[Assembléë iîatioüale.j ARCHITES PARLEMENTAIRES. [2 août 1190.} Üffj M. i)übois (ci-devcttit de Crancé), qui àbait demandé une séance extraordinaire pour dénoncer plnsieurs libelles , a la parole et monte à la tribune (1). M. Ilubdis. L’Assemblée nationale ayant rendu, dans la suit ée du 31 juillet, un décret qui ordonne de poursuivie, comme criminels de lèse-nation, tous auteurs, imprimeurs et colporteurs à.' écrits tendant à soulever le peuple, à l’effusion du sang et au bouleversement de la Constitution, j’ai cru que l’Assemblée, justement indignée contre ceux deces libelles qui lui avaient été dénoncés, n’avait rendu qu’un décret de circonstance pour üri délit contre lequel les lois sont éternelles; car, dans tous les temps et dans tous les lieux, celui qui prêche des assassinats est un scélérat. Mais profiter d’Un motif aussi légitime pour généraliser une loi de sang, pour inculper du plus grand des crimes tout citoyen qui, depuis le commencement dé la Révolution, a écrit avec liberté sur les affaires du temps; mais lorsqu’il n’y a aUcuÜ principe Constitutionnel de posé sUr l’étendue que l’homme peut donner à la pensée qü’il désire communiquer, confier à un tribunal ie droit de juger, sans autre guide que sa consciente, ce qui tend à soulever le peuple contre les lois, c'est vouloir rétablira la fois et la Bastille et les bûchers de l’inquisition, c’est tuer la Cohstitution sous prétexte de la défendre. Je me suis donc élevé avec justice ië lendemain, à la lecture du procès-verbal, contre la rédaction du décret rendu la veille; j’ai prouvé que deux écrits incendiaires avaient d’abord été dénoncés; que, dans une très légère discussion, plusieurs membres avaient dénoncé d’autres libelles, non moins incendiaires; que M. de Croix, dernier opinant, avait rétabli la question, et obtenu de l’Àssemidée que lé décret à rendrene porterait que sur les deux feuilles dénoncées par M. Malouet. J’ai donc pu et dû croire, en opinant en faveur du décret rédigé par le même M. Malouet et lu dans un assez grand tumulte, qü’il n’était question et que dés deux feuilles incendiaires indiquées, et j’ai déclaré que s’il en était autrement j'avais été trompé;q\iQ j’avais alors voté contre mon opinion que je réclamais contre une prétendue majorité qui n’était que l’effet d’une surprise, dont les dangers étaient évidents. L’Assemblée à voulu passer à l’ordre du jour. Convaincu qu’à moinsde quelques modifications importantes, le décret rendu général compromettait les droits des citoyens, la liberté et la tranquillité publique, il ne me restait qü’uhe ressource pour déterminer l’Assemblée à s'oçcupper encore de cet objet ; je n’hésitai pas et je demandai à être entendu à jour fixe sur des dénonciations de libelles dont je connaissais les auteurs. Je fus ajourné au lendemain, et j’obtins une séance extraordinaire du soir. Je vis bien qu’on était dans une opinion contraire à ma pensée, et quoique cette erreur ne me fût pas très favorable, elle me sembla si utile à la chose publique, que je crus devoir garder mon secret. Je n'ignorais pas que la plupart des membres de l’Assemblée étaient convaincus que je dénon-(1) Cette partie de la séance serait inintelligible, sans les annexes que nous insérons plus loin. Ces annexes ayant été imprimées, distribuées à tous les députés et se trouvant mentionnées dans la table deâ procès-verbaux, font partie des documents parlementaires de l’Assemblée nationale constituante. cëràis la déclaration de la vninoritè de la Chambré , et l’on s’était disposé à s’escrimer sur cetle fatale pomme de discorde; mais je n’avais garde de procurer cette jouissance aux ennemis du bieri public, et je n’ai jamais cru que cette délibération uût avoir d’autres juges que le peuple entier. J’avais, comme je l’ai dit, pour but, pour but unique, de ramener la discussion Sur les conséquences du décret du 31 juillet; j’en suis venu à bout; je serai calomnié , mais je cfois avoip Fait une bonne action, elle sera ma récothpense. Voici ma motion. « Messieurs, je viens remplir la tâche pêriible que mon devoir m’impose; non moins indigné que M. Maloüet ( outré lëS niaüVais citoyens qtii, par des écrits incendiaires, tendent â porter le peuple à la révolte et à détruire la Constitution qui, comme l’a dit cet honorable membre, n’est fondée que sur la bienfaisance, je ne puis envisager sans Une douleur profonde l’excès aüqd d la licënce s’est portée. Chaqlie joür voit éclore les pandphlets les plus Séditieux; lés portiques mêmes de cette salle eti sont couverts ; nos villes, nos campagnes, les Casernes de