552 [26 octobre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. trevoyons aucun obstacle qui puisse empêcher qu’il ne devienne général. 11 serait également à désirer qu’il fût possible de diminuer le nombre des boulangers, trop multipliés dans les villes. La plupart vivent à peine du travail de leur état, et n’ont qu’une connaissance très-imparfaite des grains et des moutures. Ne pouvant s’approvisionner sur les lieux des récoltes, ni tirer de la première main, ils vont, au jour le jour, acheter la farine qu’ils emploient souvent au sortir des meules : d’où résultent une douzaine de livres de pain de moins par sac, un travail plus difficile, un produit plus cher et moins parfait que si la farine avait reposé. Qui se ressent principalement du défaut d’aisance des boulangers ? Le peuple. Combien de fois cependant, accessibles à tous les sentiments qu’inspire la misère publique, ne fournissent-ils pas à crédit aux pauvres ouvriers, pendant des mois entiers, le pain qu’ils n'ont pas encore gagné! Comment ces boulangers pourront-ils avoir en avance des provisions, et supporter les sacrifices dans les moments de crise où il est prudent quelquefois de maintenir la diminution du prix du pain au delà des bornes prescrites par le tarif, si leur travail, borné à une ou deux journées, les indemnise à peine de leurs frais? Nous ajouterons, en terminant ces observations, qu’il serait ridicule de supposer que si les boulangers étaient en moins grand nombre, et qu'ils fussent chargés seuls des approvisionnements, ils feraient payer le pain arbitrairement. Ce commerce sera toujours sous la sauvegarde des lois ; et les magistrats, qui en sont les dépositaires, instruits par les essais , veilleront à ce que cette denrée de premier besoin soit de bonne qualité, toujours dans une relation intime avec le prix des grains et des farines. Toutes les facilités accordées aux boulangers dans leur commerce tourneront au profit du peuple. Ainsi, intéresser à leur sort la bienfaisance éclairée, c’est former des vœux pour le soulagement de la classe indigente. Fait et arrêté dans une assemblée générale et extraordinaire, tenue au Louvre, le 26 septembre 1789. Signé : le marquis de Bullion, directeur; Parmentier, vice-directeur; Béthune; duc de Charost ; de La Bergerie ; l’abbé Lefebvre, agent général] Broussonnet, secrétaire perpétuel. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAU. Séance du lundi 26 octobre 1789 (1). La séance est ouverte par la lecture du procès-verbal. M. le Président annonce que le résultat du scrutin pour la nomination d’un président n’a pas donné de résultat et qu’aucun membre n’a réuni la majorité réglementaire. L’Assemblée décide qu’elle procédera à un nouveau scrutin à deux heures et demie et qu’en attendant M. Fréteau continuera à présider. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. M. le Président annonce que les trois membres qui ont été élus secrétaires sont MM. Target, Thouret et Barnave. Un membre a fait l’observation que dans le procès-verbal du 18 octobre qui a été imprimé, il n’était pas fait mention du décret relatif à la sanction royale, qui porte que la loi était sanctionnée. M. le gàrde des sceaux en enverra à l’Assemblée nationale u ne expédition signée et scellée, pour être déposée dan s ses archives ; en conséquence l’Assemblée a ordonné que cette disposition serait insérée dans le procès-verbal de ce jour, et qu’elle serait remise par M. le président sous les yeux du Roi. M. le Président a fait lecture d’une adresse des officiers municipaux de la ville de Saint-Marcellin en Dauphiné, au sujet d’une convocation extraordinaire ordonnée par la commission intermédiaire de cette province. Cette municipalité demande dans cette circonstance la conduite qu’elle doit tenir, ne désirant que le vœu et les ordres de l’Assemblée nationale. M. le Président a vu le Roi et témoigné à Sa Majesté que, si cette assemblée avait pour objet autre chose que la répartition des impôts ou des mesures relatives à la contribution patriotique, les conséquences pourraient en être fâcheuses. La discussion est ouverte sur l'adresse de la ville de Saint-Marcellin et sur la convocation extraordinaire des Etats du Dauphiné. M. Barnave. La convocation des Etats ne peut être relative aux impôts, puisque le doublement est aussi convoqué, et que cette convocation ne doit se faire que pour la nomination des députés aux assemblées de la nation ; ainsi, elle a pour objet la révocation des députés actuels , ou du moins des opérations infiniment importantes. M. Duport. Il faut d’abord savoir si c'est avec le consentement du Roi que les Etats du Dauphiné sont convoqués; et si ce consentement n’a pas été donné, on doit demander aux ministres quelles mesures ils prendront pour empêcher cette convocation. M. lia Poule. Une lettre devienne m’apprend qu’on assemble les trois ordres du Dauphiné, pour s’occuper de la translation de l’Assemblée, et qu’on annonce l’improbation de quelques décrets. Je vous engage à user de toute votre puissance et de tout votre courage pour réprimer des entreprises aussi dangereuses. M. Arnoult. Le parti proposé par M. Duport ne remédierait pas au mal. Si les ministres disent qu’ils ont permis, l’Assemblée ne pourra