[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mai 1790]. 660 qui soutient l’innocence. Un décret de l’Assemblée nationale pourrait détruire les dangers de notre situation, et empêcher un incendie qui embraserait bientôt toute la France. » (Ges deux lettres sont renvoyées au comité des rapports.) L'ordre du jour est la suite de la discussion sur V ordre judiciaire. M. le Président. Dans la séance du 8 mai l’Assemblée nationale s’est arrêtée à la question relative au tribunal de cassation ou de grands juges. M. Barère de Vienzac. Messieurs, avant de discuter la question au fond, sur un sujet complexe, il me paraît nécessaire de l’analyser et de le diviser. Quand il s’agit de statuer sur la forme d’une cour judiciaire, il faut connaître les fonctions qu’elle doit remplir, car c’est delà nature des fonctions que dépendra votre jugement sur la forme sédentaire ou ambulante. Ainsi l’on demanderait : y aura-t-il une Cour de cassation et quelles fonctions lui seront attribuées? vient ensuite la question de la forme que vous donnerez à cette cour. Ainsi l’on discutera si elle sera entièrement sédentaire ou entièrement ambulante. Vous examinerez ensuite si des magistrats qui doivent non pas juger, mais prononcer s’il y a jugement et par état sont obligés de connaître le droit public et le droit privé de tout le royaume et maintenir l’esprit uniforme et général de la Constitution et des lois, seront élus à temps ou pour la vie. Il vous restera encore la grande question de savoir si c’est au peuple seul, ou au roi seul, ou par le concours de tous les deux, que les magistrats doivent être choisis. Car vous n’oublierez pas que les magistrats de cassation ne sont pas des juges ; qu’ils ne font que prononcer s’il y a ou non jugement; mais dans tous les cas, il ne faut plus se servir du mot de révision , mais de cassation. Je propose donc de décider avant toute chose que les questions seront posées en ces termes : 1° Quelles seront lesfonctions de la cour de cassation ? 2° Sera-t-elle sédentaire ou divisée en sections, pour exercer ses fonctions dans les départements? 3° Ses membres seront-ils perpétuels ou temporaires ? 4° Seront-ils nommés par le peuple ou par le roi ? M. Merlin. Je crois qu’il y a utilitéà nesepas départir de la série des questions déjà décrétées et à continuer la délibération commencée le 8 mai sur les deux questions suivantes : 1° Y aura-t-il un tribunal de cassation ou de grands juges? 2° Sera-t-il composé de juges sédentaires ou ambulants ? Je demande le maintien de cet ordre de discussion. M. le Président consulte l’Assemblée, qui décide que l’ordre de discussion précédemment adopté sera maintenu. M. Briois de Beaumelz. Messieurs, avant de décider si oui ou non, vous instituerez un tribunal de cassation, il convient de décider préalablement si les jugements rendus en dernier ressort seront susceptibles de cassation; car si ces jugements étaient définitifs, le tribunal de cassation n’aurait aucune raison d’être. M.IieChapelier.La justesse de l’observation qui vous est soumise la rend irréfutable. Je propose donc de mettre la question aux voix en ces termes : « Les jugements en dernier ressort pourront-ils être attaqués par la voie de la cassation, oui ou non ? » (L’Assemblée décrète que les jugements en dernier ressort pourront être attaqués par la voie de la cassation.) M. le Président met en discussion la question suivante: Les juges du tribunal de cassation seront-ils sédentaires ou ambulants ? M. Merlin (1). Messieurs, j’ai envisagé, sous tous ses rapports, la question importante qui vous occupe, et, sous tous ses rapports, elle m’a paru devoir être décidée en faveur de la résidence du tribunal de cassation. Mon opinion à cet égard ne peut pas être suspecte de partialité ; car, demeurant en province, j’aurais peut-être quelque intérêt particulier à ce que l’ambulance de ce tribunal fut décrétée ; mais l’intérêt de la nation, l’intérêt de la justice, l’intérêt des justiciables eux-mêmes, sont à mes yeux d’une toute autre considération, et ce sont ces grands intérêts que je crois défendre, en soutenant, en prouvant que le tribunal de cassation doit être sédentaire. Je reprends ces trois points : intérêt de la nation, intérêt de la justice, intérêt des justiciables. L’intérêt de la nation est certainement d’être une, et par conséquent de multiplier, de