495 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 octobre 1789.] listes créanciers de l’Etat, la charge des impôts. Dans l’administration d’uh grand empire, toutes les opérations Sont liées ; telle prise séparément, peut paraître süblime à l’homme qui, laissant dans l’inaction les facultés de son entendement, né les porte pas sut* le développement de ce vaste ensemble. Ce n’est cependant que de l’accord parfait qui doit régner dans cette immense organisation que peut naître la fortune publique. Je crois et j’imagine que le clergé lui-même avouera que les représentants de la nation ont le droit incontestable de surveiller le bien des corps, de régler le régime nécessaire à leur meilleure administration, de fixer le nbmbre des individus qui les doivent composer, et qui sont nécessaires aux fonctions publiqüës auxquelles ils sont destinés ; de réformer les abüs qui se sont introduits sur ces deüx objets, de fixer lés réunions que pourrait exiger le nouveau régime, la vente de la partie des immeubles qui ne seraient qu’onéreux après ces réunions : je veux parler des maisons et enclos des monastères, prieurés, abbayes, collégiales, archevêchés et évêchés qui seraient supprimés. Je conclus par la demande de la déclaration suivante : Que la nation a la surveillance immédiate de l’administration des biens appartenant à tous les corps, agrégations et communautés ; qu’elle statuera en conséquence sur les agents qüi seront préposés à leür surveillance, et sur les pouvoirs qui leur seront attribués sur les biens du clergé; u’elle a de même, et incontestablement, le droit e fixer le nombre des individus qui doivent composer le clergé, et de décider de ce nombre pour l’avenir. La nation statuera de même sür la destination et les fonctions des uns et des autres, selon l’objet de leur institution et de la plus grande utilité commune, sans porter atteinte aux droits incontestables du pauvre sur ces biens, destinés à soulager sa misère ; que dans cette répartition, la cure la moins dotée du royaume verra sa portion congrue portée au delà de 1,200 livres ; que sur le surplus de la motion, il ne peut y avoir lieu à délibérer. M. Chasset. Le principe ne blesse ni la propriété, ni la justice, ni la religion. En recherchant dans les annales de l’histoire pour savoir comment et quand le clergé a" possédé, on ne voit que des bienfaits, que des dons laits pour l’utilité publique, et non des acquisitions particulières. A qui appartiennent donc ces biens? Ge n’est point au clergé qui ne les a point acquis , qui est un corps moral. Aux pauvres? L’Etat ne doit-il pas nourrir les pauvres? N’est-il pas lui-même dans la détresse ? Aux titulaires ? ils ne sont qü’usu-fruitiers. A qui donc? à la nation. Les employer à secourir l’Etat , c’est faire un acte de piété”, un acte de religion. L’intérêt national ne doit-il pas l’emporter sur l’intérêt d’un corps? Sera-t-il injuste de ramener le clergé à l’état de la primitive Eglise? L’opinant propose un arrêté dans lequel il consacre le principe. M. Bureaux de Pusy. Je ne me propose pas de chercher si les biens ecclésiastiques appartiennent au clergé, mais je désirerais savoir s’il est de l’utilité de la nation de s’en emparer. Les discussions m’ont laissé incertain. Si l’on me prouve que, les dettes du clergé payées et le service divin acquitté, il reste de quoi secourir l’Etat, je regarderai comme nécessaire le sacrifice dés victimes. Mais, dans cette supposition même, pourquoi ôter au clergé la satisfaction de déployer ses vertus ? Ne dérobez pas à des Français le plaisir de se montrer à la fois ministres des autels et citoyens généreux. Je propose donc de faire rédiger un tableau exact des biens du clergé et des frais nécessaires au culte divin, afin que, la preuve étant acquise du soulagement que l’Etat peut éprouver en s’emparant des fonds ecclésiastiques, l’Assemblée en décrète la suppression. La suite de la discussion sür les biens ecclésiastiques est ajournée. Les députés de la province d’Anjou sollicitent un moment d’audience dans la séance de demain pour une affaire de la plus grande importance. Cette demande est accordée. M. Le Pelletier de Saint-Fargeau, au nom au comité des rapports : Le peuple de la ville de Gien ayant trouvé dans la grange du sieur