748 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Bail, de Clermont en Beauvoisis.] qu’en cas de pétition aux Etats généraux de l’extension d’état en faveur des non catholiques, il s’oppose, au nom de ses commettants, à tout ce qui pourrait à cet égard être fait au préjudice de la religion et tendrait à les faire entrer dans la magistrature ou leur faire occuper les chaires ou écoles d’instruction publique, comme à un système qui tendrait à refondre le clergé dans les deux autres Etats du royaume, protestant d’avance contre tout ce qui pourrait être fait au contraire, laissant d’ailleurs à sa prudence,, à ses lumières, au sentiment d’union qui doit le lier à ses commettants, de faire dans les cas imprévus ici tout ce qui sera de l’intérêt de l’Etat. Arrêté à l’assemblée dudit clergé, la chambre tenante, le 13 mars 1789. Signé Mignot, curé d’Erquenviller, président; Hauduroy, curé de Clermont ; Magnier, curé d’A-netz, Delaittre, ministre de Saint-André ; Delar-re, curé de Saint-Rémy en l’Eau; Crozede Mont-rozière, curé de Villers-Saint-Sépulcre; Lestuvée, curé de la Neuville en Hez; Fasquelle, curé d’Er-query, secrétaire. Nous, François-Joseph de La Rochefoucault , évêque-comte "de Reauvais, vidame de Gerberoy, air de France, en vertu de l’élection de député aux tats généraux, faite en notre faveur, par Rassemblée de l’ordre du clergé du bailliage de Clermont en Reauvoisis, portée au procès-verbal sous la date du 13 du courant et dénoncée à nous pour obtenir notre consentement et acceptation de ladite qualité de député aux Etats généraux, déclarons que, pour satisfaire et remplir les désirs de l’assemblée, nous acceptons la commission et qualité de député, avec promesse de soutenir et faire valoir les objets de réclamation contenus au cahier de doléances de ladite assemblée; en outre, de les soutenir et protéger de toutes nps forces et crédit. Fait à l’assemblée de l’ordre du clergé séante à Clermont en Reauvoisis, le 14 mars 1789. Signé François-Joseph, évêque-comte de Reauvais. Ne varietur, Fasquelle, curé d’Erquery, secrétaire. CAHIER Des plaintes , représentations et demandes que rassemblée de V ordre de la noblesse du bailliage de Clermont en Beauvoisis charge son député (1) de porter aux Etats généraux (2). La noblesse ayant, par un vœu unanime, déclaré de supporter avee égalité les charges de l’Etat, et ayant chargé son député, par le premier article de ses instructions, de remettre cette déclaration aux Etats généraux, lui a d’abord prescrit de ne consentir aucune levée ou prorogation d’impôts, et de n’entrer dans l’examen d’aucune affaire avant d’avoir obtenu : 1? L’abolition entière des lettres de cachet, sans aucune restriction, et l’assurance que tout citoyen coupable, ou violemment soupçonné de l’être, arrêté par une suite nécessaire de la vigilance d’une bonne police, sera remis, dans les vingt-quatre heures, entre les mains de la justice ordinaire. 2° Le retour périodique des Etats généraux tous les deux où trois ans, de manière qu’ils puissent être rassemblés à l’époque déterminée, sans qu’il soit besoin de lettres de convocation. (1) M. le duc de Liancourt. (2) Nous publions ce cahier d’après un imprimé de la Bibliothèque du Corps législatif. 3° La responsabilité des ministres, quant aux comptes de finances, aux droits de la nation et à la sûreté de ses membres. Ces demandes, évidemment justes en elles-mêmes, ne sont, d’ailleurs, que l’expression des sentiments de générosité et de bonté que le Roi a bien voulu faire connaître dans le résultat du conseil du 27 décembre dernier. 4° La noblesse juge absolument nécessaire que la personne de ses députés soit regardée comme inviolable pendant tout le cours de la tenue des Etats généraux. 5° Ces principes une fois posés et rendus obligatoires pour son député, l’ordre de la noblesse a arrêté que, la dette nationale constatée, la dépense des départements fixée, les sommes nécessaires pour soutenir l’éclat du trône, et les forcés de la nation bien connues, les subsides indispensables pour tous ces objets pourraient être votés et consentis, seulement jusqu’à la première tenue des Etats généraux. 6° Les abus et les fixations qui résultent de la forme actuelle des impositions, et surtout de la gabelle, des aides et des droits de contrôle, étant un sujet de douleur pour tous les citoyens, la noblesse demande qu’elle soit changée, soumise à des lois fixes, connues de tous les contribuables, et portant sur les capitalistes comme sur les propriétaires de biens-fonds, indistinctement, en raison de leurs fortunes et de leurs consommations. 7° Elle croit avoir le droit de demander, pour le soulagement de l’ordre du tiers, que les privilèges qui en font partie supportent aussi toutes les charges de l’Etat, dans la plus exacte proportion de leurs biens. 8° Elle désire que les Etats généraux prennent, sur l’administration la disposition, et même l’aliénation perpétuelle des domaines royaux, le parti qu’ils jugeront le plus convenable à l’accroissement du produit et à la libération des dettes de l’Etat. 9° Elle sollicite que l’imposition des chemins soit supportée par tous ceux qui en font usage, par le moyen d’un impôt sur les terres, sur le luxe, ou par l’établissement de barrières. 10° Que les rues des villages et les chemins qui conduisent des uns aux autres soient rendus praticables, leur mauvais état nuisant à la santé des habitants et à la facilité des transports de leurs denrées. 11° Que les marais soient desséchés, et que beaucoup de terres incultes appartenantes au Roi soient distribuées, à la charge d’un léger cens et d’amélioration constatée. 12° Que le droit de parcours dans les prés, tant naturels qu’artificiels, après les premières fenaisons, ainsi que toutes les lois et usages qui s’opposent au libre exercice de la propriété, et par conséquent à l’extension et au perfectionnement de l’agriculture, soient Abolis. 