fortifier tous les moyens propres à lui assurer cette unité, comme de détruire ou d’écarter tout ce qui serait capable de la troubler, de l’altérer. C’est dans cette vue sage et politique que vous avez aboli ces privilèges qui, distinguant les provinces les unes des autres, semblaient en faire des Etats fédératifs, plutôt que des parties homogènes d’un grand tout, d’un tout vraiment national. C’est dans cette vue sage et politique que vous avez concentré dans un seul corps, dans le Corps législatif, le droit de faire les lois, mêmes locales, dont chaque province, chaque ville, chaque bourgade peut avoir besoin. C’est dans cette vue sage et politique que vous avez réservé à ce même Corps le droit exclusif d’établir des impôts, et que vous avez cru devoir ôter aux provinces, ci-devant constituées en Etats, le pouvoir qu’elles avaient de s’imposer elles-mêmes pour leurs besoins particuliers. Pour tout dire, en un mot, c’est dans cette vue sage et politique que, fidèles organes de la volonté nationale, vous avez déclaré que le gouvernement français est monarchique, que letrône est indivisible et que le pouvoir exécutif suprême réside exclusivement dans la main du monarque. Toutes ces dispositions tendent évidemment au même but, celui d’unir toutes les parties de l’empire par un lien commun, de rassembler comme dans un foyer toutes leurs forces et de donner à tous leurs mouvements un seul et unique point central. Mais, j’oserai le dire, si ce but important au maintien de la Constitution, ce grand but est (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. Merlin. 666 [Assemblée nationale. j manqué si aux dispositions que je viens de rappeler vous n’en ajoutez pas une qui, en établissant un tribunal de cassation, le déclare sédentaire. En effet, vous. ne pourriez rendre ce tribunal ambulant quVn le divisant en plusieurs sections, à chacune desquelles vous assigneriez un territoire composé d’un certain nombre de départements i car il est impossible que vous le réduisiez à parcourir successivement, dans sa totalité, et toujours entier, les diverses parties du royaume. C’est une vérité si frappante, que personne ne l’a encore combattue. Or, diviser le tribunal de cassation en plusieurs classes qui se promèneraient chacüne séparément dans diverses parties du royaume, ce serait évidemment se priver des grands avantages qu’on peut retirer de ce tribunal pour assurer la parfaite unité de l’empire et consolider ia monarchie. t Ce tribunal de èassatîon sera essentiellement le gardien suprême de la�oi.le conservateur des propriétés nationales, le lien commun de tous les tribunaux d’appel; et il est aisé de concevoir que tels seront effectivement ses attributs, tel sera effectivement son ouvrage, dès qu’on se Je figurera un et sédentaire. Mais si vous le divisez, si vous en éloignez les sections les unes des autres, si vous rompez la communication qui doh régner chaque jour, chaque heure, chaque minute, entre tous ses membres, alors comment voulez-vous que les propriétés nationales soient partout régies par les mêmes principes? Comment voulez-vous que les tribunaux a’appels soient partout rappelés aux mêmes règles et assujettis â la même marche? Ne voyez-vous pas que tandis qu’une section du tribunal de cassation jugera d’une manière aux pieds des Pyrénées, une autre section jugera différemment aux pieds du Mont-Jura? Ne voyez-vous pas que ce qui sera jugé, en deçà d’un fleuve, être une erreur, une contravention à la loi, sera jugé, au delà, être une vérité, une décision calquée sur la loi elle-même? Ne voyez-voiis pas qüe, par là, vous ôtez à la loi ce caractère de majesté qui lui est si nécessaire et qu’elle ne peut ni acquérir, ni conserver que par l’uniformité constante et inaltérable des oracles qu’elle prononce aux peuples? J’ai entendu objecter qu’ou pourra parer â cet inconvénient èn obligeant lesréviseürs ambulants d’envoyer au Corps législatif un extrait de tous les jugements qu’ils rêndrotii, et que, par ce moyen, te Corps législatif sera mis à portée de rectifier toutes, les diversités qui pourraient s’introduire dans l’interprétation des lois. Je réponds que l’inconvénient subsistera toujours malgré cette précaution; et, en effet, leCorps législatif pourra bien, par une loi postérieure aux jugements discordants et contradictoires de vos réviseurs ambulants, ramener les opinions à un point uniforme sur la question qui en aura été l’objet, mais il ne les y ramènera que pour i’ave-nir ; il, empêchera bien que la discordance et la contradiction ne reparaissent plus dans les jugements à rendre; mais il sera forcé de laisser subsister cette tache dans les jugements déjà rendus, et il lui sera impossible de réparer le scandale donné aux peuples par une opposition choquante entre des arrêts aussi imposants que doivent l’être ceux qui sont destinés à jugu-ies contraventions à la loi. Je réponds encore que quand il serait possible d’espérer que les réviseurs ambulants parvinssent, sans se communique!