ARCHIVES PARLEMENTAIRES RÉGNE DE LOUIS XVI ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. ALEXANDRE DE LAMETII. Séance du vendredi 26 novembre 1790, au soir (1). La séance est ouverte à six heures du soir. L’Assemblée renvoie à demain la lecture des procès-verbaux. La lecture des adresses est ajournée à la séance de demain soir. Une députalion du conseil du département de la Loire-Inférieure, du directoire du district et du conseil général de la commune, de la garde nationale et des amis de la Constitution de la ville de Nantes, est reçue et prononce le discours suivant : « Messieurs, le conseil du département de la Loire-Inférieure, le directoire de district, le conseil général de la commune; à eux jointes, par leurs pétitions, la garde nationale et la société des amis de la Constitution de la ville de Nantes, nous ont députés vers vous, pour vous demander justice d’un prélat rebelle aux lois de son pays. « Le sieur Charles-Eutrope de La Laurencie, absent depuis six mois de son diocèse, y revient au moment où s’y répand, avec profusion, une prétendue adresse à l’Assemblée nationale, qui vous a été dénoncée par le conseil de département. Celte criminelle adresse, annoncée comme étant l’ouvrage du clergé de Nantes, n’est heureusement que celui des membres gangrenés de ce corps. Deux anciens membres de cette Assemblée l’ont signée. Déserteurs de la cause de la patrie, ils se parent d’un titre qui sera, dans tous les temps, un monument de leur lâcheté et de leur perfidie. « Le retour du sieur évêque, dans son département, pouvait d’abord faire croire aux bons citoyens que ce prélat, abjurant des erreurs déjà trop manifestées, venait enfin reconnaître l’empire de la raison; qu’il cédait à cette conviction (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. lre Série. T, XXL intime qui naît du concours général des opinions; qu’il était subjugué par cette tendance de tous les esprits vers les principes que vous avez consacrés, et qu’il allait donner à son clergé l’exemple de la soumission aux lois, que vous avez créées pour notre commun bonheur. M. de La Laurencie, le lendemain de son arrivée en notre ville, parcourut tous les quartiers à pied, et montra ainsi une grande popularité; ses mains distribuaient d’abondantes aumônes, mais ces mêmes mains avaient déjà tracé des caractères de réprobation; elles avaient signé le même jour une protestation contre vos décrets, une déclaration formelle de méconnaître l’autorité souveraine de la nation, et de lui en opposer une étrangère: système monstrueux, proscrit par les principes du contrat social, qui mettrait un Etat dans l’Etat, qui éleverait au-dessus de la nation une puissance qui a pris sa source en elle, qui émane d’elle, et qu’une convention peut faire disparaître et anéantir. « Nos concitoyens furent indignés, lorsqu'ils apprirent que leur évêque n’était revenu parmi eux que pour y lever l’étendard de la rébellion, pour se faire environner des ennemis du bien public, pour voir se grouper autour de lui cette horde de mécontents pour qui la liberté est un supplice, et qui frémissent en voyant les nations s'affranchir du joug des tyrans. Les corps administratifs, tous les citoyens justement alarmés des événements que pouvaient produire une résistance, une désobéissance si marquées, s’occupèrent des moyens qui pouvaient ramener à de meilleurs principes celui qui ne s’était écarté, qui ne s’était peut-être égaré que parce qu’il avait cédé à l’importunité et à l’obsession des perfides conseillers qui l’avaient approché depuis son retour. Us pensèrent qu’une députation de tous les corps, qui irait exprimer au sieur évêque le désir qu’avaient tous les citoyens du département de le voir concourir à i’exécution du décret concernant la constitution civile du clergé, pourrait lui faire abandonner des projets mal conçus et si nuisibles à l’ordre public. « La députation a eu lieu en effet. Les députés ont eu pour le prélat tous les égards que mérite le caractère dont il est revêtu, dette dém relie a % V\°> \ 2 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 novembre 1790.1 été infructueuse. Le sieur de La Laurencie nous a déclaré formellement « qu’il ne reconnaissait pas l’autorité de l’Assemblée nationale dans les matières ecclésiastiques; qu’il s’opposait à la suppression de son chapitre, à toute union et réunion de cures à son église cathédrale, et que le serment civique qu’il avait prononcé devant la commune assemblée, ne le liait que pour les choses étrangères à sa juridiction épiscopale ». « Nous sommes porteurs d’une expédition du procès-verbal qui a été rapporté à cette occasion. « Le soir de ce même jour, pendant que le conseil de département et les députés des différents corps et compagnies délibéraient en commun sur le parti qu’il convenait de prendre dans une circonstance si difficile, des cris tumultueux se font entendre; on demande l’arrestation du sieur évêque, et qu’il soit amené devant l’Assemblée nationale: deux mille citoyens étaient ou présents à la séance, ou obstruaient les avenues du lieu où elle se tenait. La morosité du prélat avait pénétré tous les cœurs d’un sentiment vif et profond d’indignation; la fermeté et la prudence des administrateurs, qui ont porté la parole en ce moment difficile, ont pu seules le préserver d’une funeste catastrophe. « La fermentation était à son comble ; on voulait nous arracher des paroles de proscription ; le