[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 juillet 1790.] affections, vont chez des peuples éloignés et sauvages, et jusqu’au sein des déserts, étudier la nature pour éclairer le genre humain, ou chercher des productions utiles au soulagement et à la nourriture des hommes, à celle des animaux, et à la perfection des arts; vous ne refuserez pas sans doute de les mettre au rang de ceux qui exposent leur vie pour la patrie. 11 a jeté les yeux sur ces savants et artistes qui, se livrant à des travaux de longue haleine, mais dont le produit est éloigné, peuvent être forcés de l’abandonner, faute de moyens. Il a pensé qu’il était juste que l’Etat vînt à leur secours, mais avec les mesures nécessaires pour que ces secours n’entretiennent pas le désir de rolonger l’ouvrage, loin d’en accélérer la fin. insi,il vous demandera de décréter que ces encouragements ne soient accordés qu’en raison des progès effectifs du travail, et que la récompense n’en soit donnée que lorsqu’il est parvenu à son terme. Il a pensé, néanmoins, que ce principe devait souffrir quelques modifications, lorsque le progrès des sciences et des arts exige qu’on envoie un citoyen hors de sa patrie pour aller recueillir des connaissances utiles chez les nations étrangères. Enfin, pour apporter dans cette matière toute la précision dont elle est susceptible, votre comité a cru qu’il fallait diviser les pensions à accorder aux gens de lettres, savants et artistes, en trois classes, dans chacune desquelles ils seraient placés suivant la nature de leurs occupations habituelles et l’importance des services u’ils auraient rendus. Tel est l’objet des deux erniers articles du projet de décret qui va vous être soumis. PROJET DE DÉCRET. « Art. 1er. Les artistes, les savants, les gens de lettres, ceux qui auront fait une grande découverte propre à soulager l’humanité, à éclairer les hommes, ou à perfectionner les arts utiles, auront part aux récompenses nationales, d’après les règles générales adoptées par les décrets des 10 et 16 du présent mois, et les règles particulières qui seront énoncées ci-après. « Art. 2. Celui qui aura sacrifié ou son temps, ou sa fortune, ou sa santé à des voyages longs et périlleux, des recherches utiles à l’économie publique, ou au progrès des sciences et des arts, pourra obtenir une gratification proportionnée à l’importance de ses découvertes et à l’étendue de ses travaux ; et s’il périssait dans le cours de son entreprise, sa femme et ses enfants seront traités de la même manière que la veuve et les enfants des hommes morts au service de l’Etat. « Art. 3. Les encouragements qui pouvaient être accordés aux personnes qui s’appliquent à des recherches, à des découvertes et à des travaux utiles, ne seront point donnés à raison d’une somme annuelle, mais seulement à raison des progrès effectifs de ces travaux, et la récompense qu’ils pourraient mériter ne leur sera délivrée que lorsque leur travail sera entièrement achevé, ou lorsqu’ils auront atteint un âge qui ne leur permettra plus de les continuer. « Art. 4. Et il pourra néanmoins être accordé des gratifications annuelles, soit aux jeunes élèves que l’on enverra chez l’étranger pour se perfectionner dans les arts et les sciences, soit à 445 ceux que l’on ferait voyager pour recueillir des connaissances utiles à l’Etat. « Art. 5. Les pensions destinées à récompenser les personnes ci-dessus désignées, seront divisées en trois classes : « La première, celle des pensions dont le maximum sera de 3,000 livres; « La deuxième, celle des pensions qui excéderont 3,000 livres et dont le maximum ne pourra s’élever au-dessus de 6,000 livres. « La troisième classe comprendra les pensions au-dessus de 6,000 livres, jusqu’au maximum de 10,000 livres fixé par les précédents décrets. « Art. 6. Le genre du travail, les occupations habituelles de celui qui méritera d’être récompensé détermineront la classe où il convient de le placer, et la qualité de ses services fixera le montant de sa pension, de manière néanmoins qu’il ne puisse atteindre le maximun de la classe où il aura été placé que conformément aux règles d’accroissement, par les articles 19 et 20 des décrets du 16 du présent mois. » M. d’Elbhecq. Il