[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 mai 1791.] 227 de l’amour de l’égalité; il pourrait être représentant plusieurs années et redevenir citoyen pendant deux autres. G’esl avec de pareils hommes que l’esprit de suite et d’ensemble pourra� se perpétuer dans les travaux de la législature; c’est avec cet amendement que l’émulation s’entretient et que la corruption s’évite. Je voudrais donc borner à deux législatures consécutives la possibilité d’être réélu, et je voudrais qu’après un intervalle d’une législature le même citoyen pût être élu encore pendant deux législatures consécutives. Je termine mon opinion en disant à ceux qui ne voient dans ma proposition que la violation des droits du peuple et l’instabilité ou l’inertie du gouvernement : considérez d’un côté quel est et quel sera toujours l’esprit ministériel ; voyez de l’autre, l’aristocratie des représentants; voyez l’esprit de perpétuité et d’hérédité qui viendra bientôt empoisonner cette source de pouvoirs nationaux, et dites-nous si ces deux fléaux de la liberté publique doivent être conservés où favorisés par la Constitution française; enfin après avoir tué le despotisme, craignez que des orateurs perpétuels ne cherchent à en recueillir la succession. Je conclus à ce que l’Assemblée nationale décrète ce qui suit : « Les membres d’une législature pourront être réélus à la législature suivante ; et ils ne pourront l’être de nouveau qu’après un intervalle de deux années. » ( Applaudissements .) (L’Assemblée décrète l’impression du discours de M. Barrère de Yieuzac.) M. Thouret , rapporteur. Je demande la question préalable sur l’amendement du préopinant, parce qu’en même temps qu’il est la reconnaissance du principe de la souveraineté de la nation, pour lequel le comité ne peut s’empêcher de combattre sans cesse, il en est la violation, et parce que, quoiqu’il paraisse satisfaire au grand intérêt national qui commande la réélection, il n’en remplit pas le but. Cet amendement est un hommage aux considérations exposées par votre comité; car il contient en soi la rejection du système qui rejetait toute espèce de réélection. Mais, en dernière analyse, i il ne présente qu’une transaction entre ce système et le projet du comité ; et c’est là le principe de la faveur qu’il a obtenue, parce qu’en général dans une question d’une grande conséquence, dans une question grave, lorsque la discussion est difficile et compliquée, une modification concilie facilement les esprits fatigués; dans une question peu importante, ces amendements sont souvent un moyen aussi honorable que juste pour se tirer d’embarras. Mais ici il s’agit d’une matière constitutionnelle, et l’on ne peut transiger avec le principe fondamental de la souveraineté du peuple. Lorsqu’il s’agit des droits du peuple, il faudrait plutôt en augmenter qu’en restreindre l’exercice : ce sont des transactions de cette espèce qui parviendraient à défigurer votre Constitution. L’Assemblée nationale est toujours restée élevée à la hauteur des principes sans se laisser effrayer par leurs conséquences. L’application peut présenter quelques inconvénients; mais serait-ce un bon raisonnement que celui qui en conclurait la fausseté ou la malfaisance du principe? Tout principe bon est utile; car le mal ne peut passer eu maxime. Quand il a quelques inconvénients, ne le dites pas mauvais ; car à coup sûr il doit produire plus de bien que de mal. Par exemple, le principe du gouvernement représentatif est que le peuple élise seul ses représentants. Si nos adversaires disaient : il ne faut pas que le peuple élise, parce qu’il peut élire de mauvais représentants, cette objection contre le principe serait tirée d’un inconvénient peut-être réel; mais ce ne serait pas moins un détestable raisonnement, parce que le système représentatif produit plus de bien que de mal, parce qu’il y aurait plus d’inconvénients dans le système contraire. C’est ainsi que malgré qu’il y ait quelques inconvénients possibles dans la pratique de la réélection illimitée, la rééligibilité est bonne sous d’autres rapports, et qu’il est toujours vrai en principe que le peuple a la faculté de réélire, car c’est son droit. Mais, tout en rendant hommage aux droits du peuple, le préopinant propose que la réélection ne puisse avoir lieu qu’une fois seulement, et qu’ainsi il soit interdit à la nation d'élire le même représentant aussi longtemps qu’il lui sera utile de le charger de ses intérêts. Vous devez être bien sûrs que cette proposition doit sa naissance uniquement à l’envie de terminer les débats ; car on ne sait à quel principe elle tient, ou plutôt elle attaque celui même qu’elle paraît avouer. On viole le principe de la rééligibilité, parce qu’on craint qu’un représentant ne soit élu à perpétuité. On redoute l’effet des intrigues, et l’on ne voit pas que cette objection porte contre la première élection comme contre la seconde, et qu’elle attaquerait avec un succès égal le système représentatif. Je sais que l’on dit que quoique la liberté de réélire soit vraie en principe général, elle peut être restreinte par la Constitution, et je sais que l’on cite les autres conditions d'éligibilité. Mais reconnaissons que la Constitution ne peut admettre de restrictions que la nation elle-même n’eût admises. Or, supposons que la nation entière se fût assemblée, elle aurait établi des conditions d’activité, des conditions d’éligibilité, parce que celui qui n’est pas indépendant, qui ne tient pas à la chose publique, qui n’en supporte pas les charges, ne doit pas en partager les avantages; elle aurait restreint les administrations, parce que dans un petit territoire elles exercent le pouvoir exécutif ; mais croit-on que la nation eût voulu s’interdire et limiter contre elle la faculté de réélire ceux qui auront justifié sa confiance? Si quelqu’un eût proposé au peuple assemblé de limiter lui-même son droit d’élire, parce qu’il pourrait être corrompu ou séduit , ne croit-on pas que ce harangueur, quelques belles phrases qu’il eût faites, eût été très mal reçu ? Il est donc évident qu’on vous propose de faire pour la nation ce qu’elle n’aurait pas fait pour elle. (Murmures.) Il est donc clair que l’amendement est aussi contraire aux vrais principes, aussi subversif des droits de la nation que la proposition antécédente d’interdire même la première réélection. Si nous considérons ensuite le grand principe de l’intérêt national, nous aurons les mêmes résultats. Il est évident que la perpétuité des représentants pourrait être dangereuse; mais cette perpétuité à quoi se réduit-elle? Si en Angleterre on voit les mêmes hommes passer une partie de leur vie dans le parlement, c’est que pour y rester 14 ans, il ne faut qu’une réélection; pour y rester 21 ans il n’en faut que deux. Chez nous il faudrait 7 élections consécutives