604 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |21 novembre 1790. j terna paternis. D’un côté, on ne peut disconvenir qu’il ne soit plus simple et plus conforme au vœu de la nature de régler l’ordre des successions sur celui des affections, et conséquemment de préférer toujours les parents qui, parleur proximité avec le défunt, sont censés avoir le p:us mérité et obtenu son attachement. D’un autre côté, nous savons tous qu’après le retrait lignager, que vous avez si heureusement et si facilement aboli, il n’y a dans la jurisprudence aucune matière aussi féconde en procès difficiles et ruineux que la règle paterna paternis ; et si quelque personne étrangère aux affaires du palais, révoquait en doute ce que j’avance, je la prierais de jeter les yeux sur les commentaires volumineux que cette règle a fait naître, sur les énormes recueils d’arrèls dans lesquels sont laborieusement compilées les nombreuses et inconciliables décisions qu’elles a produites. Malheureusement, alors, il ne lui serait plus possible de douter. III. Les mêmes réflexions s'appliquent à la représentation, c’est-à-dire au droit en vertu duquel le fils prend dans une succession la place de son père décédé. Rien ne varie d’une manière plus bizarre que les lois par lesquelles les divers cantons de la France sont régis sur cet objet. Dans la très grande partie du royaume, notamment dans les pays de droit écrit, dans la coutume de Paris, dans' celle d’Orléans, dans celle de Normandie, dans cell» de la Marche, dans celle de Vermandois, et dans cinquante autres au moins, la représentation est admise en ligne directe à l’infini, et en ligne collatérale, jusqu’au degré de neveu et nièce inclusivement. Dans quelques-unes telles que Ponthieu, Boulonnais, bailliage de Douai, Saint-Arnaud et Mor-tagne, dans le Tonrnaisis français, la représentation n’a lieu ni en ligne directe, ni en ligne collatérale. Dans un assez grand nombre d’autres, telles que Cambrai, Valenciennes , Monlargis, Blois, Senlis, Clermunt en Beauvoisis, Douai, Lille, la représentation est admise en ligne directe et rejetée en ligne collatérale. ? Plusieurs J’ont adoptée à l’infini dans l’une et l’autre ligne; ce sont principalement Touraine, Anjou, Maine, Grand-Perche, Auvergne, Poitou, Saintonge, Bretagne. Il en est trois, savoir : Metz, Valois et Epte en Normandie, qui l’étendent en ligne collatérale, au delà des neveux et nièces, sans cependant la porter à l’infini en ligne directe. Line autre, celle de Reims, l’admettant à l’infini en ligne directe, lui donne, en ligne collatérale, plus d’étendue pour certaines espèces de biens que pour d’autres. Enfin, il y en a plusieurs qui ne l’admettent, soit dans l’une, soit dans l’autre ligne, que pour certaines personnes ou pour des biens d’une nature particulière : ce sont Vastan, Nivernais, bailliage de Lille, Clermont-en-Argonne, Saint-Mihiel, Hainaut, Bergues, Bourbourg, Gassel, Bailleul, Saint-Omer. Toutes ces bigarrures ne peuvent certainement pas subsister nans le nouvel ordre des choses, et il faut qu’elles cèdent au mouvement général qui, d’un bout de la France à l’autre, appelle des lois uniformes sur toutes les matières. 11 reste seulement à savoir auquel des divers usages que je viens de retracer vous donnerez la préférence. A cet égard, il semble que le choix ne peut rouler qu’entre l’usage (légèremeut modifié) des pays du droit écrit, auxquels se sont expressément conformées la plupart de nos coutumes, et la disposition des coutumes qui admettent la représentation à l’infini en ligne collatérale comme en ligne directe. Mais ce choix ne vous sera pas difficile si vous considérez : 1° Que les coutumes de représentation à l’infini, s’éloignent absolument du vœu delà nature, qui, entre collatéraux et passé le degré des neveux, mesure le plus ordinairement l’affection sur la proximité; 2° Que ces mêmes coutumes sont, pour les citoyens qu’elles régissent, une occasion continuelle et journalière de procès, tant sur les faits dont elle nécessite la preuve pour profiter de leurs dispositions que sur le sens, l’effet et l’étendue de leurs dispositions elles-mêmes ; 3° Que la loi qui restreint la représentation au degré des neveux étant tout à la fois et la plus générale et la plus ancienne du royaume, elle porte par cela seul avec elle un titre de recommandation qui la fera