[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1S décembre 1789.] 57© Un autre honorable membre voyant que cette motion ne pouvait avoir lieu que dans huit ou dix ans, a demandé qu’elle fût ajournée à la première Convention nationale, que peut-être vous jugerez à propos de fixer à ce temps. Pour moi, qui pense que ce qui est absurde aujourd’hui, le sera dans dix ans, je crois que nous n’avons pas le droit d’ajourner à un temps où nous n’existerons plus; je propose très-clairement la question préalable. M. le duc de la Rochefoucauld. La question demande à être profondément discutée; mais elle n’est pas aussi pressante que beaucoup d’autres. Le travail de vos commissaires sur la constitution militaire est suspendu par l’incertitude des principes que vous adopterez pour le mode du recrutement de l’armée. M. le vicomte de Mirabeau. Quel est le bon citoyen qui doit avoir besoin de l’espoir d’une place supérieure pour occuper celle où il peut être utile à sa patrie ? Ce bon citoyen serait un intrigant. La motion tend à faire de toutes les élections des foyers d’intrigue. M. le comte de llirabeau (1). Lorsque, avec une facilité que j’ai admirée autant qu’il était en moi, j’ai vu monter à la tribune pour attaquer, en improvisant, une motion que j’avais la conscience d’avoir longtemps méditée, et qu’appuyait l’opinion de Rousseau, c’est-à-dire de l’homme qui a le plus réfléchi sur les choses humaines, je n’aurais eu qu’à me répéter pour y répondre. Je fus appelé plusieurs fois par un de vos comités, auquel j’ai l’honneur d’appartenir, et je vous demandai d’ajourner la discussion pour que je pusse répondre à M. Barnave. Lorsque cet opinant termina son opinion, en proposant l’ajournement pour 1797, je crus que ce n’était qu’une agréable raillerie ; en effet, c’est la première fois qu’on a voulu empêcher les législateurs d’étendre leurs vues dans l’avenir... On l’a déjà observé : faire une constitution, c’est travailler pour le temps, c’est prévoir, c’est déterminer de loin les moeurs, les opinions, les habitudes. Si la loi que je vous propose est comme la clef de la voûte sociale, si elle unit toutes les parties dans un lien commun, vous ne devez point différer de la consacrer, quoique son exécution soit nécessairement retardée. Ne croyez pas même qu’elle demeure comme une pierre d’attente ; elle influera dès à présent, et sur ceux qui se destinent aux affaires publiques, qui ne dédaigneront pas les fonctions municipales, et sur les électeurs, qui conféreront avec plus de choix des places plus recherchées, et sur les administrations elles-mêmes que l’on envisagera comme un état d’épreuve. On embarrasserait beaucoup l’orateur qui vient de parler avant moi en lui demandant si, lorsqu’il servait dans le premier grade, où il portait les armes avecdistinction,il n’aspirait pas à celui dont il est honoré maintenant? Je ne sais pour quels êtres il peut être vrai que l’émulation soit la même chose que l’intrigue; je ne sais dans quelle race d’hommes le désir de faire le bien est l’unique désir; cette perfection n’est pas faite pour notre terre. Je ne crois pas qu’il soit de la sagesse et de la (1) Le discours de M. le comte de Mirabeau est incomplet au Moniteur. justice de l’Assemblée d’empêcher de répondre à des objections qui seront oubliées si l’on ajourne. Si l’ajournement est à époque fixe, je ne me permettrai pas un murmure; mais s’il est indéfini, je dirai qu’on traite avec une indécence véritablement indigne de vous, une loi que l’autorité du premier génie de notre siècle a consacrée, et que ses ennemis mêmes reconnaissaient comme infiniment morale. Pour jouir du bénéfice de l’ordre du jour, je demande à répondre. Si je le fais d’une manière péremptoire, vous jugerez; si la questionne vous paraît pas assez éclaircie, vous discuterez, ou vous ajournerez. (On demande vivement à aller aux voix.) M. le Président met aux voix l’ajournement à jour fixe proposé par M. le comte de Clermont-Tonnerre. Il est rejeté. L’ajournement indéfini est ensuite prononcé. M. de Ménonville de Villiers demande et obtient la parole pour une motion additionnelle au décret sur les municipalités. Il propose un projet de décret en 15 articles sur la manière dont les communes doivent délibérer, sur l’administration de leurs biens et sur d’autres objets qui y sont relatifs. L’Assemblée décide que la motion sera simplement déposée sur le bureau et qu’avant de la mettre en discussion elle sera renvoyée au comité de constitution pour, au préalable, avoir son avis. M. le Président. L’ordre du jour appelle la discussion du travail du comité militaire. M. le dnc de Liancourt, député de Clermont en Beauvoisis (1). La formation de l’armée est, dans toute espèce de gouvernement, un des points essentiels de la constitution; c’est celui qui en lie les différentes branches et qui assure la solidité de toutes. En vain des législateurs sages composeraient-ils, de l’expérience de tous les siècles, de la connaissance des mœurs de leurs pays, la constitution la plus heureuse, la plus libre, celle qui promettrait le plus d’avantages aux sujets de l’empire : si l’armée n’est pas constituée de manière à maintenir son indépendance politique, à repousser avec succès les tentatives des puissances rivales, cette heureuse constitution, troublée par les guerres, livrée aux inquiétudes et aux alarmes, sera bientôt en proie à la jalouse ambition des Etats voisins : si la constitution de l’armée ne donne pas les moyens de faire au dedans du royaume respecter et suivre les lois, cette heureuse constitution ne sera bientôt qu’une déplorable et dangereuse anarchie; enfin, si la constitution de cette armée dont le soin, les détails, Indisposition doivent être entièrement dans les mains du Roi, est telle cependant qu’elle lui laisse les moyens de l’employer contre les lois, de la faire servir contre les droits et la liberté du peuple qu’elle doit défendre, l’heureuse constitution du royaume, tôt ou tard renversée, sera remplacée par un despotisme plus ou moins absolu, quand des circonstances favorables serviront les projets d’un monarque moins citoyen, moins doué que LOUIS XVI, de loyauté et de patriotisme. (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. le duc de Liancourt. 580 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 décembre 1789.} Les conditions essentielles à la constitution d’une armée, sont donc de pouvoir opposer une forte résistance aux projets des puissances ennemies, de pouvoir servir les lois, et de ne pouvoir leur nuire. De toutes les parties qui forment l’ensemble de la constitution militaire, toutes, sans doute, dépendantes les unes des autres, le mode du recrutement est celle que l’on peut regarder comme la plus essentielle, comme ayant les conséquences les plus étendues sur le système général de cette constitution, et comme aussi, indépendamment môme du rapport de l’armée, la plus influente sur la constitution du royaume. C’est cette grande et importante question que le comité militaire a mise sous vos yeux dans l’excellent rapport qu’il vous a présenté, et sur laquelle vous avez à prononcer. 