[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. I 1° brumaire an II 415. - 5 novembre 1793 destin de la Convention ; ils écrivaient sans cesse aux administrés de ce département, qu’ils n’é¬ taient pas libres et qu’ils délibéraient sous la hache des assassins; enfin, que peut-être ils n’existeraient plus lorsque leurs lettres arrive¬ raient à leur destination. Une inquiétude uni¬ verselle s’empara de tous les esprits, l’on crut la Convention en péril, et l’on résolut de mar¬ cher à son secours. La force départementale fut arrêtée, et elle se mit en marche avec l’ordre formel de se rendre aux ordres de la Conven¬ tion; et, pour signe de fraternité, elle emporta avec elle le drapeau qui lui fut donné par la section du Finistère de Paris, après la mémo¬ rable journée du 10 août. Les sections de Brest choisirent les citoyens les plus dignes; et il y aurait eu du danger et déshonneur à refuser sem¬ blable mission. Tandis que nos concitoyens mar¬ chaient vers Paris, un nommé Cail, du Calva¬ dos, vint répandre son influence pernicieuse sur les administrateurs du Finistère. On changea la marche de la force fiuistérienne, et Caen reçut dans son sein des hommes libres, destinés, dans le principe, à servir la cau-e de l’indivisibilité, et qui, sans le savoir, servaient une cause étran¬ gère à leurs cœurs. J’avais oublié de dire qu’à l’instant où il fut question de la force départe¬ mentale, Broussard. commandant un bataillon de Paris, fut le seul qui donna des assurances consolantes sur les destinées de la Convention, mais qui adhéra cependant à mes propositions, qui consistaient à se rendre à Paris pour fra¬ terniser avec les Parisiens, et à offrir à la Con¬ vention une égide contre les scélérats de tout masque. Les députés proscrits se mêlèrent, en quittant le Calvados, avec les Finistériens qui retournaient vers leurs foyers; quelques mécon¬ tentements éclatèrent en route, et Cavellier vou¬ lait s’opposer à ce qu’on les ramenât plus avant. L’administration supérieure, informée que ces hommes, frappés d’un décret, reportaient leurs pas vers nos asiles, députa deux de ses membres pour arrêter cette destination; ils venaient, à cette époque, de quitter les rangs de nos fédé¬ rés, et, accompagnés de Bouché, ils gagnaient les environs de Quimper. Les bruits répandus et les conversations particulières m’ont seuls informé de ces détails. Us arrivèrent enfin, et ce n’était point un mystère : on les regardait comme des hommes malheureux. Pas un être n’avait eu le courage de porter la lumière dans l’esprit de ses concitoyens. Peu de temps après, je me rendis à Quimper pour affaires du service de la marine et de l’Administration, et j’appris qu’une grande partie des députés avait vidé le territoire, et qu’il n’en restait que quelques-uns, retenus pour cause de maladie. Les Mens de la société m’avaient donné des habitudes dans la maison de Kervélégan, qui était le dieu révolu¬ tionnaire des cantons circonvoisins et de Quim¬ per. Ce fut lui-même qui me donna ces rensei¬ gnements; je le croyais très patriote, et je lui fis des reproches même de n’avoir pas suivi la des¬ tinée des autres : il me dit ne point vouloir par¬ tir. Peu de jours après mon retour à Brest, Pou-Mquen me parla des moyens de sauver quelques députés restants, toujours considérés comme des hommes vertueux : la chose était facile, me dit-il ; j’ai un bâtiment; tu viendras avec nous, et nous les sauverons. Je sentais qu’il était bien important de déMvrer notre sol de la présence de ces députés; je craignais que les campagnes, souvent prêtes à se soulever, ne vinssent enfin à-s’apitoyer sur leur sort : un décret frappait le conseil général du Finistère, et atteignait en même temps tous ceux qui avaient agi d’après. sa volonté. Mes parents et plusieurs de ceux que j’estimais se trouvaient rangés dans cette classe malheureuse; et je ne me dissimulais pas. que si mon opinion venait à se réahser, le ter¬ ritoire du Finistère n’offrît bientôt que l’image d’une Vendée. A tous ces motifs se joignait la persuasion où j’étais que ces hommes n’avaient point adopté la marche nécessaire à notre ré¬ volution, et qu’ils avaient été coupables du manque d’énergie : pénétré de ce sentiment je restai tranquille jusqu’au moment où