[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 juillet 1791.J toujours elle qu’il faut voir dans le corps constituant) se sera ôté jusqu’à la faculté de réfléchir sur la position dans laquelle elle se trouve, et que demain, par exemple, on pourra nous dire : vous avez déclaré que le roi ne pouvait pas être mis en jugement; il faut, en conséquence, lui rendre sur-le-champ le pouvoir exécutif?... A gauche : .Non! non! M. Prieur. Eh bien, si l’on ne l’entend pas, il faut l’expliquer; car en affaire publique particulièrement il n’y a rien de plus dangereux que la dissimulation; et je ne crois pas qu'il y ait eu rien de plus sagement avancé dans ce!*e Assemblée que ce qu’a dit cet opinant; il nous a dit: vous nous préparez une mesure pour la tranquillité publique; hé bien, nous en avons besoin de plusieurs; faites-ies marcher de front, et alors nous saurons si elles sont bonnes ou mauvaises; mais ce n’est pas là l’instant de couvrir d'un voile cette délibération; il faut les déchirer, les voiles; il faut savoir si l’on mettra aux voix le décret qu’un vous propose; il faut savoir de même si la réintégration du pouvoir exécutif dans ses fonctions... (Murmures.) Hé bien, si personne ne le demande, je le demande moi; je demande qu’on m’< n assure, car, prenez-y garde! si le fatal projet passait, quel en serait le résultat, je ne dis pas seulement pour l’Assemblée nationale, mais pour la France entière! Aujourd’hui, dans quelle position êtes-vous? Vos frontières sont insultées par les émigrants, car leur approche seule souille le territoire français, et leur souffle impur menace nos moissons. ( Applaudissements à l'extrême gauche.) Nos frontières ne sont pas menacées, me dit-on ; mais il ne faut rien dissimuler, et ne pas nous parler sans cesse de l’invasion des troupes étrangères; vos comités ont si bien senti qu’il fallait dissiper cette inquiétude, qu’ils vous ont eux-mêmes proposé un armement considérable et de troupes le ligne et de gardes nationales... Vous ne prendrez ces mesures que pour défendre votre Constitution, car c’est toujours là où il faut en venir; or, je vous le demande, serait-il de la prudence, de la sagesse, d’aller confier au même individu qui a protesté contre la Constitution, qui voudrait détruire votre Constitution, tout ce que l’Etat a de forces pour établir, pour défendre cette Constitution? M. Démeunier. Je demande la parole un instant pour répondre à M. Prieur. Il ne s’agit pas de rendre sur-le-champ au roi tout le pouvoir exécutif; il s’agit seulement déjuger sur-le-champ que vous le lui rendrez. Plusieurs membres à gauche : Non I non ! M. Prieur. Cependant, lorsque j'entends dire à cette tribune, pour soutenir le décret des comités, que le roi est inviolable et ne peut être jugé, j’ai droit de conclure de ce raisonnement que, si l’Assemblée le décidait ainsi, le roi se retrouverait précisément dans la position où il se trouvait avant l’événement du 21 juin; or, je fais ce dilemme : ou l’intention du projet du comité est que, dès cet instant, le pouvoir exécutif soit rendu au roi dans toute son étendue, et que le roi ne sera pas jugé, et en ce cas je m’y oppose, parce que je ne crois pas que nous puissions le faire sans danger... Plusieurs membres : Et nous aussi! 269 M. Prieur.... ou ce n’est pas l’intention des comités, et alors nous voilà beaucoup plus avancés, car nous sommes d’accord avec les comités. (. Murmures et interruptions.) M. Pétion, qui vous a présenté une opinion et un décret, n’a demandé que ceci : que le projet de décret, par rapport à l’objet qu’il renfermait, fût ajourné; que, relativement au roi, l’affaire fût décidée par l’Assemblée constituante ou par une Convention convoquée ad hoc. Ainsi, sommes-nous d’accord avec les comités?... Plusieurs membres: Non! non! M. Prieur. Si ces observations ne tendent pas à rapprocher l’avis des comités de celui de M. Pétion, alors j’ai tort. Je crois que, dans celte circonstance, l’Assemblée ne doit prendre aucun paiti décidé sur le pouvoir exécutif, et je dis que dans le décret elie doit formellement se réserver de prendre, lorsque la Constitution sera faite, les mesures qui seront nécessaires pour le salut de l’Etat, et qu’enfin l’on décrète, une bonne fois pour (outes, que les rois inviolables sont pourtant jugeables, pour le salut de la nation, par la nation seule. M. Démeunier. Le préopinant a adressé deux questions au comité de Constitution; il me paraît important d’y faire en ce moment une