[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (10 mai 1791.| 794 il donne, il vend la superficie moyennant une somme, c’est-à-dire le* bâtiments, en un mot ce aui entre dans la propriété de la superficie, mais ne vend cette superficie que sous la faculté d’un rachat. Il faut d’abord vous observer que ce contrat, qui, dans sa simplicité se réduit à ces inconvénients-là, est un contrat mixte, c’est-à-dire, que d’un côté il n’est qu’un bail à ferme du fonds, et que de l'autre il n’est qu’un bail, à faculté rache-table, de la superficie; mais ce contrat si simple en lui-même, et existant avant la féodalité, de l’aveu même de la société d’agriculture, s’est invicié, pour ainsi dire, du vice de la féodalité. De là est venu que les seigneurs se sont arrogé des droits de seigneurie et de féodalité, tels que la suite au moulin, la suite à la justice, l’obligation de percevoir leurs corvées, comme les autres sujets. On peut donner deux preuves invincibles, que c’est à la féodalité qu’il faut attribuer ces vices : la première, c’est que ce ne sent pas seulement les seigneurs qui ont des domaines congéables : il y a en Bretagne des propriétaires qui n’ont aucun principe de fief, et ces propriétaires n’ont, à raison de leurs domaines congéables, aucun des droits que les seigneurs se sont attribués. L’autre preuve existe dans les usements mêmes; car les usements disent que le domanierqui habite dans la seigneurie est sujet à tous les droits, comme les autres, mais que celui qui tient un domaine congéable dans la seigneurie sans habitation n’y est pas sujet. Ces droits sont donc purement personnels? Voilà, Messieurs, l’état général des choses. Voici maintenant le3 deux questions qui se sont élevées. Peut-on laisser subsister ces aroits, alors qu’ils n’ont eu pour principe que la féodalité, et qu’ils ne dérivent point de la convention libre? C’est une question qui n’en peut pas faire une ; et quoiqu’on vienne de vous dire que le comité retenait les domaniers dans toute la sujétion de la domanialité, tous ceux qui ont lu le projet sont à portée de donner le démenti le plus formel à cette observation-là, parce que nous abrogeons absolument tout ce qui est étranger au contrat et tout ce qui a son principe dansla féodalité de la seigneurie. Voici l’autre question qui s’est présentée. Les domaniers ont prétendu qu’ils dt-vaient devenir propriétaires du fonds, et que pour cela ils devaient avoir le droit de racheter la rente qu’ils faisaient, et d’acquérir par là la propriété du fonds ; tandis qu’ils ne sont que fermiers du fonds, tandis qu’ils n’ont, quant à la superficie, qu’une propriété à perpétuité rachetable. On s’est beaucoup récrié sur les abus, et on a eu raison: il faut les anéantir ces abus; mais en les anéantissant il faut respecter le droit sacré delà propriété; ainsi la véritable question à traiter est de savoir si le domanier, qui n’a qu’une propriété rachetable, peut forcer le propriétaire de lui céder sa propriété, en lui remboursant une rente qui, de l’aveu de tout le monde, n’est jamais dans la proportion de la propriété. J’ai dit qu’il étaitimpossible d’ajourner la question; et je le dis, d’après l’hypolhè-e même des insurrections et de l’agitation qui peuvent exister dans le pays. Vous ne pouvez laisser les choses dans l’état où elles sont, surtout quant aux abus ; car alors les redevables se refuseraient à payer. Loin de porter la paix dans ces contrées, vous y porteries l’insurrection et le trouble, voua met* 1" Série. T. XXV. triez les propriétaires fonciers aux mains avec les colons. 11 faut décider ce que c’est que ce contrat; il faut voir si pour l’avenir ce doit être un contrat libre au lieu d’un contrat coutumier. On ne peut laisser les choses dans cet état d’incertitude; en conséquence je conclus 4 ce que l’Assemblée passe immédiatement à l’examen du projet de décret. M. Defermon. Il existe, dans les domaines nationaux, qui sont en vente, plusieurs domaines congéables. Or ces domaines, dans l’état d’incertitude actuel, ne sont pas susceptibles d’être vendus, ce qui porte un préjudice considérable à la chose publique. A ce premier motif il s’en joint un autre; c’est que, pendant cet état d’incertitude, il y a des baillées qui viennent à échoir. Le propriétaire donne d’un côté de