11 vous a proposé l’alternative d’une conscription générale, c’est-à-dire, d’un enregistrement de tous les citoyens sur les tables de la milice, pour faire chacun à leur tour, et selon le besoin, leur service militaire, ou le mode d’un enrôlement volontaire pour lequel il paraît avoir réuni l’opinion de la pluralité de ses membres. Aux motifs clairs et méthodiquement exposés, que vous a présentés, en faveur de ce dernier système, le comité militaire, je vais, Messieurs, ajouter quelques réflexions. Je combattrai les raisons qu’ont fait valoir avec force, en faveur de l’opinion contraire, les deux orateurs qui ont parlé avant moi. Le système de la conscription militaire a pour base cette vérité fondamentale, et de droit naturel, que les hommes naissent égaux en droits, et cette vérité sociale, que tout le monde, dans un Etat libre, se doit à la défense de son pays. De cet enregistrement général, de cette faculté de l’Etat, d’exiger le service de tous, on fait résulter comme justice la proportion égale de service parmi toutes les provinces; et comme utilité, un nombre général d’hommes suffisant pour porter l’armée à tel degré de force que les circonstances pourront l’exiger. On y voit encore le grand avantage que la composition de cette armée ôtera aux citoyens l’inquiétude d’être Iroublés par elle dans l’exercice de leurs droits, dans la tranquille jouissance de la constitution; enfin on croit assurer ainsi la liberté et l’exercice des droits de chacun, comme entretenir ou exciter son patriotisme. L’enrôlement volontaire, vous a-t-on dit, remplit l’armée de gens sans aveu, ne la compose que de la classe inférieure et indigente du peuple; favorise les menées avides et honteuses des hommes chargés des recrutements ; ne fournit pas assez de recrues pour tenir l’armée au complet, même en temps de paix, encore moins en temps de guerre où elle doit recevoir une grande augmentation, et où la consommation d’hommes est beaucoup plus forte, coûte beaucoup plus cher, et rend l’armée une arme dangereuse dans les mains d’un despote. C’est ainsi que ce mode de recrutement est généralement présenté par les partisans de la conscription militaire, et je n’adoucis pas les traits des préopinants. Il me semble que les avantages de la conscription sont loin d’être évidents; que tous les inconvénients de l’enrôlement volontaire ne sont pas nécessairement inhérents à ce mode de recrutement; que ceux qui existent peuvent être évités, et que la comparaison de ces deux systèmes, examinée avec quelque soin, doit déterminer le jugement de l’Assemblée en faveur de l’enrôlement volontaiie. JN’importe à quelle époque on parle; les principes qui posent sur la vérité et sur la justice, sont de tous les moments. Tout homme est né soldat, sans doute, pour la défense de ses foyers : ce devoir s’établit de lui-même, quand il ne s’agit que de quitter sa maison pour monter sur le rempart qui la couvre, ou pour border des frontières peu éloignées; mais c’est à cette défense prochaine qu’est borné le devoir des citoyens, surtout quand ils payent de fortes impositions, dont un des principaux objets est de les préserver des invasions de l’ennemi. Quand la France n’aurait pas ou pourrait faire cesser les intérêts qui portent ses armées des mers de l’Inde aux rives de l’Elbe, quand elles ne devraient servir qu’à défendre nos frontières, pourrait-on facilement exiger du citoyen d’Antibes ou de Perpignan, de se porter au secours de celui de Brest ou de Dunkerque? Cependant, dans une pareille association, où tous les citoyens de l’empire se doivent réciproquement le même secours, ou nul ne doit marcher, tout ce qui est en état de porter les armes, sans exception de rang, de profession, d’intérêts particuliers, les habitants des villes, comme ceux des campagnes, tous les mâles valides depuis 18 ans jusqu’à 50, doivent être, à l’exception du Roi et de l’héritier de la couronne, compris dans la conscription militaire : tous doivent subir la loi du sort qui désignera les soldats; car nul ne doit exposer ses jours ni pour un prêtre, ni pour un magistrat, ni pour un père de famille à la fleur de son âge, ni pour l’homme de commerce ou d’industrie, ni pour aucun homme enfin en état de se défendre par lui-même : c’est assez pour celui qui met quelque prix à sa liberté et à sa vie, de prêter son service aux vieillards, aux femmes et aux enfants; il ne peut l’étendre davantage. Si celte obligation est, comme elle doit être, générale, comment les citoyens d’un grand empire pourront-ils donc être retenus dans les liens de cette conscription militaire? l’homme inscrit passera dans une autre ville, dans un autre district, il y changera de nom; comment pourra-t-il être retrouvé au besoin? Il faudra donc continuellement exercer une active inquisition sur les allants et les venants, une inquisition destructive de la liberté que nous voulons solidement établir, et incompatible avec les bases de notre constitution? Les propriétaires attachés à leurs champs, ne pouvant errer de domicile en domicile, comme le manœuvre et l’ouvrier, seront donc seuls soumis à l’exacte contrainte du service personnel? et quand, témoins des malheurs répandus dans nos campagnes par le tirage delà milice, qui, aux maux particuliers à chaque village, à chaque communauté, ajoute la calamité commune et irréparable pour la France, de lui coûter par année plus de 12,000 fuyards perdus pour l’agriculture, nous avons tous pris dans nos cahiers l’engagement de provoquer et d’opérer la destruction de ce fléau désastreux, consentirions-nous à la conscription militaire, fléau bien plus affligeant encore, puisqu’il embrasse tous les étals et toutes les professions? Je dis plus : ou tous les hommes soumis à cette conscription seront obligés de faire personnellement leur service, ou ils pourront se faire remplacer. Deux seuls moyens peuvent obliger le citoyen à faire personnellement son service : celui de la force, qui allant chercher l’hommedans ses foyers, ou dans la retraite que l’espionnage lui aura découverte, ne lui laissera que l’alternative, ou de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1S décembre 1789.] §Qf porter les armes, ou d’être corporellement puni; et celui qui, l’engageant par des motifs de patriotisme et d’honneur à payer ce tribut à l’Etat, le rendra coupable à ses propres yeux, de s’y soustraire. Le premier de ces deux moyens, le plus tyrannique et le plus violent qui puisse être imaginé, le plus contraire aux droits de l’homme, le plus opposé à tout principe de liberbé, quand l’ennemi n’est pas à la porte,' ne peut jamais avoir son exécution dans un pays qui croit avoir une constitution. Il vaudrait cent fois mieux vivre à Constantinople ou au Maroc, que dans l’Etat ou de pareilles lois seraient en vigueur. Le second, le plus puissant de tous, sans doute, puisqu’il parle aux devoirs et à l’honneur, ne peut être établi que par les mœurs. Une heureuse et libre constitution changera sans doute les mœurs de la France; mais la révolution des mœurs ne peut devenir que lentement complète. Les habitudes anciennes, les vieilles opinions durent presque autant que les personnes; un nouvel ordre d’idées ne s’établit solidement dans les esprits, que par le secours du temps : en vain l’homme supérieur à son siècle par ses lumières et son dévouement à la chose publique, donnera-t-il l’exemple d’un service personnel, oubliant ses habitudes et ses anciennes commodités, qui l’éloigneront pendant six années de ses foyers, de ses affaires et de ses plaisirs; son exemple trouvera, dans les premiers temps, peu d’imitateurs. L’homme chargé d’une comptabilité, le citoyen vivant sur son champ, le négociant occupé' de toutes les combinaisons du commerce, croiront longtemps encore que le soin des deniers de la province, ou le travail de la culture, ou le succès des industries, les rendront plus utiles à l’Etat, que six années employées sous les armes, dans un temps de paix, où tant d’hommes oisifs pourraient si facilement les remplacer. La condition nécessaire qui serait même imposée d’avoir servi quelque temps comme soldat pour devenir officier, serait encore un faible véhicule pour ceux qui ne trouveraient pas dans leur opinion la nécessité d’être officier. Encore une fois, l’habitude de la constitution nouvelle attachant, par la réflexion, par le bonheur, les citoyens à tous les intérêts de l’Etat, peut seule, aidée du temps, agir sur les opinions, changer les mœurs, et amener dans les esprits cette grande révolution par laquelle, seulement, une direction nouvelle peut être donnée aux habitudes et aux idées. Mais, en attendant qu’elle s’opère, les citoyens seront esclaves, et le service de l’armée mal fait. On vous a dit que le moyen de remplacement sera permis, et qu'ainsi l’homme qui ne voudrait pas servir, échapperait à cette nécessité, en substituant un autre homme à sa place. Alors ce système de conscription ne sera plus qu’un système d’enrôlement volontaire, puisque l’homme remplaçant le citoyen qui ne voudra pas personnellement servir, acquiescera volontiers à cette condition, et ne sera qu’un soldat engagé. La seule différence de ce système de remplacement au système d’enrôlement actuel, sera que les hommes qui consentiront à servir, vendront leurs services plus cher qu'ils ne le font aujourd’hui; qu’ils se donneront au plus offrant, et qu’alors le citoyen chargé d’affaires et de famille, dont la présence