[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 mai 1791.] 409 r tait pas à l’ordre du jour, comme lès membres qui avaient envie de parler n’étaient pas présents!; comme j’aurais pu réclamer demain sur le procès-verbal si j’avais eu des doutes, j’ai mieux aimé réclamer aujourd’hui. Je vous fais juge de . cet objet; ma conscience est acquittée, vous ferez ensuite ce que vous voudrez. ( Applaudissements .) M. Martineau. Si vous étiez venu assez tôt, vous auriez su les motifs qui nous ont déterminé. M. Parent. La réunion des différents objets à cette régie a nécessité un nombre d’administrateurs au-dessus de celui d’abord fixé. M. Merlin. Je ne sais si les prétendants aux trois nouvelles places, dont vous avez décrété ce matin la création, se sont agités autour de plusieurs membres de cette Assemblée pour les engager en faveur d’une augmentation de places ; mais ce que je sais, c’est que les 9 administrateurs actuels se sont prodigieusement agités pour s’opposer à cette augmentation. Et cela parce qu’il est de leur très grand intérêt que cette augmentation n’ait pas lieu, parce qu’alors les remises se partageront. M. Kegnaud (de Saint-d* Angély). Eh bien, il faut diminuer les remises. M. Merlin. Sans contredit. Messieurs, nous devons être économes des deniers publics ; mais gardons-nous surtout d’une économie qui nous coûterait 2 ou 3 millions, peut-être; car il est évident que 9 administrateurs ne pourront pas embrasser l’immensité d’opérations que leur offrent et les droits d’enregistrement, et les droits de timbre, et les droits d’hypothèques, et les domaines nationaux dont le tout forme une machine si compliquée, que véritablement elle effraye l’imagination. La régie des domaines nationaux, cette régie qui ne rapportera pas 2 millions, vous y avez consacré 8 places d’administrateurs, et vous en refuseriez 12 à une régie, dont l’objet est plus que décuple de celle-là 1 Je demande donc, Messieurs, qu’en maintenant votre décret de ce matin vous passiez sur-le-champ à l’ordre du jour. (L’Assemblée décrète qu’elle passe à l’ordre du jour.) L’ordre du jour-est la discussion du projet de décret du comité de Constitution sur l'organisation du Corps législatif , ses fonctions et ses rapports avec le-roi. M. Thouret, au nom du comité de Constitution (1). Dans le rapport que je vais vous faire, je ne me livrerai point aux développements auxquels pourraient donner lieu les articles que vous présente votre comité de Constitution (2). J’avais commencé la composition de ce rapport, lorsque, frappé de l’étendue qu'il acquérait, j’ai remarqué qu’il deviendrait impossible d’éviter le double inconvénient, de traiter, sans fruit peut-être, plusieurs questions qui pourraient bien ne pas être soulevées , ou qui se termineraient par un simple éclaircissement, et d’en négliger quel-(1) Ce rapport est incomplet au Moniteur. (2) Yoy. ci-après, aux annexes de la séance, les articles proposés par le comité de Constitution sur l’or-ganisation du Corps législatif, p. 127* ques autres auxquelles quelques membres pour ront attacher plus d’importance que moi. J’ai reconnu aussi que les objets contenus dans les articles tiennent à des notions devenues familières à cette Assemblée, et dérivent des principes fondamentaux dont elle est depuis longtemps pénétrée, de manière qu’il m’a paru aussi inutile que peu séant de lui rappeler ici positivement tout ce qu’elle fait pour ne manquer d’aucun des éléments nécessaires à la discussion. Je me réserve seulement, en suivant les progrès de la délibération, de développer quelques-unes des questions qui paraîtront le mériter spécialement. Mon objet est de vous donner, sur l’ensemble de notre travail et sur les parties dont il est composé des aperçus généraux que je crois propres à fixer l’ordre et à accélérer, par là, la marche de la discussion. Nous avons éprouvé souvent combien il est entravant, et en général peu utile, d’ouvrir sur un projet composé de nombreux articles, une discussion plutôt vague que générale, pour laquelle on réunit d’abord, dans un même décret, toutes les objections, toutes les modifications qui s’appliquent à des parties très différentes du projet. Il résulte de là plus d’embarras ou de facilités, plus d’incertitudes ou de lumières ; et comme il est impossible de décréter en cet état, il faut en revenir à démêler et à classer toutes ces objections, dont aucune cependant n’eût manqué d’être amenée à son tour dans l’ordre du projet; car le travail du comité est composé de 99 articles, dont 25, à la vérité, sont formés par des décrets déjà rendus; mais il y en a encore 74 à décréter. Ces 74 articles renferment des objets très différents, dont on peut former des divisions distinctes. Chaque division peut établir une discussion particulière, parce qu’elle se rapporte à des vœux et à des considérations qui lui sont propres. Ce sont