nouvelles baillées ; de l’autre, le colon se refuse au congément. De là résultent des discussions qui ont déjà eu, dans plusieurs parties, de3 suites très fâcheuses. Il faudrait donc au moins une décision provisoire; et vous aurez aussitôt pris une détermination définitive. J’appuie donc la motion du préopinant. M. le Président. Je mets aux voix la motion d’ajournement du rapport sur les domaines congéables. (L’épreuve a lieu.) M. le Président. L’Assemblée décrète que le rapportsera fait sur-le-champ; en conséquence, la parole est à M. Arnoult, rapporteur des comités. M. Arnoult, ou nom des comités de féodalité , de Constitution des domaines, et d'agriculture et de commerce. Messieurs, 3 départements considérables vous sollicitent, depuis longtemps, de purger leurs contrées des vices de la féodalité. Ces départements sont ceux du Finistère, des Côtes-du-Nord et du Morbihan. Il existe dans ces contrées un genre de location, connu sous le nom de bail à convenant , ou bail à domaine congéable. Ce bail, purement volontaire dans son origine, n’avait été soumis à d’autres lois qu’à celles que la liberté sociale autorise, qu’aux stipulations des parties contractantes, éclairées par leur intérêt mutuel, excitées même par l’intérêt plus impérieux du bien public, et de l’utilité générale. Il parait, en effet, que l’ancienne Armorique, destinée par la nature à une éternelle stérilité, doit sa première prospérité à l’usage du bail à convenant. Quatre siècles s’écoulèrent sous ce régime bienfaisant avant l’établissement du régime féodal. Alors, l’état des Armoricains était celui que vous venez de rendre à tous les habitants de l’Empire : l’égalité civile, la liberté des couventions, la franchise des propriétés. Qu’il me soit permis, Messieurs, d’arrêter un moment votre attention sur cette époque reculée : elle vous offre le monument le plus certain, le plus précieux peut-être, l’ancien état des Gaules avant et depuis l’invasion des Germains. Des preuves non suspectes établissent que le cultivateur armoricain louait alors la propriété d’autrui pour la mettre en valeur, qu’il fixait la durée de la location, qu’il en réglait le prix, qu’il stipulait l’indemnité qui lui serait payée, si son industrie enrichissait le soi. Ce cultivateur n’était donc ni l’esclave du propriétaire, ni le serf de la glèbe; car l’esclave et le serf obéissent à leur maître, mais ne stipulent point avec loi. 46 (Assemblée nationale.) AÜCU1YES PAALEMENTA1KES. 110 mai 1791.) 722 La féodalité fut établie et la liberté di6parut. Les Armoricains défendirent vainement ce trésor précieux; il fallut céder à la loi du plus fort et recevoir, d’un usement bizarre et injuste, les conditions auxquelles il serait permis à l'avenir d’arroser de sa sueur un terrain ingrat. A peine l’aurore d’un jour plus heureux s’est montrée sur l’horizon français, que les cultivateurs bretons ont réclamé leur antique indépendance. Leur vœu, consigné d’abord dans les cahiers des bailliages, s’est manifesté chaque jour dans de nouvelles pétitions. 11 est temps enfin de procurer à nos braves concitoyens l’avantage qu’ils ont si efficacement contribué à nous assurer. Pour vous mettre en état de prononcer sur le sort des domaines congéables, il faut vous faire connaître la nature de ce contrat ; ce qu’il tient de la volonté des parties contractantes ; ce que l'abus de la puissance féodale parait y avoir ajouté ; son utilité, ses vices ; ce qu’il peut avoir d*avantageux pour le propriétaire, pour le cultivateur, pour l’intérêt même de l’agriculture. Cette exposition exige de ma part la traduction de plusieurs termes inusités, et le développement de divers usages qui ne sont connus que sur les côtes de l’océan britannique. J’ai besoin d’indulgence, non pour la chose, mais pour moi : j’ose vous prier de m’en accorder. Le contrat usité en Bretagne sous le nom de domaine congéable, réunit deux genres de transactions très différents, la location et la vente. Le propriétaire désigné dans cet acte sous le nom (le foncier, abandonne au colon, que l’on nomme domanier, la culture de sa terre pour un temps déterminé, et moyennant un prix convenu, lequel est payable chaque année : cette première convention est un véritable bail à ferme. Mais, par le même acte, le foncier vend au domanier, pour une somme fixe une fois payée, les bâtiments nécessaires à la desserte du sol, les clôtures, les canaux, les fossés, les plantations et tous les ouvrages d’art qui augmentent la valeur de la terre. L’aliénation de tous ces objets qui reçoivent le nom d'édifices et superfices, est ce qui constitue la vente. Pour saisir avec précision la nature et les effets de deux conventions qui paraissent être si différentes, et qui cependant ne forment qu’un seul contrat, il est important de connaître ce qui se passe entre le foncier et le domanier, lorsque le moment qui termine leur association est arrivé. Alors le foncier est le maître de reprendre son domaine ; et en ce cas le domanier est tenu de lui rétrocéder les édifices et superlices, suivant la prisée de leur valeur actuelle. Je me sers du terme rétrocéder , parce que pendant la durée du bail Je domanier exerce sur ces objets les principaux droits d’un véritable propriétaire: il peut les vendre, ils peuvent être saisis réellement par ses créanciers, ils se partagent comme immeubles entre ses enfants, ils sont sujets au douaire de sa femme. La déclaration faite au domanier par le foncier, qu’il entend retirer 6on domaine de ses mains, s'appelle congêment. Communément le domanier n’est pas congédié ; mais il se fait à l’expiration du bail une nouvelle convention entre le foncier et lui, par laquelle sa jouissance est prorogée pour un espace de temps déterminé : ce second contrat s’appelle baillée. Pour l’obtenir, le domanier paye une somme fixe que l’on nomme commission. 11 arrive souvent aussi qu’après l’expiration du bail ou de la baillée, le colon continue à jouir sans se procurer un nouveau titre. Cette tacite reconduction a été assujettie à des règles que j’aurai bientôt l’honneur de vous expliquer. Jusqu’ici, Messieurs, vous n’apercevez dans le bail à convenant rien qui blesse ni les principes de la liberté sociale, ni les règles de la justice civile. Vous sentez même combien cette espèce de contrat, devenu général, dans l’ancienne Armorique, a dû favoriser les progrès de l’agriculture. Là, le colon, associé à la propriété du sol, a dû se livrer au travail avec sécurité. Certain de conserver le prix de ses avances, propriétaire de ses défrichements, de ses plantations, de ses prairies factices, de ses clôtures, plus il ajoutait a la valeur du domaine, moins il craignait d’en être expulsé. Que si le caprice d’un foncier avare le forçait à rétrocéder une propriété qu’il avait enrichie, il était sûr qu’un propriétaire plus sage se hâterait de l’attirer sur son domaine, en lui offrant des conditions plus douces. La féodalité anéantit cette heureuse économie. A peine fut-elle établie, que le feudataire armoricain voulut comme les feudataires français, bourguignons, auvergnats, avoir des sujets, des hommes, des esclaves; il obligea le colon, qui cultivait librement sa terre, à suivre sa justice et son moulin, il l’assujettit à des corvées personnelles, il restreignit les effets de sa propriété sur les édifices et superfices : il exigea que les enfants du domanier partageassent inégalement un bien que leur père devait à la réunion de leur travail, la déshérence fut établie dans la ligne directe contre les frères et leur postérité, l’échute et la main-morte, sous le uora de que - vaise, passèrent de l’orient et du midi dans cette malheureuse contrée. Ce n’est pas tout : par une bizarrerie inconcevable, le nom de bail à convenant fut conservé ; mais toutes les conditions, auxquelles l'agriculture devait sa prospérité, furent perverties ; les défrichements furent assujettis à un droit de cbampart, les plantations d’arbres fruitiers ne reçurent lors du congêment d’autre valeur que celle du bois de chauffage; il fut interdit au colon de vendre à des étrangers le fruit de son industrie, ou bien cette faculté fut assujettie à un droit de mutation ; il lui fut défendu d’améliorer son habitation, et de construire les édifices nécessaires à la conservation de ses récoltes ; il finit enfin par être enchaîné sur le sol fécondé par ses sueurs ; car s’il laissait passer le terme fatal fixé par le bail, le foncier s’attribuait le droit de congédier à son gré, sans que l’infortuné domanier pût se retirer à moins qu’il n’abandonnât gratuitement ses édifices. Non que