres : mais si la nation prétend répandre partout des secours complets, et de la manière la plus utile aux différentes classes qu’elle doit pourvoir, quels intérêts auraient les villes de réclamer contre cette réunion? quel droit en ont-elles? La plupart des revenus des hôpitaux, fondés sur des octrois, sont perçus par les villes, mais payés, le plus souvent, par les campagnes, qui ne profitent pas de leurs secours. Serait-ce à l’époque actuelle qu’une aussi injuste disposition pourrait être niaintenue? D’ailleurs, le système nouveau de répartition des secours devant s’éteindre sur toutes les parties du royaume, rendra le besoin des villes moins grand, et quel qu’il soit, il y sera satisfait. Nous ignorons si un grand nombre d’hôpitaux ou de maisons de charité portent, dans leur fondation, une clause assez précise pour mettre quelque embarras dans cette réunion ; s’il en existe, ils seront soigneusement examinés dans leurs titres, et le résultat le moins avantageux au plan général, tel que nous le concevons, serait que ces hôpitaux ne reçussent pas d’autres secours, ou n’en reçussent qu’au delà leur fondation, s'ils n’étaient pas suffisamment dotés pour les nouvelles attributions qui leur seraient données, et ce résultat ne contrarierait pas l’unité de notre système. Il faut donc poser, pour principe, que les biens des hôpitaux serout réunis en une masse commune, soit que les fonds soient administrés par les départements, soit, ce qui nous semble incontestablement préférable, qu’ils soient aliénés. Il s’agira, par la suite, d’examiner quel genre d’aliénation pourra présenter plus d’avantages; mais, quand l’Assemblée a|mis en commun les biens ecclésiastiques, on ne peut penser qu’elle puisse être un instant arrêtée dans la réunion de ces biens d’hôpitaux, lorsque surtout un beaucoup meilleur ordre de choses en fera l’objet et le résultat. Il est facile de sentir que cette aliénation des (I) Le comité de Constitution et les commissaires du comité d’imposition, auxquels ce rapport a été communiqué, en ont entièrement admis les principes, et ont autorisé le comité de mendicité à faire connaître leur adhésion à l’Assemblée. (2) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur