721 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 mai 1790.] ' « Ce sera l’effet des moyens constitutionnels d’administration dont l’établissement occupe actuellement le peuple français, qui exerce aujourd’hui, et pour la premièreTnis la plénitude de ses droits dans la forme qui convient à une grande nation libre. Il est affligeant, sans doute, que la licence ait troublé, ait souillé dans plusieurs lieux les jours solennels delà liberté. L’Assemblée nationale, dont le bonheur de la France est la seule passion, n’apprend jamais sans une affliction bien vive les nouvelles de ces excès, dont les plus cruels ennemis du bien public n’ont pas, sans doule, l’affreux courage de se réjouir : Elle partage la douleur que ces tristes nouvelles portent dans le cœur d’un monarque qui donne aux Français l’exemple de toutes les vertus, et particulièrement celui d’aimer et de maintenir la Constitution. « C’est par des moyens doux et mesurés, mais fermes et soutenus, par la profession constante des principes les plus sains, par l’établissement le plus accéléré de la Constitution, par le concert le plus heureux de ses mesures avec les intentions si connues du roi, que l’Assemblée nationale s’est constamment occupée de ramener au devoir et à l’observation des lois un peuple souvent égaré, auquel il faut rendre l’heureuse habitude d’obéir à l’autorité légitime. Une précipitation mal calculée ne ferait que retarder l’accomplissement de ces soins importants. « Personne ne sait mieux que vous, Monsieur, combien les vues de l’Assemblée nationale ont toujours été dirigées sur ce plan ; elle a souvent remarqué avec satisfaction votre empressement à la seconder par tous les moyens que la confiance du roi et de la nation ont mis en votre pouvoir. Les vues que vous lui offrez aujourd’hui sont un nouvel hommage de votre patriotisme : on est toujours sûr de l’attention bienveillante de cette Assemblée quand on lui parle de paix, de concorde, de fraternité, et des moyens d’accélérer la félicité de l’empire. Pourquoi mêler à ces idées consolantes la pensée affligeante de l’instant où vous pourriez cesser de coopérer à leur exécution? Il est des hommes qui ne devraient connaître de l’humanité que les affections douces qui unissent les êtres sensibles, et non pas les maux qui les affligent. » (Le premier ministre des finances se retire.) L'ordre du jour est ensuite l’affaire de Marseille. MM. les députés extraordinaires de la municipalité de Marseille paraissent à la barre. M. le Président. L’Assemblée nationale a décrété que vous seriez appelés pour lui faire connaître les événements nouvellement arrivés à Marseille. MM. les députés extraordinaires de la municipalité de Marseille, M. Brémont-Julien portant la parole : Les malheurs dont la ville de Marseille aété affligée vous sont connus; vous avez accueilli ses plaintes, et Marseille jouissait à peine de vos bienfaits, que les ennemis de la Révolution ont cherché à troubler ce bonheur. Les forts sont des nids à tyrans-, cette maxime a eu chez nous une application funeste. Nous avons été effrayés par un appareil militaire redoutable; des munitions de bouche ont été entassées dans les forts; une guerre étrangère avec deux puissances est venue augmenter encore nos inquiétudes. Nos craintes étaient peut-être exagérées, mais elles étaient naturelles à ceux qu’on environnait de pièges, à ceux qui venaient d’apprendre que 53 paquets, lre Série. T. XV. arrivant de Nice et adressés aux commandants des places fortes, avaient été interceptés. Vous avez su que les citoyens de Marseille, après avoir surpris le fort de Nôtre-Dame-de-la-Uarde, et s’être emparés du fort Sain t-Jean, on t vou lu faire le siège d u fort Saint-Nicolas. Des préparatifs menaçants avaient été faits pour les repousser; les mèches étaient allumées ; Marseille allait être réduite en cendres ; les officiers municipaux se transportèrent au fort; ils supplièrent; ils obtinrent que le sang des citoyens ne serait pas répandu, et ils proposèrent une convention, d’après laquelle les forts devaient être désormais gardés par la garde nationale et parles troupes de ligne, concurremment, c’est-à-dire qu’il y aurait eu uu garde national pour trois soldats de ligne. Une lettre du ministre est arrivée, avec l’ordre à la garde nationale d’évacuer les forts, et au régiment de Vexin d’en sortir également, pour être remplacé par celui d’Ernest; ainsi on punissait des soldats qui avaient donné une preuve de patriotisme en ne voulant pas tirer sur des Français; ainsi le ministre prenait des mesures différentes de celles que vous aviez ordonnées par votre décret; ce décret accompagnait la lettre du ministre, mais il n’était pas revêtu des formes constitutionnelles. Quelque temps après, des citoyens s’introduisirent dans le fort Saint-Jean et commencèrent à le démolir; nous nous y rendîmes revêtus de nos écharpes; nous demandâmes main forte à fa garde .nationale et au commandant du fort, et nous fîmes cesser la démolition. Nous apprîmes bientôt que les citoyens continuaient à démolir avec plus d’activité qu’aupa-ravant. La municipalité ne pouvait pas, pour s’y opposer, déployer la force publique contre les citoyens, puisque tous les citoyens font partie de la garde nationale; il n’y avait qu’un moyen de sauver la citadelle, c’était de permettre la démolition des batteries qui sont dirigées sur la ville. Le conseil général a donné cette permission. Vous avez ordonné que cette démolition fût suspendue; elle le sera. Peut-être ordonnerez-vous que la forteresse soit démolie, quand vous saurez qu’elle a été construite par le despotisme, afin de contraindre l’amour que les Marseillais ont toujours eu pour la liberté. Plusieurs batteries sont disposées de manière à foudroyer la ville, d’autres sont dirigées sur le port et peuvent empêcher l’entrée des subsistances. Une inscription placée sur les murs de la citadelle dévoile avec énergie les motifs pour lesquels on l’a élevée. Louis-le-Grand a fait construire cette citadelle, dans la crainte que Marseille fidèle ne se livrât aux élans de la liberté. Vous ne souffrirez pas que cette ville intéressante reste sous le despotisme d’un ministre que nous avons dénoncé, que nous dénonçons encore; qui, en donnant une extension arbitraire à votre décret, a fait d’une loi paternelle une loi de sang, qui nous a induits en erreur, en nous transmettant un décret non revêtu des formes nécessaires pour qu’il fût authentique, et qui vient nous accuser encore. Non, Messieurs, la ville de Marseille n’est point coupable des délits qu’on lui impute; ils s’éloignent trop du caractère d’un peuple libre par vous, et fier d’obéir aux lois que vous avez établies 1 M. l’abbé de Villeneuve-Bargemont, député de Marseille (1). Messieurs, la révolution arrivée dans l'opinion des hommes, est la vérita-11) Le discours de M. de Villeneuve-Bargemont u’a pas été inséré au Moniteur. � 4ü