lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 122 juillet 1791. j 525 et attendre sa réponse pour me mettre en liberté. C’est ce qui m’a été assuré plusieurs jours après, par un second major de place, M. de Rochefort, Français dont l’honnêteté est connue à Bruxelles, et nous a été du plus grand secours. Je ne vous parlerai pas, Messieurs, d’une visite que j’ai reçue d’un officier français qui se disait envoyé de Bruxelles par les gouverneurs des Pays-Bas : il est venu me proposer de lui donner, pour des assignats, 30,000 livres en or, que je devais avoir en ma possession, suivant les rapports faits au gouvernement de Bruxelles. (Rires.) Je ne vous rapporte ce trait, Messieurs, que pour vous donner une idée de tous les bruits qu’on avait semés sur mon compte. Je touche bientôt, Messieurs, au moment de ma liberté. J’ai resté 22 jours dans cette situation, parce que, m’étant adressé au général pour demander la permission d’écrire à Paris, le général m’avait fait réponse que cela lui était absolument impossible, d’après sa règle; que je devais rester dans le même état où il m’avait annoncé à Bruxelles. Enfin, Messieurs, le lundi 18 juillet, M. de Rochefort est entré dans notre garde sur les 6 heures du soir, ayant à la main mon portefeuille; et ce orb feuille seul m’a annoncé ma liberté. M. de ochefort m’a dit : « Vous allez partir d’ici : « voilà vos papiers : vérifiez si l’on n’en a rien >< distrait. » Vérification faite, j’ai certifié que « tous mes papiers m’étaient rendus, et que, « pendant mou arrestation, on m’avait traité •< avec les soins d’humanité et de justice qui « pouvaient se concilier avec des précautions « d’usage. » Dans la conversation que j’eus, dans cette circonstance, avec M. de Rochefort, je ne puis me souvenir par quel motif il me dit que le matin même tous les jeunes officiers français étaient partis de Luxembourg; qu’il ne restait en ce moment, à Luxembourg, que les anciens officiers, qui quittaient rarement la ville; mais qu’au surplus, je serais escorté jusqu'aux frontières de France, et que là, j’apprendrais la raison pour laquelle on me mettait en liberté. Tous les ordres ont été donnés par l’état-major. La voiture est venue me prendre à la porte du corps de garde. Je l’ai trouvée environnée d’un caporal et de 6 cavaliers des dragons de Wiss-bourg. Je suis sorti de la ville de Luxembourg sur les 9 heures du soir, au moment où on allait fermer les portes. Toute la ville était prévenue : le major et les autres officiers m’avaient signifié à moi-même que j’allais être conduit à Frisange, pour rentrer en France par Thionville. Les officiers autrichiens qui nous avaient gardés, et qui, presque tous, nous ont témoigné intérêt et affection; les officiers autrichiens qui venaient nous embrasser pour nous souhaiter un bon voyage, nous annonçaient aussi que nous allions à Thiou-ville. Nous étions donc bien persuadés que notre entrée en France se ferait par Thionville. Nous faisons une demi-lieue seulement sur le chemin de Thionville, et à une demi-lieue nous trouvons un autre poste placé pour nous attendre. Le chemin alors se divisait en 2. Le caporal qui nous avait accompagnés, cause assez longtemps avec le caporal qui nous attendait. Celui-ci vient à la portière de la voiture, et me demande : ces messieurs savent-ils où ils vont ? Je réponds : Je crois aller à Thionville. — À Thionville? Oui, oui... 11 parle au postillon, et lui montre un des 2 chemins. J’entends que le postillon lui fait une observation. Le caporal insiste avec beaucoup d’autorité, et fait prendre le chemin qu’il indiquait. Mon cousin, qui entend un peu l’allemand, me prend la main et me dit : « Mon ami, il ne faut < pas renoncer à notre courage : nous n’allons « pas à Frisang » Ii était 10 heures du soir. On nous a fait pa-ser par des chemins détournés, dans des bois. A minuit, nous sommes arrivés à un très p tit village; là, notre escorte a changé; on nous a mis entre les mains des uhlans ; le chemin est devenu plus difficile ; nous avons voyagé dans des prés, dans des terres labourées ; et enfin, au bout de 10 à 12 heures, nous avions fait 5 lieues 1/2, et nous étions ren lus à Obanches. Nous avons appris que nous étions à 1 lieue de Longwy, mais à 1 lieue aussi d’Arlon, chemin des Pays-Bas; et notre destinée n’était pas encore connue. Le capitaine était absent : il fallait ouvrir un paquet qui lui était adressé, et qui contenait le certificat qui devait nous être délivré. La réponse du capitaine est arrivée seulement à deux heures. Je suis parti avec les uhlans, qui m’ont accompagné absolument jusqu’à la ligne de démarcation; et en cet endroit, voici la déclaration qui m’a été remise : « Par ordre de Leurs Altesses Royales, les gou-c verneurs généraux et capitaines des Pays-Bas, « Il est déclaré aux sieurs Duveyrier et Bouchard « qu’ils ont été traités par arrêt à Luxembourg: « 1° parce qu’ils n’avaient pas de passeport (il est « vrai que mon passeport ne faisait pas mention « de mon compagnon de voyage); 2° en raison « du traitement que des officiers de nos troupes, « quoique munis de passeports, avaient éprouvé « bans les villes frontières de France, et notam-« ment dans les forteresses. » Je n’ai pas mis un quart d’heure à atteindre Longwy; et la manièie dont j’ai été reçu m’a consolé de toutes mes inquiétudes. Je rentre, Messieurs : je rapporte le même zèle pour la chose publique, et la plus profonde reconnaissance pour les bonté-de l’Assemblée nationale. (Vifs applaudissements.) M. le Président répond : Monsieur, Votre retour calme les inquiétudes de l’Assemblée nationale sur votre sort. Vous ne les avez pas ignorées. Elles ont dû vous convaincre de l’intérêt que vous lui inspiriez. Le zèle elle courage aveclequels vous avez rempli voire mission vous assurent de nouveaux droits à la confiance publique et à l’estime de l’Assemblée nationale. Elle vous invite à assister à sa séance. (Vifs applaudissements.) M. d’André. Je ne pense pas que les témoignages d’intérêt que l’Assemblée nationale vient de donner à M. Duveyrier soient tout ce qu’elle a à faire en ce moment. 11 est évident que, quand M. Duveyrier a été arrêté, la première pièce que l’on a trouvée dans son portefeuille, est son passeport; ainsi cette excuse n’est pas valable. Le second motif tiré de ce que des officiers ont été arrêtés à Thionville ne peut couvrir cette arrestation d’aucun prétexte, puisqu’on n’a pas demandé de réparation pour les mauvais traitements qu’on dit avoir été faits, sur nos frontières, à des impériaux. Je demande que, afin que l’Assemblée soit en état d’agir avec dignité et prudence, M. Duveyrier 520 [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* soit invité à réitérer son rapport aux comités diplomatique et militaire, oui vous rendra comute des mesures qu’il croira que vous devez prendre, (La motion de M. d’André est adoptée.) M. le Président fait donner lecture, par un de MM. les secrétaires d’une adresse des citoyens de la section du Faubourg-Montmartre, ainsi conçue : « Pères de la patrie, « Les citoyens de la section du Faubourg-Montmartre, qui doivent se transporter sur les frontières, quittent, sans regrets, leurs loyers pour défendre la famille entière et soutenir la liberté que leur ont donnée leurs augustes représentants. Les jours, pénibles pour tout autre que pour de bons Français, qu’ils passeront sous la discipline militaire, seront pour eux des jours heureux. Conn nssunt leurs devoirs, ils sauront les remplir, et ils prient l’Assemblée nationale de recevo r le serment qu’ils font d'obéir à la loi, à leurs chefs, et de mourir plutôt que de laisser faire aucune incursion dans les postes qu’ils auront à défendre. ( Applaudissements .) « Et ont signé sur la pièce de canon. » (Suivent les signatures.) (L’Assemblée ordonne l’insertion de celte lettre dans le procès-verbal.) M. Salles, au nom des comités des rapports et des recherches réunis , pré-ente un projet de décret relatif aux événements du champ de la Fédération; il s’exprime ainsi : Mesmeurs, un grand délit s’est commis presque sous vos yeux; les lois ODt été méconnues dans la capitale, et le drapeau rouge déployé. Des citoyens, après avoir juré la révolte sur l’autel de la "patrie, après avoir commis des assassinats, consommèrent leur rébellion, et le champ de la Fédération, qui avait été le témoin des serments de fidélité à la loi, a vu la loi développer toute sa sévérité contre des hommes parjures à ces serments et est devenu le théâtre de dissensions civiles qui ont failli embraser l’Empire. Les séditieux qui voulaient déchirer la patrie ont été écartés par la force, mais non punis de leur attentat et cependant, Mcssiems, il importe que les méchants tremblent enfin devant la loi, il importe que leur révolte soit réprimée. Il n’en faut pas douter, des avis multipliés nous apprennent que les ennemis de la patrie