ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 janvier 1791.] 154 [Assemblée nationale.] posés par M. Troncliet, c’est-à-dire auquel le juré resterait maître de ne pas avoir égard , ne donnerait qu’un indice, un simple aperçu, et non pas une preuve sûre de ce qui a dû déterminer le juré, et de ce qui l’aurait déterminé en effet. Or, on a ce même indice dans les dépositions. Dans l’hypothèse où le moyen de révision consisterait à prouver le faux témoignage, et où il s’agirait de constater que le témoin a réellement influé sur la décision, le débat ne prouverait que l’une de ces deux choses : ou que le témoignage n’a pas été détruit, et, en ce cas, la déposition écrite vaut autant; ou que le témoignage aurait été rendu suspect, et, en ce cas, le débat écrit nuirait plutôt à l’admission de la révision, en prouvant que le témoin n’a pas dû influer sur le juré. Par là enfin, il ne résultera rien qui puisse décréditer, dans l’opinion publique, la haute considération que le jugement par juré doit y conserver; car de deux choses l’une: ou le jugement sera conforme aux aperçus de charges contenus dans les dépositions, et alors on pensera que ces dépositions n’ont pas été détruites par le débat; ou le jugement ne paraîtra pas conforme à ce qu’indiquaient ces aperçus de charges, et alors on pensera qu’elles ont été atténuées ou détruites par le débat. Ainsi, Messieurs, l’écriture des dépositions, telle que nous la proposons, comme résultat final des dernières conférences de vos comités, répond à tout, satisfait à tout, concilie tous les intérêts et toutes les opinions ; mais nous sommes restés convaincus que tout système tendant au delà entraînerait la destruction du juré. Nous, Messieurs, détruire le juré au moment de son organisation même! Voici ce que les Anglais, qui en jouissent, pensent de l’importance de le conserver : « Les libertés de l’Angleterre, « dit Btakstone, subsisteront aussi longtemps <« que ce palladium sera sacré, et à l’abri, non « seulement des attaques ouvertes (et qui est-ce « qui oserait à visage découvert?), mais encore « des machinations secrètes pour le miner sour-« dement, en introduisant de nouvelles formes « de jugement ..... . N’oublions jamais que les « délais et d’autres inconvénients dans notre « forme de justice sont le prix que notre nation « paye pour sa liberté dans les matières capi-« taies. N'oublions pas que les plus petites at-« teintes au boulevard sacré de la nation ébran-« levaient les fondements de notre Constitution, « et que , paraissant d'abord fort peu de chose , « elles pourraient devenir assez considérables pour « faire disparaître le juré dans les causes du plus « grand intérêt. » Eh bien, voilà aussi pour nous la mesure de notre intérêt à l’acquérir, et des efforts à faire pour consolider cette acquisition. Dans une discussion dont la matière est si féconde, il y sans doute des considérations partielles, favorables aux divers systèmes, même aux moins bons. Mais les vraies raisons sont celles qui, tirées de la nature des choses et des hommes, sont également prises de l’essence de l’institution, qui en soutiennent l’esprit, et qui en complètent l’effet. Or, des deux modes comparés ici, celui proposé par vos comités est le seul qui soit bien réellement dans la nature des choses et dans celle du juré. Ce n’est pas un intérêt peu important que celui de relever en France l’esprit civique par la vigueur du caractère moral que l’institution des jurés, aussi pure qu’il est possible, ne peut pas manquer d’établir. Chaque session de jurés montrera au peuple l’exercice de sa puissance, réveillera dans chaque citoyen le sentiment de sa dignité et de son indépendance, et, faisant sentir aux hommes le besoin qu’ils ont de l’estime et de la confiance les uns des autres, les rapprochera par la fraternité, par l’égalité, par tous les seniiments qui nourrissent et fortifient le civisme. {Applaudissements .) Est-ce là le cas d’examiner si l’on perd quelque chose de bien précieux en perdant quelques avantages, d’un intérêt secondaire, attachés à l’ancienne méthode? Il faut voir dans l’ensemble ce qu’on gagne à être aussi délivré de ses abus, et, surtout, ce qu’on gagne par la prépondérance en masse des avantages du juré. Il faut voir, enfin, de la hauteur où notre Constitution nous élève au-dessus de l’Angleterre, combien il serait rapetissant de n’oser l’imiter que gauchement et mesquinement dans la seule institution qui entretient dans ce peuple l’esprit et l’amour de la liberté, qui le rend enfin ce que nous lui avons si longtemps envié d’être. Qui nous arrêterait donc? Le doute sur l’assentiment national? Eh! ia nation française a si bien prouvé depuis dix-huit mois qu’elle saisit avec reconnaissance tout le bien qu’on lui démontre, et que, mûre pour la liberté, elle est capable de tout ce qui la fonde et la soutient ! L’hésitation viendrait-elle de nous? Non, Messieurs, ce n’est pas encore en cette circonstance qu’il sera prouvé à l’Europe jalouse des succès de cette Assemblée qu’elle ait usé ses forces, et qu’elle ait dégénéré de sa primitive énergie. Votre délibération confondra ses calomniateurs. PROJET DE DÉCRET. 1“ Les dépositions des témoins seront faites et reçues par écrit, savoir : devant les officiers de police, pour ceux des témoins qui y seront produits; et devant le directeur du juré d’accusation, pour les témoins qui, n’ayant pas comparu devant l’officier de police, seront amenés d’abord devant le juré d’accusation. 