nos soldats eti sont inondés ; inutilement oti imprimerait des ouvrages instructifs, on ne verni plus qde des calomnies : deux partis acharnés Se font uneguerre implacable, et celui qdi doit succomber semble compter ses pertes pour rien, s’il peut entraînei* l’autre dans sa ruine... Les peuples sont bien malheureux! Tristes jouets des cabales, leur sort, dans tous les siècles, sera donc de servir d’instrument aveugle, ou de périr victimes des passions les plus criminelles? « Je n’ose penser, Messieurs, malgré la différence d’opiüiuns des membres de cette Assemblée, qu’il en soit un seul qui, oubliant le caractère de législateur d’un grand Empire, ait voulu souiller sa plume et tramer des complots. Nos embarras sont assez grands, nos travaux assez pénibles, pour n’être pas encore forcés de flétrir Son cœur de cette horrible pensée. Eb! que deviendrait notre dignité ? Notre fonction est de faire des lois. est-ce à nous de chercher des coupables? Eh 1 qui peut se dissimuler que, dans un moment où tant de caracières s’agitent en sens contraire; où tant d’inquiétudes tourmentent les esprits, le meilleur citoyen, s’il a de la chaleur dans le sang peut facilement passer le but et semble criminel? M iis l’homme juste, l’homme sans passions ne s’y méprend pas. « Cependant, Messieurs, je conviens qu’il est des excès que, par humanité même, nous devons réprimer, et je suis étonné que M. Malouet se suit borné à développer son patriotisme avec tant d’énergie contre une ou deux feuilles incendiaires seulement. J’attendais de son impartialité bien connue, qu’il vous dénoncerait, a' ec autant de justice et de raison, les Protestations des chapitres, les Actes des apôtres, la Gazette de Paris, l’Adresse aux provinces, l’infâme lettre à l’armée, et une foule d’autres libelles où les membres de cette Assemblée sont outragés, livrés à la fureur du peuple qu’on soulève; en ie trompant sur le sens ou sur le résultat de vos décrets. « Je m’étonnequeleGhâteletde Paris, que ce tribunal plus strictement liéàla Constitution qu’aucun autre par la confiance dont vous l’avez honoré, ait gardé le silence, quand on a débité publiquement et sans pudeur la Passion de Louis XVI, roi des Juifs et des Français, le Vèni Creator, le compte rendu de la prétendue Assemblée nationale, et d’autres productions inferiialçs dont on ne petit lire aucun paragraphe, je ho dij jiiis 308 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 août 1790.] sans dégoût, mais sans horreur. Je demande pourquoi ce tribunal laisse vendre, même en ce moment, le prétendu manifeste du prince de Condé , qui sonne le tocsin d’un bout de la France à l’autre, sans au moins le flétrir de l’improbation de la loi, et en rechercher les auteurs? « Si le Châtelet répond que la loi n’existe pas, qu’il l’attend de vous, vous avez donc, Messieurs, par votre décret d’avant-hier soir, livré à l’arbitraire le plus dangereux des hommes qui, quelque coupables qu’ils soient, n’en ont pas moins droit à votre justice. « Si la loi existe, par quelle fatalité, parmi une foule de coupables poursuivis, ceux-ci sont-ils seuls dénoncés; et voulez-vous laisser croire que la loi peut être dans les mains des juges un instrument destiné à des vengeances personnelles? « Votre décret est juste au fond, mais, faute de développement, il peut compromettre les citoyens qui ont le mieux mérité de la patrie. Condamnerez-vous l’abbé Sieyès pour avoir fait : Qu'est-ce que le tiers-état ? Traîneriez-vous dans les cachots M. de La Fayette pour avoir dit ce mot sublime et vrai, que l'insurrection du peuple contre le despotisme est le plus saintdes devoirs ? Non, Messieurs, vous ne le souffririez pas; la natmn, le monde entier vous désavouerait; vous ferez donner une loi ferme et prudente, qui consacre la liberté en réprimant la licence : cette loi est le flambeau qui peut seul éclairer les juges des délits nationaux, et vous leur ordonnerez de l’attendre. « Mais, Messieurs, il existe surtout un libelle qui me paraît plus particulièrement digne de votre attention, car il a semé de grandes terreurs dans le royaume. Revêtu des caractères d’authenticité, annonçant les projets les plus sanguinaires, inculpant des membres cle cette Assemblée, accusant, dénonçant un des minist res du roi comme criminel de haute trahison, telle est, Messieurs, l’horrible et sans doute ténébreuse production que je dé-nonceici.Elleest signée, ellea nomd’auteurconnu, elle s’intitule : Rapport fait au comité des Recherches de Paris , tendant à dénoncer MM. Maillebois , Bonne-Savardin et Guignard de Saint-Priest , suivi depièces justificatives et de l'arrêté du comité. A Paris, chezM. Buisson, libraire, rue Hautefeuille, n° 20. On trouve dans ce libelle le prétendu rapport d’un projet de contre-révolution, des prétendues pièces justificatives, enfin un arrêté pris contre MM. Maillebois, Bonne-Savardin et Guignard de Saint-Priest, ministre et secrétaire d’Etat. « Ce libelle esMl encore une trame ourdie par les ennemis du bien public? Il faut en punir les auteurs, puisqu’ils sont connus, et soulager la France d’un poids qui l’accable, en lui montrant la vérité. Ce libelle est-il une dénonciation en forme, un acte du plus pur patriothme, fondé sur pièces authentiques? Alors, Messieurs, vous n’avez rien de plus pressé que d’arrêter, dans sa racine, le développement d’un complotdestiné à embraser la France entière. « Je fais donc la motion : « 1° Que demain, à l’heure de deux heures, le comité des recherches de la ville soit mandé à la barre, pour y reconnaître ou désavouer l’écrit publié en son nom, intitulé : Rapport au comité des Recherches ; «2°Qu’à la même heure et immédiatement après, e procureur du roi du Châtelet soit mandé à la barre, pour y recevoir l’ordre de poursuivre sans relâche soit les auteurs du libelle, s’il est désavoué, soit les personnes qui y sont dénoncées, si ce rapport est reconnu véritable par les membres du comité des recherches de la ville de Paris. >< Et, dans ce cas seulement, l’Assemblée décrète que son président se retirera par devers le roi, pour lui remettre un exemplaire du rapport fait contre M. Guignard de Saint-Priest, et le prévenir que l’Assemblée ne peut plus avoir de relation avec un ministre aussi grièvement inculpé du crime de haute trahison. » Si M. de Saint-Priest est coupable, j’ai fait mon devoir; s’il est innocent, comme je l’espère, il se justifiera; il ne peut s’en dispenser. Ce n’est pas moi qui le dénonce, c’est le comité des recherches de la ville de Paris ; je n’ôte donc rien à sa réputation. J’ai seulement cru qu’il était important que l’Assemblée s’éveillât sur un bruit faux ou vrai, qui intéresse tout le royaume autant qu’il l’inquiète; et si M. de Mirabeau s’est cru autorisé à dénoncer le prince de Condé, qui n'est accusé de rien, sous le prétexte d’un libelle qui court sous son nom, j’ai pu, sans injustice et sans ridicule, me croire en droit de déposer au sein de l’Assemblée mes inquiétudes sur un fonctionnaire public, dans le cas où il serait légalement accusé, quoique vraisemblablement innocent. Plusieurs membres du côté droit demandent la question préalable. M. Démeunier. Je ne demande point la question préalable dans la position où sh trouve l’Assemblée nationale, dans un moment où il n’y a pas de moyens qu’on ne mette en usage pour l’égarer; je rends justice à tout ce que la motion de M. Dubois a d’ingénieux. Oui, le comiié a dénoncé M. Guignard : si le ministre est coupable, il doit porter sa tête sur l’échafaud; mais il est bien extraordinaire qu'on vous propose de mander à la barre le comité des recherches, pour savoir s’il a fait la dénonciation. Oui, il l’a faite, et le préopinant le sait bien. Le comité a pu se tromper ; mais pour le prouver, il faut suivre une marche constitutionnelle. On vous propose aussi de mander le procureur du roi du Châtelet, et d’ordonner que votre président se retirera vers le roi, pour lui déclarer que 1 Assemblée ne peut plus communiquer avec un ministre accusé de haute trahison : il est une autre marche; elle aurait du se présenter à l’esprit ae ceux qui ont du zèle et du patriotisme. La justice et la raison demandent que vous entendiez d’abord votre comité des recherches. Je déclare publiquement, quoique député de la ville de Paris, que l’Assemblée doit s’occuper de découvrir ceux qui veulent la perdre avec la Constitution. Je suis un des plus zélés apôtres de la Constitution ; je déclare que dans la position où se trouve le royaume, dans un moment où l’Assemblée est environnée de factieux, qui veulent la conduire je ne sais où... (Il s'élève de violents murmures.) Je consens à être la première victime; je déclare, au risque de ce qui peut m’en arriver, que j’ai trouvé le décret rendu à la séance de samedi soir, juste et raisonnable ; la motion du préopinant porte un air de représailles qu’il n’a pas voulu lui donner; je demande, je le répète, qu’on suive la marche constitutionnelle. M. Robespierre observe que tout cela n’est pas à l’ordre du jour, et l’Assemblée décide qu’elle passera à l’ordre du jour. M. Pétion (ci-devant de Villeneuve). Vous n’a-vez pas rendu un décret, samedi dernier, pour