est très étrange qu’on ait fixé le maximum de la pension d un lieutenant-général à 6,000 livres, tandis qu’un homme qui se sera amusé à voyager en pays étranger, et qui dira ‘qu’il en a apporté des simples , pourra obtenir 10,000 livres. M. Blin. Cette observation n’est pas juste. L’on connaît facilement la plus grande étendue des services que l’on peut attendre d’un homme placé dans les emplois militaires, tandis que les services rendus dans ce genre sont incalculables. Les savants n’emploient point leur argent à un pompeux étalage; ils font des expériences utiles: on doit donc leur assurer un traitement digne d’une nation qui a acquis de la réputation dans les arts et les sciences. M. Martineau. Je demande que l’on réduise le maximum des pensions proposées à 6,000 livres, en accordant, toutefois, des indemnités aux savants qui auront fait des expériences utiles. M. Duquesnoy. Je suis loin de penser, comme le préopinant, que les sommes proposées par le comité soient trop fortes, et je suis au contraire persuadé que si l’état des affaires publiques n’était pas aussi déplorable, nous devrions donner à ces sommes une bien plus grande latitude. Sans doute, les savants, ces hommes qui, dans tous les genres, ont reculé les bornes des connaissances humaines, ne travaillent pas dans l’espoir d’un peu d’argent; mais ils ont besoin, comme tous les hommes, d’avoir à la fin de leur carrière une existence aisée et honorable; ils ont besoin de l’espérance de voir leurs enfants vivre commodément. Eh 1 comment voulez-vous que, sans cet espoir, un père consacre l’enfance de ses fils à une étude pénible ? Gomment voulez-vous que les hommes y dévoueut toute leur vie, qu’ils s’y livrent sans partage, qu’ils oublient leurs familles, leurs affaires, qu'ils ne vivent enfin que pour l’étude? On parle du peuple, et qui donc mérite mieux de l’humanité, qui a autant de droits à la reconnaissance publique, que le philosophe qui éclaire le peuple sur ses droits, les princes sur leurs devoirs ? Les artistes qui perfectionnent nos manufactures et enrichissent notre commerce, les savants qui facilitent la navigation, nous lient aux autres nations de la terre, et portent dans toutes 446 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 juillet 1790. les branches de la physique et de l’histoire naturelle les lumières de la raison et de l'expérience; les artistes qui immortalisent les grands hommes en s’immortalisant eux-mêmes, qui transmettent à la postérité le souvenir des grandes actions ou des grandes vertus, et qui engagent à suivre de grands modèles, par l’espoir d’une grande récompense; les hommes qui perfectionnent l’aft de guérir, qui consacrent leurs veilles au soulagement de l’humanité souffrante? On veut que de tels hommes présentent aux départements leurs mémoires de dépenses ! La mesquinerie dé bette idée vous a frappés. Peignez-vous, je vbus supplie, l’abbé Mabiy, l’abbé Raynal, Montesquieu, Rousseau, Pingré, Poivre, La Peyrouse, Ruffon, Mor-veaux, Bailly, Lalande, Petit, Louis, Le Bruti, Gi-rardon, Pajoux* etc., etc., apportant leur mémoire de dépense. Par malheur, de tels hommes sont rares; et cela est une preuve de plus que la proposition qu’on Vous fait est une parcimonie honteuse. Encouragez les lettres et les sciences ; elles enrichissent l’Etat ; elles rendent l’Europe tributaire d’une nation industrieuse et active; elles éclairent le peuple; elles le préservent du plus grand des dangers, l’ignorance de ses droits. Je demande donc que l’on rejette l’amendement de M. Martineau* et qu’on aille aux voix sur l’article du comité. M. Martineau. On parle d’une nation généreuse, et on oublie combien elle est obérée; craignez-vous de manquer de savants? c’est des agriculteurs dont vous avez besoin ; réservez pour eux des récompenses. M. èànfls. Ce seràit faire uiie injure atii sciences que d’interdirë aux savants lé droit dé parvenir au maximuln , dés pëhsiOtis, décrétée par l’ Assemblée tiatiOhalê. M. Frétean. Il est absolument important d’encourager lés sciedces; nous manquons de cbn-naisSahëes élérfiëntdireë ëh hydraUlicjUfe, Sùrtbut dans l’application de cette science à la fertilisation de nos villëSill n’y a pas un seul état où i’ori ait osé