[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Ie' mars 1791. J M. Chabroud. Il est temps après un si long tumulte que le calme se rétablisse clans l'Assemblée. {Le tumulte recommence dans V extrémité droite.) Je crois qu’il est nécessaire qu’on prenne des mesures pour imprimer à tous les membres le respect qui est dû aux décrets qu’elle prononce. En conséquence, comme le désordre qui règne dans cette partie de l’Assemblée n’est autre chose qu’une révolte contre les décrets que M. le président vient de prononcer {Vifs applaudissements à gauche), je demande que le Président soit autorisé et chargé expressément d’user de tous les pouvoirs dont il est investi pour maintenir le bon ordre. {Applaudissements à gauche; murmures prolongés à droite.) M. de Mûrissais {dans le tumulte ). 11 est reconnu que vous voulez nous chasser d’ici ; mais nous n’en sortirons pas. M. de Cazalès. C’est l’Assemblée tout entière qui fait du tumulte, et ce tumulte cessera; l’Assemblée sera d’accord si vous voulez bien mettre aux voix cette rédaction : « L’Assemblée nationale, considérant que ces sortes d’affaires regardent le pouvoir exécutif. . . Plusieurs membres : Il y a un décret! L’ordre du jour ! M. de Cazalès. Mais il est certain qu’il faut trouver un moyen... Plusieurs membres : L’ordre du jour ! M. de Cazalès. Je fais lu motion que le décret soit rédigé en ces termes... Un membre : il est rendu. M. de Cazalès. Nous demandons que cette affaire soit formellement renvoyée au pouvoir exécutif. M. le Président. L’Assemblée a déjà décrété sur cette motion qu’elle passait à l’ordre du jour. M. de Folleville. Le secrétaire a dû rédiger le décret qui vient d’être rendu. Plusieurs membres à droite : Nous demandons la lecture du décret tel qu’il a été rendu. M. l’abbé llaury. Nous demandons que la municipalité répond’e de l’arrestation des deux particuliers. M. de Folleville parle avec violence dans le bruit. Un membre à gauche : Envoyez cet homme-là à l’Abbaye ! M. le Président. Monsieur Roussillon, vous avez la parole. M. Roussillon, au nom des comités des contributions publiques, de commerce et d’agriculture. Messieurs, par votre décret... M. l’abbé Manry. Je demande la parole pour une motion d’ordre. {Bruit à droite.) 1>° Série. T. XXIII. 593 M. le Président. A l’ordre, Messieurs ! {Le bruit redouble.) M. de Bétliizy. Faites votre métier, Monsieur le Président, mais faites-le honnêtement. M. le Président. Je prie les membres qui se trouvent dans le milieu de la salle de reprendre leur place. Les membres de la droite reprennent successivement le chemin de leurs gradins. M. Roussillon, au nom des comités des contributions publiques , de commerce et d’agriculture. Par le décret du 13 février, vous avez permis l'entrée du tabac étranger en feuille, par les ports qui seraient désignés, moyennant une taxe de 25 livres par quintal. Vous avez accordé une remise du quart du droit sur le tabac qui serait importé directement de l’Amérique par navire français, et vous avez renvoyé à vos comités des contributions publiques, d’agriculture et de commerce, la proposition qui vous a été faite de recevoir les tabacs des îles espagnoles et du Levant, et de r<’en laisser importer aucun qu’en boucauts. Je viens vous soumettre l’opinion de vos deux comités sur ces différents objets. Vos comités ont pensé que l’intérêt bien entendu de notre commerce, autant que les liens qui nous unissent à l’Espagne et à la Russie, avec laquelle nous avons un traité de commerce dont nous pouvons tirer de grands avantages, exigeait que nous ne traitassions pas les tabacs des possessions espagnoles et de l’Ukraine, moins favorablement que ceux des EtaU-Unis; qu’il importait également à la prospérité de notre commerce direct au Levant, commerce d’autant plus avantageux qu’il se fait presque entièrement par échange, de permettre l’importation des tabacs qui peuvent être récoltés dans la Salonique et la Tagnie en Syrie. Vos comités sont également d’avis que les fabriques existantes dans l’ancienne province d’Alsace et à Valenciennes puissent recevoir les tabacs étrangers dont elles ont besoin pour l’emploi de ceux du crû. Mais, en même temps qu’il a paru juste à vos comités de donner à la culture, à la fabrication et au commerce des tabacs en France, toutes les facilités qu’ils peuvent désirer, vos comités ont dû s’occuper des moyens d’éviter la fraude d’un droit destiné à remplacer une partie des produits de l’ancienne ferme du tabac. Le premier de ces moyens est d’interdire l’importation du tabac autrement qu’en boucauts. (Il s'élève du bruit à droite.) M. le Président {s'adressant au côté droit). A l’ordre! M. de Murinais. Avec le mot: « A l’ordre! », que voulez-vous dire, Monsieur le Président? Je fais la motion que vous cédiez le fauteuil à M. de Mirabeau. Plusieurs membres à gauche ; A l’Abbaye M. de Murinais! Un membre à gauche : Je demande qu’on fasse entrer la garde pour arrêter M. de Murinais. M. le Président. Je déclare à la nation que 38 594 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [I-mars 1791.] M. de Marinais trouble l’Assemblée nationale et je le rappelle à l’ordre. M. de