répuise très positive. Il demande d’abord si, dans le cas où l’Assemblée nationale adopterait le projet ce décret qui est présenté par les comités, l’intention du comité de Constitution, qui a proposé le décrût de suspension des fonctions royales et du pouvoir exécutif; si, dis-je, l’intention de ce comité est de lever ce décret : je déclare que ce n’est point son intention, et qu’il a été sur ce point d’un avis unanime. Le comité pense que, jusqu’à ce que le Gode constitutionnel soit achevé, et dans le cas même où vous adopteriez le projet présenté, le décret qui suspend les fonctions royales et les fonctions du pouvoir exécutif doit rester tel que vous l’avez rendu. Voilà la réponse à la première question. Le préopiuant en a fait une seconde non moins importante, lia demandé si, en laissant subsister le décret qui suspend les fonctions du roi et celles du pouvoir exécutif dans la main du roi, vous ne porterez pas atteinte à l’inviolabilité. Ici une distinction très simple lui montrera que le corps constituant, pour le salut de la nation, tandis qu’on achève la Constitution, a le droit de suspendre les fonctions royales et les fonctions du pouvoir exécutif. M. de llontlosier. Ce n’est pas vrai I (Rires.) M. Démeunier. Il faut d’abord prévoir tous les cas de déchéance, et lorsque vous les aurez prévus, ce sera à la législature à les appliquer. 11 n’y aura point de jugement ; le roi sera soumis à la loi comme tous les autres citoyens : la loi déclare qu’il est déchu du trône; la législature prononce. (Vifs applaudissements.) M. Péüon. Je demande à M. Démeunier qu’il veuille bien expliquer ce que c’est qu’un jugement. Plusieurs membres : AHoqs donc, Monsieur! A l’ordre! M. le Président. M. DémeuDier n’a pas la pa- 270 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 juillet 1791. J rôle sur le fond; il ne l’a que pour répondre à deux questions de M. Prieur. M. Démeunier. Enfiu, pour répondre à la dernière question du préopinant, vos comités de Constitution et de révision vous présenteront de nouveaox cas de déchéance. Dans mon opinion particulière, il faut en ajouter trois : mais il en est un sur lequel, tant sur le fond que sur la rédaction, nous sommes maintenant d’accord ; c’est-à-dire que, l’acte constitutionnel une fois achevé, un article même de cet acte constitutionnel dira que, si le roi n’accepte pas purement et simplement la Constitution, il est déchu du trône. (Applaudissements à gauche. — Murmures à droite.) Un membre : Je demande que l’explication donnée. par M. Démeunier soit mise dans le procès-verbal. M. Babey. Monsieur le Président, je demande que cela soit rédigé en projet de déc: et avant la question qui nous occupe; alors on saura à quoi s’en tenir, et cela retiendra toutes les personnes qui ont des craintes. M. d’André. On propose de transformer en décret ce que vient de dire M. Démeunier, et c’est mon avis, car il est certain qu’une loi constitutionnelle étant la condition à laquelle un peuple, une nation veut avoir un homme seul chargé d’un pouvoir exécutif, c’est un contrat synallagmatique : c’est une obligation réciproque a laquelle l’homme choisi pour roi... (Murmures.) M. Bouttevilie-Duinetz. C’est faux; il n’y a point de contrat. M. d’André. Comme je ne fais qu’énoncer mon opinion, et que je ne propose aucun projet de décret, il est possible que, dans une opinion qu’on est obligé d’improviser, il échappe un mot qui ne soit pas le mot propre; ainsi, je ne prétends pas que ce que je dis lie ni l’Assemblée, ni même moi, quant aux mots; c’est seulement quant aux choses que je prétends être lié. Je dis donc que la Charte constitutionnelle étant l’obligation, étant le nœud par lequel est lié l’homme à qui l’on contie le pouvoir exécutif suprême, il faut que cette obligation soit pure et simple : si l’homme qui accepte, n’acceptait pas purement et simplement, il e-t impossible qu’il soit investi de la confiance que veut lui donner la nation. Ainsi, je pense que rien ne peut retarder un décret qui est véritablement dans l’esprit de tous les vrais amis de la Constitution. 