188 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1791. qui leur auront été soumis par le vœu uniforme des trois législatures précédentes ; de maintenir , au surplus, de tout leur pouvoir, la Constitution du royaume décrétée par l'Assemblée nationale constituante aux années 1789, 1790 et 1791, et d’être en tout fidèles à la nation, à la loi et au roi. » (Adopté.) M. Thouret, rapporteur, donne lecture de l’article suivant : Art. 8. « L’Assemblée de révision sera tenue de s’occuper ensuite, et sans délai, des objets qui auront été soumis à son examen : aussitôt que son travail sera terminé, les 249 membres nommés en augmentation se retireront, sans pouvoir prendre part, en aucun cas, aux actes législatifs. » M. Oroupillean. Je crois qu’il faudrait dire que les 249 membres, qui seront ajoutés au nombre ordinaire requis pour former le Corps législatif, seront élus par le même procès-verbal ; sans celaje vois, dans cette division, une tendance au système des deux Chambres. L’addition qui a été faite à cet article, portant que ces 219 membres ne pourront prendre part aux actes de législation, confirme mes craintes. Je demande, de plus, que les 249 membres qui, après la révision faite, devront se retirer soient tirés au sort. Voix diverses : L’ordre du jour! — La question préalable ! (L’Assemblée, consultée, décrète qu’elle passe à l’ordre du jour et adopte l’article 8.) M. Thouret, rapporteur , continuant la lecture : « Les colonies et possessions françaises dans l’Asie, l’Ali ique et l’Amérique, quoiqu’elles fassent partie de l’Empire français, ne sont pas comprises dans la présente Constitution. » (Adopté.) « Aucun des pouvoirs institués par la Constitution n’a le droit de la changer dans son ensemble ni dans ses parties. » Un membre propose d’ajouter : « sauf les réformes qui pourront y être faites par la voie de la révision conformément aux dispositions du titre VII ci-dessus. » (Cette addition est adoptée.) En conséquence, le paragraphe est rédigé comme suit : « Aucun des pouvoirs institués par la Constitution n’a le droit de la changer dans son ensemble ni dans ses parties, sauf les réformes qui pourront y être faites par la voie de la révision, conformément aux dispositions du titre VII ci-dessus. » (Adopté.) M. Thouret, rapporteur , continuant la lecture : « L’Assemblée nationale constituante en remet le dépôt à la fidélité du Corps législatif, du roi et des juges, à la vigilance des pères de famille, aux épouses et aux mères, à l’affection des jeunes citoyens, au courage de tous les Français. » (Adopté.) M. Thouret, rapporteur , donne lecture de la dernière disposition de l’acte constitutionnel, ainsi conçue : « A l’égard des lois faites par l’Assemblée nationale qui ne sont pas comprises dans l’acte de Constitution, et des lois antérieures auxquelles elle n’a pas dérogé, elles seront observées tant qu’elles n’auront pas été révoquées ou modifiées par le pouvoir législatif. » M. Salle. Je demande qu’au lieu de dire que les autres lois seront exécutées jusqu’à ce qu'elles aient été révoquées, je demande que l’on dise que « les décrets rendus par l’Assemblée constituante, auront force de loi sans avoir besoin de sanction ». Si le roi pouvait refuser la sanction même aux décrets réglementaires de l’Assemblée constituante, il s’ensuivrait qu’il pourrait refuser l’exécution précisément des décrets réglementaires les plus nécessaires, des décrets indispensables à la marche des lois constitutionnelles que vous avez établies. Plusieurs membres présentent diverses autres observations. M. Thouret, rapporteur , modifie en conséquence la rédaction du paragraphe dans les termes suivants : f Les décrets rendus pas l’Assemblée constituante, qui ne sont pas compris dans l’acte de Constitution, seront exécutés comme lois, et les lois antérieures auxquelles elle n’a pas dérogé, seront également observées, tant que les uns ou les autres n’auront pas été révoqués ou modifiés par le pouvoir législatif. » (Adopté.) M. de Saint-Martin. L’Àssembléeavait chargé