Pouliquen vint me dire : tout est prêt, demain il faut par¬ tir. J’étais malade, j’avais promis, je croyais, faire une belle action, je me mis en route. Nous prîmes un bateau de pêche pour nous rendre à Lanvau, de là nous fûmes à Quimper. PouM-quen les fit avertir, je crois, par le canal d’Ab-gral. Kervélégan, que je ne vis point, ne voulut point être du voyage. Nous nous mîmes de nou¬ veau en route, et les députés, que je n’avais jamais vus, et avec qui je n’avais point eu de relation, se trouvèrent sur la route, aux Heux qui avaient été désignés. L’un d’eux, qu’on dit être Pétion, me déplut infiniment, et je le dis à Pouliquen. On s’arrêta pour leur donner à manger, ils étaient accablés de fatigues et de craintes : nous arrivâmes à Lanvau, et nous prîmes un bateau de ce pays pour les conduire à bord du bâtiment qui devait les éloigner de nos côtes, n’ayant point trouvé sur la rive opposée à Brest un bateau de pêche qui devait nous y attendre, mais qui s’était trompé et avait man¬ qué au rendez-vous donné par PouHquen. Après avoir labouré la rade pendant uns partie de la nuit, nous vîmes, aux approches du jour, le convoi de Bordeaux faisant route pour sa des¬ tination; un seul bâtiment restait encore, nous fîmes route vers lui, c’était le navire indiqué, ils entrèrent, et je crus avoir fait une belle ac¬ tion; si j’avais su que ces hommes étaient cou¬ pables, la main qui les servit quelques heures les aurait tous arrêtés. Il est encore deux hom¬ mes qui sont venus dans le Finistère, et qui ont fait route pour Bordeaux; l’un s’appelait Ysarn-Valadi, et l’autre le cofiaborateur de Bris¬ sot. J’ai dû vous dire toute la vérité. Ma patrie est mon dieu, il ne me reste qu’un vœu à for¬ mer : c’est de réparer par quelques actions d’é¬ clat l’erreur où m’ont plongé des hommes char¬ gés de nous éclairer, et qui ont indignement rem-. pM les fonctions qui leur avaient été déléguées. Pour copie conforme : Signé : B EL val., Lettres écrites de Bordeaux, dont on a trouvé les copies remises par le citoyen Guermeur, commis¬ saire du conseil exécutif. "a Notre voyage, mon ami, a été on ne peut plus plus heureux; il devait l’être, car, comme nous l’avions prévu, il était sans autre danger que celui de la mer. Nous avons rencontré une corvette qui croise à la hauteur des Grlénans, la flotte nationale et la frégate stationnaire à. l’entrée de la rivière de Bordeaux. On ne nous a absolument rien dit. Comme nous faisions route le long des côtes, nous semblions toujours. être une barque de pêcheurs. Mais on a coupé les vivres aux habitants, et les sections ont pris . 416 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAMES, j 15 brumaire an II 1 1 \ a novembre 1793 à peu près le parti de l’obéissance. La Commis¬ sion populaire est dissoute, mais ses membres ne sont pas en fuite. J’ai vu, et causé beau¬ coup avec La Vauguyon, principal proscrit. Lyon et Marseille vont bien : Marseille, qui avait d’abord lâchement fui, a repris sa revanche, et frotté d’importance Carteaux. Si nos amis étaient venus ici, peut-être eût-il été possible de rénover tout. On vous désire beaucoup, l⬠chez-vous donc; vous trouverez toujours ici sûreté et même protection. La correspondance avec le Midi est excessivement difficile. On pourra m’écrire ici sous le nom de Leblanc (1), négociant, poste restante, jusqu’au 10 du mois prochain. Le beau-père à Dupierrat est incom¬ modé; il a reçu avec bien du plaisir des nou¬ velles de son gendre; communique-lui cette let¬ tre, si tu sais où il est. » A l’adresse est écrit : pour Boissier. « Je vous réexpédie, mon cher la Hubaudière, par le capitaine Le Scanvic, votre barque la Diligente , et je saisis avec empressement cette occasion de vous réitérer l’expression de ma re¬ connaissance, pour les soins que vous vous êtes donnés pour nous et nos amis. Notre voyage a été très heureux, ils sont tous en sûreté. L’opi¬ nion publique ici n’a pas varié, on y abhorre les tyrans et la tyrannie; mais la Commission po¬ pulaire, cédant aux vœux des sections qu’on a travaillées, s’est dispersée. La majeure partie de ses membres n’est cependant pas en fuite : j’ai vu ici, chez eux, plusieurs des plus proscrits. Faites part de ces nouvelles, les seules inté¬ ressantes, à tous ceux