13° Qu’une loi nouvelle sur les dîmes ne soit plus, comme la loi présente, un obstacle aux défrichements, aux nouvelles cultures, et une source de nouvelles contestations et procès. 14° Que les revenus des curés et des vicaires soient assez augmentés pour leur procurer le moyen de vivre honnêtement, et de soulager les pauvres de leurs paroisses. 15° Elle se plaint de la non-résidence des bénéficiers simples, et demande que les biens du clergé supportent la charge des réparations des presbytères et des églises, ainsi que la dépense � des enfants trouvés, des écoles et delà mendicité. [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bail, de Clermont en Beauvoisis.] 749 16° Elle demande l’établissement de bonnes écoles dans les villages où les maîtres actuels sont généralement mauvais, parce qu’ils ne sont pas payés, et que quelques moyens puissants de législation déterminent les pères à faire profiter leurs enfants de ces écoles. 17° Elle sollicite la destruction de la mendicité, 1° en donnant la charge des pauvres domiciliés dans les villages aux gros décimateurs non-résidents dans les paroisses, parle moyen d’un fonds qu’ils feraient, et qui serait confié aux assemblées secondaires; 2° en établissant par province une ou deux maisons de correction ou de travail, où les gens sans aveu, les mendiants étrangers à la province, et pris sur les routes, seraient enfermés, traités sévèrement et forcés au travail, pour être ensuite, en cas de récidive, transportés dans quelque établissement d’outre-mer. 18° Elle sollicite pour la levée de la milice une forme moins affligeante et moins coûteuse pour les habitants des campagnes. 19° Elle demande l’établissement des mêmes poids et mesures pour tout le royaume, et la destruction des jurandes et maîtrises au moins dans les petites villes. 20° L’établissement dans les campagnes et par cantons, de chirurgiens et de sages-femmes instruites, payés par ces provinces pour traiter les pauvres gratis, visiter les enfants trouvés, traiter les épidémies, et inoculer les villages qui voudront l’être. Ces places données au concours. 21° La réformation du Code civil et l’institution d’un nouveau, qui, purgé des vices que les sages jurisconsultes reconnaissent dans le code actuel, puisse devenir commun à toutes les provinces. 22° La réformation du code criminel, et une explication des lois assez simple et assez claire, pour qu’elles ne soient plus sujettes à aucune interprétation arbitraire. 23° La liberté de la presse, telle qu’elle doit exister chez une nation libre , honnête, et qui cherche à acquérir de véritables lumières. 24° Elle sollicite vivement la suppression de toutes les charges sans fonctions nécessaires qui donnent la noblesse, et demande que les anoblissements ne soient plus accordés par le Roi qu’aux hommes qui s’en rendront dignes par des services réels, de grandes vertus ou de grands talents appliqués à de grands objets. 25° L’abolition du droit de franc-fief, qui, étant pour le tiers-état une espèce de tache, est pour les nobles un obstacle continuel à la vente de leurs terres et aux mouvements qu’ils croient devoir faire dans leurs fortunes. 26° Elle demande des Etats provinciaux et une nouvelle division de provinces, qui leur donne, autant qü’il est possible, les mêmes bornes pour tous les genres de juridiction et d’administration religieuse, civile et' militaire. 27° La noblesse, persuadée que la différence des opinions religieuses ne doit jamais désunir les hommes , pourvu que la morale et les principes qui intéressent essentiellement l’ordre de la société soient les mêmes, croit devoir demander qu’il soit donné plus d’étendue à la loi en faveur des non catholiques, et que leur état civil soit entièrement assuré, en l’assimilantà celui de tous les autres citoyens. 28° Elle sollicite l’abolition des lettres d’état, et généralement de tous les moyens qui, s’appliquant à des personnes qui ne sont pas actuellement employées aux affaires publiques, peuvent arbitrairement gêner l’action des créanciers contre leurs débiteurs. 29° Elle demande enfin la recherche de la conduite des ministres qui ont mis le royaume dans l’état de détresse où il est, tant relativement à la partie des finances, qu’à celle de l’administration, et aux atteintes portées à la constitution. 30° L’assemblée, sollicitée par un mémoire qui lui a été adressé, de s’intéresser au sort d’esclavage des nègres entretenus dans nos colonies, considérant que cette question, sur laquelle elle n’a d’ailleurs que des connaissances peu approfondies, n’est pas de son ressort, a chargé cependant son député d’apporter à la discussion qui, sans doute, en sera mite aux Etats généraux, toute l’attention qu’exige l’humanité appliquée à un aussi important objet. 31° La noblesse ayant perdu, par la suppression des corps uniquement destinés aux gentilshommes, un grand nombre de places dans le militaire, et se trouvant aujourd’hui sans faculté de placer ses enfants dans le seul métier convenable a leur naissance et à leur inclination, Sa Majesté est suppliée de vouloir bien prendre en considération la demande respectueuse que la noblesse du bailliage de Clermont prend la liberté de lui faire, de donner à cet ordre des moyens plus multipliés de continuer un état qui fait à la fois son goût et son existence. Le roi de France ne peut oublier que la noblesse fait la force de ses armées, Arrêté à Clermont en Beauvoisis, dans la chambre de la noblesse, le jeudi 12 mars 178.9, et ont signé : le duc de Fitz-James, le chevalier de Molignv, le comte de Flahaut, de La Billarderie, de Pasquier, comte deFranclieu;le comte de Ber-netz, le duc de Liancourt, Gaudechart, Chrétien de Sainte-Berthe père, le baron de La Rochefoucaud, L’Etouf, comte de Pradine, de La Guillebon, de Fumechon, de