toutes ces vexations aient été réunies ensemble sur le même point et dans tous les cantons : quelques-unes sont communes à tous les usements, c’est-à-dire, à toutes les contrées où le bail à convenant est usité : d’autres, telles que l’écbute, la quevaise, le partage inégal, n’ont été admises que dans quelques cantons; et ce qui vous paraîtra peut-être étonnant, c’est dans le patrimoine de l’église, c’est dans l’apanage des anciens princes de Bretagne, que les usages les plus odieux ont été ou établis avec plus de dureté, ou conservés plus longtemps. Lorsque la tyrannie des grands feudataires força nos rois à relâcher les chaînes du peuple, pour s’en faire un appui, les cultivateurs armoricains gagnèrent peu à ce grand changement : ce moment était favorable pour rétablir la li- I A* semblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 10 mai 1791-1 7t) berté des conventions agricoles; mais oo sait que, si la puissance des grands vassaux fut énervée par rétablissement ue la justice royale, les ministres de cette justice consacrèrent avec soin les droits utiles, usurpés par le régime féodal ; les coutumes locales furent successivement rédigées par ceux mêmes qui avaient établi les abus ou qui en prolitaient; les agriculteurs bretons, libres avant l’établissement des fiefs, opprimés depuis par la loi du plus fort, virent enfin changer eu statuts coutumiers, sous le nom d’use-ments, les usages arbitrages auxquels ilsavaient été forcés de se soumettre pendant tant de siècles. Une singularité frappante dan3 celte longue série d’événements est celle-ci : en empruntant des pays coutumiers toutes les charges dont la féodalité avait accablé la classe agricole, les propriétaires bretons ont toujours conservé le caractère principal du bail à convenant; toujours le foncier a loué la culture de ses terres pour un temps limité, et vendu les édifices et supertices, à la condition d’y rentrer à la même époque. Tel est, Messieurs, l’état où se trouvaient les cultivateurs des départements du Finistère, des Côtes-du-Nord et du Morbihan, au momeut où vous avez supprimé le régime féodal. Vous formâtes alors un comité qui fut spécialement chargé de distinguer, dans les ruines de cet antique édifice, ce qui constituait une propriété réelle, de ce qui, u’ayant été établi que par la force, était un attentat à la liberté. Ce comité ne pouvait manquer de s’occuper du domaine congéa-ble; vous lui aviez d’ailleurs confié cette mission spéciale par un décret particulier; je dois vous rendre compte de ce qu’il a fait pour la remplir. Les cris, élevés contre les abus que je viens d’indiquer, avaient précédé la réunion de l’Assemblée nationale, les décrets du 4 août les ranimèrent et leur donnèrent une nouvelle énergie. D’une part, les domaniers, considérant la terre qu’ils cultivent comme leur propriété, crurentque la prestation annuelle que reçoit le foncier n’était qu’un cens ordinaire; ils ne doutèrent pas qu’ils ne dussent être délivrés sans indemnité des corvées, des banalités, de réchute, de la quevaise; mais ils pensèrent aussi que vos décrets leur assuraient le droit d’acquérir la pleine propriété des fonds qu’ils cultivent, en remboursant le capital de la somme annuelle payée au foncier. D’autre pari, les fonciers ont réclamé pour eux le droit sacré de la propriété. Ils ont invoqué, contre la prétention des domaniers, la loi du contrat fait avec eux; ils ont été plus loin : regardant les obligations personnelles imposées au colon comme le prix d’une convention purement volontaire, quelques-uns d’eux ont prétendu que ces charges devaient encore subsister, ou ne pouvaient être supprimées sans indemnité. De nombreux écrits ont été remis des deux parts à votre comité pour étayer l’un et l’autre système. Des deux parts, des députés extraordinaires sont venuâ défendre la cause de leurs commettants, chacun a fait valoir les principes consacrés par vos décrets, le droit inviolable de la propriété, le droit non moins sacré de la liberté personnelle. L’intérêt social, celui de l'agriculture, les égards que mérite une grande population, tous les moyens possibles ont été tentés : on ne nous a pas même dissimulé qu’une satisfaction incomplète ne calmerait pas les domaniers, excités par l’espoir d’obtenir enfin un triomphe éclatant