serait nécessaire dans ses foyers, ne pouvant atteindre le prix exigé pour le remplacement, sera forcé de servir personnellement, tandis que le riche oisif, dont les affaires ne seront que des plaisirs, donnant à l’homme par qui il se fera remplacer, tout l’argent qu’il demandera, éloignera plus encore le citoyen sans grande fortune, de la possibilité d’éviter le service personnel. Je crois qu’on peut douter que la somme de 200 livres payée, une fois dans la vie, par celui qui ne voudrait pas servir, puisse jamais donner à la province le moyen suffisant de remplacement; mais enfin, cette contribution, quelque légère qu’elle puisse paraître à beaucoup de personnes, sera fort au-dessus des facultés d’une grande quantité de citoyens qui ne voudraient pas servir, et qui y seront contraints. Ainsi cette conscription militaire, qui est présentée comme le palladium de la liberté, gênant, au contraire, jusqu’aux volontés de tous les citoyens, favorisera uniquement ce qui pourra justement alors être appelé l’aristocratie des richesses, puisque par elles ainsi l’égalité des droits et la liberté seront attaquées dans leurs principes. Si l’on veut appeler l’exemple des pays étrangers où la conscription militaire est établie, cette manière de raisonner ne lui sera pas, dans mon opinion, plus favorable que le développement des différents motifs par lesquels elle a été déjà combattue. La liberté l’a établie en Suisse; l’intérêt général l’y a maintenue, parce que la Suisse, peu riche, chargée d’une grande population, trouve une de ses principales ressources dans l’espèce de commerce qu’elle fait de ses soldats avec une partie de l’Europe, et que la conscription qui favorise ce commerce, borne le devoir des citoyens à la seule défense de leurs foyers, sans que jamais ils en puissent sortir, et souffre, dans beaucoup de cantons, l’enrôlement volontaire pour les troupes chargées de la police. L’armée en Suisse, organisée pour porter la plus prompte résistance aux invasions de l’ennemi, n’est, dans les temps ordinaires, que fictive et sur le papier; et il est à remarquer que l’intérêt de toutes les puissances voisines de la Suisse est de maintenir cette république dans sa constitution et sa neutralité. En Prusse, au contraire, et dans une grande partie des Etats de l’empereur, où l’armée est toujours tenue sur pied et prête à marcher à la volonté du souverain, la conscription militaire est le développement le plus complet du despotisme. L’homme y naît attaché au lieu de sa naissance, au régiment de son canton; toutes ses affaires, tous ses intérêts sont à la disposition du besoin de ce régiment, qui l’appelle quand il le veut, comme il le veut. La surveillance la plus inquisitrice empêche tous les hommes inscrits (et ils le sont tous) de quitter leurs cantons. Les recherches les plus actives les poursuivent partout où ils peuvent aller, et les traitements les plus sévères sont infligés à celui que le calcul de ses intérêts, de sa profession ou de sa santé a fait sortir du lieu de sa naissance. Telles sont les lois du pays, tels sont les seuls moyens par lesquels cependant la conscription puisse tenir complète une grande armée : car la conscription militaire n’est alors qu’un moyen violent et factice, pour fournir à un Etat médiocre une force militaire au delà de la force naturelle de sa population; ce n’est qu’un principe d’économie pour un pays pauvre, lié à l’existence d’une grande armée. Le despotisme seul peut adoucir la sévérité de ce régime absolu : comme il agit pour son intérêt, il sert l’intérêt de ceux dont il a besoin. Ainsi, en Prusse, tout homme qui a la valeur de 24,000 livres de capital, tout homme qui se 582 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 décembre 1789 ] livre à un commerce de j quelque importance, tout homme reconnu absolument nécessaire à l’exploitation de la terre, est exempt de conscription; elle est établie avec moins de rigueur, dans une proportion plus douce, dans les villes que dans les campagnes : les villes du premier ordre sont entièrement soustraites à son régime. Les intérêts de l’Etat ont dicté ces exceptions, que la volonté arbitraire pouvait seule ordonner, et sans lesquelles le prince le plus despote, l’homme qui mettrait le plus de prix à établir la considération de son royaume par celle de son armée, a vu qu’il ne répandrait dans ses Etats que le désespoir et la misère. En France, où la conscription militaire serait établie, à l’époque de la liberté, sur les hases reconnues des droits d’un chacun, aucune exception même favorable à la prospérité de l’Etat ne pourrait être admise; et la constitution libre que nous aurions obtenue ne pourrait pas préparer au royaume les avantages, donner aux citoyens la douceur et l’usage de la liberté, dont l’effrayant despotisme dispose pour le bien et le salut général. Une foule d’autres motifs développeraient encore mon opinion; mais je crois ceux que je viens de vous soumettre de quelque poids; et l’économie de votre temps est un des devoirs de tous les membres de cette Assemblée. Après avoir considéré la conscription militaire dans le rapport de la constitution, si elle vous est présentée sous celui de l’armée, elle ne remplira pas davantage les conditions qui vous en étaient promises, et ce système ne trouvera pas plus de faveur auprès de vous. Peu de personnes, je crois, voudront soutenir que la France puisse, pour sa défense, se contenter, comme la Suisse, d’une armée enregistrée sur les tabelles de ses provinces, et jamais réunie. Ses intérêts, son étendue, ses rapports différents, exigent une armée active, de la force que lui assignera la volonté nationale, mais toujours complète, toujours prête à marcher avec les conditions qui doivent la rendre redoutable aux ennemis qu’elle peut avoir à combattre. Je suis aussi convaincu que personne, que la politique de la France ne doit être que conservatrice; que ses liaisons doivent être celles qui promettront à l’Europe et à elle une paix plus longue; qu’un système d’ambition et d’envahissement, bon peut-être pour des Etats précaires ou despotiquement gouvernés, ne peut être celui du plus grand, du plus beau royaume du monde, du royaume dont la constitution sera posée sur les bases de la liberté et de la félicité publique, et à qui l’agriculture et les arts promettent tant de conquêtes à faire sur lui-même. Je suis encore convaincu qu’un petit nombre d’années de bons calculs et de saines raisons, amèneront tous les Etats à ces idées, les seules sages, les seules utiles, les seules heureuses. Mais ce système de paix générale n’est pas encore réalisé; et en attendant cette époque fortunée, ce n’est pas aux armées de Prusse et de l’Empereur que l’on peut opposer, avec une continuelle espérance de succès, des troupes sans instruction et sans discipline. Le métier de la guerre est devenu une science; et tant qu’il le sera pour nos ennemis, il faudra bien, sous peine d’être toujours battus, chercher à ne pas leur être inférieur. Bien que cette science réside particulièrement dans la tête des généraux, le général le plus habile, qui commanderait à des troupes ignorantes ou mal entretenues, ne pourrait pas en obtenir la vélocité et la précision de mouvements, qui font aujourd’hui le succès des batailles, et par conséquent le sort des empires. La conscription militaire, obligeant les citoyens de tout âge, de toute profession, de toute com-plexion, à servir personnellement six années, peut-elle promettre la possibilité de ces avantages ? Il semble inutile de prouver qu’on ne devrait pas les attendre de ce régime suivi avec rigueur; mais il ne peut pas l’être. C’est donc le système de remplacement qu’il faut examiner comme le seul praticable, quoique injuste. Ce système, comme il a été dit, semblable, par le consentement des hommes qui servent, au système d’enrôlement volontaire, lui est inférieur à beaucoup d’autres égards. Le citoyen, qui devra se faire remplacer, cherchera le remplacement le plus facile et le moins onéreux. Les hommes les plus faibles, les plus mal faits, les moins propres, par leur conduite et leur existence, au service de l’armée, seront à meilleur prix , par conséquent les plus recherchés pour les remplacements. L’armée ne sera jamais assurée d’être ni