adopter, dans les endroits où elle est encore inconnue, avec infiniment plus de facilité qu’on ne ferait admettre dans les autres une loi différente : 4° Qu’obliger les citoyens à vivre sous cette loi, d’y renoncer, pour se soumettre aux coutumes de représentations à l’infini,' ce serait, en d’autres termes, obliger la majorité de la F an ce à céder à la minorité : proposition peu convenable en elle-même, et qui ne pourrait être justifiée que par des considérations de justice et d’utilité publiques qu’on ne rencontre pas ici. J’ajoute que la représentation à l’infini en ligne collatérale tient au même esprit que la règle paterna paternis ; qu’elle n’est propre, comme elle, qu’à fomenter et nourrir l’orgueil des familles, et que, sous ce rapport véritablement politique, elle ne peut pas plus que cetie règle échapper à la réforme que je sollicite de vous au nom de vos deux comités. Hâfoz-vous, Messieurs, de la consommer, cette réforme salutaire, et soyez sûrs que si, par là, vous nuisez aux hommes de loi en leur enlevant leur plus riche pâture, vous ferez le bonheur de la généralité des citoyens, en bannissant loin d’eux toute occasion de procès, tout prétexte de chicane, tout sujet de haines et de dissensions domestiques. Je dis plus; les hommes de loi dignes de ce nom béniront votre ouvrage. Nous osons vous assurer qu’en prononçant la loi que nous vous proposons vous ne ferez que revêtir du sceau de l’autorité publique une opinion que leur délicatesse a fournie et que leurs écrits ont manifestée dans tous les temps. TITRE Ier. Ordre des successions légitimes. Art. 1er L’ordre des successions sera le même dans le royaume, et à l’égard de toutes personnes, sur toute espèce de biens, sans aucune distinction de meubles, immeubles réels, immeubles fictifs, propres, paporaux, avitins, anciens, acquêts, ci-devant roturiers, censuels ou féodaux, et tous autres. Il u’y aura plus en aucun lieu d’affectation de ligne, ni de droit de retour légal ou coutumier. Art. 2. Tous biens, meubles ou immeubles de quelque nature qu’ils soient, seront, après la mort du propriétaire, recueillis et partagés par égales portions par tous ses enfants mâles et femel- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1790.] 605 les, aînés ou puînés, issus du même mariage ou de plusieurs. Art. 3. Si un ou plusieurs, ou tous les enfants, sont décédés avant l’ouverture de la succession, la part qui aurait appartenu à chacun d’eux appartiendra, par représentation, à ses enfants, qui la partageront de même également; et il en sera ainsi de degré en degré. Art. 4. A défaut d’enfants et descendants, la succession entière sera recueillie par le père et la mère, qui la partageront également. Art. 5. El en cas de prédécès du père ou de la mère, sans qu’il reste d’autre ascendant de son côté, elle appartiendra en entier à celui du père ou de la mère qui survivra. Art. 6. Lorsque, du côté du père ou de la mère prédécédé, il survivra un ou plusieurs autres ascendants, ou lorsque le père ou la mère seront morts tous deux, la succession appartiendra également et par tête; savoir : la moitié au père, s’il survit, ou à tous les ascendants les plus proches du côlé du père, s’il est prédécédé; l’autre moitié à la mère, ou si elle est morte, à tous les ascendants les plus proches de son côté; le tout, à quelque degré que les uns et les autres soient placés relativement au défunt. Art. 7. A défaut de descendants et d’ascendants, la succession entière passera, par égales portions, à chacun des parents collatéraux, mâles ou femelles, aînés ou puînés, de quelque branche qu’ils soient, unis de parenté, soit d’un côté seulement, soit des deux côtés, qui se trouveront les plus proches en degré. Art. 8. Néanmoins, les neveux ou nièces d’un défunt, auquel survivront des frères ou sœurs, ses petits-neveux ou petites-nièces, lorsqu’il laissera, pour plus proches parents, soit des frères ou cœurs, soit des neveux ou nièces, seront admis à prendre dans la succession la part qu’y aurait eue leur père ou mère prédécédé. Art. 9. Il n’y aura aucun autre droit de représentation en ligne collatérale. Art. 10. S’il n’y a ni descendants, ni ascendants, ni parents collatéraux, en quelque degré que ce soit, la succession appartiendra au mari ou à la femme. Art. 11. Et s’il n’y a ni mari ni femme survivant, les biens