méditent de nouveaux attentais et sont prêts à agiter encore la capitale. Comme ils ne veu ent que la guerre, tous les moyens pu-peuvent leur fournir les exagérations du patriotisme, leur sont également bons. S’ils ont voulu une fois s’assurer du roi et de l’héritier du trône, qui i e sait si, ayant en leur puissance tout le reste de la famille royale, ils ne préparent des crimes qui font frémir. Il est temps, Messieurs, que la loi frappe et qu’ell ■ contienne par la crainte ces citoyens pervers; mais il faut surtout que l’exemple soit prompt et sûr. Il faut que l’activité de la justice soit égale à celle des ennemis de la loi. La rébellion tient à tous les points de la capitale. Les comiiés vous demandent à l’unanimité de former un tribunal uniquement chargé de la connaissance des troubles qui viennent d’agiter Paris, et ui pourraient l’agiter par la suite. De cette façon, on ne divise r ait pas l’affaire, et on laisserait dans les mêmes mains le fil d’une détes-122 juillet 1791.] table intrigue. L’Assemblée nationale déterminera l’époque où celte attribution devra cesser. Les comités ont trouvé à celte in-t,tuiion momentanée un grand et infaillible avantage, celui de mettre les séditieux, les réfracta res à la Constitution en présence, pour ainsi dire, d’un tribunal uniquement occupé d’eux et toujours prêt à frapper leurs têtes coupables. Mais comment ce tribunal sera-t-il composé? Il existe 12 tribunaux à Paris; mais ils sont tous extrêmement chargés. Le comité pense qu’on peut leur demander à chacun un juge pour former le tribunal central et temporaire. D’ailleurs, en se déterminant à former ce tribunal d’un juge de chaque tribunal qui existe actuellement à Paris, ils ont trouvé cet autre avantage, non mmns précieux, d’offiir à la multitude égarée un grand moyen de répression, de donner plus de majesté à Ja loi, plus d’autoriié à ses organes, et de mettre plus de surveillance et d’activité dans la poursuite d’un grand délit. Enfin, Messieurs, vos comités ont pensé qu’il était nécessaire à la sûreté de l’Etat d’attribuer à ce tribunal central et temporaire la juridiction souveraine, comme vous l’av z fait l’année dernière, dans un cas semblable, au prés dial de Limoges. En effet, et je le répète, les exemp'es deviennent de jo ;r en jour plus nécessaires; et si c’e.-t un droit pour les citoyens d’avoir 2 degrés de juridiction, même pour leurs affaires civiles, la crise où nous sommes est devenue si effrayante, que tous les droits mêmes les plus justes, que la liberté même peut se trouver compromise parla lenteur des formes. Il paraît qu’il est indispensable de sacrifier quelques-unes de ces formes au maintien de la Constitution ; car nous voulons avant tout être libres, et nos ennemis ne le croiront que quand la lui les environnera de toutes parts, et qu’ils ne pourront plus lui échapper. Hâions-nous donc, et que la loi punisse promptement, que les exemples soient efficaces si nous voulons qu’elle ait moins à punir. D’ailleurs, Messieurs, les attentats dont nous avons été les témoins, s’ils ne sont pas des crimes de lèse-nation, sont propres à en occasionner. Le tribunal qui doit les réprimer doit avoir une activité égale à celui d’Orléans ; sa compétence importe au salut de tout l’Empire. Messieurs, le moyen en quelque sorte extrajudiciaire que vous "proposent vos comités en ce moment, e.-t hors des mesures ordinaires, dans le même rapport que les circonstances. La guerre que nous font les ennemis, pour être sourde, n’en est pas moins réelle. Paris est le posie le plus menacé; les assassinats, les incendies, le pillage paraissent préparés contre celte ville. Il faut que la force ayant jusqu’ici agi seule contre ces infâmes co nplots, ils soient soumis enfin à la justice. Il faut que l’action de la justice et l’action de la force se correspondent avec la même promptitude. Il faut forcer nos ennemis à nous céder la place, en les attaquant comme ils nous attaquent. Nous n’aurons la paix qu’à ce prix. C’est dans ces vues que vos comités ont l’honneur de vous présenter le décret suivant: L’Assemblée nationale, après avoir entendu ses comités de Constiiuiion et des recherches, voulant pourvoir à ce que les séditions qui viennent d’agiter la capitale et qui pourraient l’agiter par la suite, soient sûrement et promptement réprimées, décrète ce qui suit: Art. 1er. Il si ra formé au ci-devant palais de justice un tribunal temporaire et central, corn-