complète ni bien composée. Un des opinants a dit, que l’homme qui voudrait se soustraire au service personnel, ne pourrait fournir qu’un homme avoué du canton, et il a cm répondre d’avance aux objections que je viens de présenter. Mais, d’abord, ces avoués ne seront autres que les hommes indigents des campagnes, de la classe de ceux qui s’engagent aujourd’hui. Les provinces, peu soucieuses de la bonne composition de l’armée, comprendront dans les remplacements des hommes peu propres au service des armes , d’autant plus tentants à envoyer, qu’ils montreront un plus grand désir de marcher, et que le nombre des avoués pourra bientôt manquer. En vain l’armée se défendra-t-elle, tant qu’il lui sera possible, de recevoir cette espèce de soldats, plus propre à lui créer des embarras, qu’à lui donner de la force. Ces hommes ne seront que difficultueusement changés ; ils ne le seront même peut-être pas; et l’armée, qui n’en coûtera pas moins cher, ne sera pour l’Etat qu’une force Fictive, et par conséquent qu’une charge inutile : car, si elle ne rend pas les services qu’on doit en attendre, de quelque quantité de millions que la dépense soit diminuée, elle sera toujours trop chère, et cet inconvénient n’est pas encore le plus grand de tous. Le système de conscription emporte l’obligation pour chaque province de fournir dans une certaine proportion à la composition de l’armée; mais qui pourra répondre de l’exactitude de l’acquittement de ce contingent? Il arrivera sans époque scrupuleusement fixe; il arrivera incomplet, et composé de beaucoup d’hommes incapables du service de l’armée; il faudra en refuser plus ou moins. Le temps fixé pour donner à ces hommes leur première instruction sera depuis longtemps consommé avant que la totalité en soit arrivée. Mais, si les provinces, dans le choc des intérêts politiques qui peuvent agiter quelque tempsencore lanation, refusaient leur contingent, ou qu’elles le suspendissent jusqu’à ce que leurs différends soient terminés, quelle sera la force pour les contraindre? Voilà donc un principe de dissension et de guerre intestine, et de quel danger ne peut-il pas être? D’ailleurs, quelle sera pour lors la force de l’armée? quels seront ses moyens de recrutement? Morcelée dans toutes ses parties, sans cesse inquiète de l’être davantage, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 décembre 1789.] 583 elle sera incapable d’agir au dehors, et de protéger au dedans aucun des intérêts pour lesquels elle est instituée. Les provinces, après avoir fourni ce contingent d’hommes, ne voudront-elles pas quelquefois en rappeler à elles une partie, et tenter peut-être de laisser le pouvoir exécutif sans force, pour des motifs qui ne seront ou qu’elles ne croiront être que particuliers à quelques-unes d’elles, pour des motifs même généraux et qu’elles méconnaîtront? Car la prévoyance, une des qualités les plus importantes de 'la politique, exige quelquefois des préparatifs enveloppés nécessairement dans un mystère qui ne peut être dévoilé qu’après leur succès. Celte formation ne nous donnant en tout temps qu’une armée mal composée, toujours incomplète, une variation continuelle dans les hommes que les provinces voudraient, sur toutes sortes de prétextes, fréquemment substituer, nous conduirait tôt ou tard à la division de l’Empire. La faiblesse dans l’armée, la discorde entre les provinces ; l’oppression, la gêne, l’inquiétude dans tous les Etats, la désolation dans les familles : tels seraient les résultats probables d’un projet qui, nous rendant libres de nom, mais esclaves dans l’effet, placeraient l’empire et les citoyens français dans une condition plus déplorable que les nations le plus accablées sous le despotisme. Après un tableau aussi effrayant et aussi vrai des suites malheureuses de la conscription militaire, je n’entrerai pas dans les détails plus particulièrement relatifs au service et à l’instruction de l’armée, et par lesquels il vous serait encore prouvé que ce projet est inadmissible, je veux dire nommément dans les rapports de la cavalerie et de l’artillerie. Je dirai encore, pour fortifier par l’expérience les raisonnements dont j’ai appuyé jusqu’ici mon opinion contre la conscription militaire, que la tentative de cet établissement a excité de tels mouvements en Hongrie, que l’Empereur a été contraint d’en retirer le projet; que l’origine des troubles qui agitent aujourd’hui le Brabant, est due à la crainte inspirée aux Pays-Bas de l’établissement de cette conscription : et pour ne pas me borner à des exemples récents (car on alléguerait, sans doute, que la terreur de la conscription militaire est due à la méfiance que peut inspirer à tant de titres l’autorité arbitraire d’un souverain et de ses ministres), je dirai qu’àRome même, on a souvent vu des mères couper le pouce à leur enfant pour les soustraire au service forcé, en les rendant inhabiles à porter les armes; et j’ajouterai, en passant, que le mot latin qui exprime cette mutilation volontaire, qui rendait inhabile au service, pollex truncatus , est la véritable étymologie du vilain mot français poltron. Je me hâte de passer au système d’enrôlement volontaire, et de prouver succinctement, que si la conscription présente plus de vices que ses partisans ne lui en supposent, le mode d’enrôlement volontaire peut avoir moins d’inconvénients qu’on ne lui en attribue. Il est impossible de nier tous les vices reprochés aux enrôlements volontaires dans les différents systèmes qui ont successivement conduit jusq’ici l’armée française : ainsi, quand le sort du soldat est mauvais, quand la paye suffit à peine pour le nourrir , quand aucun moyen ne peut le soustraire à l’arbitraire et à la dureté de ceux de ses chefs qui veulent abuser de leur autorité, quand le régime de l’armée le tient presque toujours séparé du reste des citoyens, en fait une classe à part et trop peu considérée ; il n’est pas étonnant que peu d’hommes embrassent par le sentiment d’honneur et d’une volonté bien réfléchie l’état de soldat : le désespoir, le libertinage ou le besoin, doivent être alors les motifs les plus déterminants, et par lesquels la ruse et l’avidité des recruteurs attirent plus d’hommes au service. Les hommes engagés dans l’armée par des motifs aussi peu délicats, ne devraient pas généralement être de bons soldats, encore moins des citoyens connaissant leurs devoirs ; et sans liens qui les unissent à leur patrie, ils doivent lui donner sans cesse l’inquiétude d’en devenir le fléau et l’oppression. Cependant quelle armée a jamais remporté autant de victoires signalées que l’armée française? Combien de généraux étrangers n’ont-ils pas envié le bonheur de commander des soldats français? et sans parler plus longtemps du courage et de l’intrépidité, éléments si naturels du sang français, j’ose interroger ici tous ceux qui connaissent réellement les troupes; est-il dans notre armée un seul régiment qui ne renferme dans ses rangs des hommes réunissant au premier degré les sentiments de brave et fidèle soldat, d’homme d’honneur et de bon citoyen? En professant avec plaisir cette incontestable vérité, je suis loin, je le répète, de méconnaître les vices monstrueux de notre système militaire; mais, heureusement, toutes ces conditions qui font aujourd’hui avec nécessité de notre armée une armée moins bien composée qu’elle ne doit l’être, ne sont pas inhérentes à la formation de l’armée française. Elles peuvent être facilement détruites, et remplacées par des conditions qui assureront à l’enrôlement volontaire les succès les plus certains. En effet, un ordre de choses qui délivrant le soldat de la tourmentante instabilité de la discipline et des exercices, de l’arbitraire des châtiments et de leur dureté, augmenterait d’un tiers sa paye, n’exigerait d’une grande partie de l’armée qu’un service de deux mois par année ; qui plaçant sédentairement les régiments dans les mêmes lieux, les composerait en peu de temps d’hommes du même pays, rendus pendant dix mois à leurs occupations ordinaires, à leur travail, à leur famille; qui, à l’expiration des congés de ces hommes engagés, leur assurerait encore une somme d’assez d’importance pour les délivrer de la cruelle nécessité où sont aujourd’hui réduits tant de soldats de se rengager, parce qu’ils se trouvent sans métier, sans profession et sans ressources, et pour leur être de secours, quelque état qu’ils voulussent embrasser : un tel ordre de choses, préparé encore par une éducation vraiment nationale , qui pénétrerait tous les citoyens, dès leur enfance, des principes et des sentiments du patriotisme, doit assurer à l’armée une composition d’hommes bien supérieure à celle dont elle est formée aujourd’hui ; une composition d’hommes, pour le plus grand nombre, domiciliés. Il doit lui assurer un recrutement volontaire, assez nombreux pour que la perfidie des recruteurs, aujourd’hui presque nécessaire, soit réprimée et anéantie. Il doit enfin donner au citoyen le plus méfiant , la plus complète sécurité sur les entreprises qui pourraient être ordonnées à l’armée contre la constitution du royaume. Le système militaire, ainsi formé, opposera, par une telle composition d’armée, une invincible résistance aux vues perfides qui voudraient en §84. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 décembre 1789.] abuser. Des soldats, habitants, domiciliés pour la plupart du canton où est établi leur régiment, passant dix mois par an dans leurs foyers, pouvant s’y marier, tenant enfin aux avantages de la nation par tous les liens qui attachent les autres citoyens, seront citoyens eux-mêmes, et deviendront, par leurs propres intérêts, le plus sûr obstacle à l’usurpation de l’arbitraire et du despotisme. L’armée française, ainsi composée d’une excellente espèce d’hommes, bien choisis, volontairement engagés, auxquels même la facilité pourrait être donnée de quitter le service à la fin de chaque année, sera susceptible de toute l’instruction, de toute la discipline qui la rendront propre à tout, et sans lesquelles une armée ne peut être que d’une faible utilité; toutes conditions que ne peut jamais présenter la conscription militaire. Mais ce n’est pas assez de donner à l’armée, par Jes engagements volontaires, une bonne et solide formation, ce n’est pas assez de lui donner une telle constitution, qu’elle ne puisse jamais porter atteinte aux lois du royaume : il faut encore prévenir toute inquiétude des citoyens, et donner aux provinces un moyen de résistance à l’oppression, moyen dont, sans doute, la bonne constitution du royaume, la parfaite intelligence de toutes ses parties, surtout la sage et nationale formation de l’armée, les préserveront de faire usage ; mais moyen dont il est nécessaire de les investir, parce que l’oppression sera encore plus rarement tentée quand la résistance sera plus certaine : et voilà la véritable fonction des milices nationales qui doivent être formées par la conscription. Je sortirais de la question sur laquelle vous avez à prononcer, Messieurs, si je fixais votre attention sur l’organisation des milices nationales : je dirai seulement que, formant, d’après la nouvelle division du royaume, un régiment par département, désigné pour la défense de la province, leur système, très-indépendant de la composition de l’armée, peut être encore très-utilement lié à son service dans les circonstances où quelques places importantes, quelques magasins sur les frontières seraient abandonnés par les troupes de ligne, pour se porter en avant, et où ce secours fourni par les provinces les plus voisines, remplirait, en défendant les frontières, le premier but de l’institution des milices nationales, celui de la conservation et de la protection de leurs propres foyers. Il ne me reste plus à répondre qu’à l’objection faite, au mode d’enrôlement volontaire, sur son insuffisance pour porter, en temps de guerre, l’armée à l’augmentation que la nécessité d’entrer en campagne, ou de grandes pertes, rendraient indispensables, augmentation à laquelle subirait la conscription, et pour laquelle était particulièrement institué le régime de nos milices. Je serai très-court , et sans entrer dans les détails de la composition de l’armée, comme je m’en forme l’idée, détails par lesquels cependant le recrutement serait montré plus facile-, sans répéter les raisons multipliées qui s’opposent irrésistiblement à la conservation de ce système oppresseur de milice : je dirai qu’une très-légère solde donnée par année à des gens de bonne volonté qui contracteraient l’engagement de servir dès que la guerre serait déclarée, et qui, pendant toute la paix, jouiraient de cette modique rétribution , sans qu’aucun service fût exigé d’eux , assurerait à l’armée une force de 60,000 hommes et plus pour le besoin ; que la I Flandre et le flainaut donnent un exemple d’un tel enrôlement provisoire fait avec succès; que cette dépense à peu près de 1,500,000 livres tournerait au profit des familles et des citoyens les plus malheureux; que plus chère de 6 à 700,000 livres pour le département de la guerre, que l’établissement actuel de nos milices, elle serait pour l’Etat une grande économie, parce que l’Etat s’appauvrit nécessairement de la ruine des campagnes, et qu’il n’est pas un des 500,000 miliciables du royaume à qui la bourse et toutes les dépenses du tirage ne coûtent annuellement beaucoup plus d’un louis. Je dirai enfin, que ce surcroît de dépense pour cette partie de la guerre, satisfaisant à de grands devoirs de justice, d’humanité et de prévoyance, laisse à chacun, dans tous les temps et dans toutes les circonstances, l’usage le plus entier de sa volonté ; et je croirai n’avoir plus rien à ajouter pour combattre le système dangereux, tyrannique, de la conscription militaire, système qui ne peut, tout au plus, être présenté que comme dernière ressource en temps de guerre, et quand toutes les autres auraient été démontrées insuffisantes : et je me flatterai d’avoir prouvé l’avantage du mode d’enrôlement volontaire qui, à l’importante condition de procurer à l’Etat une armée instruite, disciplinée et prête à marcher, réunit le bien le plus précieux, celui à qui tous les autres doivent être sacrifiés, d’assurer la liberté générale, en conservant la liberté de chaque individu. D’après toutes ces considérations, je me réfère à l’avis du comité militaire, et je pense que l’Assemblée nationale doit décréter que le mode de recrutement volontaire sera le seul adopté pour le recrutement de l’armée française soldée : laissant au comité de constitution le soin de proposer l’organisation des milices nationales, et au comité militaire ses vues sur la formation de l’armée, quand cependant l’Assemblée nationale aura prescrit à ce comité les limites de son travail qui, dans mon opinion, doivent être bornées. Plusieurs membres demandent l’impression du discours de M. le duc de Liancourt. Cette demande étant vivement appuyée est mise aux voix et l’impression est ordonnée. M. le vicomte de Mirabeau (1). J’ai été frappé, Messieurs, dans l’affaire qui vous occupe, d’une singularité que je n’ai sans doute pas été le seul à remarquer. Jusqu’ici, les comités que vous avez établis les dépositaires de votre confiance, vous ont présenté un plan de travail formé du résultat du leur, et j’imagine que c’était le but de leur institution ; car un comité étant une émanation de l’Assemblée, il doit, je le pense du moins, se conduire par la même régie ; c’est-à-dire que la minorité des opinions doit y être liée par le vœu de la majorité. Bien loin d’obtenir un résultat des travaux de notre comité militaire, nous en avons entendu trois membres qui nous ont chacun proposé un plan différent : le premier, après avoir pesé les avantages et les inconvénients des deux moyens proposés pour la formation de l’armée, a établi que le recrutement à prix d’argent était le plus aisé et le plus convenable au royaume de France. (1) Le Moniteur se borne à mentionner le discours de M. le vicomte de Mirabeau. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 décembre 1789.] Le second vous a proposé une division de l’armée en corps actif et corps auxiliaire ; il vous a peint sous des couleurs défavorables, et, j’ose dire, aussi peu méritées que réfléchies sans doute, l’armée existante; il est parti de là pour vous proposer un moyen qu’il croit sûr pour la rendre nationale, celui du cantonnement des régiments pour leur recrutement, et même pour la composition de leurs officiers. Il paraît adopter d’ailleurs la conscription militaire pour le corps d’armée auxiliaire. Le troisième adopte entièrement et exclusivement le système de la conscription militaire, et il exige un nombre fixe d’années d’un service réel de tout citoyen actif ; il n’excepte de cette obligation que le” monarque et l’héritier présomptif de la couronne, et il nous ramène à une idée déjà mise en avant avec succès dans cette Assemblée, et combattue par moi : « Tout citoyen deviendra militaire et tout militaire citoyen. » C’est entre ces trois plans qu’on vous propose d’adopter. J’avoue que j’avais pensé jusqu’ici sur le militaire, comme sur beaucoup d’autres choses, qu'il y avait une foule d’abus à réformer et d’améliorations à faire ; mais j’étais bien éloigné de croire qu’il fallût entièrement détruire pour recréer, et moins encore dans l’organisation militaire que partout ailleurs ; car on a beau vous répéter sans cesse, Messieurs, que la France n’a jamais eu une armée plus formidable qu’au moment où il se trouve dans son sein 2 ou 3 millions de citoyens armés, personne ne croit plus que moi à la valeur d’un citoyen qui défend ses foyers. Je connais la bravoure avec laquelle les paysans de la Dalécarlie ont remis Gustave Wasa sur le trône : les paysans finlandais ont repoussé, je le sais, l’élite des troupes danoises, mais sans vouloir assurément déprécier ma patrie, je prie l’Assemblée de considérer la différence qui existe entre les localités, le climat, les mœurs, le numéraire, le luxe (car tout influe sur le génie militaire) de la France et de la Suède. Mais je me contenterai de dire que, si j’avais des exemples à invoquer, je compterais lès soldats de Darius au passage du Gra-nique, ceux de Yarron à Cannes, les communes rassemblées par le roi Jean, et je demanderais en même temps si leurs adversaires les ont comptés. J’ajouterai que les armées , quelque nombreuses qu’elles soient, composées, en grande partie, de citadins nouvellement rassemblés, ne vaudront jamais les plus petites phalanges de troupes réglées, exercées, ameutées, disciplinées, aguerries, connues de leur chef. Les motifs pour et contre la conscription militaire, ont été développés par les préopinants d’une manière qui ne me laisse à vous annoncer que mon opinion personnelle. Elle est absolument contraire au système de la conscription, et j’assure que j’ai été étonné de voir invoquer la liberté pour appuyer le plus dur et le plus prononcé des esclavages. L’état militaire, on ne peut vous le céler, Messieurs, sort de l’ordre naturel et essentiel des sociétés ; il n’est pas dans la nature des choses que 40,000 hommes se meuvent au désir et par les ordres d’un seul ; il faut donc adapter, de la manière la moins dangereuse, le système de la liberté, qui doit être le nôtre, avec le régime militaire; mais il faut se garder de les confondre, car, je le répète, Messieurs, chacun perdrait l'esprit qui lui est propre, sans acquérir celui qu’on pourrait lui désirer. Le seul moyen que je crois à notre portée, est d’abord, le recrutement volontaire. On vous a dit, Messieurs, que le service de la patrie était une charge à laquelle tous les citoyens devaient coopérer, et c’est le plus fort argument dont on a appuyé le système de conscription. La seule manière, comme vous l’a dit M. de Bouthillier, de répartir également cette charge est le recrutement à prix d’argent : le calcul des différences qui existent entre le nombre des soldats que fournit telle ou telle province, est le meilleur appui de son raisonnement. Si l’on vous proposait, Messieurs, de remplacer la prestation d’argent que vous êtes obligés de fournir pour la construction et la réparation des routes, par un service réel; que vous écriviez que c’est une arrière-pensée d'esclavage : eh bien , Messieurs, on vous propose, au lieu de trois jours de travail, une abnégation de votre liberté pendant six années, et vous appellerez ce décret un acte de liberté ! Non, Messieurs, vous recruterez à prix d’argent, vous rendrez l’état du soldat respectable; vous persuaderez qu’il est le vrai soutien de la liberté, et vous aurez alors des soldats pa triotes ; vous ne les appellerez point des brigands, et vous ne souffrirez pas qu’on les qualifie ainsi dans cette auguste Assemblée, parce qu’ils pourraient bien calculer que, s’ils en ont Jaréputation il leur deviendrait utile d’en exercer le métier; vous vous souviendrez, au contraire, du mot sublime de ce paysan suédois qui, au moment où, dans le Sénat de son pays, les trois premiers ordres avaient adopté la résolution de punir les contrebandiers par une obligation de servir un certain nombre d’années, s’écria avec enthousiasme : Eh ! que deviendra la dignité de nos soldats? La proposition fut unanimement rejetée. Mais ce qui est instant , Messieurs, et que je crois devoir vous dire, quoique ce ne soit pas l’objet de la discussion , parce que le péril est pressant et le remède difficile : l’armée est san3 discipline , la subordination est perdue ; vous connaissez tous les événements qui ont eu lieu et qu’il est aussi impossible de retracer ici , que difficile de réparer : s’il en est temps encore, Messieurs, rendez aux officiers généraux , aux chefs de corps , l’autorité nécessaire pour maintenir les lois militaires existantes et celles que vous proposez d’établir. Je fais, à cet égard, la motion spéciale d’un décret particulier sur cet objet. M. le vicomte de Beaufaarnais. Que l’armée soit assez forte pour nous empêcher d’être conquis, mais point assez pour nous conquérir : le maintien de la liberté est attaché à cette proportion ; le Corps législatif doit donc fixer cette mesure ; il doit aussi déterminer la somme à laquelle s’élèvent les dépenses de l’armée. Telles sont les bases constitutionnelles auxquelles le ouvoir exécutif doit être servilement assujetti ..... a déclaration des droits a appelé tous les citoyens à tous les emplois; l’honneur de consacrer sa vie à la défense de sa patrie est le plus sacré de nos droits politiques : il ne faut donc conserver aucune de ces ordonnances exclusives , qui ont si longtemps fait la vicieuse existence aes troupes privilégiées. Notre travail doit donc porter sur la force de l’armée, sur le prix qu’elle doit coûter, et le mode de la recruter. Pour mettre de l’ordre dans ces opérations, je propose de décréter : Premièrement, que le comité militaire, prenant 586 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 décembre 1789.1 en considération le système politique de l’Europe, et l’état actuel des finances, sera tenu de présen ¬ ter incessamment son travail sur le nombre des troupes qui doivent composer l’armée. Secondement, qu’il offrira un plan de milice nationale sur le principe que le Roi et l’héritier présomptif de la couronne pourront seuls être exempts du service personnel. Cette milice ne se rassemblera chaque année que pendant un court espace de temps : le nombre des individus qui la composeront sera au moins double de l’armée active. Troisièmement , renvoyer les détails au pouvoir exécutif, qui se conformera aux décrets de l’Assemblée. Quatrièmement, rendre de nouveau responsables les ministres, dont les ordonnances compromettraient les principes de l’égalité politique, et tendraient à détruire la liberté nationale. M. le comte d’Fgmont-Pignalelli. M. le marquis de Puységur, colonel du régiment de Strasbourg-Artillerie, a adressé au comité militaire, dont j’ai l’honneur d’être membre , des réflexions fort sages sur notre constitution militaire. Je propose de les faire imprimer afin que toute l’Assemblée en ait connaissance. M. Dubois de Crancé. Tout ce qui est de nature à vous éclairer sur une chose aussi importante que l’organisation de votre armée, mérite toute votre attention. J’appuie la proposition du préopinant. — Je ferai imprimer moi-même les observations que j’ai soumises au comité comme bases de son travail et qui sont à peine indiquées dans le rapport que j’ai eu l’honneur de vous faire à la dernière séance. ( Voy. aux Annexes les réflexions de M. le marquis de Puységur et les observations de M. Dubois de Crancé.) M. le Président appelle un nouvel orateur à la tribune. M. le baron Félix de Wimpfen (1). Messieurs, en oubliant quelques expressions de véhémence échappées à l’un des orateurs qui ont parlé samedi dernier, nous devons du moins rendre justice