2° Les nouveaux témoins que l’accusateur voudra produire encore devant le juré de jugement, ainsi que les témoins de l’accusé, seront entendus d’abord, et leurs dépositions écrites devant un des juges du tribunal criminel. 3° L’examen des témoins et le débat seront faits ensuite devant le juré de vive voix et sans écrit, après la lecture publique qui sera faite de toutes les dépositions, et ils serviront seuls à la conviction. ( Applaudissements .) (La suite de la discussion est ajournée jusqu’à ce que le discours de M. Tbouret ait été imprimé et distribué.) — Un membre du comité d'aliénation propose le projet de décret suivant, qui est adopté : « L’Assemblée nationale, sur le rapport, qui lui a été fait par son comité d’aliénation des domaines nationaux, des soumissions faites suivant les formes prescrites, déclare vendre les biens nationaux dont l’état est annexé aux procès-verbaux respectifs des évaluations ou estimations desdits biens, aux charges, clauses et conditions portées par Je décret du 24 mat 1790, et pour les sommes ci-après, payables de la manière déterminée par le même décret ; savoir : [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 janvier 1791. J 155 « Àla municipalité d’Orléans, département du Loi-« Le tout ainsi qu’il est plus au long détaillé dans les décrets de vente et états d’estimation respectifs annexés à la minute du procès-verbal de ce jour. » M. E.e Couteulx de Cantcleu donne lecture de la lettre suivante adressée au président de l’Assemblée par M. Amelot, commissaire du roi pour la caisse de l’extraordinaire : Paris, le 10 janvier 1791. « Monsieur le Président, « Avant la nouvelle division de la France, et jusqu’au moment de l’organisation des nouvelles administrations, je n’ai rien négligé vis-à-vis des anciennes pour accélérer les opérations relatives à la contribution patriotique, et j’en ai successivement mis les résultats sous les yeux du comité des finances de l’Assemblée nationale. « Aussitôt que les départements ont été mis en activité, je me suis occupé du soin de fixer essentiellement leur attention sur cette partie intéressante de leur administration, et je les ai engagés à presser vivement la confection des rôles et leur mise en recouvrement ; enlin, je leur ai demandé, par une lettre du 12 octobre dernier, de m’adresser promptement le bordereau général dans la forme qui leur avait été indiquée, pour connaître les ressources que l’on pouvait attendre de la contribution patriotique dans chaque département, le montant total de chaque rôle, et sa division par les trois époques de payement. « Malgré mes instances, plusieurs fois réitérées, Monsieur le Président, et celles de la section du comité des finances, chargée de la contribution patriotique, qui ne cesse par son zèle de seconder mes efforts, je n’ai encore pu me procurer qu’une partie de ces bordereaux, et je ne puis, dans ce moment, présenter à l’Assemblée nationale un résultat aussi satisfaisant que j’avais lieu de l’espérer; je vous prie cependant, Monsieur le Président, de vouloir bien mettre sous ses yeux les trois tableaux que j’ai l’honneur de vous adresser. L’un de ces tableaux fera connaître le résultat par département, et le montant total des bordereaux qui me sont parvenus jusqu’au 31 décembre dernier. On y remarquera ceux des corps administratifs qui n’en ont point encore fourni, et ceux dont le zèle mérite d’être distingué. Dans le second tableau, l’Assemblée verra, d’après la correspondance, les motifs des retards qu’éprouve la confection des bordereaux, l’espoir que donne plusieurs départements qui n’en ont point encore adressé, et ceux qui n’ont encore fait aucune réponse aux demandes réitérées qui leur ont été faites depuis le 12 octobre dernier. « Enfin, Monsieur le Président, le troisième de ces tableaux mettra l’Assemblée à portée de juger de la situation des recouvrements, d’après les anciens arrondissements de recettes, qui ont subsisté jusqu’au 31 décembre. « J’ai l’honneur d’être, avec respect, Monsieur le Président, votre très humble et très obéissant serviteur. « Signé : AmELOT. » M. Le Clouteulx de Lantelen. Les tableaux de la situation de la contribution patriotique, qui ont été mis sous vos yeux jusqu’à ce jour, ont été faits par généralités et pays d’Etats;, ils présentaient, d’après un relevé de déclarations, un total de 107,690,891 livres. L’administration de cette contribution se suit actuellement avec les départements, et les états de situation vous en indiqueront la position dans chaque département. Cette position n’est plus présentée d’après les déclarations, mais d’après les bordereaux d’assiette. D’après cette nouvelle disposition, M. Amelot vous présente, Messieurs, trois tableaux : ils mériteront votre attention, vu les détails intéressants qu’ils contiennent, la clarté, l’intelligence avec lesquelles ils sont dressés. Un de ces tableaux présente le nombre de municipalités par chaque département. Les quatre-vingt-trois départements contiennent quarante-quatre mille huit cent vingt-huit municipalités. Au 31 décembre, les départements n’avaient encore envoyé les bordereaux d’assiette que de treize mille quatre cent cinquante-quatre municipalités ; ainsi il y a trente-un mille trois cent soixante-quatorze municipalités en retard. Les bordereaux des treize mille quatre cent cinquante-quatre municipalités en règle présentent une assiette de contribution de 31,919,899 livres 1 sou. Paris n’y est pas compris. La section de votre comité des finances, char-