Ghevaisselle, de La Leverie, de Four-ceville, Chrétien de Beauminy, Joly de Sailly, de Broë , de Saint-Rimault, Cliassepot de Pissy, Havart de Popincourt, Chrétien de Sainte-Berthe, de Sessevalle, de Guillebon de Warigny, le marquis de La Billarderie, grand bailli, le baron de Pont-l’Abbé, secrétaire. POUVOIRS ET INSTRUCTIONS Donnés par la noblesse à son député. L’assemblée de l’ordre de la noblesse du bailliage de Clermont en Beauvoisis, réunie en vertu des lettres de convocation données à Versailles le 24 janvier dernier, et après avoir arrêté les cahiers des plaintes, demandes et représentations qu’elle charge son député de présenter aux Etats généraux, a délibéré de lui donner les pouvoirs et les instructions suivantes : Pouvoirs. L’assemblée de l’ordre de la noblesse du bailliage de Clermont en Beauvoisis donne, par le présent acte, à la personne choisie pour son député, ses pouvoirs généraux pour la représenter aux Etats, y proposer, représenter, aviser et consentir tout ce qui peut concerner les besoins de l’Etat, la réforme des abus, l’établissement d’un ordre fixe et invariable dans toutes les parties du gouvernement, l’avantage, la prospérité du royaume, le bonheur général et particulier de tous les citoyens. Elle lui impose seulement, comme condition obligatoire, de ne consentir à aucune levée ni prorogation d’impôts, de n’entrer dans l’examen d’aucune affaire, avant que la nation n’ait obtenu, par une loi expresse, l’assurance de la liberté civile du citoyen dans l’abolition entière des lettres de cachet ; le retour périodique des Etats ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bail, de Clermont ep Beauvoisis.] 750 [Etats gén. 1789. Cahiers.] généraux, rapproché à la révolution de deux ou trois ans, et prononcé assez positivement, pqqr qu’après un certain laps de temps, ces Etats puissent se rassembler, môme sans la nécessité d’une nouvelle convocation. Enfin, la responsabilité des ministres, quant à la comptabilité des finances, aux droits de la nation et à la sûreté de tous ses membres. L’assemblée de l’ordre de la noblesse prescrit encore à son député, quand la question sur la manière de voter sera agitée, d’opiner pour le vœu par ordre en toute matière; lui enjoignant cependant, dans le cas où l’uij des deux premiers ordres se refuserait à supporter, à proportion égale, les charges publiques, de solliciter l’opinion par tète, seulement et uniquement pour la matière de l’impôt. Enjoignant expressément à son député de protester hautement et publiquement, et de demander acte de sa protestation, si, par un événement impossible à présumer, la pluralité des voix emportait une opinion contraire aux vœux qu’elle vient d'exprimer. L’assemblée s’en rapporte d’ailleurs à tout ce que la connaissance qu’a son député du dévouement de la noblesse à la chose publique, de son esprit patriotique, de son vœu ardent et continuel pour la prospérité et le bonheur de l’Etat; de son désir de paix et de concorde entre les ordres; et enfin, à ce que la probité, les lumières et la conscience personnelle dp député le détermineront à aviser, consentir et proposer pour le bien de l’Etat. L’assemblée croit devoir cepepdant ajouter à ces pouvoirs l’indication de son opinion sur les questions principales qui seront probablement traitées aux Etats généraux : les articles rendus obligatoires exceptés, elle ne prétend pas rendre cette opinion nécessaire pour son député ; mais elle pense pouvoir, en lui en faisant connaître les motifs, guider ainsi la sienne jusqu’à ce que la discussion d’opinions contraires la ramène à des avis différents, plus utiles, selon sa conscience, à la gloire, à la prospérité, à la tranquillité de l’Etat. Opinion de l’ordre de la noblesse sur les objets qui seront traités aux Etats généraux. La nécessité des Etats généraux est généralement sentie; le déficit énorme et l’absence du crédit, qui ont été la cause véritable et première de la résolution qu’ont prise les ministres d’en proposer la réunion, qui l’ont rendue indispensable, ne sont aujourd’hui qu’un intérêt secondaire. Il faut combler' le déficit, acquitter la dette sans doute, mais il faut empêcher qu’elle ne se reproduise, il faut affranchir la nation de tous les abus qui pourraient la faire renaître. Il lui faut une constitution qui assure la jouissance de sa propriété, de sa liberté, sous la protection constante de lois invariables exactement observées, et qui la préservent à jamais de l’autorité arbitraire si changeante et si vexatoire des ministres. Voilà le grand objet dont les Etats généraux vont avoir à s’occuper. C’est, sans doute, la plus auguste, la plus honorable, la plus importante fonction dont les citoyens puissent être revêtus. Le Roi invite la nation à entrer dans ses droits depuis longtemps oubliés; sa bonté paternelle ne veut que le bonheur de ses sujets. La première instruction, sans aucun doute, à donner aux députés, est de porter aux Etats généraux cet amour du bien, cet esprit public, ce véritable honneur, qui , dégagé de tout intérêt particulier, de tout esprit de parti, rend tout le bien possible, et que tout Français trouve dans son cœur, quand, par des soins longs et pénibles, il n’a pas cherché à l’éteindre ou à le corrompre. De diriger par la réflexion et par la sagesse cet amour du bien, qui, n’étant pas maintenu dans ses élans, doit manquer son objet, et peut opérer presque les mêmes résultats que l’esprit de désordre et de trouble. De se persuader que les vérités politiques sont, comme les vérités géométriques, liées les unes aux autres; que leur graduation naturelle est nécessaire à parcourir, et que la nation qui voudrait s’affranchir de ces règles immuables, rendrait sa marche vers le bien incertaine et sans solidité. De bien considérer qu’aucune circonstance aussi favorable ne s’est jamais présentée à la nation, que