à ce que son brûlant amour pour la liberté nationale lui a inspiré de vrai et de bon, en l’entraînant toutefois bien au delà de la stricte vérité. M. Dubois de Crancé croit qu’une armée de cent cinquante mille hommes, recrutée sans choix, souvent par des moyens très-immoraux, et où aucune relation d’intérêt et de sentiment ne lie le soldat à son capitaine , et le capitaine à ses soldats, qu’une telle armée, vous a-t-il dit, pouvait, d’un moment à l’autre , devenir dangereuse à la liberté publique. Cette réflexion est fondée; elle est du ressort de tous les bons esprits et de tous les bons patriotes. Pour obvier à ce danger, M. Dubois de Crancé imagine un système par lequel chaque régiment est attaché à un ou plusieurs départements , chargés de lui fournir les recrues dont il pourra avoir besoin. Ce moyen est employé dans tous les Etats despotiques" de l’Allemagne ; et il suffit si peu, que (1) Le Moniteur se borne à mentionner le discours de M. le baron de Wimpfen. cette espèce de soldats forme à peine le tiers des régiments : les deux autres tiers sont des étrangers ou des coureurs, ou des cosmopolites de l’Allemagne même. Or, Messieurs, nous aurons toujours en France également de ces coureurs, de ces chercheurs de fortune, de ces cosmopolites français, libertins dans leur première jeunesse, mais dont la plupart deviennent de très-bons soldats, souvent d’excellents bas officiers et j’en connais même qui sont devenus des officiers de distinction. Mais ce sont là des résultats de l’expérience que M. Dubois de Crancé n’a pas été à portée de trouver. Il est donc tout simple qu’il vous ait proposé une théorie que je regarde comme un parti extrême puisque, quoiqu’il n’en dise pas le mot, ce n’est qu’une conscription déguisée ; car les municipalités chargées du recrutement, et engagées à fournir les hommes nécessaires, seraient bien forcées de recourir ou au tirage ou à la liste, s’il ne se présentait pas un nombre suffisant de volontaires. M. Dubois de Crancé va si loin dans sa vertueuse, mais peu expérimentée théorie, qu’il défend aux régiments de recevoir aucune recrue qui ne serait pas du département auquel les régiments se trouveraient attachés, et que les régiments ne peuvent pas être en garnison dans le département qui leur fournit les recrues. Je n’entends pas comment, dans un gouvernement libre, l’on pourrait interdire à un citoyen de servir sa patrie dans un régiment de son choix, et ne conçois pas davantage la raison de cette restriction. Ce préopinant vous dit encore que 60 millions suffisent à l’entretien d’une armée de cent cinquante mille hommes. Et le secret de cette économie consiste à ne donner ni solde ni appointements aux deux tiers des soldats et officiers qu’il envoie chez eux pendant huit mois de l’année. Mais M. Dubois de Crancé a-t-il consulté les soldats et les officiers pour savoir s’il leur plaisait de passer tous les ans huit mois chez eux, à condition qu’ils ne toucheraient ni solde ni appointements? Non : et j’ose affirmer qu’une semblable ordonnance serait très-mal accueillie. Je connais les éléments dont votre armée actuelle est composée ; et l’armée hypothétique que M. Dubois de Crancé veut nous donner, ne se formerait pas du soir au lendemain. En supposant même qu’elle fût possible, je doute fort qu’elle souscrivît à la retenue de sa solde pendant huit mois de l’année. Quand M. le marquis d’Amblv vous a dit qu’il vous donnerait un plan du bon" coin, à l’instant j’y souscrivis, parce que c’est un homme à cœur droit , nourri et élevé dans les camps et les batailles, et que c’est autour de l’opinion des anciens guerriers, que doivent venir se rallier les opinions de ceux qui n’ont point pratiqué notre métier, et de ceux qui ne l’ont appris qu’à l’école des esplanades. Laissons donc là tous ces romans militaires : répétons avec M. Dubois de Crancé qu’il y a loin de la conception d’un projet à la possibilité de son exécution , et prenons conseil de l'esprit de pratique et d’expérience ; il nous dira que la vérité n’est jamais aux extrémités, mais qu’elle se tient dans le centre; qu’elle est comme le point d’équilibre du levier de la balance ; que tout ce que les hommes peuvent imaginer a ses inconvé- [Assemblée nationale.] ARCHIVES Pi nients; que le sage met dans un bassin les inconvénients, dans l’autre les avantages, et se décide pour le tout lorsque les avantages l’emportent sur les inconvénients. Il vous dira que les plus petits maux qui sont inséparables des meilleures institutions, sautent aux yeux par le contraste, et servent d’appui aux critiques des esprits rétrécis. Il vous dira enfin que si nous ne voulions considérer les chefs-d’œuvres du Créateur même que du côté par où ils nous paraissent défectueux, il faudrait dissoudre le globe, et que le meilleur des systèmes n’est jamais que la moindre imperfection. Ainsi, en consultant notre histoire, nous trouvons que c’est lorsque les compagnies appartenaient aux capitaines, que les armes françaises ont acquis cette célébrité qui a fait longtemps le désespoir des autres nations; et que c’est depuis qu’on a rompu toute relation d’intérêt et de sentiment entre le soldat et l’officier, et qu'un arbitraire dégradant s’est mis à la place des lois, que notre militaire est déchu, et que sa composition s’est oblitérée de plus en plus. Maintenant que nous avons un gouvernement, qu’il n’y a plus d’arbitraire à craindre, que peu à peu il naîtra une morale et un esprit public, décidons-nous pour ce juste milieu, qui repousse d’un côté la conscription dont M. le duc de Liancourt a si bien démontré la tyrannie et les dangers, et de l’autre l’immoralité du recrutement actuel. Ce sera, Messieurs, à votre comité militaire à vous proposer un plan de recrutement dans lequel les avantages l’emportent sur les inconvénients; car, encore une fois, jamais nous ne nous déciderions pour rien, si nous ne voulions accepter que des moyens sans inconvénients. Cependant, comme il est très-instant pour l’ordre de vos finances et pour la chose militaire, que le sort de l’armée soit déterminé, et afin que votre comité ne soit plus ni arrêté ni embarrassé dans sa marche, pour qu’il puisse vous présenter l’ensemble de son travail tout à la fois, je vous propose de lui ordonner de vous faire, dans le courant du mois, le rapport des quatre bases, d’après lesquelles le pouvoir exécutif devra donner à l’armée l’organisation qu’il jugera la plus convenable. Ces quatre bases sont, savoir : 1° Le recrutement en soldats et le remplacement en officiers. 2° La force dont devra être composée l’armée, en distinguant le nombre de soldats, celui des officiers et celui des officiers généraux, et en spécifiant la somme nécessaire à l’entretien de cette armée. 3° L’ordre de l’avancement, en écartant l'arbitraire, sans cependant détruire l’émulation. 4° Un projet d’un code des délits et des peines militaires, qui sera soumis à la révision du comité de judicature. Quant à la milice toujours prête à recruter les régiments dans un moment de guerre, et aux gardes nationales, ces objets me paraissant être du ressort du comité de constitution, je fais la motion expresse qu’il en soit chargé spécialement, avec la liberté d’appeler, pour les consulter, des militaires, s’il croit avoir besoin du concours de leurs lumières (1). Et pour compléter toutes les parties du mili-(1) L’orateur désigne spécialement M. le marquis d’Ambly. ELEMENTAIRES. [15 décembre 1789.] 