sur ceux qu'ils regardent comme leurs oppresseurs. Vous n’avez pas ignoré, Messieurs, que des causes étrangères ont contribué à aigrir les do-manierr. Vous avez voulu que leur intérêt fût discuté avec la plus grande maturité. Vous avez en conséquence ordonné à votre comité de Constitution d éclairer de ses lumières le zèle et l’activité de votre comité féodal. Nous-mêmes, convaincus, par nos propres réflexions, de l’importance du sujet, sous tous ses rapports, nous avons demandé le secours du comité d’agriculture; nous avons aussi invité le comité des domaines à prendre part à notre travail qui n’était oiot étranger aux biens devenus nationaux. nfin, pour ne rien omettre de ce qui pouvait servir à notre instruction, le comité d’agriculture a cru devoir consulter la société royale d’agriculture dont nous avons reçu l’avis motivé avec autant de circonspection que de solidité. C’est à l’aide de tous ces secours que nous avons entrepris la réforme des usemenls bretons. Nous y avons ajouté un examen sérieux du texte, nous l’avons conféré avec les baux et les baillées qui depuis plusieurs siècles constatent les droits respectifs des fonciers et des domaniers. Nous avons discuté tous les articles du projet que oous avons l’honneur de vous offrir, en présence des députés extraordinaires; et si tous ces articles n’ont pas eu leur approbation unanime, aucunes des observations qu’ils nous ont faites n’ont été négligées. 11 me reste, Messieurs, à vuus présenter les principaux motifs de notre opinion. Parmi les questions qui nous ont occupés, la première et la priucipafe a été celle de savoir, à qui, du foncier ou du domaQier, appartient la propriété du sol donné à bail à convenant. Cette question ne nous a point paru problématique. Tous les contrats passés entre le foncier et le domanier, portent que le foncier donne et que le domanier reçoit le domaine à titre de bail pour uu temps limité. A la vérité, le foncier vend les édifices et su-per lices au domanier; mais premièrement, celte vente particulière ne change point la nature du contrat relatif aux terres arables. Secondement, cette vente est soumise à l’action du réméré , et le terme de cette action est précisément le même que celui du bail. La vente des édifices et soper-nces n’est donc pas une vente parfaite; c’est un simple engagement dont l’effet se borne à encourager le cultivateur; mais qui ne lui transfère point la propriété incommutable de la chose vendue. A plus forte raison le domanier ne peut-il prétendre la propriété des prés, des terres arables, des terres hermes, de tous les objets qui ne lui sont cédés qu’à titre de simple bail. Son titre s’élève contre une telle prétention; ce qui n’est donné que pour uo temps limité, à titre purement précaire, et sous la condition expresse d’en abandonner la jouissance au terme convenu, n’a certainement aucun des caractères d’une véritable propriété. Non seulement tous les baux qui nous ont été communiqués offrent la preuve de cette vérité essentielle, on la retrouve encore dans tous les usements; et si comme tous les intéressés en conviennent, le bail à convenant existait avant l'établissement du régime féodal, il n’est plus possible d’élever le moindre nuage sur la nature d’une transaction dont les principaux caractères se sont conservés pendant tant de siècles. Mais, en rendant hommage au droit des fonciers, noua n’avons pu méconnaître les abus 714 lAisembLée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. )10 mai 1791.) dont le régime féodal avait infecté l’association volontaire de la culture et de la propriété. C’était, s'il m’est permis de m’exprimer ainsi, à départir ces abus, pour rendre au bail à convenant sa pureté primitive, que la mission du comité féodal devait peut-être se borner. Nous avions cru d’abord qu’il suffisait pour cela de supprimer tous les usements, et de laisser aux parties le soin de régler entre elles leurs intérêts divers. Mais nous avons bientôt senti que, s’il était plus aisé de détruire que de réparer, l’intérêt commun des fonciers et des domaniers, celui de l’agriculture, le repos même des habitants des 3 départements, nous imposaient la loi de découdre leurs anciens usements, non de les déchirer. Pouvions-nous, en effet, vous proposer une suppression dont le