11 est un autre point qu’on pourrait aussi décréter tout de suite; c’est celui où un roi se mettrait à la tète d’une armée, dans le royaume, pour attaquer la Constitution. Je demande qu’en laissant subsister la suspension provisoire, ces deux propositions soient mises aux voix. M. Robespierre. L’une des deux questions de M. Démeunier préjuge évidemment celle que vous agitez actuellement, et suppose que le roi sera mis hors de jugement. Eu effet, si vous décrétez qu’on présentera la Charte constitutionnelle au roi, à la lin de la Constitution, il est évident que vous décrétez que le roi ne sera pas mis en jugement. Un membre : C’est vrai. M. Robespierre, Je dis que l’article qu’on vous propose ne présente aucun avantage eu ce moment, puisqu’il est convenu généralement, et qu’il était uicté par le sens commun, que, si le roi n’accepte pas la Constitution, il ne pourra , point exercer les foncions royales. Ainsi vous ne gagnerez rien par cet article (Murmures.), et c’est un moyen très adroit pour faire passer le projet des comités. Je m’oppose donc à cet ordre de délibération et je demande la question préalable quant à présent. M. Boutteville-Dumetz. Il est faux que l’article proposé par M. Démeunier préjuge la question, car c’est un article qui doit se trouver dans le Code constitutionnel de toutes les nations. On peut très certainement penser que le Code constitutionnel sera présenté au roi ; mais il est clair que la proposition est in iépendante de Louis XVI : une nation ne peut pas faire un acte constitutionnel pour tel ou tel individu ; elle le fait pour tous. Ainsi, dans tous les cas, tous les rois ne pourront régner qu’aux termes de la loi, et en acceptant le Code constitutionnel dans toute son intégrité. (Applaudissements.) Je soutiens donc que c’est un article à insérer dans la Constitution ; il se présente dans ce moment-ci; il faut l’adopter, et je l’appuie de toutes mes forces. A gauche : Aux voix! aux voix ! M. l’abbé Grégoire. 0a dit que cet article sera applicable à tous les rois, qu’il ne s’agit point d’un particulier; moi je dis qu’il est aussi applicable à Louis XVI. Quand,, à la fin de la Constitution, on lut présentera la Charte constitutionnelle, il l’acceptera sans doute, mais quel fond pouvez-vous faire désormais sur ses serments ? (. Applaudissements dans les tribunes. — Murmures à droite. — Vive agitation dans l’Assemblée.) M. Prieur. Ma proposition est qu’on ne préjuge rien aujourd’hui sur la question de savoir si ta Constitution sera présentée purement et simplement à l’individu. M. Rewbell. J’adopte le principe de l’inviolabilité du roi, et je crois qu’il ne peut pas être mis en jugement; mais je soutiens qu’il est aussi un autre principe sacré ; c’est, qu’une nation a le d: oit, que les représentants d’uae nation ont le devoir de prendre toutes les précautions nécessaires pour mettre une nation dans le cas de ne pas craindre une contre-révolution, soit présente, soit future... Un membre : Bien! bien! (Applaudissements dans les tribunes.) M. le Président. J’avertis les tribu nés de ne pas troubler les délibérations de l’Assemblée. M. Rewbell. Je soutiens que c’est là le véritable point de la difficulté qui n’a pas élé traité. Certainement la nation a le droit de veiller à sa propre conservation : vous, Messieurs, vous avez eu le droit d’y veiller provisoirement; mais je soutiendrai, si. j’ai la parole sur le fond, que vous ne l’avez pas définitivement. Messieurs, je vous dis que vous voulez faire préjuger ce que vous ne devriez que discuter, savoir, s’il est de l’intérêt de la nation que la Charte constitutionnelle soit présentée à Louis XVI? Voilà la question que vous devez traiter, et personne n’a encore parlé là-dessus. 271 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1 4 juillet 1791.] Plusieurs membres : Ce n’est pas là la question. M. Démeiinier. J’ai répondu il y a un instant à des qucstio is qui avaient été posées au comité de Constitution; on a demandé que les explications contenues dans ma réponse fussent rédigées en projet de décret. Voici la première proposition : « Le déc et du 21 juin, qui suspend l’exercice de la sanction et de l’acceptation, ainsi que des fonctions du pouvoir executif entre les mains du roi, subsismra tant que l’acte constitutionnel entier n’aura pas été présenté au roi et accepté par lui. » Voici la seconde disposition : « Dans le cas où, soit le roi actuel, soit tout autre roi, n’accepterait pas purement et simplement l’acte constitutionnel qui lui sera présenté, il sera censé avoir abdiqué la couronne, et l’Assemblée nationale le déclarera déchu du trône. » ( Murmures à droite.) M. Roederer. Gela préjuge la question! M. Rabaud Saint-Etienne. Voici une autre rédaction de la deuxième disposition proposée par M. üémeunier : « Celui qui sera chargé du pouvoir exécutif suprême ne pourra régner qu’il n’ait accepté