celle où son Roi, plein ae générosité et de justice, lui offre le sacrifice de ce qu’une longue suite d’années, passées sans troubles et presque sans réclamations, avait pu lui faire regarder comme une partie de ses prérogatives et de ses droits. Que ce serait même méconnaître ce noble dévouement du Roi au bonheur de sa nation, que de ne pas établir sa propre félicité, son repos et sa gloire sur les bases à jamais immuables d’une constitution dont il a lui-même esquissé le plan dans la sagesse de son conseil. Qu’enfin le bonheur d’un Roi juste et celui de la nation sont inséparablement liés, et que des lois, des conventions sages, ne peuvent assurer l’un sans rendre avec nécessité l’autre certain et solide. Les députés, bien pénétrés de ces vérités, apporteront aux Etats généraux la disposition qui assurera le bien du royaume, si telle est, comme il n’en faut pas douter, la disposition commune. On ne peut se dissimuler que le mal à réparer ne soit grand, que la dette ne soit énorme, le crédit nul, les impôts actuels presque impossibles à augmenter, le désordre considérable dans beaucoup de points de l’administration ; mais aussi les ressources du royaume sont entières ; la nation française est plus capable qu’aucune nation du monde de générosité, de dévouement à la chose publique. 11 ne faut, pour opérer solidement le bonheur de l’Etat et de tous les individus qui le composent, que le vouloir avec force, loyauté et franchise. Le député de la noblesse remettra sur te bureau des Etats généraux, et sous la condition expresse qui lui est imposée, la déclaration, votée unanimement par l’ordre de la noblesse dans sa première séance, de consentir à supporter, sans aucune exemption pécuniaire, les charges et contributions de l’Etat dans la proportion de ses biens. La première de toutes les délibérations doit avoir pour objet, ainsi qu’il a été prescrit au député de la noblesse dans ses pouvoirs, l’établissement de la constitution, ou au moins de cette partie de la constitution qui assure le retour périodique des Etats généraux assez précisément, pour qu’après un certain temps ils pussent s’assembler, si même ils n’étaient pas convoqués. Le Roi lui-même a senti la nécessité de ces assemblées périodiques ; il l’a déclaré dans son conseil, et a voulu que cette déclaration fut connue de la nation; il a déclaré qu’à elle seule appartenait le droit de consentir et de proroger les impositions; il a déclaré reconnaître le danger des lettres de cachet. Ce sont ces salutaires engagements [États pén. 1789. Cahiers.] que les Etats généraux doivent faire sanctionner par une loi expresse avant d’entrer dans l’examen d’aucune affaire : la franche et loyale générosité de Sa Majesté ne peut laisser aucun doute à la nation sur la vérité de ses intentions. Le Roi, dans sa sagesse, voit son bonheur inséparablement lié au bonheur de son peuple. La nation doit donc s’empresser de reconnaître et d’assurer à jamais ce vœu de Sa Majesté, qui, s’il n’était pas exprimé par une loi, serait peut-être rendu inutile par diverses circonstances malheureuses, indépendantes du Roi, et difficiles à prévoir sous son règne, mais que la suite des temps ne saurait que trop indubitablement produire. Voilà l’affaire essentielle de la nation ; l’affaire dans laquelle aucun autre bien ne peut s’opérer, et qui les amènera tous nécessairement ; qui doit anéantir la division des corps, les querelles des ordres, et qui assurera à jamais à l’empire français le premier rang de considération et de force sur tous les empires °du monde. Mais plus les conséquences heureuses et glorieuses de l’établissement de cette constitution sont certaines, plus il faut craindre l’obstacle qu’y pourraient apporter les esprits pervers ennemis de tout ordre et de tout bien, dont les interets privés se trouveraient offensés par l’intérêt public, et qui, sous mille prétextes différents, chercheront sans doute à détourner les premiers pas de l’assemblée de cette marche salutaire. Ce sont toutes ces considérations qui ont engagé l’assemblée à rendre ces articles obligatoires. Lettres de cachet. Le seul rapport sous lequel quelques personnes défendent des lettres de cachet, est la sauvegarde qu’elles prêtent à l’honneur des familles, en soustrayant à la condamnation de la justice des gens d’un nom recommandable. Ce motif est plein d’injustice et contraire à l’honneur véritable des grandes familles. La liberté civile est le droit de tous les citoyens. Dans quelque classe que le sort les ait fait naître, ils ont un droit égal à la protection des lois et à la jouissance de la liberté qu’elles donnent : la distinction des rangs est, sans doute, un principe constituant de la monarchie ; mais cette distinction ne peut s’étendre jusqu’à faire juger, faire punir autrement les citoyens des classes différentes. Le crime est un, et la loi qui condamne ne peut faire exception de personne. D’ailleurs, cette idée de diffamation pour la famille d’un homme puni par les lois, n’est rien, sans doute, qu’un préjugé que la raison et que l’exemple de plusieurs nations désavouent. Ce préjugé subsistera toujours, tant qu’il sera possible' de soustraire un coupable à la loi. Que les lois aient leur libre cours, et ce préjugé sera bientôt détruit. Sans doute les malheureuses familles qui fourniront les premières une victime à la rigueur des lois, souffriront péniblement de l’habitude de ce préjugé ; mais la nécessité adoucira peu à peu les peines, la pitié publique viendra à leur secours; iis vivront dans le monde, sans y être soufferts, avec moins d’indulgence ; et ce barbare préjugé s’anéantira. D'ailleurs, dût-il résulter de cette exactitude de la loi quelque honte pour la famille du coupable, ce malheur nécessaire et particulier n’est-il pas préférable à l’injustice choquante qui soustrait à la peine légale une classe de citoyens pour y abandonner toutes les autres ? Il est inutile de répéter ici quelles vexations multipliées sont produites par les lettres de cachet : combien de fois elles ont servi la passipn [Bail, de Clermont en Beauvojsis.] 