pas approuver cette permission ; mais que fera-t-elle ? Il vaut mieux répondre à la municipalité de Saint-Marcellin que l’Assemblée nationale n’est pas instruite de cette convocation, et qu’elle la désapprouvera si elle a un autre objet que les impositions. M. Bewbell. Le moyen le plus sûr est de rendre un décret qui suspende l’assemblée jusqu’à ce que la commission intermédiaire ait donné les motifs de la convocation. M. de Blacons. On calomnie la province du Dauphiné, en lui supposant des projets qui puissent inspirer quelques craintes ; mais elle a assez 553 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [36 octobre 1789.] prouvé son patriotisme, pour être à l’abri de tout soupçon. Un des membres de cette Assemblée, qui a reçu longtemps des marques flatteuses de votre estime (M. Mounier), est maintenant dans la capitale de cette province ; il rendra incessamment compte des motifs de son départ, et ne tardera pas à revenir parmi vous (1). La députation du Dauphiné a écrit elle-même pour faire suspendre l’effet de la convocation. M. Dupont. Il existe un principe certain applicable à toutes les circonstances : c’est de ne rien faire sans être bien instruit. Nous ne le sommes pas suffisamment ; il n’y a pas lieu à délibérer. M. le comte de Mirabeau. Nous sommes assez instruits du fait intéressant qui nous occupe, puisqu’il est public et notoire. Nous le sommes du principe que nulle convocation ne peut être légale, juste, légitime, tant que nous n’aurons pas établi les formes des assemblées des provinces. Ce principe doit être ajouté au décret conforme à la proposition de M. Duport. M. le due de i�a Rochefoucauld. J’adopte entièrement cet avis ; mais je pense que, par estime pour cette province, le premier auteur de notre liberté, on peut écrire une lettre à la commission intermédiaire. M. Lanjuinais. La province du Dauphiné n’est pas la seule qui s’assemble ; la noblesse de Bretagne se réunit à Saint-Malo, celle du Languedoc à Toulouse. Dans cette dernière ville, quatre-vingt-dix nobles et quatre-vingts parlementaires ont été convoqués le 10 octobre ; ils ont engagé les autres ordres à se rassembler pour rendre à la religion son utile influence , à la justice sa force active , au Roi son autorité légitime , osons le dire , sa liberté , et pour s'opposer à l’abolition des droits et franchises de la province et des villes. Ces expressions, tirées de la déclaration imprimée de la noblesse du Languedoc, et tous les faits réunis rendent très-instant un décret selon les vues de M. Duport et de M. de Mirabeau. M. PéÜon de Villeneuve est de même avis, et observe que les convocations qui se font par ordre dans différentes provinces sont contraires aux décrets de l’Assemblée, et notamment à celui du 15 de ce mois, concernant la nomination des suppléants. M. de Blacons. Le Dauphiné n’est coupable d’aucune infraction au décret du 15, puisque la convocation n’a été faite que le 12. Eli ! d’aiNeurs, pourquoi ravir à une province le droit de s’assembler, quand on souffre soixante districts qui croisent sans cesse les 'opérations de l’Assemblée, quand on paraît ignorer qu’il en est un qui s’est permis de protester contre la loi martiale ? M. Glezen. J’adopte l’avis de M. Duport et l’amendement de M. de Mirabeau ; mais il a échappé aux préopinants une conséquence bien naturelle des faits qui sont ici discutés : c’est la nécessité, toujours plus pressante, de s’occuper entièrement de la Constitution. (1) Voy. annexé à la séance de ce jour, l’exposé de la conduite de M. Mounier dans l’Assemblée nationale et des motifs de son retour en Dauphiné. Après la lecture du décret proposé par M. Duport, et qui n’est que sa motion rédigée et unie à l’amendement de M. de Mirabeau, plusieurs demandent la question préalable. M. Dupont. Les provinces ont cru difficilement à la liberté de la translation du Roi et de l’Assemblée, sollicitée par quinze mille hommes et un train d’artillerie : ce ne sont pas des décrets u’il faut envoyer contre elles pour les empêcher e s’assembler." Pour donner l’assurance de notre liberté, que notre président écrive, écrivons tous amiablement, et surtout faisons respecter nos décrets dans le lieu de notre résidence. M. liavie et d’autres députés disent qu’ils ont reçu des lettres de félicitations sur l’établissement de l’Assemblée dans la capitale. Leurs provinces pensent qu’elle est plus libre au milieu des bons Parisiens, qu’elle ne pouvait l’être dans l’antique séjour du despotisme ministériel. M. le comte de Mirabeau. La convocation des diverses provinces est irrégulière ; l’irrégularité est notoire. Il y a donc lieu à délibérer sur cette irrégularité, il n’est pas question des motifs des convocations ; il ne s’agit ni d’accuser ni de justifier. Quand le décret porte le mot empêcher , il ne dit que ce qu’il doit dire ; le pouvoir exécutif ne peut-il pas enjoindre, permettre, défendre? Ne dirait-on pas que nous avons déjà vomi des bataillons et des décrets contre ces provinces? On propose d’écrire amiablement; il le faut, et une adresse dans ces vues avait déjà été demandée; mais agissons pour empêcher des convocations irrégulières , qui lanceraient de nouveaux désordres dans le royaume. M. Pison du Galand (1). Messieurs, en