[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 mars 1790.] Quercy, l’autorisation de contracter un emprunt pour le soulagement des pauvres. Cette affaire est renvoyée au comité des finances. M.Viguier, au nom de la députation delà province de Languedoc, présente un projet de décret pour la perception des impositions dans le Languedoc, pendant la présente année. L’Assemblée adopte ce projet ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale, considérant que les Etats et les administrations secondaires de la province de Languedoc sont supprimés, qu’il n’y a point de commission intermédiaire dans cette province, et qu’enfin une administration provinciale est nécessaire pour assurer l’exécution des décrets des 12 et 13 janvier dernier, qui prescrivent la forme de la perception et du recouvrement des impositions delà présente année, dans les pays d’Etats, a décrété et décrète ce qui suit: « Art. 1er. 11 sera rétabli, dans la province de Languedoc, une commission provisoire, composée de huit personnes domiciliées dans la province, et nommées par le roi : Sa Majesté sera suppliée d’en choisir une dans chacun des départements dont les chefs-lieux sont dans ladite province. « Art. 2. Il sera formé, dans chaque ville où sont les archives des diocèses, une commission secondaire et provisoire, composée du maire, de deux officiers municipaux et de deux notables, qui seront nommés par le conseil général de la même ville. « Art. 3. Les commissions établies par les articles précédents, procéderont en la forme acccrn-tumée, et sans déplacer, à la répartition des impositions de la présente année, dans lesquelles impositions ne seront point compris les traitements, pensions de retraite, gratifications et autres émoluments accordés parles anciens Etals, et par les six administrations des diocèses. « Art. 4. Lesdites commissions pourvoiront à l’entretien des ouvrages publics,, et à la continuation de ceux qui ne doivent pas être suspendus; elles pourvoiront aussi au paiement des rentes, capitaux exigibles, sans néanmoins qu’elles puissent recevoir les ouvrages ordonnés par les anciens Etats, ou par les administrations des diocèses, ni procéder à la vérification ou clôture des impôts des trésoriers, receveurs, administrateurs ou autres comptables. « Art. 5. Le bail à ferme de l’équivalent, et le règlement relatif à cet impôt, seront éxécu-tés selon leur forme et teneur. « Art. 6. Les syndics, trésoriers, greffiers, gardes des archives, receveurs et autres officiers, agents et préposés, tant des anciens Etats de la province que des administrations des diocèses, seront tenus de reconnaître les commissions établies par le présent décret, et de leur communiquer tous les titres, registres, comptes et autres documents qui sont ou qui doivent être en leur pouvoir. « Art. 7. La commission établie par l’article premier du présent décret, prendra ses séances le premier mai prochain,, dans l’Hôtel de Ville de Montpellier, mais dans le cas seulement qu’à la même époque, le commissariat établi par l’article dernier, dans les pays d’Etats, ne sera pas en activité; lequel commissariat sera subrogé à ladite commission. » M. le Président. Je donne la parole à M. Briois de Beaumetz, pour faire un rapport au nom 329 du comité chargé de la réformation provisoire de l’ordonnance criminelle. M. Briois de Beaumetz (1). Messieurs, le décret que vous avez rendu les 8 et 9 octobre dernier pour la réformation provisoire de quelques points de l’ordonnance criminelle, a donné lieu à une foule de demandes en interprétation, dont quelques-unes ont offert des difficultés réelles. Dès le 8 décembre dernier, M. le garde des sceaux, auquel on proposait de toutes parts des questions à résoudre sur la manière d’entendre et d’exécuter votre décret provisoire, s’est adressé à vous, et dans un mémoire très méthodique a classé toutes les questions sur lesquelles il lui semblait nécessaire que l’Assemblée législative voulût bien s’expliquer. Le même comité que vous aviez chargé de voua préparer le décret de réformation provisoire, a été chargé par vous d’examiner Je mémoire de M. le garde des sceaux, ainsi que les autres mémoires sur le même objet adressés directement à plusieurs de MM. les députés, afin de vous proposer sur le tout une décision conforme à l’esprit qui a dicté votre décret des 8 et 9 octobre. Déjà, au nom de ce comité, il vous a été fait par M. Tronchet un premier rapport divisé, suivant le plan adopté par M. le garde des sceaux, en trois sections, dont la première traite des notables