75f des ministres, et plus que jamais encore sous le dernier ministère à jamais mémorable ! Nulle personne, de quelque état qu’elle tût, n’a pu se croire alors hors de leur atteinte. Leur usage choque à la fois tous les principes d’humaiûté, de justice et de raison. L’abolition doit donc en être demandée sans restriction. Il est des cas, sans doute, pu l’enlèvement d’un homme pris en flagrant délit, où fortement soupçonné d’un complot pu d’un crime, peut être nécessaire ; mais la justice civile doit en être promptement instruite, et les causes de la détention promptement soumises à son tribunal. L’assemblée n’ignore pas qu’il peut exister des circonstances, quoique rares , où l’enlèvement prompt d’un homme peut présenter des avantages au bien de l’Etat. Mais comme l’abus ne peut être écarté de cette faculté d’emprisonnement, ordonné et maintenu sans la participation des lois, et que cet abus est le plus cruel de tous ceux qui peuvent désespérer des citoyens, l’ordre de la noblesse pense que la possibilité doit en être détruite jusque dans ses plus légères apparences. Sûreté des personnes des députés. La destruction de tous les vices et abus de constitution ne pouvant résulter que de leur dénonciation aux Etats généraux, cette dénonciation doit être rendue possible ; et elle ne le serait pas, si les personnes clés députés pouvaient être, pendant la tenue des Etats généraux, inquiétées dans leurs droits, même par les tribunaux, et si quelque crainte ultérieure pouvait les empêcher de s’exprimer librement sur tous les objets publics. C’est à la sagesse des Etats généraux à établir des lois de police qui contiennent les expressions des députés dans les bornes qu’ils jugeropt convenables. Emprunt momentané demandé. Sans doute la question de la dette de l’Etat ne peut pas être examinée avant l’établissement de ces points importants et nécessairement préalables ; mais il est hors de doute aussi que si quelques emprunts sont nécessaires pour acquitter les dépenses pendant la tenue des Etats généraux, et conduire convenablement la chose publique jusqu’à l’époque où le système nouveau pourra être établi, les députés devront s’empresser d’en faciliter les moyens. Cette ressource momentanée et nécessaire ne peut présenter aucune inquiétude aux esprits, même les plus méfiants ; et tandis que les Etats généraux s’occuperont de l’important objet de rendre l'ordre et le bien inhérent à notre constitution, il faut donner à l’Etat les moyens d’arriver à ce but essentiel. Consolidation de la dette. Le déficit qui existe aujourd’hui dans les finances de l’Etat est sans aucun doute la dette de la nation. Les prêts faits au Roi, que diverses circonstances ont rendus nécessaires, et qui ont tous aggravé la dette, lui ont été faits comme à celui qui avait sans contradiction aucune la direction des finances de la nation et qui la représentait. Ces emprunts, revêtus de l’enregistrement du parlement, ont acquis un droit plus sacré encore : s’il eût été libre aux prêteurs do donner leur argent à un moindre intérêt à la nation légalement représentée, ou de le donner à un intérêt plus élevé au Roi, qui n’aurait pas eu, pour emprunter, l’aveu de la nation, sans doute les prêteurs, qui eussent pris ce dernier parti, mériteraient de • perdre leurs créances au tribunal de la natipn ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 752 [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bail, de Clermont en Beauvoisis. assemblée. Mais aucun n’a pu faire ce choix; et à quelque proportion que le besoin de l’Etat ou la maladresse des ministres aient élevé les intérêts de leur prêt, leur dette est sacrée comme toute propriété ; elle doit donc être reconnue par respect pour la foi publique ; c’est à la nationfà réduire, si elle le juge à propos, et pour l’avenir, les intérêts trop élevés de ses prêts. Il semble qu’il doit en être ainsi des dons, des échanges, des acquisitions, qui, bien que démesurées dans leurs prix, bien que peu honorables, peut-être pour ceux qui en ont abusé, ont été faits par le Roi, qui jouissait incontestablement du droit d’en disposer. Il semble donc qu’on doit regarder tout le mal passé comme existant, mais qu’il faut tracer une ligne de démarcation bien prononcée entre le passé et l’avenir, et profiter de la connaissance acquise de tous les abus anciens de tous les genres, pour les prévenir dans la suite et les éviter. Consolidation de la dette; comment faite ? Si des subsides nouveaux sont nécessaires pour combler le déficit et assurer à époques successives l’amortissement de la dette, il paraîtrait nécessaire de n’établir ces subsides que jusqu’à la première tenue des Etats généraux, époque où des moyens plus avantageux d’amortir la dette seront peut-être présentés. D’ailleurs, cette limitation posée au consentement de ce subside et de tous les autres impôts, serait un moyen de plus d’assurer le retour des Etats généraux, et aucun ne doit être négligé. Quant aux moyens d’amortir la dette et d’en rendre la charge moins onéreuse à la nation, les Etats généraux recevront sans doute un grand nombre de projets sur ce projet important, et le bon esprit des députés, éclairé encore de toutes les lumières dont ils seront environnés, les déterminera à donner leur vœu à celui auquel ils croiront le plus d’utilité. Dêtte du clergé. Il semble encore qu’une partie de la dette du clergé doit être jointe à la dette de l’Etat, et soldée par la nation. On entend la partie de cette dette qui résulte d’emprunts faits pour le Roi sous sa sanction, et dont les fonds ont été versés au trésor royal. Les motifs qui déterminent la nation