moindre inconvénient aurait été d’exposer tous les propriétaires à manquer tout à coup de cultivateurs, ou les cultivateurs à demeurer sans occupations? Pouvions-nous livrer subitement tous les fonciers et tous les domaniers aux discussions qu’entraînerait un congément universel ? Une telle révolution pourrait entraîner des événements sinistres, qu’il nous a paru sage de prévenir. Nous avons donc réuni nos efforts pour conserver l’usage du bail à convenant en le conciliant tout à la fois et avec les principes de l’ordre social et avec les règles de l’équité. Nous n’avions plus à nous occuper des droits de justice, de la mainmorte ou quevaise , de réchute, du partage inégal, de toutes ces prérogatives que vous avez anéanties, et que nous ne rappelous dans le projet de décret que pour indiquer en même temps Pacte souverain qui les a proscrites. L’état actuel du bail à convenant nous offrait une question plus étrangère à vos décrets, et dont la solution n’en dérive que par une induction qui peut paraître problématique. Presque tous les baux actuels contiennent, de la pari du domanier, une soumission générale à l’usement de la contrée qu’il habite. Cette soumission suffit-elle pour l’astreindre, à l’avenir, aux corvées personnelles, aux banalités, aux droits de mutation, à toutes les charges que vous avez supprimées sans indemnité, à moins qu’il ne fût prouvé qu’elles ont été le prix de la concession du soL? Quelques fonciers ont prétendu qu’elle devait produire cet effet. Oa n’apas manqué de réclamer, en leur faveur, la nature même du contrat, dont le caractère principal consiste dans la tradition d’un sol quelconque. Cette raison serait décisive, sans doute, si les corvées, si la condition de suivre le moulin du foncier, avaient été stipulées dans un bail pur et simple, indépendant de toute loi coutumière ; mais nous n’avons pu voir, dans la stipulation générale réclamée par les fonciers, qu’une soumission forcée aux usements, que la reconnaissance vague et inconsidérée oe diverses prérogatives que vos décrets ont abrogées. Cette vérité ne peut être contestée, relativement à la suite de la justice, à l'échute, à la quevaise, au partage inégal. Or, qui peut douter que les autres obligations prescrites par les usements n’aient pris leur source dans le principe féodal d’oû celles-ci ont été dérivées? Qui peut croire qu’un bail purement précaire, qu’un simple engagement dont la durée est restreinte à un temps très court, soit compatible aveô la stipulation du lod, avec celle des corvéea personnelles , avec la banalité ? Nous n’avons pu voir, dans la soumission aux. use-meuts, ce calcul libre et éclairé qui dirige la volonté légale du soumissionnaire; nous avons pensé que le retour de la liberté devait dissiper, en Bretagne, les erreurs coutumières qu'il a détruites dans les autres contrées de l’Empire ; et nous n’avons pas cru qu’il fût possible de conserver une partie des obligations prescrites par les usements, et de rejeter les autres, après avoir détruit la cause qui leur est commune. Cependant nous avons pensé que l’obligation de conduire, au domicile du propriétaire, la portion annuelle qu’il s’est réservée, dans les fruits de son domaine, devait être exceptée. Cette obligation, usitée dans tous les baux, dans toutes les contrées du royaume, prescrite par la nature de la transaction, avantageuse aux deux parties dont elle resserre les rapports, nous a paru devoir être conservée. Un objet, plus important peut-être, est le droit barbare que le foncier s’était arrogé d’expulser, à son gré, le cultivateur, s’il continuait son exploitation après le terme de la baillée. Cette étrange prérogative, infectée d’abord du vice de non-réciprocité, a bien d’autres inconvénients. Un cultivateur enchaîné sur un sol étranger, dont il peut être expulsé à chaque instant, sans pouvoir lui-même se retirer, quen abandonnant tous les fruits de son travail, contribuera-t-il à sa ruine, en provoquant, par ses soins, l’avidité dé son maître? S’exposera-t-il à être congédié la veille d’une récolte abondante? Concevez-vous, Messieurs, que le droit barbare de l’expulser à cette époque désespérante, ait été érigé en axiome de jurisprudence, par les tribunaux bretons? Nous n’avons pas hésité sur la réforme de cette iniquité, et