l’acte constitutionnel qui lui sera présenté par le corps constituant. » Voix diverses : Aux voix! aux voix! L’ordre du jour ! (L’Assemblée, consultée, décrète qu’elle passe à l’ordre du jour.) Plusieurs membres demandent le renvoi de la suite de la discussion à la séance de demain. (Ce renvoi est décrété.) M. le Président. Je viens de recevoir une pétition relative à la délibération actuelle ; elle est signée de 1Ü0 personnes. Je me suis engagé, vis-à-vis de la députation qui l’a apportée, à la présenter à l’Assemblée. L’Assemblée veut-elle en entendre la lecture? (Non! non!) (L'Ass mblée, consultée, décrète que la pétition ne sera pas lue.) M. Prieur. On ne peut pas s’empêcher... (Bruit.) M. Rarnave. Le décret que l’Assemblée vient de rendre, et dont l’objet est de renvoyer la lecture d’une pétition annoncée parM. le Président, n’est pas et ne peut pas être de la pa t de l’Assemblée le relus d’entendre des propositions, des instructions de quelque part qu’elles puissent venir sur l’objet qui est actuellement mis en délibération : la question que nous traitons ne peut que gagner à être parfaitement éclaircie. Je crois que le décret qui vous est proposé par les comités est juste dans les principes constitutionnels établis, qu’il est bon, qu’il est utile dans L-s circonstances, qu’il est et sera appuyé partout par l’opinion publique (Murmures,); car je suis loin d’appeler l’opinion publique le bourdonnement momentané que produisent autour d’eux quelques écrivains, peut-être stipendiés, et qu’ils voudraient nous donner ensuite comme notre régulateur. Là où est la raison est l’intérêt public, la loi n’a qu’à y placer un fanal, et là se rangera toujours l’opinion publique, là se rallieront toujours les bons citoyens. (Applaudissements.) Ainsi donc, persuadé que, pour l’opinion publique comme pour la sagesse de la délibération qui va suivre, il est important que tout soit entendu, que tout soit d scuté. Je demande que l’Assemblée nationale décrète, dès à présent, que demain, à l’ouverture de la séance, la pétition présentée sera lue. (Cette motion est mise aux voix et adoptée.) M. le Président lève la séance à trois heures et demie. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU JEUDI 14 JUILLET 1791, AU MATIN. Opinion sur un conseil d’ exécution électif et national, par M. Pétiou (l). Je suppose que le roi soit conservé dans ses fonctions, et c’est dans ceite hypothèse uniquement que je propose l’opinion suivante : Les partisans les plus exagérés du roi sont forcés de convenir de deux points essentiels: 1° c’est que le roi est au moms un homme faible, facile à se laisser entraîner, capable de devenir l’instrument des complots les plus funestes ; 2° c’est que, dans les circonstances où il se trouve abandonné à lui-même, ou, ce qui est pis encore, aux hommes criminels qui l’environnent, il ne peut plus inspirer de confiance à la nation (2). Or, le peuple ne peut être rassuré : il ne peut trouver de garants certains que dans des membres choisis dans son sein pour composer un conseil d’exécution. Je prie qu’on écoute cette idée avec le calme de la raison, et qu’on ne la repousse par aucune prévention particulière; elle est aussi grande en elle-même que salutaire dans ses effets; et il n’en est pas, j’ose le dire, qui convienne même à notre position actuelle. Pour les affaires les plus simples de la vie, on donne un conseil à un homme qui ne peut pas administrer ses biens, qui est incapable de stipuler ses droits; et lorsqu’il s’agit des plus giands intérêts dont un homme puisse jamais ê re chargé ; lorsqu’il s’agit de gouverner une nation entière , on ne donnerait pas un conseil au chef dont la faiblesse et l’incapacité mettent à chaque instant la chose publique en péril ! Rien, sans doute, ne serait plus extravagant. Le cas, je le sais, n’est pas prévu par notre Constitution; mais, d’abord, elle n’est pas finie; et combien d’autres cas n’ont été ni prévus ni déterminés! Si un roi tombait dans une imbécillité absolue, le remê le n’existe pas non plus (1) Cette opinion a été publiée et distribuée parM. Pé-tion au cours des débats sur les événements relatifs à la fuite du roi et de sa famille; elle se rattache donc aux documents parlementaires de cette époque, et c’est à ce titre que nous la publions. (2) Je ne me suis pas donné le temps de relire ni de revoir les épreuves; le moment était pressant : si quelques fautes m’étaient échappées, on me les pardonnera. (Note de l'opinant .)