à reconnaître la dette actuelle du Roi doivent l’engager à reconnaître cette partie de la dette du clergé, qui n’est pas autre chose. Il importe, d’ailleurs, qu’il n’v ait pas dans l’Etat un crédit public en concurrence avec le sien, et que l’unité de ses opérations de finance en assure le succès. Quant à la partie de la dette du clergé faite en son propre nom, et pour soustraire ses revenus à l’acquittement des dons gratuits qu’il aurait dû supporter, il paraît de la plus exacte justice que ce corps en reste chargé, et que l’acquittement de cette dette, entretenue depuis longtemps aux dépens des revenus de l’Etat, soit opéré par le clergé, sans que les subsides qu’il doit à l’Etat, en raison des biens dont il jouit, puissent en être diminués. Peut-être la vente d’une portion des biens du clergé acquitterait-elle cette dette promptement pour le clergé, et avantageusement pour la nation. Peut-être, surtout, pourrait-il faire servir la vente de ses droits honorifiques des rentes non remboursables sur les terres à l’amortissement de la dette, au renouvellement de laquelle il semble qu’il devrait être mis obstacle par une loi qui défendrait au clergé de pouvoir à l’avenir faire des emprunts. Durée des impôts. Les impositions nécessaires à la liquidation de la dette ne pourront être déterminées que par la connaissance que se procureront les Etats généraux des autres impositions nécessaires pour subvenir aux dépenses de l’Etat. 11 semble que deux principes doivent concourir à la fixation de ses dépenses; le premier, que l’Etat doit être dans une condition de force assez respectable pour commander au dehors la considération qui doit appartenir à la première nation du monde ; le second, que l’état des forces de l’empire soit déterminé au point jugé nécessaire ; la plus exacte économie doit diriger les dépenses de tous les départements, car les contributions qui les fournissent sont levées souvent sur les besoins les plus pressants du peuple. Ces dépenses fixées, les impôts votés en conséquence, et jusqu’à la première réunion de l’assemblée nationale, il semble que les fonds de l’Etat pourraient être utilement divisés en deux caisses : l’une, dans les mains du Roi, serait destinée à la dépense du souverain, de sa maison, de ses dons, des. différents départements, et serait, ainsi qu’il a été dit, suffisamment pourvue pour soutenir avec dignité les forces nécessaires à la France et l’éclat convenable à son trône : les ministres répondraient à la nation de la gestion de cette caisse; et l’autre, chargée de l’acquittement de la dette, et de toutes les dépenses relatives à l’administration des provinces, serait dans les mains de la nation. Les impôts et contributions ne devant être votés que jusqu’à la prochaine tenue des Etats généraux, à l’époque désignée, il sera nécessaire que ceux qui en prolongeraient la levée soient traités comme, coupables de concussion; et la proposition de ce dernier article sera obligatoire pour le député. Usage du papier-monnaie. L’usage du papier-monnaie, qui pourrait être utilement employé pour accélérer la liquidation de la dette, en mettant plus de fonds en circulation, a, jusqu’à présent, toujours été funeste en France. Il semble cependant que l’administration en étant confiée à la nation, et soigneusement suivie par elle, en ferait disparaître les inconvénients, sans en diminuer les avantages. Composition des Etats généraux. Il semble démontré que la composition actuelle des Etats généraux, formée de trois ordres distincts, est nuisible à presque toutes les délibérations importantes, si le veto d’un seul peut arrêter la marche des affaires; et que cette division est inutile, si les opinions se recueillent par tête. Il semble encore prouvé que le clergé n’étant qu’un corps de magistrature religieuse, la nature de son existence, de ses devoirs et de ses intérêts civils, ne doit point en faire un ordre à part dans l’Etat; et que ses membres, répandus dans les ordres qui leur ont donné naissance, doivent, s’ils sont élus par leurs concitoyens, siéger à ce rang dans les Etats généraux. 'Mais la question proposée, de composer les Etats généraux d’une chambre haute et d’une chambre inférieure, ne semble pas assez approfondie encore pour qu’on puisse avoir un avis arrêté. Cette question sera sans doute agitée aux Etats généraux, et présentée sous tous ses rapports. On croit seulement pouvoir dire que la décision n’en doit pas être trop pressée. [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Conditions pour être électeur et éligible. Quant à la représentation actuelle, il semble qu’elle est indubitablement vicieuse, parce que les électeurs sont pris dans tous les états, et qu’ils ne sont pas bornés à la classe des propriétaires. La propriété donne le premier intérêt à la chose publique; en vain dit-on que la question de l’impôt n’est pas la seule que traitent les Etats généraux; il n’en est pas moins vrai que le propriétaire a tous les intérêts de celui qui ne possède rien, et qu’il y joint encore le premier de tous, I celui de la propriété. C’est aux Etats généraux à déterminer quelle valeur de possession doit donner le droit d’être électeur; mais il semble nécessaire qu’ils attachent ce droit à la propriété. Cette condition ne paraît pas devoir être exi-j gée. Pour être député, il suffit à celui-là la confiance de ses commettants ; et quand ils ont un intérêt véritable à la prospérité de l’Etat, celui qu’ils chargent de leurs intérêts est toujours bien choisi. Commission intermédiaire des Etats généraux. L’opinion commune paraît regarder l’existence d’une commission intermédiaire dans l’intervalle des séances des Etats généraux comme nécessaire. Elle y voit un moyen sûr de maintenir l’exécution des décrets de l’assemblée nationale, et une représentation toujours subsistante des Etats, capable d’en