son comité de l’examen de la motion tendant à insérer dans l’acte constitutionnel le décret qui abolit le droit de faire grâce. J’ignore quelle est la façon de penser de nos comités sur ce point; mais, Messieurs, ce décret est essentiellement constitutionnel. Il n’est pas possible de laisser aux législatures qui nous succéderont le droit de l’abolir, de le changer. Ainsi, Messieurs, cette seule raison qui fait un devoir aux législatures de ne pouvoir toucher à la division des pouvoirs établis par la Constitution fait, je crois, un devoir à l’Assemblée d’insérer ce décret dans l’acte constitutionnel. M. Tronchet. Messieurs, la question qui vient de vous être proposée a été discutée dans cette Assemblée avec une grande profondeur ; et il nous a été démontré qu’il était impossible, quant à présent, de pouvoir faire sur cet objet autre chose qu’une loi réglementaire. Cetie loi, vous l’avez faite, et vous avez décrété réglementairement que les jurés exerceraient, d’après des formes prescrites, le droit de faire grâce. D’après cela, vous ne pouvez pas rendre constitutionnel le décret qui interdit au roi l’exercice de ce droit; car, si la législature retirait la délégation aujourd’hui faite aux jurés, votre article constitutionnel ne pouvant être changé en même temps, ce droit n’existerait nulle part. Je demande donc la question préalable sur la motion de M. de Saint-Martin. M. Lanjuinais. Il est véritable dans la nature même des choses que le roi ne doit point avoir le droit de faire grâce. Si la législature ôte ce droit aux jurés, il restera toujours beaucoup de moyens légaux d’exercer le droit d’équité. M. Tavie. Je demande s’il est ici des hommes qui ont envie de nous faire perdre notre temps. M. Robespierre. La loi qui remet dans les 189 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1791.] mains du juré la fonction de tempérer, comme on l’a dit, la justice par l’équité, est une loi invariable, constitutionnelle, parce qu’elle estfondée dans la naiure même des choses. Ce que l’on a appelé l’équité, Messieurs, est une panie de la justice. Quoiqu’on ait séparé ces deux idées par deux expressions différentes, elles tiennent nécessairement aux mêmes principes, et il est vrai de dire que la loi n’est pas bien administrée dans une société quelconque, à moins que le juge ne pèse également et la loi et les circonstances. Deux choses constituent le crime ; le fait matériel et l’intention. Il faut donc que, pour rendre un jugement légitime, le juge pèse toujours les circonstances relatives à l’intention ; si l’intention n’existe pas du tout, il déclare qu’il n’y a point de délit *, si l’intention est légère, il déclare que le délit est moins grave. Toutes ces opérations entrent nécessairement dans le jugement de celui qui est chargé d’administrer la justice ; il est donc absurde de vouloir distinguer ces deux choses, et de supposer que le juge ne prononcera que sur le fait, et point du tout sur l’intention ; or, dès qu’un juge ne peut juger sans examiner ces deux points, puisque cela tient aux principes de la liberté et estfondée sur la nature des choses, il s’ensuit que cette règle ne peut jamais être changée dans l’administration delà justice. Il n’y a donc aucune raison de distinguer un autre pouvoir pour prononcer sur les raisons d’équité, et pour tempérer par elle les jugements rigoureux, ainsi l’on ne peut point supposer qu’il sera nécessaire de remettre au roi le droit de faire grâce. Il est évident que ce droit, d’après cet éclaircissement, ne peut être que le pouvoir arbitraire de dérober un citoyen à la juste punition qu’il a encourue par la loi. M. de Toulongeon. J’observe très brièvement que l’Assemblée peut s’apercevoir qu’un moyen sûr de gagner du temps ou plutôt de le faire perdre, c’est de répondre aux objections qu’on n’a pas faites et de tirer des conséquences de principes qu’on n’a pas posés. Le préopinant raisonne toujours comme s’il était question de donner au roi le droit de faire grâce. Il n’est pas question de cela, il est question