péril a paru si imminent, que l’évêque qui en a été averti, est parti sur-le-champ vers les neuf heures du soir, et qu’il fuit peut-être encore. « Cet événement était ignoré de l’Assemblée. Les administrateurs sont parvenus, par leur courage et leur patience, à ramener la délibération sur une dénonciation que feraient à l’Assemblée nationale des députes extraordinaires. Nous avons été honorés du choix de nos concitoyens, et nous venons, Messieurs, vous supplier de décréter que le procès soit fait et parfait au sieur évêque de Nantes, comme coupable de forfaiture, et cela devant le tribunal qu’il vous plaira d’indiquer : que ledit évêque soit mis de suite en état d’arrestation ; que, dès que la forfaiture aura été jugée et la destitution du siège prononcée comme suite nécessaire, le procureur général syndicsoitautorisé à convoquer le corps électoral qui procédera à l’élection d’un nouvel évêque, et qu’il en sera usé de la même manière à l’égard des curés réfractaires à vos décrets. « Ces mesures, rigoureuses en apparence, sont aujourd’hui impérieusement commandées ; la tranquillité publique en dépend, le sort de la Constitution y est attaché; car, ne vous y trompez point, Messieurs, ne croyez pas que des prêtres turbulents et factieux soient les seuls ennemis que vous ayez à terrasser dans cette circonstance. Que Je voile se déchire derrière ces prêtres ; vous verrez les ci-devant nobles, les ex-privilégiés. L’aristocratie avait établi son empire dans notre ci-devant province de Bretagne; là, plus que partout ailleurs, le monstre était redoutable : au moment où il paraissait nous mettre à l’abri des coups du despotisme, il en appesantissait le joug sur nos lêtes. Une caste, impuissante aujourd’hui, pense que la religion et ses ministres peuvent devenir les instruments de sa vengeance: elle pense que le fanatisme va armer les peuples, qu’il portera la désolation et la mort dans des contrées que vos bienfaits ont vivifiées : elle veut voir se transformer en noirs cyprès les lauriers que yous avez cueillis et dont la nation s’empressera de ceindre vos fronts, à l’époque heureuse où yous lui annoncerez que la Constitution est l achevée. Insensés ! ils croient pouvoir faire refouler les siècles, nous ramener aux temps delà Ligue 1 Les peuples sont aujourd’hui trop éclairés ; ils ontvoulu la Révolution, ils l’ont faite; ils la veulent encore, ils l’achèveront. Ils sont soumis à la religion de leurs pères, mais ils ne veulent pas que la cupidité et l’ambition abusent de cette religion sainte pour maintenir des usurpations et perpétuer des abus : c’est l’hydre dont les têtes sont toujours renaissantes; abattez la dernière : vos triomphes sont assurés ; la nation jouit enfin delà liberté et du bonheur. « Tels sont, Messieurs, les vœux que nous formons; telles sont les pétitions que nous vous adressons au nom de cinq cent mille citoyens. Les habitants de l’antique Armorique ne veulent pas que l’accomplissement d’une révolution prescrite par la raison et l’humanité, soit retardé par une poignée de conspirateurs, par des pygmées qu’un souffle peut détruire, et qui, cependant, ne consultant que leur rage et leur désespoir, voudraient faire arroser du sang des Français cette terre que la liberté a revendiquée, qu’elle va féconder, où elle veut établir son temple, et d’où elle régnera sur l’univers entier. » Signé: CORNET, membre et député extraordinaire du département de la Loire-Inférieure. JULIEN Lefebvre, médecin et procureur-syndic du district de Nantes. A Paris, le 26 novembre 1790. M. le President répond : « L’Assemblée nationale ne peut voir sans intérêt les témoignages d’attachement pour la Constitution que donnent en ce moment les habitants et les administrateurs du départementde la Loire-inférieure. Elle comptait sur leur patriotisme ; elle applaudit à leur zèle. « L'Assemblée nationale, lorsqu’elle a conçu la grande et difficile entreprise de fonder une Constitution libre sur la ruine de tous les abus, ne s’est pas dissimulé les obstacles que les intérêts particuliers opposeraient à des résolutions que l’intérêt du peuple aurait seul dictées ; mais elle a compté sur la puissance de ia vérité, sur le génie d’une nation libre, d’une nation digne de la connaître et de la défendre, et son attente n’a pas été trompée. « Aujourd’hui que le nouvel ordre de choses est presque entièrement établi, aujourd’hui que la nation qui i’a soutenu avec tant d’énergie commence à recueillir le fruit de ses nouvelles institutions, l’Assemblée nationale lui doit de prendre toutes les mesures qui en assureront l’txécution prompte et paisible, et qui, en décourageant de vaines résistances, éloigneront de nous ues troubles dont on semble vouloir souiller le terme delà plus heureuse des révolutions. La conduite passée de l’Assemblée nationale vous répond de sa conduite à venir. La justice a dicté ses lois ; sa fermeté les maintiendra. « Elle vous permet d’assister à sa séance. » (L'Assemblée ordonne l’impression tant du discours que de la réponse, leur insertion au présent procès-verbal ; que ia minute de ce discours, ensemble les pièces y mentionnées au nombre de dix, pièces que la députation a mises au moment même sur le bureau, seront renvoyées au comité des recherches, pour, par ce comité, réuni à celui ecclésiastique, lui être rendu compte du tout, et par elle être statué ce qu’il appartiendra.) M. le Président L’objet de la séance extra-