opérer la convocation, si les droits de la nation étaient lésés par les ministres. Mais ne peut-on pas dire aussi que, de quelque nombre que soit composée cette commission, ce fantôme de représentation nationale peut donner aux provinces une sécurité dangereuse, et que, par la facilité de corruption qu’elle présentera, et peut-être aussi par son désir intime de diminuer sa dépendance des Etats généraux, elle pourra donner aux ministres un moyen de gouverner arbitrairement ? Ne pourait-on pas dire encore que l’établissement de cette commission marquerait une défiance pour le Roi et ses ministres, d’autant plus exagérée, que les ministres rendus responsables de toute violation des lois, le retour périodique des Etats généraux, bien assuré par une déclaration expresse, pour une époque iixe et rapprochée, les impôts n’étant votés que jusqu’à cette époque, et la nation se rassemblant môme alors sans aucune convocation du Roi, la constitution qu’elle se serait donnée ne pourait courir aucun danger? Le rapprochement des séances des Etats généraux effraye souvent par l’idée qu’on conçoit des dépenses qu’elles entraînent pour les provinces; mais aux premières séances près, que la multiplicité des questions à décider, le peu d’habitude de traiter de grandes affaires, et peut-être aussi le défaut de s’entendre, pourront rendre longues, les séances suivantes auront peu de durée ; d’ailleurs, l’avantage que retirera la nation de leur rapprochement, dédommagera bien amplement les provinces des frais qu’elles pourront occasionner. Cour d'enregistrement. Dans la supposition que la nation adopte le système des séances rapprochées des Etats généraux, sans commission intermédiaire, il ne devrait point exister de cour d’enregistrement. Le droit de faire des lois reconnu l’apanage de la nation lre Sérié, T. II. [Bail, de Clermont en Beauvoisis.] 753 assemblée et sanctionnée par le Roi, les assemblées nationales se succédant souvent, il ne serait fait aucune loi pendant l’intervalle de ses séances; si cependant la promulgation de quelqu’une était rendue nécessaire par quelques circonstances imprévues, il semble que le Roi devrait avoir le droit de la proclamer et de la rendre provisoirement exécutoire, jusqu’à la tenue prochaine des Etats, qui la rectifieraient ou la rejetteraient dès leurs premières séances. Si le système d’une commission intermédiaire dans l’intervalle des séances prévalait, et que ces séances fussent éloignées, cette commission intermédiaire devrait être cour d’enregistrement; car, sans doute, peu d’hommes sensés seront d’avis de détourner, par des travaux d’administration, les parlements de l’auguste et importante fonction de rendre la justice. Liberté de la presse. Quant à la liberté de la presse, pourquoi ne serait-elle pas entière, en exigeant que le nom de l’imprimeur fût mis en tête de l’ouvrage, et en prescrivant, sous peine d’être dénoncés, tous écrits contre la personne du Roi, ou qui, sans être signés, attaqueraient la réputation de quelques citoyens? Il semble enfin que la liberté entière donnée à la presse pour tout objet d’admi-nistration, ne peut que produire le double avantage d’instruction pour les citoyens, et de censure toujours active pour les ministres dont la conduite serait repréhensible. Etats provinciaux. La question de mettre toutes les provinces en Etats provinciaux ne peut présenter aucun doute dans le rapport de l’administration ordinaire des affaires ; le vice du régime des intendants est re-connu et ne peut être rétabli. Que les administrations choisies par la province, dans un nombre de membres plus ou moins grand, conservent le nom qu’elles prennent aujourd’hui, ou prennent celui d’Etats provinciaux, rien n’est plus indifférent ; mais il semble qu’il n’en est pas de même du degré d’autorité à donner à ces administra-� tions ; il est très-difficile de leur en assigner ce qu’il faut, pour leur donner les moyens de faire le bien, sans leur donner à la fois les moyens de faire le mal. Il est important que ces Etats provinciaux puissent ne pas se regarder comme séparés d’intérêts du reste du royaume ; qu’ils ne puissent pas, pour des intérêts particuliers, mettre obstacle au bien général, arrêter la levée des impôts, gêner et peut-être même méconnaître la puissance supérieure des Etats généraux. Le point d’autorité à leur attribuer est, encore une fois, de la première importance ; et il semble que la nation ne peut donner trop de réflexion à cette délibération essentielle. Au surplus, il paraît désirable que l’élection des membres des administrations provinciales, et autres aujourd’hui existantes, pût être faite de nouveau et promptement, pour leur donner la sanction et l’approbation de leurs concitoyens. Opinions par ordre ou par tête. La simple raison démontre que dans toute assemblée, les opinions du plus grand nombre doivent former la détermination générale ; _ cette vérité semble la même pour l’assemblée nationale que pour toutes les autres ; elle est cependant de nature à pouvoir perdre de sa force par les cir-48 754 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bail, de Clermont en Beauvoisis.] constances, et les circonstances actuelles semblent devoir lui donner une modification. Les têtes sont exaltées ; les vrais principes de gouvernement sont peu répandus : on doit craindre que dans ce moment d’effervescence, les esprits les plus exagérés ne soient choisis de préférence pour députés ; que lespropositionsles plushardies, les plus dangereuses, ne soient présentées. Il ne semble pas sage d’exposer l’espoir d’une bonne et convenable constitution, dont nous avons droit de nous flatter, à la vraisemblance que la pluralité des suffrages, entraînée ou par la force de l’éloquence, ou par l’amour peu raisonné des novations, adopterait de préférence des propositions qui la rendraient impossible. D’un