surtout de laisser un moyen pour remplacer celui des jurés si celui-là ne suffit pas. La question est donc faussement posée. On ne laisse pas au roi le droit de faire grâce ; on dit seulement : si les jurés ne peuvent pas l’exercer, d’autres l’exerceront. Je demande donc qu’on laisse l’article. M. le Président. M. de La Fayette a demandé à répondre à M. Robespierre, il a la parole le cinquième. M. Duport demande à faire une observation au nom des comités. L’Assemblée veut-elle entendre M. Duport ? ( Oui ! oui !) (L’Assemblée, consultée, décide que M. Duport sera entendu.) M. Duport. Les faits ne sont pas tels que le préopinant vient de les exposer. Il ne s’agit pas de savoir si le roi aura ou n’aura pas le droit de faire grâce ; cela est décidé par vos decrets, et il n’est pas question d’y rien changer. Si vous voulez remplacer l’article négaiif inséré dans votre Code pénal par un article positif dans votre code constitutionnel, il se trouvera imparfait sous plusieurs rapports qui ne vous ont pas été présentés et que voici. Assurément si vous mettiez dans l’acte constitutionnel que le droit de faire grâce, qui n’est autre que le droit d’équité nécessaire à la justice, ne peut pas être donné au roi, il serait indispensable d’ajouter qu’il ne peut pas l’être non plus au Corps législatif. Eh bien, vous n’auriez encore rien fait. Je crois qu’il est facile de démontrer, jusqu’à l’évidence, qu’il faudrait dire que les juges ne pourront pas non plus avoir le droit de faire grâce. Le premier principe de l’administration de la justice, c’est que les juges soient astreints à une observation rigoureuse des luis ; ainsi, il n’y a pas d’institution sociale a qui le droit d’équité convienne moins qu’aux juges ; il est nécessaire dans un pays libre et où l’on veut que la loi seule ne soit exécutée que lorsqu’elle est rendue, que les juges soient tenus de l’appliquer rigoureusement, sans jamais l’interpréter. C’est dans cette exacte division des pouvoirs, d’après laquelle, le Corps législatif fait la loi avec le roi, le roi l’exécute, et le juge l’applique, que réside la liberté d’un pays. Si les juges interprétaient la loi ou pouvaient l’étendre, ils entreprendraient sur le Corps législatif ; récapitulons maintenant : parmi les quatre institutions auxquelles on pourrait attribuer le droit de faire grâce, il faudrait exclure le Corps législatif, le roi, les juges, il ne resterait donc plus que les jurés : dès lors vous auriez décrété constitutionnellement que le droit de faire grâce appartient aux jurés. Or, ni le comité de législation criminelle, ni l’Assemblée ne peuvent prendre sur eux de déclarer constitutionnel et inviolable un mode qui cootrarie le mode des jurés anglais et américains, un mode qu’aucune expérience ne confirme encore. ( Applaudissements .) Un grand nombre de membres: L’ordre du jour ! (L’Assemblée, consultée, décrète qu’elle passe à l’ordre du jour sur la proposition de M. de Saint-Martin.) M. Lanjuinafs. C’est ici, Messieurs, le moment de déclarer, conformément à la motion de M. Dupont, que la Constitution est terminée et qu’il ne pourra plus y être rien changé ; je demande que cette motion soit à l’instant décrétée dans les termes suivants : « L’Assemblée nationale, ayant entendu la lecture de l’acte constitutionnel et l’ayant de nouveau approuvé, déclare que la Constitution est terminée, et qu’elle ne peut y rien changer. » (Ce décret est adopté au milieu des applaudissements les plus vifs et plusieurs fois répétés de la partie gauche et des tribunes.) M. «T André. Nous demandons que la Constitution soit portée chez le roi aujourd’hui même. (Vifs applaudissements.) M. Lavie. Nous demandons que 60 députés soieut nommés par M. le président pour porter la Constitution au roi. (Oui! oui!) M. Rœderer. Je demande, au lieu de 60 membres, qu’il en soit nommé 83, un par département. (Murmures.) MM-Barnave, Le Chapelier et Alexandre de Lameth. Il n’y a pas de représentants de département ; Monsieur le président, nous nous opposons à cette motion.