ces divisions que je veux vous indiquer. Par les décrets constitutionnels, rendus en septembre 1789, vous avez décrété que le pouvoir législatif résiderait dans l’Assemblée nationale permanente, et qu’elle ne serait composée que d’une Chambre renouvelable tous les 2 ans. Par votre décret du 22 décembre de la même année, vous avez établi les principes de la représentation, le mode des élections, les conditions d’éligibilité, et le nombre de députés dontchaque législature sera composée. Pour compléter ces premières bases, il reste à résoudre deux questions. La première est celle de savoir si les membres de cette Assemblée seront, éligibles à la prochaine législature. Un grand nombre de membres de toutes les parties de la salle : Non 1 non 1 non 1 ( Applaudissements et mouvement prolongés.) M. Tuaut de la Bouverie. Il serait bien honorable pour l’Assemblée de décréter cet article par acclamation. M. Bourdon (du pays de Caux). Tout ce que l’on décrète par acclamation n’est jamais honorable. M. Thouret, rapporteur. J’observe à l’Assemblée qu’il est impossible d’ouvrir la discussion sur les 99 articles du projet de décret que je vous propose, sans lui exposer les éléments des matières qui sont à agiter. Il est impossible qu’elle no [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES; [16 mai 1791.] n’entende pas avec quelque calme le développement des objets qu’elle a à décréter. Enfin il est impossible qu’on tes croie comme préjugés ou prédécrétés sur la simple indication. 11 faut les prendre en considération ; je reprends donc mon rapport. La seconde question est desavoir s’il y a quelques fonctions publiques dont l’exercice puisse exclure de l’éligibilité à la législature, car ces deux questions, qui ne sont pas décrétées, feront l’objet de nos articles 6 et 7, qui sont les 2 premiers nouveaux articles qui se trouvent dans le projet de décret. Dans les 6 articles suivants, de 8 à 12, nous nous sommes occupés d’assurer le renouvellement biennal des législatures, et de les rendre entièrement indépendantes du pouvoir exécutif. 11 faut pour cela que là première réunion de chaque nouveau Corps législatif ait lieu de plein droit, à une époque fixe, et que les assemblées primaires soient de même convoquées à une époque fixe, qu’elles le soient par des procureurs syndics des directoires et, à leur délaut, par les procureurs généraux syndics des départements, ou bien encore par les directoires de département, et que dans les départements où ce service aurait manqué le Corps législatif y pourvoie directement, en nommant des, commissaires. Il est bien entendu que ce sont les députés, réunis pour former la nouvelle législature, qui rendront le décret nécessaire à ce dernier cas; car nous n’avons ni pu, ni du supposer celui où il n’y aurait eu aucune assemblée primaire tenue dans tout le royaume, et où il n’y auiait eu aucun député nommé, car il est trop clair que le jour où cela arriverait, vous n’auriez plus de Constitution. Les 8 articles subséquents, de 14 à 22, sont consacrés à faciliter le lassemblement des représentants, leur formation en corps délibérant, leur état d’activité sans aucune intervention du pouvoir exécutif, l’indication d’un lieu certain de réunion où les députés, arrivant de tout le royaume, puissent se présenter; la désignation d’un jour et d’une heure fixes pour leur lassemblement, et la liste de leurs noms formée aux archives, sur l’envoi qui y sera fait des procès-verbaux d’élection. Cette liste servira à faire l’appel, à reconnaître les membres présents, et à tenir noie des absents. Nous avons pensé que, si au premier appel, il n’y avait pas 2U0 membres sur 745, uont la législature sera composée, il était difficile de refuser un premier délai de huitaine pour attendre une réunion plus nombreuse. Mais nous ne faisons pas de doute que si, après le premier délai expiré, il n’y avau pus encore 373 membris présents, c’est-à-dire la moiüé, plus un, du nombre total, l’Assemblée doit cependant être autorisée à se constituer provisoirement, à l’effet de vérifier les pouvoirs des membres présents et de rendre un décret coer ci lit contre les absents. Ce droit de coercition est essentiel. Il doit avoir en lui-même le principe de vie et de mouvement qui lui est nécessaire pour l’organiser. Gma se conforme d’ailleurs à la maxime sur laquelle repose la stabilité de la Constitution, savoir : que l’acceptation d’une fonction publique empoite l’obligation de la remplir, et par conséquent la nécessité de se. rendre et de résider au lieu de son exercice. Cîest au nombre de 373 membres que nous pensons que laCocstitution définitive de l’Assem-. iblée doit avoir lieu, mais avec celte exception J nécessaire que, si après un délai suffisant, 373 membres n’étaient pas encore arrivés, la Constitution provisoire faite au-dessous de ce nombre, doit devenir définitive. Cette