autre côté, Tordre du tiers ayant un principe d’indisposition contre les deux autres ordres qu’il suppose se refuser à contribuer, à proportion égale, aux charges de l’Etat, et ces deux ordres étant cependant déterminés à renoncer à toutes exemptions pécuniaires, il est important de le convaincre que cette méfiance est sans fondement. Les deux conditions sont remplies par la délibération prise par la noblesse, de prescrire à son député de donner son vœu pour que les opinions se recueillent par ordre en toute matière, avec la simple restriction dû le charger de solliciter l’opinion en matière d’impôt seulement, par tête, dans le seul cas où rùn d,es deux premiers ordres opposerait son veto àjq répartition des charges de l’Etat, proportionnée aux facultés d’un chacun. , On doit espérer qu,’à la tenue suivante des Etats généraux, les esprits seront assez refroidis, les préventions assez dissipées, l’intérêt de l’Etat assez reconnu, l’intérêt des différents ordres assez solidement établis, pour qu’alors la raison puisse rentrer dans tous ses droits, et l’opinion par tête prévaloir. On croit cet avis sage, conciliant, le plus propre à la circonstance; mais peut-être ne prévaudra-t-il pas aux Etats généraux : alors le député doit, ainsi qu'il lui a été prescrit, protester, mais rester ; car il faut absolument les Etats généraux; et si le bien qu’on avait droit d’en attendre est rendu moins grand, par la délibération qu’on aura prise à ce sujet, ils en produiront toujours beaucoup, et le temps, en ramenant le calme et la raison, réalisera dans les tenues prochaines l’espoir que nous avions droit de concevoir pour celle-ci. Presque tous les articles présentés dans ces instructions doivent être traités dans la séance prochaine des Etats généraux. Ils tiennent tous à la Constitution nécessaire à établir, mais peut-être cette assemblée nationale agirait-elle avec sagesse, si, après avoir demandé et obtenu le retour des Etats généraux, après la révolution de deux ou trois années,' après avoir assuré la dette et voté tous les impôts nécessaires jusqu’à cette époc; o, après avoir obtenu l’abolition des lettres de cachet et la liberté de la presse, et avoir établi, par forme d’essai, des Etats provinciaux, elle chargeait, en séparant tous ses membres dispersés, de soumettre à la discussion de leur province les questions importantes de tous les détails relatifs à la constitution, à la réformation des lois, au meilleur mode des impositions à établir, etc., etc., et. de rapporter à la première convocation les divers sentiments que leurs concitoyens les auraient chargés de remettre aux Etats généraux : alors cette assemblée pourrait se flatter de prendre des délibérai ions sages, réfléchies et essentiellement utiles à la nation, Le temps, l’expéripnce de la première assemblée nationale, des connaissances plqs approCQndi� atiraieht hPporté iduq d� calme ï et de raison dans les esprits ; cette fermentation, cette agitation, qui ressemblent aujourd’hui au trouble, et qui ne sont que l’effet naturel et du peu d’habitude que nous avons de nous occuper de grands intérêts, et du peu de réflexion que nous avons pu y donner encore, et de la gêne dans laquelle ont été tenues, jusqu’à ce moment, toutes nos pensées en matière de gouvernement, seraient calmées ; et le même amour du bien, qui, aujourd’hui, sans marche assurée, peut donner l’inquiétude de résultats dangereux, marcherait alors vers son objet sans incertitude, et assurerait inviolablement les droits, la liberté, le bonheur de la nation et de son Roi. Articles obligatoires résultant des cahiers, pouvoirs et instructions de la noblesse du bailliage de Clermont en Beauvoisis : Périodicité des Etats généraux. Responsabilité des ministres. Abolition des lettres de cachet. Inviolabilité de la personne des députés. Durée des impôts bornée à l’intervalle des tenues des Etats généraux, et crime de concussion pour ceux qui en prolongeraient la levée. Opinion par ordre. CAHIER De Rassemblée dy tiers-état dit bailliage de Clermont en Beauvoisis, pour les Etats générciuoç qui seront assemblés à Versailles le. 27 avril 1789(1). L’ordre du tiers-état du bailliage de Clermont, sensiblement pénétré des bontés paternelles de son souverain, a l’honnêur de lui représenter très-respectueusement, et par ses députés aux Etats généraux, qu’il désire qu’avant de procéder à aucunes opérations, H soit rendu une loi par laquelle les membres des Etats généraux soient reconnus et déclarés personnes inviolables et que dans aucun cas ils ne puissent répondre de ce qu’ils auront fait, proposé ou dit dans les Etats généraux, si ce n’est aux Etats généraux eux-mêmes. Que Sa Majesté accorde à l’ordre du tiers-état le droit d’opiner par tête et non par ordre, Les réformes sont si considérables, les abus si multipliés, qu’il est à craindre qu’en proposant à Sa Majesté de nous accorder $es Etats généraux, seulement tous les trois ans, le bien ne s’opère pas assez promptement. Les députés ne pourront consentir aucun impôt avant que nous hayons une constitution flxe et déterminée, et dans le cas où les besoins de l’Etat l’exigeraient impérieusement, ils ne pourront le consentir qqe ppiir un an seulement. Vraiment affligés des malheurs que les lettres de cachet ont occasionnés et qui sont presque toujours surprises à la religion et à la bonté du Roi, nous lqi en demandons l’abolition sans restriction, et que s’il est d’une bonne police de s’assurer de quelque individu, il soit remis dans les vingt-quatre heures à ses juges naturels. ' La liberté de la presse, étant le moyen le plus certain d’augmenter nos connaissances, nous la demandons, en obligeant les auteurs à signer (1) Ce cahier est extrait des Archives de fOise : il nous a été communiqué avec une grande obligeance par ;M. Desjardins, archiviste en chef du département.