- ni s’entendre, à s’accorder [24 mai 1790.] sur la manière de juger, l’intérêt de la nation, le seul qui m’occupe eu ce moment, exigerait encore que ces juges fussent sédentaires. Pourquoi? Je l’ai déjà dit, parce que c’est le seul moyen d’ac-coututner tous les citoyens â considérer la nation comme une seule famille; parce que c’est le moyen de former, de maintenir, de consacrer, immuablement ce centre d’activité vers lequel toutes les parties de l’empire doivent sans cessé se diriger; parce que si ce n’est pas le seul, c’est au moins un des� grands moyens d’empêcher dans l’Etat toute désunion, toute scission, toute fédération particulière. Je ne sais, Messieurs, si je me fais illusion sur l’idée que j’ai du législateur d’un grand empire; mais il me semble en voir le modèle dans ne génie dont s’honorera à jamais l’Angleterre, dans ce sublime inventeur du grand'système qui, plaçant au centre du monde un corps aussi vaste que brillant, en faîl mouvoir toutes les parties au tour de ce corps, par une combinaison de forces toujours égales, qui les attire sans cesse et qui, sans cesse, les retiennent aux distances dans lesquelles lésa fixées la main toute puissante qui les a créées. Comme lui, le législateur doit, en organisant son monde politique, y établir un centre dé gravitation. Comme lui, il doit imprimer à toutes les parties de ce monde un mouvement qui le porte sans interruption vers le centre qu’il aura établi. Comme lui, il doit sentir que s’il venait à déplacer, à affaiblir à morceler son corps central, à l’instant même sort monde ne serait plus qu’un horrible chaos. Votre corps central, Messieurs, ce sont les trois pouvoirs que vous avez distingués par votre Constitution et que vous avt-z, tout en lesséparant par des limites précises, engrenés, en quelque sorte, l’un dans l’autre par les rapports que vous ayez établis entre eux et les liens par lesquels vous les avez unis. Vous n’avez pas voulu qu’il ÿ eut en France deux sections du pouvoir législatif. Vous n’avez pas voulu ; Que dis-je? Vous rravez pas pu Vouloir qu’il y eut en France deux dépositaires suprêmes du pouvoir exécutif, comment pourriez-vous donc aujourd’hui sans vous contredire, exiger que le pouvoir judiciaire suprême, le pouvoir déjuger ies jugements souverains, fût divisé eu plusieurs sections et s’exerçât par des castes ambulantes. Les Anglais j’ose le dire, Messieurs, les Anglais vous ont donné là-dessus une grande leçon, Ces hommes qu’ou nous a cités, si� souvent comme des maîtres en fait d’ordre judiciaire; ces hommes qui ont admis l’ambulance des juges ordinaires, ont senti la nécessité de rendre sédentaires les juges de cassation. C’est à leur chambre-haute qu’ils ont attribué le pouvoir exclusif de casser les arrêts qui contreviennent aux lois du royaume et assurément, il serait difficile de leur persuader qu’ils eussent mieux fait, pour leur intérêt national, de confier ce pouvoir à un tribunal errant. 2° Mais, Messieurs, ce n’est pas seuiemens l’intérêt national que j’invoque ici, je réclame encore celui de la justice, et je n’ai pas besoin sans doute, de grands efforts pour prouver que la justice serait mal rendue par des juges de cassation, distribués en sections ambulantes, , D’abord, pensez-vous que parmi les jurisconsultes les plus éclairés et, conséquemment parmi ceux qui semblent le plus destinés à remplir la redoutable fonction de juges-réviseurs, il serait facile d’eu trouver beaucoup qui voulussent accepter des emplois dont la première obligation ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mai 1790. j 667 serait de se dévouer à des chevauchées perpétuelles et de courir sans cesse de Strasbourg à Pau, de Perpignan à Dunkerque, de Marseille