Faucigny-Liuclnge. Et moi, je vous dénonce à la nation. (Un violent tumulte s’élève à droite.) M. le Président se couvre. ( Rires à droite.) Un membre à droite : A bas le chapeau ! M. Duval d’Eprémesnil {s adressant au Président). Je demande la parole contre vous. M. le Président, se découvrant. Eh bien, vous avez la parole contre moi. M. Duval d’Eprémesnil. C’est moins une accusation qu’une question. Plusieurs membres : Ce n’est pas là l’ordre du jour. M. le Président. Rappelez-vous, Monsieur d’E-prémesnil, que vous avez demandé la parole contre moi et je vous prie de la prendre. M. Duval d’Epréinesnil. Ce que vient de dire M. le Président me paraît d’un fort mauvais exemple. Il a dit : « Je déclare à la nation que M. de Murinais trouble l’Assemblée nationale. » Je demande ce que signifie de faire une déclaration à la nation; je prie M. le Président de dire ce qu’il entend par ces paroles et quel en doit être l’effet. Cela me paraît un cri séditieux, qui ne doit jamais sortir de la bouche d’un président de l’Assemblée nationale. Plusieurs membres à gauche : A l’ordre ! A l’Abbaye! M. le Président. Je réponds à Monsieur le préopinant que, comme la nation ne peut jamais être assemblée que dans la personne de ses représentants, lorsque j’ai interpellé la nation, c’est l’Assemblée nationale entière que j’ai interpellée. (Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes.) M. de llurinais veut parler. M. de Cazalès l’en empêche. M. le Président. Maintenant, je déclare que j’userai de toute la sévérité de la loi, de tout le pouvoir qui m’est confié, pour réprimer ceux qui excitent un désordre aussi scandaleux. ( Tumulte à droite; vifs applaudissements il gauche et dans les tribunes.) M. l’abbé Maury. Monsieur le Président, les tribunes ne doivent pas applaudir; je vous prie de les rappeler à l’ordre. M. de Rois-Rouvray. Si fait, elles sont payées pour cela. Plusieurs membres à droite quittent la salle. (Le calme se rétablit peu à peu.) M. le Président. Monsieur Roussillon, continuez votre rapport. M. Roussillon, rapporteur ( continuant son rapport). Cette forme rendra très difficiles les soustractions, soit à bord des bâtimenfs, soit à l’entrée des magasins, ou à leur sortie, elfe facilitera à ces emmagasinements la réexportation et les recensements. Une autre précaution qui n’est pas moins essentielle consiste à n’admettre les tabacs que par certains ports ou bureaux ; les effets de cette restriction sont sensibles. Vous avez encore à prévenir l’abus qui pourrait être fait de la faveur que vous avez voulu accorder à votre navigation, et il est du devoir de vos comités de vous proposer une mesure à cet égard. Cette mesure fait partie des dispositions que je vais vous soumettre si vous les adoptez. Les articles du nouveau tarif relatif au tabac seront rédigés en conformité. Voici le projet de décret que nous vous proposons : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu les comités des contributions publiques, d’agriculture et de commerce, décrète ce qui suit : « Art. 1er. L’entrée dans le royaume du tabac fabriqué sera prohibée, et il ne pourra être importé du tabac en feuilles autrement qu’en bou-cauts, et par les ports et bureaux qui seront ci-après désignés. « Art. 2. L’importation par mer des tabacs en feuilles n’aura lieu que pour les tabacs des Etats-Unis d’Amérique, des colonies espagnoles, de la Russie et du Levant. « Lesdits tabacs devront être importés directement, savoir : ceux des Etats-Unis d’Amérique par navires desdits Etats ou par vaisseaux français; ceux des colonies espagnoles, par bâtiments espagnols ou français; ceux de l’Ukraine, par vaisseaux russes ou français, et ceux du Levant par navires français seulement. « L'importation desdits tabacs par les bâtiments des autres nations est défendue. « Art. 3. L’entrée des tabacs des Etats-Unis, des colonies espagnoles, de l’Ukraine et du Levant ne pourra avoir lieu que par Ba\onne, Bordeaux, Rochefort, La Rochelle, Nantes, Lorient, Morlaix, Saint-Malo, Granville, Ronfleur, Cherbourg, Rouen, Le Havre, Dieppe, Saint-Valery-sur-Somme, Boulogne, Calais, Dunkerque, Marseille, Toulon, Cette et Port-Vendres. « Art. 4. Il sera encore permis d’importer des tabacs étrangers en feuille et en boucauts, quelle que soit leur origine, par les douanes de Strasbourg et Valenciennes, en acquittant un droit de 25 livres par quintal. « Art. 5. Le même droit de 25 livres par quintal sera perçu sur les tabacs qui seront importés par les bâtiments des Etats-Unis d’Amérique, espagnols ou russes. « Art. 6. Il ne sera perçu que 18 1. 15 s. par quintal sur les tabacs importés par bâtiments français venant directement des Etats-Unis d’Amérique, des colonies espagnoles, de Russie et du Levant. « Et ne seront réputés bâtiments français que ceux construits en France, commandés par des Français et dont au moins les deux tiers de l’équipage seront Français. » (La discussion est ouverte sur ce projet de décret.) M. l’abbé Dillon. Monsieur le rapporteur, je vous demande si vous regardez et si vous traitez les tabacs venant des colonies comme étrangers. M. Roussillon, rapporteur. Non, Monsieur,