appartiendront à la nation. Art. 12. Seront néanmoins préférés à la nation les enfants et descendants naturels de celui auquel il s’agira de succéder, lorsque leur filiation sera constante. Art. 13. Le meurtrier sera personnellement exclu de la succession de celui auquel il aura donné la mort, et il sera considéré comme décédé avant l'ouverture de cette succession. Art. 14. Les étrangers, quoique établis hors du royaume, sont capables de recueillir en France les successions de leurs parents, même Français ; ils pourront également recevoir les biens qui leur seront donnés ou légués, et disposer par testament de ceux qu’ils posséderont en France, en faveur, soit de Français, soit d’étrangers, sans néanmoins qu’ils puissent commencer à jouir de ces droits, si ce n’est du jour où leur nation aura accordé aux Français la réciprocité. Art. 15. Le droit des enfants légitimes ne pourra être contesté, lorsqu’ils auront la possession de leur état, ou lorsque leurs père et mère auront vécu en possession de l’état de mari et de femme, sans que les enfants soient tenus de rapporter la preuve du mariage, mais ceux qui auront été privés de fait de l’état d’enfants légitimes, seront admis à s’y rétablir, en prouvant ou rapportant le titre de l’état de leurs père et. mère. Art. 16. Les dispositions ci-dessus auront leur effet dans toutes les successions qui s’ouvriront après la publication du présent décret, sans préjudice des institutions contractuelles ou autres clauses qui ont été légitimement stipulées par contrat de mariage, lesquelles seront exécutées conformément aux anciennes lois. Art. 17. Seront pareillement exécutées, dans les successions qui s’ouvriront après l’époque ci-dessus, mais relativement aux biens ci-devant féodaux, et autres qui étaient sujets au partage noble seulement, les exceptions contenues dans la seconde partie de l’ariicle 11 du titre Ier du décret du 15 mars 1790, en faveur des personnes mariées, ou veuves avec enfants. Art. 18. Lesdites exceptions ne pourront être réclamées que par les personnes qui, à l’ouverture des successions, se trouveront encore engagées dans des mariages contractés avant la publication du décret du 15 mars 1790, ou auxquelles il restera des enfants ou petits-enfants, issus de mariages antérieurs à la même époque. Art. 19. Lorsque ces personnes auront pris les parts, à elles réservées par lesdites exceptions, leurs cohéritiers partageront entre eux le restant des biens, en conformité du préœnt décret. Art. 20. Lesdites exceptions n’auront pas lieu à l’égard des biens nationaux qui seront, à compter de ladite époque, acquis en vertu des décrets de l’Assemblée nationale, et ces biens seront, dès à présent, partagés entre toutes personnes, dans toutes espèces de successions, sans prérogative d’aînesse, de masculinité, ni autre quelconque. Art. 21. Le mariage d’un des enfants, ni les dispositions contractuelles faites en le mariant, ne pourront lui être opposées pour l’exclure du partage égal établi par le présent décret, à la charge, par lui, de rapporter ce qui lui aura été donné ou payé, lors de son mariage. M. «le Mirabeau. Le projet qui vient de vous être présenté tend à faire disparaître les inégalités résultant de la loi ; mais ne faut-il pas faire marcher d’un pas égal les inégalités résultant de la volonté, je veux dire les inégalités que les substitutions ont rivées dans la société? C’est le seul moyen de porter la hache au pied de l’arbre dont on élague quelques branches parasites, en y laissant toujours les racines voraces. Je demande donc que le comité nous présente un travail sur les subïtitu lions, et, comme je me suis occupé de cette matière, je demanderai la parole dans la discussion. M. «le Cazalès. La proposition du comité est bien importante, puisqu’elle tend à renverser la totalité de notre code civil. Je me joins donc à M. de Mirabeau, et j’appuie l’ajournement sur le tout. On verra peut-être que cette question ne doit pas être résolue dans cette session, mais renvoyée aux législatures prochaines. Que le comité cesse de nous présenter des dispositions partielles qui ont souvent égaré l’Assemblée. M. de Mirabeau. Je demande que le comité nous présente un travail constitutionnel sur les inégalités résultant de la volonté dans les successions. M. de Foucault. Et sans que cela puisse avoir un effet rétroactif.