à Nancy, etc? Ce métier pourrait plaire à des juges fort jeunes, mais des juges fort jeunes ne seraient pas toujours de fort bons juges. Ensuite, comment distribueriez-vous les juges réviseursdans les différentes sections? Par le sort, m'a-t-on dit; et sans doute il faudrait bien prendre ce parti pour ne pas tomber dans l'inconvénient de placer un juge-réviseur au centre de ses liaisons, de ses connaissances, de tous les moyens enfin qui peuvent le corrompre ou le prévenir pour ou contre une partie. Mais alors, vous retombez dans un autre inconvénient non moins sensible, et que vous ne ferez cesser que parla refonte générale de toutes nos lois, c’est-à-dire par un travail qui ne sera probablement pas achevé dans dix ans; vous courez le risque de n’avoir dans la section destinée à réviser les procès de la Normandie et du Hainauf, par exemple, aucun juge qui ait la moindre teinture de la coutume de cetie province. Ët cependant, sans parler dès autres coutumes, je défie hautement le jurisconsulte le plus habile de bien juger une affaire d’après les lois municipales du Hainaut oü de la Normandie, s’il n’en a pas fait une étude approfondie, et si son étude n’a pas été éclairée du flambeau de l’expérience. Ënfîn, Messieurs, avez-vous assez bonne opinion de 1’uhiversalité des hommes pour croire que parmi les juges-réviseurs que vous condamnerez à une vie errante et vagabonde, il ne s’en trouvera pas quelquefois un qui n’étant que pour un mois ou deux dans un pays fort éloigné du sien et dans lequel il espérera" ne jamais retourner, écoutera avec complaisance des promesses coupables et recevra avec plaisir des dons corrupteurs quil aurait rejetés avec indignation dans le lieu de sa résidence habituelle? . Ainsi, trois inconvénients majeurs pour la justice, dans l'ambulance du tribunal de cassation : risque d’écarter de ce tribunal tous les hommes les plus dignes par ieurs lumières et leur expérience, d’y siéger avec avantage; risque de n’avoir dans chaque section aucun desjuges instruits des lois du territoire qu’elle aura à parcourir; risque d’ouvrir la porte à la corruption, en affranchissant les juges de la censure de i'opinion des hommes avec lesquels ils doivent passer le reste de leur vie. D’où je conclus qu’il est de l’intérêt de la nation que le tribunal de cassation soit sédentaire. 3° J’ajoute que tel est également l’intérêt des justiciables, et quoique dette proposition ait, du premier abord, l’air d’un paradoxe, je ne l’en crois pas moins vraie. Sans doute, il est de l’intérêt des justiciables d’être à portée des tribunaux qui doivent les juger en première instance et en cause d’appel; mais une fois leurs contestations jugées par des arrêts, il est très important, pour leur tranquillité, comme pour leur fortune, de ne pas rendre tpop faciles les moyens de faire rétracter ces arrêts. Vous le savez, Messieurs, la frénésie des plaideurs est souvent telle que s’il existait dix degrés de juridiction ils les parcourraient tous; il faut donc Jes arrêter malgré eux, il faut prévenir leur ruine en leur imposant un frein salutaire, et c’est une vérité qu’on a reconnue dans tous les temps, puisque, dans tous les temps, on a attribué, même aux juges de première instance, le pouvoir de juger en dernier ressort des affaires qui, par elles-mêmes, étaient peu importantes, quoiqu’elles pussent l’être beaucoup relativement à la fortune modiqueounulle des parties qu’elles intéressaient* Certainement on a senti que, par cette attribution, le pauvre serait quelquefois privé des moyens de faire réformer un jugement injuste, mais on a senti, en même temps, que lé mal serait plus grand encore 6i on laissait une liberté indéfinie aux appels, et l’expérience a prouvé mille fois que tel hotnme qui a obtenu un arrêt favorable dans une cour supérieure, aurait gagné infiniment, tant pour son repos que pour ses intérêts pécuniaires, si, après avoir succombé devant ses premiers juges, il avait acquiescé à sa condamnation Maintenant, je demande ce qui arriverait si vous organisiez votre tribunal de cassation dë telle manière que chaque plaideur pût y recourir de son district, ou, si l’on veut, de son départe*- ment? Sûrement, en ce cas, le riche aurait peu (Davantage sur le pauvre, l’abord du tribunal réformateur des arrêts serait facile à tout le monde, pourrait, sans de grands efforts, solliciter la réparation des injustices ou des erreurs commises par les cours d’appel; mais aussi, dans ce mêmé cas, vous faites de la voie de cassation qui ne doit être qu’un remède extraordinaire, et par conséquent, rare, vous en faites un moyen habituel et journalier de revenir contre les jugements en dernier ressort. Or, quel est le plaideur qui, trouvant à sa porte un tribunal compétent pour réformer l’arrêt par lequel il vient d’être condamné, ne s’y adressera pas, surtout si les affaires s’y expédient gratuitement par les juges ? et s’il n’a pas à payer pour ce dernier effort, que de défenseurs l’v porteront avec d’autant plus de ehaieur, que leur amour-propre sera blessé par l’arrêt contre lequel ils le presseront de réclamer, sans compter encore, pour quelques hommes de cette classe, l'intérêt qu’ils auraient de suivre dans une troisième instance un procès qui leur a déjà été si fructueux. devant le premier juge et devant la cour d’appel! L'exemple vient à l’appui de ce que j avance. Dans le ressort du parlement de Flandre, on connaît, en matière civile, une maniéré , de se pourvoir contre les arrêts, qu’on appelle révision ou proposition d'erreur et dont il résulte toujours une instance nouvelle qui se juge par le parlement iui-même, les chambres assemblées. Dans l’état actuel des choses, ces instances sont assez rares, parce que les épices les rendent énormément dispendieuses, et à peine, de vingt arrêts bien ôu mal rendus, y en a-t-il un qui subisse l’épreuve de la révision. t Mais il a été un temps, et 11 n’est pas bien éloigné, où la gratuité de la justice, établie en 1771 et révoquée en 1773, rendait cette voie infiniment commune. Gomme il n’en coûtait, pour soumettre un arrêt à ia révision, qu’une amende d’environ 200 livres et les honoraires d'un mémoire, il n’y avait pas d’affaire tant soit peii importante, dans laquelle on ne tentât Ge moyen extrême. Il n’est pas besoin de vous dire de combien de maux cette facilité d’attaquer des arrêts a été la source� Maig, va-t-on m’objecter, pouvez-vous, même dans la louable intention de diminuer le nombre des demandes en cassation, ôter au pauvre une faculté dont le riche jouira toujours? A cela, deux réponses également, simples. . D’abord, la raison veut qu’entre deux inconvé* nients on choisisse toujours ie moindre, et certainement il n’y a nulle comparaison entre l’inconvénient de laisser quelquefois subsister un 668 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 mai 1790.] arrêté injuste et l’inconvénient d’établir en France un troisième degré de juridiction ordinaire; car, c’est ainsi que j’appellerai le tribunal de cassation, dès que l’accès en deviendra excessivement facile. Ensuite, il est des moyens très simplesd’ouvrir même au pauvre le plus éloigné de la capitale, la voie de cassation contre un arrêt injuste. Pour cela, je ne veux que deux choses: La première est d’interdire toute sollicitation personnelle auprès des juges, et il ne faut pas croire qu’une pareille défense doive nécessairement être illusoire ; elle est très efficace en Hollande, et je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas lui donner parmi nous la même efficacité. La seconde, c’est d’étendre atout le royaume, de perfectionner, car on le peut, les procédés qu’on emploie avec le plus grand succès à Nancy et à Douai pour procurer aux pauvres une défense gratuite. Ce n’est pas encore le moment de vous les développer ; mais ils sont tels que je puis vous assurer qu’en rendant le tribunal de cassation sédentaire, pour le bien de la nation, pour le bien de la justice, pour !e bien des justiciables, vous ne vous priverez pas des moyens de faciliter l’abord de ce tribunal à la classe des citoyens qui excite, qui intéresse et qui mérite le plus votre sollicitude. Je conclus à ce qu’il soit décrété que le tribunal de cassation sera sédentaire. M. Goupil de Préfelu. Montesquieu a dit que le pouvoir judiciaire était le plus terrible de tous les pouvoirs entre les hommes. 