nous ne doutons pas que vous ne la prononciez. Nous vous proposons aussi de prescrire l’usage injuste de ne payer les plantations utiles, que sur le pied de la valeur du bois à brûler; de permettre à l’agriculteur l’éducation du noyer et du châtaignier, qui, sans nuire aux récoltes, enrichissent les terrains ingrats, et forment, pour l’Etat, une ressource précieuse. Après avoir purgé le domaine congéable de tout ce qui nous a paru, ou opposé aux principes consacrés par vos décrets, ou contraire aux règles d’une bonne économie, nous avons dû prévoir que le retour même d’un ordre plus juste peut opérer une grande ressource dans les cantons qui se plaignent de leur régime actuel; que les circonstances présentes pourraient rendre cette secousse dangereuse; que si les fonciers et les domaniers se trouvaient tous déliés de leurs obligations, à la même époque, cet événement, inquiétant pour l’agriculture, pourrait être funeste au repos des contrées que vous voulez rappeler à un régime plus sage. Nous nous sommes donc attachés à prévenir cet accident. Nous avons pensé qu’en laissant, à l’avenir, aux parties contractantes, la liberté de conserver le domaine congéable, ou d’adopter un autre genre de transaction, il était nécessaire de déterminer comment et à quelle époque les reconductions tacites, les baillées et les baux actuellement existants cesseront d'obliger ceux qui s’y trouvent soumis. Nous n’avons pas cru qu’il fût juste, ou de congédier le domanier, ou d’exposer le foncier à manquer de cultivateur, si le terme de rengagement réciproque était actuellement arrivé, nous vous proposons de leur accorder en ce cas un délai mutuel de deux ans. Nous vous proposons le môme délai pour le cas (Assemblée national*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 mai 1791.] 795 où le terme du bail actuel arriverait avant deux années. Bnftn, si le doraanier n'exploite point par ses mains, si le terme du bail n’arrive qu’après deux ans, si même le foncier a déjà pris de nouveaux engagements avec un autre cultivateur, nous ensons que, dans tous ces cas, la loi du contrat oit être exécutée. Nous ne nous sommes pas bornés à ce détail particulier. Nous avons cru qu’il était important de régler la forme des prochains congémenls, en délivrant l'action réciproque, qui peut en résulter, des entraves de l’ancienne pratique. Nous n’avons pas négligé l’article de la dime et celui de l’impôt foncier. Nous nous sommes efforcés enfin de prévoir et de régler tout ce qui, dans cette matière importante, pourrait ou troubler la paix qui doit régner entre le propriétaire et le cultivateur, ou blesser leurs droits mutuels. Vous trouverez, Messieurs, le résultat de toutes nos discussions dans le projet de décret que je vais vous lire. <• Art. 1er. Les concessions ci-devant faites dans les départements du Finistère, du Morbihan et des Côtes-du-Nord, par le3 propriétaires fonciers aux domaniers, sous les titres de baux à convenant ou domaine congéable, et de baillées ou renouvellement d’iceux, continueront d’être exécutés entre les parties qui ont contracté sous celte forme, leurs représentants ou ayants cause, mais seulement sous les modifications et conditions ci-après exprimées ; et ce, nonobstant les use-menl8 deRohan, Cornouailles, Brouerec,Tréguier et Gouëllo, et tous autres qui seraient contraires aux règles ci-après exprimées, lesquels usements sont à cet effet et demeurent abolis à compter du jour de la publication du présent décret. « Art. 2. Aucun propriétaire foncier ne pourra, sous prétexte des usements dans l’étendue desquels les fonds sont situés, ni même sous prétexte d’aucune stipulation, insérée au bail à convenant ou dans la baillée, exiger du domanier les droits et prérogatives ci-après exprimés, et déjà supprimés expressément ou implicitement, comme dérivant de la féodalité et de la justice, savoir : le droit de suite à sa ci-devant justice ou juridiction ; celui de suite à son moulin; l’obligation par le domanier de faire la recette du rôle de ses cens et rentes, et le droit de déshérence ou échule. « Art. 3. Pourront les domaniers, nonobstant tous usements ou stipulations contraires, aliéner les édifices et superficies de leurs tenues pendant la durée du bail, sans le consentement du propriétaire foncier, et