adjoints; la seconde, des conseils de l’accusé; la troisième, de la forme de l’instruction et des jugements. Un projet d’articles suivait ce rapport. Vous avez ordonné que le tout fût imprimé avant d’être soumis à votre discussion. Nous aurions à justifier l’intervalle qui s’est écoulé entre ce rapport et le moment actuel où nous sollicitons votre attention pour un objet si digne de le fixer, si vous ne vous rappeliez, Messieurs, les différentes circonstances qui ont retardé nos travaux. MM. les adjoints de la commune de Paris ont demandé des délais pour s’assembler et former des mémoires qui vous ont été distribués, et qui ont paru à votre comité dignes de l’attention la plus sérieuse. La démission de plusieurs membres du comité a nécessité de nouvelles élections pour leur remplacement, et le comité, ainsi renouvelé, s’est occupé de revoir, d’achever et de perfectionner son ouvrage. Pendant ces délais involontaires, M. le garde des sceaux nous a écrit plusieurs fois pour nous engager à accélérer nos travaux; il nous a même proposé quelques nouvelles dispositions réglementaires, par une lettre du 4 février 1790. La publicité du rapport de M. Tronchet, et les heureux développements qui y sont renfermés, nous ont procuré les secours des lumières de différents membres de cette Assemblée, et les conseils de quelques autres bons citoyens, auxquels nous nous faisons un devoir de déclarer que nous sommes redevables de plusieurs idées, d’autant plus utiles qu’elles ont servi à simplifier et à abréger le décret que nous aurons l’honneur de vous proposer. Les lois nouvelles, celles surtout qui établissent des principes jusqu’alors étrangers à la législation d’un empire, portent nécessairement une sorte d’inquiétude parmi ceux qui doivent lesappliquer. Plus ils mettent de zèle à en observer les dispo-(1) Le rapport de M. de Beaumetz est incomplet au Moniteur. 330 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 mars 1798.] si lions, pins ils craignen t d’en méconnaître le véritable sens. Ce serait multiplier les difficultés, et non pas les détruire, que d’apposer un article interprétatif à chacun de ces scrupules. La loi, en essayant ainsi de se commenter elle-même, ouvrirait bientôt la porte à de nouveaux commentaires. C’est par des dispositions claires et précises, et en même temps étendues et généralisées, qu’elle doit prévenir plutôt que résoudre les difficultés. Elle ne doit pas aspirer à tout dire, mais elle doit décider en grand, et poser toujours des principes féconds qui écartent d’avance beaucoup de doutes et laissent subsister peu de questions. C’est ainsi, Messieurs, qu’en nous réformant d’après vous-mêmes, et d’après les observations du public éclairé, nous avons réduit au nombre de 11 les articles que nous avons l’honneur de vous proposer. Dans ce petit nombre d’articles que votre comité vous présente, vous remarquerez que, sur deux points très importants, il a varié dans son avis depuis l’époque où son premier rapport a été mis sous vos yeux. Nous' vous devons un compte particulier des motifs qui nous ont déterminés à ce changement d’opinion, et c’est à quoi nous bornerons notre exposé. Le premier objet est relatif aux adjoints. Un citoyen peut-il être contraint d’accepter celte fonction ? comment peut-il y être contraint? Ces deux questions ont dans tous les temps paru très délicates à votre comité; elles ont été discutées dans le rapport de M. Tronchet, d’une manière vraiment digne de la réputation de ce jurisconsulte célèbre, et de la confiance dont il jouit à vos yeux. Il vous a présenté, d’une part, les considérations morales qui imposent à tout bon citoyen l’obii-gation d’accepter et de desservir les emplois que la société a établis pour son utilité reconnue. D’un autre côté, il vous a représenté que la loi ne pouvait pas changer en statuts positifs tous les préceptes de la morale, et il a fait valoir les droits de la liberté individuelle, toujours si favorables. Lorsque des motifs si puissants paraissaient militer pour les deux opinions contraires, votre comité n’a pas cru devoir vous présenter un avis formé; il s’est contenté alors d’exposer ses doutes, de développer les raisons opposées, et de vous offrir conditionnellement des articles pour le cas où l’Assemblée se déterminerait à ranger les fonctions d’adjoints parmi celles qu’on ne peut refuser sans une des causes d’excusàtion légitime. Nous nous serions prudemment renfermés dans celte respectueuse attente de vos décisions, si en suivant le progrès de vos travaux, nous ne nous