entendant proposer de condamner comme irrégulière la convocation des Etats du Dauphiné et de leur doublement, il est de mon devoir de vous faire connaître l’état de cette province. La province de Dauphiné s’est signalée par sa résistance aux actes du despotisme ministériel, en 1788. C'est l’époque à laquelle elle s’est donné elle-même librement sa constitution. Elle régénéra ses anciens Etats qu’elle chargea de la répartition des impôts et de l’administration générale de la province. Elle ordonna en même temps que le nombre des membres en serait doublé pour députer aux Etals généraux. C’est par les Etats de la province et leur doublement réunis que nous sommes effectivement députés, et vous avez contradictoirement reconnu la régularité de cette députation. Nos décrets sur l’abolition de la distinction politique des ordres, relativement à la nomination des suppléants, ne sont vraisemblablement point encore promulgués par le Roi, dans cette province. C’est dans cette situation des choses que les Etats et leur doublement ont été convoqués. La députation elle-même a pensé que cette convocation pourrait avoir des inconvénients dans le moment actuel, eu égard aux opinions diverses qu’on pourrait se former d’après les dernières circonstances, et qu’il fallait attendre que cette opinion fût éclairée par le temps et la succession des événements propres à rassurer égale-(1) Le Moniteur se borne à mentionner le discours de M. Pison du Galand. 554 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 octobre 1789.] ment tous les esprits, et elle a fait connaître son vœu à la commission intermédiaire. Mais cette convocation n’est pas dans le cas d’être déférée à l’Assemblée nationale. La constitutionj’du Dauphiné subsiste jusqu’à ce qu’un autre régime convenable lui soit substitué. Ses Etats ont à répartir les impositions de 1/90. Le doublement a à nommer des suppléants. 11 n'y a eu que sept suppléants nommés dans cette province, réduits à six par la démission d’un député avant l’ouverture de l’Assemblée, et il est notoire qu’il manque actuellement à la députation sept de ses membres. Nous avons pu désirer la suspension ou la révocation actuelle de la convocation des Etats et de leur doublement, dans la crainte de les voir induire à erreur par les récits divers des circonstances qui ont précédé ; mais il ne s’ensuit pas que cette convocation doive être déférée à l’Assemblée. Je conclus donc à ce qu’il soit dit n’y avoir lieu à délibérer. '(Un honorable membre ayant opposé à l’opinant que la députation elle-même avait écrit à la commission intermédiaire que cette convocation était irrégulière, et que l'opinant était du nombre des signataires de cette lettre, l’opinant a repris, et dit :) 1° Je suis surpris de voir la lettre écrite à la commission intermédiaire, imprimée, n’étant pas de ma connaissance que la députation ait pris aucune délibération à ce sujet. Je me plains donc de cette publicité et je ne crois pas qu’on puisse légalement faire usage d’une lettre qui ne devrait être qu’entre les mains de ceux à qui elle est adressée. 2° J’observe que, si le fond ou l’objet de cette lettre a été convenu par la députation réunie, la rédaction a souffert des débats qui n’ont point été terminés. Le rédacteur a fait signer sa rédaction parles divers membres séparément, sans la faire collectivement approuver. Il est résulté de là que les signataires ont cru justement avoir la liberté de faire des corrections ou des amendements individuels, avant de donner leur signature. Je suis certain, entre autres, d’avoir changé moi-même ces termes : la convocation est irrégulière , en ceux-ci: pourrait être critiquée, afin de n’exprimer qu’un ' simple doute, ou moins que cela, une simple possibilité; et j’ajoute que j’aurais porté plus loin les amendements, si l’état d’une minute déjà revêtue de signatures m’en eût laissé la faculté. Ainsi, à moins que ma propre correction ait été changée, à mon insu, l’imprimé de la lettre n’est pas conforme à l’original, et l’on ne peut pas en opposer. M. Alexandre de Tameth. Les Etats du Dauphiné sont convoqués par ordre ; première irrégularité. Ils le sont sans le consentement du Roi, tandis que le règlement même de ces Etats exige ce consentement; seconde irrégularité. La convocation n’a d’autre objet que les impôts et la nomination des suppléants ; je vois le contraire dans une lettre écrite par la députation de cette province , et signée par le préopinant. On délibère , et la question préalable est rejetée. La division du décret proposé est demandée , accordée, et la première partie, relative seulement au principe , ainsi décrétée : « L’Assemblée nationale décrète que nulle convocation ou assemblée par ordres, ne pourra avoir lieu dans le royaume, comme contraire à un décret de l’Assemblée, et que celui du 15 octobre, qui ordonne que toutes les assemblées de bailliages et sénéchaussées se feront par individu et non par ordre, sera envoyé par le pouvoir exécutif , ainsi que le présent décret, à toutes les provinces , bailliages, sénéchaussées, municipalités et autres corps administratifs du royaume. » Plusieurs membres demandent l’ajournement de la seconde partie qui prononce sur les convocations des Etats des provinces. M. E