Pouette 12 gerbes de blé mouillées par une inondation de la Loire, et dont les grains avaient germé, entraîne ce citoyen à l’hôtel-de-ville, et demande qu’il soit tenu de fournir 37*260 livres pour l’équipement de la milice nationale. Le peuple ne se retire qu’après que cette somme est réalisée ; mais le comité observe qu’elle n’a été déposée que par violence. L’Assemblée, sur l’avis du . comité, ordonne que le pouvoir exécutif sera invité à réprimer de telles violences et à assurer la restitution des 37,260 livres. Décrète en outre que la municipalité de Gien sera prévenue du présent décret, et que le sieur Pouette sera mis sous la sauvegarde spéciale de la loi et de la nation. M. Defermon, au nom du même comité, rend compte des craintes conçues par les officiers municipaux de Pezénas ; cette municipalité a dressé des rôles d’impositions et fait divers autres actes qui appartiennent à ces sortes de corps administratifs : elle craint qu’ils ne soient cassés par les cours souveraines , qui ne reconnaissent pas les municipalités librement élues, et pourraient ne considérer comme légales que celles qui sont encore établies d’après l’ancien régime. L’Assemblée décrète provisoirement que, Nu les circonstances, les actes des municipalités et bureaux de police, composés de membres élus, ne pourront être cassés à raison d’incapacité des membres. M. AnsOn a été nommé trésorier à la place de M. Leclerc de Juigné, archevêque de Paris, qui a remercié. Uh de MM. les députés de Bretagne a prévenu l’Assemblée que M. le Guillou de Kérineuf, l’un des députés de Quimper, était obligé de retourner chez lui pour affaires les plus instantes; qu’il demandait à être remplacé par son suppléant; que le bailliage de Quimper en avait nommé deux qui avaient prêté serment, et avaient suivi toutes les séances dans les premiers temps de l’Assemblée, mais que le premier de ces suppléants était actuellement à 140 lieues de Paris , et que le second était présent; qu’il demandait, si c’était le vœu de l’Assemblée, que ce dernier remplaçât M. de Kérineuf : l’Assemblée a renvoyé cette affaire au comité des vérifications. M. le Président a fait part à l’Assenablée que M. de Maisonneuve, curé de Saint-Ëtienne-de-Montluc , avait donné sa démission ; que son 496 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 octobre 1789.] suppléant était M. Méchin, curé de Bains, dont les pouvoirs étaient vérifiés. L’Assemblée l’a admis pour remplacer M. de Maisonneuve. M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de demain pour neuf heures et demie. ANNEXE a la séance de l'Assemblée nationale du 23 octobre 1789. Nota. Nous insérons ici diverses opinions non prononcées sur les motions relatives à la propriété des biens ecclésiastiques. Ces opinions ont été distribuées à tous les députés et font partie des documents parlementaires de l’Assemblée nationale constituante. M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre (1). Messieurs (2), ce n’est qu’après de longues hésitations que je me détermine à m’expliquer sur la question importante qui vous occupe. Deux opinions se sont élevées, des raisons du plus grand poids, et des développements du plus grand intérêt, vous ont été présentés à l’appui de chacune d’elles ; ayant pris une marche qui n’est celle d’aucun des préopinants, je choquerai peut-être, en vous présentant mes idées, les partisans de l’une et de l’autre opinion ; mais il m’est impossible de ne pas voir avec mes yeux, de ne pas raisonner avec ma raison, et s’il est un moment où je puisse me servir avec confiance de ces instruments imparfaits, c’est celui où la perspicacité de l’Assemblée et la raison, dont vous devez être l’organe, sont sans cesse auprès de moi pour corriger mes aperçus et rectifier mes résultats. J’entre en matière. Pour résoudre le problème qu vous occupe, je me fais d’abord deux questions. — La nation peut-elle contester la propriété des biens du clergé ? Le clergé peut-il soutenir qu’il soit véritablement propriétaire ? A ces deux questions, je me suis répondu négativement. — Je vais, Messieurs, vous soumettre mes motifs. La nation peut-elle contester au clergé sa propriété ? Première question. Pour la résoudre, je me demande d’abord : Qu’est-ce que la nation ? Qu’est-ce que le clergé ? La nation est la corporation des individus réunis en société ; ils ne se sont réunis que pour la conservation des droits naturels. Cette conservation est la première clause du contrat social, et aucune des clauses ultérieures ne peut y porter atteinte C’est un principe vrai et fécond que celui qui établit que la loi ne peut jamais créer ; elle ne fait que consacrer les véritables droits préexistants, les vrais rapports naturels, et les rapports non moins vrais qui résultent de la sécurité et du développement paisible des premiers. Toute loi qui va au delà, et qui prétend créer, opprime, et n’est plus une loi. La loi est (1) L’opinion de M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre n’a pas été insérée au Moniteur. (2) Cette motion a été imprimée parce que l’Assemblée a voulu aller aux voix avant que je pusse avoir la parole, n’étant inscrit que le vingtième. (Note de l’auteur.) l’expression de la volonté nationale ; aux yeux de la loi, tous les hommes sont égaux en droit, et le droit de chacun consiste à n’être atteint par ia loi que lorsqu’il touche au droit d’un autre. Ces principes ont été consacrés par vous, Messieurs : vous ne les révoquerez pas en doute. Il en résulte évidemment que tous les membres de la société peuvent passer entre eux des actes volontaires, sans autre condition que d’être mutuellement contents des clauses dont ils sont convenus. 11 en résulte encore que la loi ne peut s’immiscer dans ces contrats, que lorsqu’ils lèsent, ou l’une des parties contractantes ou le corps social lui-même. Examinons donc si les contrats qui fondent la propriété du clergé ont quelques-uns de ces caractères. Qu’est-ce que le clergé, quant à la nation ? C’est une corporation d’individus réunis par des opinions qui leur sont communes, destinés à des fonctions qui tiennent à ces opinions, jouissant d’une masse de biens-fonds, ou qui leur ont été donnés par les propriétaires naturels, ou qu’ils ont acquis avec les revenus des biens qui leur ont été donnés. Les donataires des premiers ne réclament point, les vendeurs des seconds ont été payés, le clergé ne trouble point l’ordre public, les individus qui composent cette corporation sont convenus d’une forme d’hérédité (1), contre laquelle personne ne réclame; j’avoue qu’il me paraît impossible que le corps social, ou la nation, conteste à la corporation cléricale la propriété de ses biens. On peut faire et l’on a fait à ce système deux objections auxquelles je vais répondre, on dit d’abord : le clergé n’est qu’une corporation ; aucune corporation ne peut exister dans l’Etat, sans la volonté nationale ; donc les biens appartiennent évidemment à la nation, qui peut détruire la corporation qui les possède. Ce raisonnement n’est pas exact. Il est faux qu’aucune corporation ne puisse exister dans l’Etat sans la volonté nationale.il est vrai qu’aucune corporation ne peut acquérir ni exercer de droits politiques sans le consentement national ; mais il est tout aussi vrai qu’on ne peut, sans blesser les droits de l’homme, empêcher des citoyens de se réunir par une convention libre, de mettre leurs propriétés en commun et de s’assujettir à des conventions quelconques. C’est par une suite de ces principes que l’Assemblée nationale a pu détruire l’existence politique #u clergé, qui était un ordre dans l’Etat, mais ne peut pas détruire son existence conventionnelle de corporation religieuse et volontaire. La seconde objection est encore moins solide ; elle consiste à établir une différence entre la propriété d’un corps et celle d’un individu. Je ne lui vois aucun fondement. Une corporation n’est autre chose que plusieurs individus qui se réunissent, se confondent et se donnent une existence commune. Dans cet état de choses, aucun d’eux ne sacrifie ses droits naturels ; ce que chacun d’eux pouvait séparément, ils le peuvent sans doute en commun, et le corps social n’a pas le droit de s’y opposer. Ce principe me paraît ne souffrir qu’une exception, c’est celle des corps politiques. Gomme iis ne doivent leur existence (1) Voyez sur cet article les développements de l’abbé Sieyès. Cet homme est resté comme un fanal à côté du principe, dans la plupart des discussions : les uns y reviendront, les autres s’abstiendront, et alors tout ira bien.