étions cru, Messieurs, suffisamment éclairés par les lumières que vous avez vous-mêmes répandues sur la question. Vous n’avez point décidé que les emplois municipaux, ni ceux des corps administratifs, dans les différents degrés, ni enfin les places dans le corps législatif, fussent pour le citoyen auquel on les défère, des devoirs tellement obligatoires, qu’il ne pût s’y refuser sans se rendre coupable, et s’exposer à une punition. Les fonctions d’adjoints sont dans le même ordre, et nous devons les envisager sous le même point de vue. Représenter la commune et stipuler pour elle sur un de ses plus grands intérêts, veiller à la sûreté publique, qu’un délit a troublée, et à la sûreté de son concitoyen, de son semblable, soumis à l’épreuve d’une procédure criminelle, c’est un honneur assez grand, c’est un devoir assez sacré, c’est une fonction assez touchante, pour que les bons citoyens n’aient pas besoin d'y être contraints par des lois impératives et rigoureuses. Si cet emploi n’a pas assez d’éclat pour briller aux yeux de l’ambition et exciter ses désirs, féli-citons-nous-en: mais il sera toujours accepté comme une marque d’estime honorable, par l’homme honnête et pur qui connaîtra les droits de l’humanité et les devoirs du patriotisme et de l’esprit public. C’est de ces vertus, Messieurs, et non pas de l’effet des lois pénales, que vous devez attendre que les utiles fonctions d’adjoints ne seront pas refusées; et quel homme voudrait se charger du sang de l’innocent, auquel sa préférence aurait pu épargner une injuste condamnation ? La même pensée doit vous répondre que toutes précautions pénales pour forcer les adjoints à se rendre au tribunal aux heures indiquées, seraient aussi peu convenables qu’elles seraient peu efficaces. Le juge qui a besoin d’adjoints pour procéder, doit s’adresser à la commune, et l’inviter à fournir des notables, témoins et garants de la légitimité, de l’impartialité de l'instruction secrète. Les notables ainsi dûment évoqués, c’est à la commune à s’assurer, par toutes les mesures nécessaires, qu’ils n’auront pas été vainement appelés, et qu’elle sera effectivement représentée dans cette occasion où elle a un si grand intérêt de l’être. S’il ne se présente aucun notable à l’heure indiquée, ou s’il ne s’en présente qu’ün, le juge doit, après avoir constaté leur absence par une mention expresse, procéder comme s’ils étaient présents, et laisser à l'adjoint négligent tout le reproche et tout le blâme de cette non-comparution. Deux tribunaux bien sévères se chargeront d’en faire justice, sa conscience et l’opinion publique. 11 nous semble que l’acte d’instruction n’en doit pas être retardé, et que l’absence des adjoints, dûment convoqués, n’introduit aucune nullité dans la procédure: car les adjoints ne font que suppléer la présence du public; or, dans les actes postérieurs au décret, actes où le p-ublic est admis, il n’est pas nécessaire à la procédure qu’il s’y trouve des spectateurs ; il suffit qu’il puisse y en avoir et que les portes de l’audience soient ouvertes et d’un libre accès. Il doit donc suffire avant ce décret, qu’il puisse y avoir des adjoints, et que les représentants du public aient été mis en demeure de venir le suppléer. Si vous admettez ces principes, qui nous ont paru puisés dans la nature même de l’institution, vous épargnerez à votre loi une infinité d’articles de détail dont nous avons lieu de craindre que l’exécution ne soit très difficile. Mais un point de vue qui nous paraît encore d’une toute autre importance, c’est qu’une de vos lois les plus précieuses pour la liberté, prenne pour base et pour principal appui le caractère de patriotisme, de générosité et de sensibilité de la nation, pour laquelle vous faites une constitution et des lois, et aucun peuple n’a mieux mérité d’être traité avec cette honorable confiance par ses législateurs, que celui où, pendant tant de siècles, les mœurs seules ont suppléé les lois ou réparé leurs erreurs. Ainsi nous n’hésiterons pas à vous proposer de déclarer que les fonctions d’adjoint sont libres et volontaires, et que personne ne peut être forcé à accepter cet honorable fardeau, s’il croit avoir de suffisantes raisons pour s’y soustraire, persuadés que du sein même de celte liberté, bien mieux que des lois coercitives, naîtra la certitude de voir toujours le patriotisme et l’humanité amener les bons citoyens au devant de cet utile ministère. [*3 mars 1790.1 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES Si voua jugiez, par la suite, qu’une amende légère