seconde disposition est indispensable pour mettre l’activité des législatures à l’abri de tous les événements. Elle est conforme aussi à cet autre principe : que les absents, suffisamment attendus et contumacés, sont légalement représentés par les membres présents. Dans les 8 articles suivants, de 22 à 30, nous avons renfermé tout ce qui doit compléter l’organisation intérieure du Corps législatif, pour établir leur activité. C’est là que se trouve la vérification des pouvoirs, objet qui nous a paru mériter quelque attention. Cette vérification doit toujours précéder la Constitution définitive. L’unique moyen de ne pas employer à cette formalité un temps trop long, réclamé pour des soins importants, est d’y procéder par le mode simple et expéditif dont nous avons usé, et c’est celui que nous vous proposons pour toutes les législatures. Tour le serment que tout député doit prêter, ce sera celui de la nation elle-même qui, n’ayant pas d’autre organe pour s’exprimer collectivement que celui de ses représentants, renouvellera solennellement par leur bouche, son vœu: Vivre libre ou mourir. Ainsi se perpétuera d’âge en âge le souvenir de cette époque à jamais mémorable, l’expression du même vœu qui, prononcé au milieu des dangers qui entouraient la liberté, fit pâlir les conseillers uu despotisme et déconcerta leurs projets. L’autre serment contiendra l’engagement individuel de chaque représentant envers la nation. En ce qui touche le nombre et la nomination des officiers, nous avons adopté le projet de réduire les secrétaires à 4 membres de l’Assemblée, et leur ajoutant 2 greffiers pris hors l’Assemblée, nommés pour la duree entière de chaque législature, et pouvant être continués pour les législatures suivantes. L'institution de ces grelfiers, soumis à Ja surveillance et à l’inspection des secrétaires attachés continuellement au détail du secrétariat, charges de l’arrangement et de la conservation des papiers, intéressés, seus la garantie u’un état honorable, à bien remplir ces fonctions, a paru nécessaire à tous ceux d’entre nous qui, ayant été forcés de reconnaître imperfection de" noire régime actuel, n’ont pu s’empêcher d’en désirer lu réforme. Le Corps législatif ainsi organisé, nous avons proclamé dans les 18 articles, de 30 à 48, la maxime capitale de son indissolubilité par le roi* le uroit qui lui appai tient de choisir le lieu de ses séances, de les Cuntiuuer ou de s’ajourner; les cas où il est obligé de s’ajouiner et ceux où son rassemblement peut et don même quelquefois être provoqué par le roi, nous y avons joint Implication détaillée des droits dont le Corps législatif doit jouir pour le maintien de sa police m-téricuie, de sa sûreté et du respect qui lui est dû. Nous proposons d’établir constitutionnellement la publicité permanente de ses séances sous une seule modification que nous avons cru sans danger, et dout le Gorps législatif n’userait qu’après en avoir reconnu la nécessité, et qui ne s’appliquerait qu’à quelques circonstances rares et très extraordinaires qui lui paraîtraient exiger qu’il ge formât, comme le parlement d’Angleterre, en comité. Nous avons enfin posé les régies de l’inviolabilité de chacun des; représentants, telles; [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 mai 1794.] {{{ qu’elles ont été déjà proposées et même consacrées par les décrets de l’Assemblée nationale. Les 18 articles subséquents de 48 à 66 proposent le mode suivant lequel le Corps législatif Bera tenu de délibérer ou de former ses décrets. S il s’élève sur cette partie de notre travail quelques dissensions graves, nous les livrerons à tous les débats qu’un objet aussi important peut exiger ; je dirai aujourd’hui que nous devons tous nous rallier enfin pour assurer la sagesse et la maturité des actes législatifs. Il y a une distance immense entre la position où s’est trouvé le corps constituant que nous formons, et la manière dont il a opéré pour le salut de la France, et la position où se trouveront les législateurs qui nous succéderont. La constitution d’une Chambre unique est un des grands traits contre la critique. qui la poursuivra longtemps, et contre le danger de la voir se discréditer dans l’opinion publique. Il faut pour cela prémunir la nation contre les législatures, et les législatures elles-mêmes contre les dangers de leur propre précipitation. A ce grand intérêt politique se joint celui d’assurer non seulement à la France une bonne législation mais encore aux bonnes lois la confiance publique par la sage lenteur de leurs délibérations. Nous serons tous d’accord sur les vérités primitives, et. comment alors ne le serions-nous pas bientôt sur les moyens les plus propres à nous conduire à ce but? Les 18 articles de 66 à 84 réunissent toutes les dispositions ultérieures aux décrets qui sont nécessaires pour lui donner le caractère de loi et l’effet