11 peut en effet attaquer la loi; il peutattaquer la liberté. Anéantir un jugement.ee n’est pas juger : ainsi la cassation n’est pas une partie du pouvoir judiciaire, mais une émanation du pouvoir législatif. C’est par rapport à l’œuvre judiciaire, un hors d’œuvre, une espèce de commission extraordinaire du Corps législatif chargé de réprimer la rébellion contre la volonté générale de la loi. Des magistrats sont rebelles à la loi quand ils jugent contre laloi. Ce tribunal doit-il êtr� uni iue? Oui, c’est le seul moyen de ramener à l’unité les différents tribunaux. Si vous avez un tribunal permanent, toutes les convenances annoncent qu’il sera fixé dans la capitale. Ne craignez-vous pas qu’il ne se fasse une coalition avec les ministres? ne craignez-vous pas que la cour plénière ne se réalise? ne craignez-vous pas que ce ne soit une arme contre la Révolution? ne craignez-vous pas qu’un jour on essaie de substituer ce tribunal au Corps législatif? Le pauvre qui aura obtenu un jugement en dernier ressort se verra obligé de renoncera son droit, parce qu’il ne pourra suivre le riche hors de ses foyers. Si, au contraire, les juges sont ambulants, ils seront pour ainsi dire comme la Providence qui est présente dans tous les lieux. On vous dit que vous introduirez un nouveau degré de juridiction : oui, si vous ne définissez pas l’objet de la cassation ; si vous souffrez que le tribunal usurpe la justice et rende un jugement : mais vous déterminerez le cas, Punique cas de cassation. 11 consiste à réformer le jugement par lequel on aura contrevenu à la loi . Il semble qu’on vous présente dés juges courant coutiuuellement dans toute la France ; je propose des magistrats séant 80 jours dans le même lieu ; ainsi, qu’on se déshabitue de ces exagérations inutiles. On dit qu’il se présentera des causes importantes, des causes qui devront être jugées sur des coutumes locales Ce n’est pas cela : telle loi existe ; elle est conçue en ces termes : Tel jugement a t-il contrevenu à cette loi ? Voilà le jugement en cassation. Il est nécessaire de conserver, de remonter sans cesse le ressort delà justice ; il faut réparer sans cesse le palais auguste de la législation. Ce moyen a manqué jusqu’à présent à toutes les nations modernes: vous pouvez vous le procurer en adoptant le plan que je vais vous soumettre : Art. 1er. « Il sera établi une cour de cassation composée de quatre-vingt-trois juges, dont un sera élu dans chaque département, parmi les citoyens domiciliés dans ce département. Art. 2. « Elle sera divisée en huit sections dont cinq seront composées de dix juges, et trois de onze, en attribuant à chacune des sections un nombre de départements égal à celui des juges. Art. 3. « Chacune des sections siégera alternativement dans deux villes, assignées pour cet effet dans l’étendue du territoire donné à la section. Art. 4. « Les séances des sections se tiendront depuis le 1er mars jusquau 19 mai,etdepuis le25 mai jusqu’au 14 août. Art. 5. « Les demandes en cassation seront faites par une simple requête. Art. 6. « Dans tout arrêt de cassation, on référera en entier la loi qui aura été violée. Art. 7. « Les sections recevront pendant le cours de leurs séances les plaintes sur les abus commis dans l’administration de la justice, et il en sera dressé procès-verbal. Art. 8. « Toutes les sections se rassembleront à Paris le lar décembre et pendant trois mois, pour examiner les lois qui auront souffert des contraventions, et au sujet desquelles il y aura eu des cassations de jugements souverains ; le nombre des cassations sera indiqué. La cour de cassation fera des remarques et observations sur les lois et désignera les augmentations, suppressions et changements qu’elle jugera nécessaire de faire à ces lois. Ce travail contiendra aussi les abus dont chaque section aura eu connaissance. Il sera présenté à la législature. » (On se retire dans les bureaux pour la nomination d’un nouveau président et de trois nouveaux secrétaires.) La séance est levée à 2 heures et demie et renvoyée à demain onze heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. THOURET. Séance du mardi 25 mai 1790 (1). La séance est ouverte à onze heures du matin. M.Palasnede Champeaux, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. Il ne se produit aucune réclamation. Un de MM. les secrétaires fait la lecture ou l’énumération des délibérations ou adresses suivantes: Adresse de l’assemblée générale des électeurs du département de Maine et-Loire, qui applaudissent aux travaux de l’Assemblée nationale, et l’invitent à les continuer. Délibération du conseil général delà commune de la ville de Mantes, du 15 de ce mois, par la-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.