587 taire, sur lesquelles il appartient au pouvoir législatif de statuer, il est un autre objet dont je désirerais aussi que vous voulussiez bien charger votre comité militaire : ce serait de vous présenter un tarif graduel des retraites, pensions ou traitements conservés, depuis le grade de soldat jusqu’à celui de maréchal de France inclusivement, en déterminant les époques et les cas où ces bienfaits pourraient avoir lieu, ainsi que leurs quotités, ayant égard au nombre des années de service et au nombre des campagnes de guerre, afin que ceux qui auraient le plus et plus utilement servi, trouvassent leur récompense tellement tarifée, qu’ils ne pussent jamais être lésés, ni réduits à des démarches humiliantes, par la crainte de l’injustice ou par l’espoir de la faveur. Nota. Avare du temps national, et personne n’étant moins tourmenté que moi par l’intempérance de langue, j’ai terminé mon discours sans développer les articles de mon arrêté; il en est cependant un sur lequel je supplierai l’Assemblée nationale de me permettre de lui exposer quelques données préliminaires, afin d’éviter une discussion inutile, lorsque les résultats du comité seront soumis à sa délibération. Plusieurs honorables membres m’ont paru penser qu’une armée de cent cinquante mille hommes excédait nos besoins, parce qu’ils ne se sont pas souvenu que la France étant à la fois une puissance de terre et une puissance de mer; elle ne peut avoir une guerre de terre qu’elle n’en ait en même temps une de mer, qu’alors la défense de nos îles de l’Amérique et des îles de France et de Bourbon exigent une garnison de vingt mille hommes ; autres vingt mille hommes pour les garnisons de vaisseaux, et encore dix mille hommes de rafraîchissement dans nos ports de mer. Voilà donc déjà cinquante mille hommes uniquement employés à la guerre de mer. Tout le monde sait qu'on dresse un fantassin en moins de six semaines, par conséquent l’économie, pour le nombre des troupes, ne doit porter que sur l’infanterie , puisque des recrues de six semaines sont en état de servir utilement, lorsqu’on les incorpore avec d’anciens soldats; mais qu’il n’en est pas de même de celles de la cavalerie et de l’artillerie, dont l’instruction exige pour les uns trois ou quatre ans d’exercice, pour les autres, jusqu’à sept ou huit ans. Il résulte de cette vérité incontestable, et des principes admis par tous les hommes de guerre, que dans une armée bien organisée, dans une armée prête à faire face à tous les genres de guerre, l’artillerie doit être à l’infanterie comme vingt est à un, et la cavalerie comme cinq est à vingt; c’est-à-dire qu’une armée de vingt mille hommes d’infanterie, destinée à faire la guerre dans un pays tel que l’Allemagne, doit avoir mille hommes d’artillerie et cinq mille hommes de cavalerie, faisant un corps de vingt-six mille hommes. En passant maintenant à l’examen de la position géographique de la France, nous trouvons qu’elle peut avoir trois points principaux à défendre : la Flandre, l’Alsace et le Dauphiné (1). Pour éviter les subdivisions locales qui embarrassent l’esprit et l’empêchent de saisir l’ensem-(1) Je ne parie pas des Pyrénées, parce qu'il n’est pas vraisemblable que les Bourbons voudront jamais perdre un trône. 58R [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 décembre 1789.] ble, je dirai que la défense de l’armée de Flandre s’étend depuis Dunkerque jusqu’à Montmédy ; celle d’Alsace, depuis Montmédy jusqu’à Hunin-£ue; et celle du Dauphiné, depuis le Fort-Barraux jusqu’à Antibes. La frontière, depuis Huningue jusqu’au Fort-Barraux, se trouve défendue par notre alliance avec la brave et loyale nation suisse, qui nous épargne l’entretien d’une armée d’au moins soixante mille hommes. Chacune de ces trois armées, en compensant les différences qu’exigeraient les localités, ne pourrait être, l’une dans l’autre, au-dessous de soixante mille hommes, infanterie, artillerie et cavalerie, tout compris. RÉCAPITULATION. Pour le service de mer. . . . 50,000 hommes. Pour l’armée de Flandre. . . 60,000 Pour l’armée d’Alsace ..... 60,000 Pour l’arméé du Dauphiné. 60,000 trois raisons auxquelles ils auront sûrement égard. La première est, que l’Assemblée nationale en a décrété l’impression; la deuxième, que j’ai appris la langue française trop tard pour y exceller; la troisième que je fais mes écrits moi-même, et que je ne peux prendre sur moi d’y retoucher. (L’Assemblée ordonne l’impression du discours.) M. le Président. M. le baron de Wimpfen demande que M. le marquis d’Ambly soit adjoint au comité militaire. L’Assemblée décrète que M. le marquis d’Ambly est adjoint au comité militaire. M. le Président. L’Assemblée passe maintenant à son ordre du jour de deux heures et va s'occuper de l’affaire de Toulon. M. Malouet monte à la tribune et veut parler. — On lui fait observer que l’affaire a été renvoyée au comité des rapports, et que ce comité n’est pas prêt. Total .......... 230,000 hommes. En établissant cette force défensive, je n’ai pas supposé que nous la porterions sur les terres ennemies, quoique ce soit le meilleur moyen de se défendre et de ménager son propre pays : j’ai seulement voulu établir le calcul le plus rigoureux, car il me resterait encore à parler des troupes en communication, pour assurer les derrières, les convois et la retraite après une bataille erdue. Mais une armée de cent cinquante mille ommes recrutée et renforcée par quatre-vingt mille hommes de milices, suffirait rigoureusement, avec le secours des gardes nationales, dont chaque département fournirait facilement un bataillon pour le service intermédiaire. Cette ressource jointe à d’autres motifs bien connus , milite fortement pour le maintien d’une troupe qui sera justement célébrée par les historiens de la Révolution. Si quelqu’un m’objectait qu’il n’est pas vraisemblable que nous soyons jamais attaqués à la fois par tous les points que j’ai indiqués; je lui répondrai que nous ne le serons jamais dans aucun des points indiqués, ou que nous le serons dans tous ces points à la fois, parce qu’il n’y aurait qu’une ligue de toute l’Europe, qui pourrait former une entreprise contre les Francs ressuscités, et que, malgré que je ne sois nullement inquiet de la manière vigoureuse dont nous prouverions à cette ligue que l’insurrection des Français fut la résurrection des Francs en corps et en âme, il y a toujours plus à gagner à empêcher la ligne de se former qu’à la combattre, et que ce n’est pas à l’aurore de notre renaissance, que nous devons négliger cet adage, vieux comme le temps, que, pour avoir la paix, il faut être prêt à la guerre. J’y ajouterai même encore que la sécurité d’un peuple nouvellement libre, est l’avant-coureur de son indifférence pour la liberté. Ce serait donc bien impolitique que de réduire, par un esprit d’économie, l’armée fort au-dessous de ce qu’elle doit être; car si la prodigalité dévore l’avenir, la parcimonie l’étrangle. Je finis par des excuses à mes lecteurs, d’avoir osé leur présenter un discours et des réflexions aussi mal rédigés. Mes excuses sont fondées sur M. Dufraisse-Duchey, pour écarter l’ajournement, demande que l’Assemblée se forme en grand comité, pour décider sur-le-champ, après avoir pris connaissance des pièces qui peuvent avoir été renvoyées, soit par les officiers de la marine, soit par le commissaire du Roi, soit par les officiers municipaux ; et dans le cas où la décision serait impossible, par le défaut de ces pièces, que la discussion soit ajournée jusqu’à l’instant où on les aura. M. Hairac. D’où M. Malouet a-t-il eu les pièces dont il a parlé hier? Si ce sont des lettres particulières, le courrier extraordinaire envoyé par la ville de Toulon n’a donné nulle inquiétude. L’intérêt des citoyens de cette ville doit rassurer davantage encore. M. le baron de Menou. Personne n’est indifférent sur le sort de la ville de Toulon ; mais nous n’avons nulle connaissance officielle des détails sur lesquels on veut que nous délibérions. Je fais la motion expresse que le président se retire par-devers le Roi, à l’effet de savoir quelle est la situation actuelle du port de Toulon. M. Malouet. J’ai déposé au comité des rapports les pièces qui constatent les faits sur lesquels je désire fixer l’attention de l’Assemblée. Leur importance me fait insister pour qu’on délibère sans délai. Une partie de l’Assemblée persiste à demander que la délibération soit différée, jusqu’à ce que le comité des rapports ait été entendu sur l’ensemble des faits. On décide de s’occuper sur-le-champ de cette affaire. M. Malouet. Les lettres que j’ai déposées ont été écrites au ministère par M. d’André, par M. le commandant de la ville, et par l’officier qui commande le port à la place de M. d’Albert. Une fausse nouvelle a été répandue ; elle favorise l’insurrection, en donnant le prétexte de rester en armes. Les entrepreneurs du port sollicitent la résiliation de leur marché, parce que les ouvriers font des demandes tumultueuses et des menaces inquiétantes. Je demande que M. le président soit autorisé a écrire à la municipalité de Toulon qu’aucune