exécutoire, tel que la sanction, la promulgation, l’envoi dans les départements, la transcription et la publication. Cette sectiou de notre travail est presque entièrement composée de décrets déjà rendus; nous y avons ajouté quelques articles qui nous ont paru indispensables. Les 9 articles qui suivent, de 84 à 93, établissent les pouvoirs du Corps législatif en matière d’administration et de finances. Ils contiennent, relativement à la liste civile, des dispositions qui n’ont pas encore été décrétées. Enfin, Messieurs, les 7 derniers articles concernent les rapports du Corps législatif avec le roi, revêtu d’un des grands pouvoirs de la nation. Le roi doit, pour l’intérêt public, avoir des rapports constants de concert et d’harmonie avec le Corps législatif. La Constitution doit les établir et les signaler à l’opinion publique. C’est dans cet esprit qu’il ést désirable qu’à l’ouverture ou à la fin de chaque session du Corps législatif la nation puisse voir ses représentants électifs, son représentant héréditaije, réunis solennellement dans l’enceinte consacrée aux méditations et aux actes qui préparent sa prospérité. L’intérêt public exige aussi, malgré la liberté dont la législature doit jouir pour régler la durée de ses séances, que le roi puisse en demander la continuation et que la législature soit tenue de délibérer sur cette proposition dont le roi lui exposera le motif. Voilà, Messieurs, dans l’ensemble de notre projet, 9 divisions bien marquées par la différence des objets qu’elle traite. Je les rappellerai exactement dans la suite de la délioération. Ainsi, en resserrant sur-chacune les objections, les amendements ou les additions que chacun de vous peut désirer, toutes viendront, mais avec ordre, sans leur faire rien perdre de leur efficacité!, sans nous faire perdre beaucoup de temps. Je vais, Messieurs, avoir l’honneur de proposer à votre délibération les 2 articles 6 et 7 réunis et qui sont ainsi conçus: « Art. 6. Aucun état, profession ou fonction publique, n’exclut de l’éligibilité à la législature, les citoyens qui réunissent les conditions prescrites par la Constitution. » « Art. 7. Les membres de la précédente législature pourront être réélus. » Je vais maintenant, sur ces articles, vous exposer les motifs du comité. M. Robespierre. Je demande la parolè pour une motion d’ordre. M. Thouret, rapporteur. Si quelqu’un s’élève contre la proposition que j’ai faite, c’est véritablement là le moment de l’entendre. M. Robespierre. Il m’a paru que la question qui devait être agitée la première dans l'Assemblée était déterminée par la nature même de la délibération. Il me semble convenable et utile sous tous les rapports qu’avant de lixer définitivement les fonctions, les pouvoirs de la législature, le mode d’élection qui devait y conduire, il m’a paru, dis-je, très convenable et très utile que le législateur lui-même se désintéressât dans cette grande question. Il m’a paru qu’il était beaucoup plus intéressant que nous délibérassions sur le Corps législatif comme des citoyens qui devraient bientôt rentrer dans la classe commune, plutôt que de délibérer comme des législateurs qui pourraient continuer d’être membres du corps qu’ils allaient organiser. En conséquence, je fais la motion dans ces termes précis : qu’avant de discuter aucune des questions proposées, l’Assemblée décrète que les membres de l’Assemblée actuelle ne pourront être membres de la prochaine législature. (Fi/s applaudissements.) (Un très grand nombre de membres des diverses parties de l’Assemblée se lèvent et demandent à grands cris à aller aux voix.) M. Legrand. Monsieur le Président, je demande la parole. M. Garat l’aïnè. Je ne puis qu’applaudir à la nosition honorable que vient de vous faire obespierre, mais cette proposition n’est pas posée dans les termes où elle doit l’être. On vous présente la question de notre rééligibilité possible, comme une question encore indécise, et vous l’avez déjà constitutionnellement décrétée. (Non! non!) Lorsque dans nos séances à Versailles, après avoir décrété, le 9 septembre 1789, que l’Assemblée nationale serait permanente, le 10 qu’elle ne serait composée que d’une Chambre, le 12 que chaque législature ne serait que de deux ans, nous eûmes encore à délibérer, le 13 et le 14 du même mois, de quelle manière se recomposerait chaque législature. Sur cette dernière question, comme sur les trois autres, les avis lurent à peu près honorablement unanimes. Une première proposition fut faite par l’un des honorables membres de cette Assemblée, ce fut celle de ne renouveler chaque législature qu’à concurrence de deux tiers de ses membres, et d’y faire rester, par la voie du sort ou autrement, le tiers des membres de la législature précé-r dente. Cette-motion, quoique appuyée de toutes les raisons qui pouvaient motiver l’opinion dé M. Fabbé Sieyès, fut rejetée.