dût être imposée à chaque, citoyen qui refusera un emploi public quel qu’il soit, et cela moins en punition de son refus, que comme une reconnaissance de l’obligation commune imposée à tous de servir la patrie et de lui consacrer leurs talents et leurs facultés, alors il serait juste que cette disposition s’étendît également aux fonctions d’adjoints. Les adjoints doivent-ils assister au rapport du jugement qui prononcera le décret? Votre comité, après avoir longtemps examiné cette question, qui a donné lieu, entre les membres qui le composent, à une grande diversité d’opinions, s’est enfin déterminé à vous proposer d’admettre les adjoints à ce rapport, comme le public, qu’ils représentent, est admis aux autres rapports dès que l’époque de la publicité est une fois commencée. Les raisons contraires à cet avis sont déduites dans le discours préliminaire de M. Tronchet, d’une manière qui ne nous laisse rien à ajouter en faveur de son opinion. Le sentiment contraire s’établit en peu de mots. Puisque le public est admis aux rapports subséquents à l’époque du décret, puisqu’il est appelé à s’assurer par ses yeux de l’intelligence et de l’impassibilité qui président à l’examen des .procédures, et qui préparent les jugements d’où dépendent l’honneur et la vie des hommes, n’est-il pas juste également, que les jugements qui doivent leur ravir la liberté, et les placer dans la situation toujours redoutable d’une accusation criminelle, soient éclairés de même par les regards des représentants du public, des dépositaires de sa confiance; afin que ceux-ci puissent attester avec quel respect scrupuleux, avec quelle sage circonspection les magistrats se préparent à prononcer sur de si grands intérêts? Alors il n’y aura aucune partie de la procédure qui ne soit éclairée par les regards vigilants des adjoints ou du public, et la malignité la plus venimeuse ne pourra pas même jeter un soupçon sur la conduite des magistrats toujours investis de cette heureuse publicité. Telles sont, Messieurs, les seules différences, quant au fond des dispositions, que vous trouverez entre le décret que nous avons l’honneur de vous proposer, et celui qui vous a déjà été soumis par votre comité. Nous espérons qu’au moyen de ce petit nombre de dispositions additionnelles ou interprétatives, il ne restera plus d’embarras dans l’exécution de votre décret provisoire des 8 et 9 octobre dernier. Il s’en faut bien cependant que nous vous proposions autant d’articles qu’il nous a été adressé ou envoyé de mémoires sur des questions relatives à ce décret ; mais nous aurions cru mal accomplir notre mission, si nous avions surchargé votre attention d’un grand nombre de consultations, auxquelles une lecture plus attentive de vos décrets fournit une réponse satisfaisante. Nous avons pensé qu’en pareil cas, il ne s’agit pas d’interpréter la loi, mais de procurer son exécution; que le corps législatif, permanent quant à son existence, mais séparé dans l’intervalle d’une session à l’autre, ne peut entretenir cettecorrespondance habituelle sur l’exécution des lois avec les magistrats des différents tribunaux, et que c’est au ministre du département de la justice à recevoir ces adresses, et à lever, par la citation de l’article décisif, des doutes qui doivent se résoudre d’après le texte de la loi. Il est un autre ordre de difficultés qui nous paraissent devoir s’aplanir par le silence seul de 3M la loi. Ce sont les propositions qui nous sont faites dans les adresses de plusieurs citoyens, magistrats, jurisconsultes ou autres, d’apporter à votre décret des 8 et 9 octobre, des changements, des additions, ou des modifications. Il n’est aucune de ces propositions que votre comité n’ait pris dans la considération la plus sérieuse ; il en a adopté plusieurs, ainsi que nous avons déjà eu l’honneur de vous l’exposer; mais il ne les a pas adoptées toutes, parce que les unes lui ont paru contrarier l’ensemble et l’esprit de votre décret, les autres lui ont semblé devoir être réservées pour le moment d’une réformalion totale et complète de la jurisprudence criminelle ; les autres, enfin, lui ont paru présenter pour tous les temps plus d’inconvénients que d’avantages réels. Entre ces propositions, il en est une cependant qu’il nous paraît impossible de passerabsolumenl; sous silence, quoique la majorité de votre comité n’ait pas voté pour son adoption; mais, comme elle a été l’objet d’une lettre particulière du ministre de la justice à votre comité ; comme elle tient à des considérations extrêmement essentielles, telles