sans être sujets aux lots et ventes; et leurs héritiers pourront diviser entre eux lesdits édifices et superfices,sans le consentement du propriétaire foncier, sans préjudice de la solidarité de la redevance, ou des redevances dont lesdites teuues sont chargées. « Art. 4. Le propriétaire foncier ne pourra exiger du domanier aucuns des services d’hommes, voilures, chevaux ou bêtes de somme qui n’auront fioint été expressément stipulés et détaillés dans e bail ou la baillée, et qui n'auraient été exigés qu’en vertu des usements ou d’une clause de soumission à iceux. Lesdits services qui auront été expressément stipulés ne pourront être exigés qu'en nature, et ne s’arrérageront point. « Art. 5. Pourront néanmoins les propriétaires fonciers, d’après les seuls usements, exiger les charrois ou services de hôtes de somme nécessaires pour le trausport des grains provenant des redevances coQvenancières dues par les domauiers. « Art. 6. Ne poarront les domaniers exercer contre les propriétaires fonciers aucune action en restitution, à raison des droits ci-dessus supprimés pour l’avenir, qui auront été payés ou servis; mais toute action ou procès actuellement subsistant, et non terminé par un jugement en dernier ressort, pour raison desdits droits non payés ou servis, est éteint et les parties ne pourront les faire juger que pour la question des dépens faits antérieurement à la publication du présent décret. <* Art. 7. Les propriétaires fonciers et les domaniers, en tout ce qui concerne leurs droits respectifs sur la distinction du fonds et des édifices et superlices, des arbres dont le domanier doit avoir la propriété ou le simple émondage, des objets doDt le remboursement doit être fait au do-manier lors de sa sortie ; comme aussi en ce qui concerne les termes des payements des redevances convenanciêres, la faculté de la part du domanier de bâtir de nouveau ou échanger les bâtiments existants; se régleront d’après les stipulations portées aux baux ou baillées, et, à défaut de stipulation, d’après les usements anciens auxquels les parties se sont soumises, ou dans l’étendue desquels Ie3 fonds seront situés. « Art. 8. Au cas où le bail ou la baillée et les usements ne contiendraient aucun règlement sur les châtaigniers et noyers, Iesdit3 arbres seront réputés fruitiers, à l'exception néanmoins de ceux desdits arbres qui seraient plantés en avenues, masses ou bosquets, et ce nonobstant toute jurisprudence à ce contraire. « Art. 9. Dans toutes les successions directes ou collatérales qui écherront à l’avenir, les édifices et superlices des domaniers seront partagés comme immeubles, selon les règles prescrites par la coutume générale de Bretagne et par les décrets déjà promulgués, ou qui pourront l’être par la suite comme lois générales pour tout le royaume. « Art. 10. Pour éviter toule contestation, et nonobstant le décret du premier décembre dernier, auquel il est dérogé quant à ce, pour ce regard seulement, et sans tirer à conséquence pour l’avenir, les domaniers profiteront, pendant la durée des baillées actuelles, de l’exemption de la dime; mais ils supporteront la totalité des impositions foncières, et ils retiendront au foncier, sur la redevance convenancière, une partie de cet impôt proportionnellement à ladite redevance. c Art. 11. A l’expiration des baux ou des baillées actuellement existants, il sera libre aux domaniers qui exploitent eux-mêmes leurs tenues, de se retirer et d'exiger le remboursement de leurs édifices et superfices , pourvu néanmoins que les baux ou baillées aient encore 2 années complètes à courir, à compter de laSaint-Michel, 29 septembre 1791. Dans le cas où les baux ou baillées seraient d’une moindre durée, le domanier ne pourra se retirer avant l’expiration desdites 2 années, à compter de la Saint-Michel 1791, sans le consentement du propriétaire foncier, et réciproquement le propriétaire foncier ne pourra congédier le domanier, sans le consentement de celui-ci, qu’après l’expiration du délai fixé par le présent article. « Les colons qui foDt actuellement exploiter les tenues par des sous-fermiers pourront être congédiés, ou se retirer, et exiger le remboursement de leurs édifices ou superlices, à l’échéance du bail ou de la baillée subsistante, à quelque époque qu’elle arrive.