sacrifier 200,000 écus pour faire des découvertes de ce genre. Je pense que les articles proposés par le comité doivent être adoptés sans aucun changement. M. le Président met successivemèht aux voix les six articles du projet de décret. Ils sont adoptés sans modification: M. Chasset se présente à la tribune pour proposer quelques articles sur le traitement du clergé actuel. M. de Môntftfideencÿ. L’organisation de l’armée est d’un intérêt trop instant, pour l’abandonner aussitôt après LaVoir commencé. Je demande donc qu’on passe sur-le-champ à la discussion sur l’organisation militaire. Celte motion est adoptée. En conséquence, l’Assemblée ajourne à mardi soir d’autres articles additionnels sur les pensions. M. Fnjtibauft, rapporteur du c'omité des domaines, demande, au nom des comités réunis des finances, des impositions et des domaines, à faire un rapport sur les apanages. L’Asseiüblée, pour gagner du temps, ordonne l’impression et la distribution du rapport et âjoùrnë lst discussion à vendredi prochain. (Voy. ce rapport annexé à la séance de ce jour.) On passe à la discussion du projet de décret présenté par le comité militaire sur V organisation de l'armée. M. de Custlne. L’Assemblée ne peut porter dé décret, sans qu’auparavant le ministre ait répondu aux objections qu’on a faites à son plaù. M. de Aoailles, après avoir donné quelques développements, résume ainsi son opinion : — Je crois que l’armée active doit être de 152,000 hommes; que des proportions entre les différentes armes sont convenables ; qu’il peut être très utile d’avoir des auxiliaires, mais qu’ils doivent être au moins un mois sous les drapeaux, et désignés pour certains régiments ; que, sans cela, leur admission estinutile ou dangereuse; que le modede leurras-semblement doit être réglé avec celui des gardes nationales ; j’ajoute que les circonstances nous obligent d’achever le travail sur l’armée, et que, pour le rendre utile, il faut imprimer sur-le-champ le décret sur l’avancement, celui sur la discipline et sur les tribunaux militaires. 3e demande que l’op décrété les deux premiers articles qui sont présentés à l’Assemblée nationale, parce qu’ils n’entfainent aucunes difficultés, en se réservant de prononcer définitivement sur l’armée auxiliaire. M. Alexandre de Lameth, rapporteur , lit une nouvelle rédaction des deux premiers articles. Ils sont décrétés en ces termes : « Art. Ier. L’armée active, pour l’année 1791, sera composée, en officiers, sous-ofliciers et soldats, de 150 à 154,000 hommes. « Art. 2. L’armée active sera divisée dans les différentes armes, en comprenant les officiers et sous-officiers, savoir, pour l’infauterie, de cent dix à cent douze mille hommes ; pour la cavalerie, de trente et un mille cinq cents hommes ; pour le génie et l'artillerie, de dix mille cinq cents hommes. M. Alexandre de iLameih, rapporteur, Pour ne rien préjuger siir les articles 3, 4, 5 et 6 du projet de décret au comité, nous vous proposons de passer immédiatement â l’article 9 et aux dispositions qui concernent l’infanterie suisse. (Cet ordre de discussion est adopté.) M. de Noailles. Je propose de dire dans l’article 9 : « L’infanterie suisse, restant sur le même pied, les régiments seront de 973 hommes., formant deux bataillons ; chaque régiment sera commandé par un colonel, un lieutenant-colonel, un major. » M. Bureaux de É*usy. Le Corps . législatif doit-il se mêler de la partie purement mécanique de l’organisation de l’armée? Je ne le pense pas. Pendant longtemps le comité ne là jpoirit pensé lui-même, et si j’ai qiièlqué tort, c’est d’avoir prolongé une erreur que j’ai d’abord partagée avec lui, et je trouve mon excuse dans les décrets mêmes de l’Assemblée flatiotiale. Lorsqu’au mois de février dernier, elle a demandé âu roi uh plan d’organisation de l’armée, pour mettre le Corps législatif en ë.lai de délibérer et de statuer sur les objets qui étaient dé sâ compétence, elle reconnaissait donc qiië tous les points de cette organisation n’étaient pas dé sa compétetice. Dans l’hypothèse contraire, il faudrait supposer que P Assemblée nationale a rendu un décret constitutionnel ëri des termes loübhës, équivdques et susceptibles d’une interprétation arbitraire. Mais