que la régularité, la véracité et l’expédition des procédures; enfin, comme elle n’a été écartée, par plusieurs membres du comité, que dans la crainte d’introduire à la fois trop de nouveautés dans une disposition simplement provisoire, nous croyons de notre devoir de vous en faire le rapport, et de prendre, sur ce point, les ordres de l’Assemblée. M. le garde des sceaux nous a demandé qu’il fût fait à l’avenir une double minute de toutes les pièces de procédure; que tous lesactesen fassent reçus par deux greffiers au lieu d’un ; que ces deux originaux, écrits en même temps, et sous la même dictée, parfaitement conformes l’un à l’autre, revêtus des mêmes preuves de leur authenticité, se servissent mutuellement de garantie, attestassent, par une certitude portée jusqu’à l’évidence, leur véracité réciproque, et fissent disparaître jusqu’à la possibilité d’une erreur de copie, qu’un jeu cruel du hasard peut quelquefois rendre très essentielle. Les avantages de cette institution ont été aperçus depuis longtemps par plusieurs magistrats, et fisse présentent sans doute à votre esprit, j’aurais pu dire à votre cœur; car, quand il s’agit du salut de l’innocence, on fait bien de prendre co-nseil.de son cœur. Ce n’est point ma propre expérience que j’ose attester ici, Messieurs ; elle ne serait pas d’un assez grand poids: mais c’est l’expérience des magistrats les plus humains et les plus consommés dans l’administration de la justice. Il n’est presque aucune de ces illustres méprises qui ont tant alarmé l’opinion publique, et accusé l’imperfection de la loi, il n’en est presque aucune qui n’eût été évitée si les juges d'appel eussent tenu de leurs mains, eussent inspecté de leurs propres yeux, les minutes du procès. C’est sur les minutes que les nullités de forme frappent les regards du juge attentif. Les copies appelées grosses, image trop souvent infidèle de la minute, font disparaître la plupart de ces défauts, et peuvent présenter, comme à l’abri de toute critique, telle procédure où peut-être abondent les irrégularités. Quand la procédure est volumineuse, l’expédition des grosses demande beaucoup de temps: le jugement d’appel est différé par ces lenteurs. Elles disparaîtraient sur-le-champ par i’euvoi d’une des minutes. L’instruction même en première instance deviendrait bien plus rapide, si le procureur du 332 [Assembléo nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 mars 1790.] roi et le rapporteur pouvaient tous deux examiner en même temps la procédure, et prendre à la fois connaissance des charges, par le moyen des deux doubles originaux. Vous avez permis aux conseils d’inspecter aux greffes les minules des procédures, et l’accusé ayant le choix du conseil, il n’est peut-être pas d’une prévoyance inutile d’obvier au cas où un conseil prévaricateur profiterait de l’inadvertance du greffier pour soustraire quelque pièce importante. L’établissement des minutes doubles réduit presque à rien cet inconvénient. Enfin, Messieurs, par votre décret du 6 de ce mois, vous avez ordonné qu’il serait sursis à l’exécution de toutes les sentences prévôlales portant peine afflictive, pour, les charges à vous adressées, en être pris telle inspection et être avisé ce qu’il appartiendrait. Déjà par d’autres décrets précédents, notamment par celui du 10 août 1789, vous aviez ordonné l’apport de toutes les procédures prévôtales, pour tâcher de connaître par leur rapprochement le foyer des troubles et des dévastations que les prévôts auraient eu à réprimer et à punir. Combien l’exécution de ces décrets ne gagnerait-elle pas à l’inspection des minutes, soit que vous vous proposiez de peser dans votre sagesse celle des jugements dont l’exécution est suspendue, soit que vous cherchiez, dans ces documentsépars, les traces d’un grand ensemble de désordres politiques et de machinations funestes ! Si vous étiez, Messieurs, effrayés, comme l’a été votre comité, par la crainte d’une innovation de plus, et de toutes les difficultés dont aucune innovation n’est exempte, vous trouveriez peut-être suifisant d’ordonner que, dans tous les cas où il y aura lieu de déplacer une procédure, ce sera la grosse qui demeurera au greffe, et la minute qui sera envoyée. Nous aurons l’honneur de vous présenter des rédactions d’articles relatives à ces différentes idées, si quelque honorable membre en appuie la proposition, et demande qu’elle soit soumise à la délibération de l’Assemblée. Ce que nous ne devons pas perdre de vue, ce que nous devons, Messieurs, vous rappeler à vous-mêmes, c’est