qui veulent bien prendre quelque intérêt à notre sort, et à la cause de la liberté. « Signé : Leblanc. Bordeaux, le 26 août. « Ci-joint une lettre pour Boissier, et une lettre relative à nos affaires, comme de manière à être montrées et à vous servir de titre. » « Bordeaux, le 26 août, l’an II, etc. « Citoyen, « Conformément à l’acte sous seing privé, passé entre nous, le 2 de ce mois, n’ayant pas été content de la mâture de votre barque, dont le recarénage ne l’empêchait pas de faire beau¬ coup d’eau, je vous la réexpédie par le capi taine Le Scanvic. Vous voudrez bien m’en ac¬ cuser la réception. Ci-dessous est notre compte. Doit le citoyen Leblanc au citoyen La Hubau-dierre, pour le fret de la barque la Diligente, quatre cent quatre-vingt livres ci. . . 480 liv. « Plus, pour les droits d’enregis¬ trement de son acte de propriété, quarante livres ci ................. 40 « Total 520 liv. « Doit le citoyen La Hubaudierre au citoyen Leblanc, pour prix de sa barque qu’il lui a soldée, la somme de quatre mille livres, ci ............ 4,000 liv. « Partant, le citoyen La Hubau¬ dierre est redevable au citoyen Le¬ blanc de la somme de trois mille quatre cent quatre-vingts livres, ci . . 3,480 liv. « Sur laquelle somme il lui plaira payer à vue, au citoyen Le Scanvic ou à son ordre, sur la lettre de change qu’il gardera pour sa sûreté, celle de 600 livres, et au citoyen Chauvin, né¬ gociant à Nantes, ou à son ordre, celle de 2380 livres; lesquelles sommes réunies feront bien celle de 3480 livres. « J’ai l’honneur d’être avec fraternité votre concitoyen, « Leblanc. » Pour adresse est écrit : Au citoyen La Hubau¬ dierre, négociant à Quimper. Les Brestois à la Convention nationale. « Bordeaux, 29 août, l’an II de la Képublique. « Citoyen, « Je me ferais un crime de laisser partir le capitaine, sans vous assurer de toute ma sen¬ sibilité pour les bons et affectueux services que j’ai reçus de vous et de vos amis. Veuillez leur exprimer ma reconnaissance et combien je dé¬ sirerais pouvoir vous être utile à tous. Dites, je vous prie, au capitaine, que je le prie de gar¬ der les deux métaux que je lui ai confiés, jus¬ qu’à ce que les citoyen Fleurian, de Nantes, mon beau-frère, les lui fasse demander. On lui pré¬ sentera, de sa part, un papier sur lequel l’ins¬ cription qui est autour de la médaille sera trans¬ crite. J’y joindrai ma signature actuelle; jus¬ qu’à ce moment, je le prie de ne pas s’en des¬ saisir. Recevez, citoyen, l’assurance de mon sou¬ venir éternel. Votre affectionné concitoyen, Jacques Morant. « C’est ici comme chez vous. » A l’adresse est écrit : Au citoyen Dalbrade, procureur syndic du district à Quimper (départe¬ ment du Finistère.) (1) Nous avons appris par nos collègues Tallien et Ysabeau, représentants du peuple à Bordeaux, que ce Leblanc n’est autre que M. Duchâtel, ci-devant membre de la Convention nationale, « Représentants du peuple, « L’acceptation de l’Acte constitutionnel de¬ vait rallier tous les Français autour de l’autel de la patrie; mais, avec de l’or, Pitt a semé parmi nous la trahison et organisé la calomnie. Corrompre les âmes vénales, et quel peuple n’a pas son écume ? altérer notre confiance en vous, vous alarmer sur notre dévouement ; belles sont les combinaisons du système atroce par lequel nos ennemis espèrent dissoudre le faisceau qu’ils essaieraient en vain de rompre. En garde contre ces manœuvres perfides, jugeant tous les Fran¬ çais par nous-mêmes, nous repoussions avec hor¬ reur l’idée de l’insigne trahison qui rendrait nos plus implacables ennemis maîtres de l’escadre et du port de Toulon. Peignez vous donc, s’il est possible, notre fureur et notre indignation, lorsque les députés d peuple nous eurent con¬ firmé cette nouvelle désastreuse ! Non, sans leur témoignage, nous n’eussions jamais cru à cet horrible attentat, à cette infâme perfidie. Ci¬ toyens habitants, marins, militaires, ouvriers, femmes, enfants, tous étaient réunis; un cri una¬ nime s’est élevé : Périssent les traîtres !... Pé¬ rissons tous plutôt que de voir flotter au milieu de nous un pavillon étranger. Vive la Répu¬ blique ! Deux de nos collègues ont recueilli ces sentiments; ils vous diront avec quelle énergie plusieurs milliers de Français les ont exprimés,