que le décret que vous avez rendu au mois d’octobre dernier, comme celui que nous vous proposons de rendre, n’établissent qu’un ordre de choses provisoire. La justice criminelle en France s’est trop ressentie des atteintes successives portées à la liberté, elle s’est trop écartée des règles de la raison et de la justice, pour ne pas exiger une réformation complète. Déjà votre comité de constitution vous a proposé dé déclarer que la procédure par jurés en matière criminelle, sera constitulionnelle en France. Cette grande pensée, à laquelle il est bien difficile que les amis de la liberté ne se rallient pas unanimement, entraînera une refonte totale des formes de la procédure criminelle, et inlluera jusque sur la formation des tribunaux. Le code pénal, déjà si peu raisonnable, si arbitraire, si inhumain, paraîtra bien plus vicieux encore, lorsque l’établissement de la procédure par jurés en aura fait saillir les défectuosités. Toute cette partie de notre législation, qui définit les délits et leur assigne des peines, sollicite d’une manière instante les regards d’un réformateur humain et éclairé. il est temps que toute inégalité entre les citoyens d'un même empire disparaisse aux yeux de la loi qui punira les coupables; il est temps que partout des règles simples, et si faciles à saisir, qu’elles soient également connues de l’accusé e* du juge, conduisent avec certitude le glaive de la justice; il est temps qu’une sévérité sagement calculée, équitablement graduée, prenne la place d’une cruauté aveugle et inutile ; que les lois soient combinées avec les mœurs; qu’elles s’appuient sur les mœurs mêmes pour les réformer ; qu’elles ne perdent jamais de vue, qu’il vaut mieux prévenir les forfaits que de les punir, et que les supplices ont bien moins pour objet l’expiation du crime, que la leçon salutaire d’un exemple imposant. Voilà, Messieurs, ce qu’auront à faire les réformateurs de nos lois criminelles. U ne nous appartient point de prévoir si c’est par vous que cette immense entreprise doit être achevée, ou si vous croirez devoir la confier aux législatures qui marcheront après vous dans la carrière que vous leur avez ouverte par vos infatigables travaux. Après dix mois de courage, de constance et de zèle, le terme ne s’offre pas encore distinctement à vos regards. L’organisation des corps administratifs va s’effectuer sous vos yeux. Vous aurez à aplanir toutes les difficultés inséparables des premiers essais d’une si belle institution. Vous avez encore tout le pouvoir judiciaire à constituer. La partie militaire n’a été aperçue par vous que sous ses rapports les plus généraux. Le clergé, dont vous avez détruit l’antique corporation, attend de votre sagesse une Constitution et de votre justice la détermination de son sort. Vous aurez beaucouo à faire pour l’éducation nationale, surtout pour l’éducation du peuple ; caria nature lui apprend assez à détester la servitude, mais il lui faut une éducation pour savoir jouir de la liberté. Vous n’avez encore traité la finance que sous le rapport des besoins du moment. Vous devez étendre vos regards sur le passé et sur l'avenir, reconnaître la dette publique et la consolider, établir une balance durable entre les dépenses et les revenus fixes, constituer l’impôt et le répartir ; enfin vos comités de marine, de commerce, d’agriculture sollicitent votre attention pour des objets d’une haute importance, et sur lesquels il est indispensable que vous portiez une décision. Ajouterez-vous, Messieurs, un travail nouveau et 1res étendu à ces obligations, que dans les jours les plus périlleux et les plus difficiles, vous jurâtes solennellement d’accomplir avant de vous séparer? Placerez-vous l’entière reformation du code criminel au nombre des premières bases de l’édifice de la liberté? ou la considérerez-vous comme un objet de perfection que la prudence peut différer au moyen des palliatifs d’une réformation provisoire? . Il est une espèce de sobriété dans le bien même que la sagesse peut conseiller quelquefois ; et rassasiés de votre gloire, peut-être y ajouteriez-vous encore en réservant à vos successeurs celle de régénérer entièrement la législation criminelle et civile de cet empire. Mais ces réflexions mêmes sortent du cercle des devoirs que vous nous avez imposés, et nous devons nous hâter de vous présenter le petit nombre d'articles interprétatifs qui font l’objet de ce rapport. PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale, ouï le rapport à elle fait par son comité du mémoire remis par M. le garde