[Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mai 179I.J 267 Art. 46. « Les représentants pourront, pour fait de crime commis hors leurs fonctions, être saisis, soit en flagrant délit, soit en vertu d’un mandat d’arrêt; mais la poursuite ne pourra être continuée qu’après que le Corps législatif aura déclaré qu ’ il y a lieu à accusation. » (Adopté.) M. Thouret, rapporteur, donne lecture de l’article 47 ainsi conçu : « En matière civile toute contrainte légale pourra être exécutée contre la personne d’un représentant ou sur ses biens, comme contre les autres citoyens. » M. de lia Rochefoucauld. Je pense que ces poursuites doivent être faites contre les biens d’un représentant comme contre ceux de tout particulier; mais je ne suis pas de cet avis pour les poursuites relatives aux personnes. Je demande donc que cet article soit décrété seulement en ce qui concerne les biens des députés et que la partie relative aux personnes soit rejetée. M. Duport. Je pense que cela, comme beaucoup d’autres choses semblables, n’a été décrété que pour nous et que l’intérêt national exige aujourd’hui d’autres mesures. Je me joins donc à M. de La Rochefoucauld. Vous avez déjà préjugé la question, en décidant que les membres du Corps législatif ne pourront être poursuivis en matière criminelle, qu’en vertu d’un décret du Corps législatif; car en matière criminelle s’ils ne peuvent être décrétés de prise de corps sans l’intervention du Corps législatif, à plus forte raison cette intervention est-elle nécessaire lorsqu’il ne s’agit que d’une action civile : ce qui devient plus frappant par les abus qui résulteraient du système contraire. L’endossement d’une fausse lettre de change suffirait pour éloigner un représentant de la nation de ses fonctions; il serait à chaque instant exposé à perdre son indépendance par un procès injuste qui lui serait intenté à dessein. Remarquez l’influence funeste qu’exercerait le pouvoir judiciaire sur le Corps législatif. Je demande donc, avec M. de La Rochefoucauld, que la contrainte par corps ne puisse avoir lieu en matière civile contre la personne d’un représentant de la nation. M. Croupil-Préfeln. J’ajouterais que le créancier qui aura un titre sur la personne doit être autorisé à en faire la notification au procureur général, de département, lequel sera tenu d’en donner connaissance à l’assemblée électorale, afin que le sujet ne puisse être réélu. M. Delavigne. Ce que l’on vous propose est une manière indirecte de faire renaître les arrêts de surséance. Point de distinction entre un représentant et un citoyen ; le grand avantage de la loi sous le régime de la liberté et de l’égalité, c’est que tous les hommes soient égaux. M. Mougïns de Roquefort. Je combats l’opinion de ceux, qui voudraient exempter de la contrainte légale les représentants de la nation durant la durée de la législature. L’intérêt de la société exige que chacun paie ses dettes. Si le système que l’on nous propose était adopté, vous accorderiez des lettres de répit pendant deux années, et même pendant quatre années, dans le cas de la réélection, aux débiteurs qui seraient membres des législatures, ce qui pourrait entraîner les conséquences les plus dangereuses. Il est bon de se rappeler celte réponse d’Henri IV, à qui un débiteur demandait des lettres de répit : « Je paye mes dettes ; j’entends que mes sujets payent les leurs. » Je demande donc la question préalable sur l’amendement de M. de La Rochefoucauld et l’adoption de l’article tel qu’il est proposé par le comité. M. I�e Chapelier. Il faut envisager dans cette question l’intérêt public, et non pas i’intérêt particulier du représentant. Or, l’utilité de la représentation nationale consiste dans la liberté des représentants; l’intérêt national exige qu’ils soient dans une indépendance morale, et que par de mauvaises chicanes, par des procès injustes, leurs ennemis ou les ennemis des opinions qu’ils défendent, ne puissent les éloigner de la législation. Si on consultait les lois romaines que je viens d’entendre citer, on verrait qu’elles suspendaient les actions civiles intentées contre des hommes absents par fonctions publiques, absentes reipu-blicce causa . Rien ne serait d’ailleurs plus facile avec la fabrication d’une lettre de change de faire arrêter, au moment où il partira à la tribune, un représentant du peuple qui viendrait pour y développer une opinion contraire à l’intérêt de quelques individus. Je pense donc qu’aucune poursuite quelconque ne doit être exercée contre un député qu’après l’expiration de la législature; c’est un sacrifice qu’impose l’intérêt général. M. Thouret, rapporteur. G’est l’Assemblée elle-même qui a fourni à son comité les sentiments et les motifs qui ont dicté l’article qu’il vous propose. Vous avez décrété le 7 juillet dernier, dans un cas où il s’agissait d’une contrainte par corps à exercer contre un de vos membres, que toute contrainte civile pourrait être exercée contre lui. L’Assemblée s’est déterminée alors par le profond respect dû à la foi publique. Et véritablement les nations ont aussi leurs devoirs de décence publique, comme les particuliers; et leur Assemblée législative ne doit point être le point de mire vers lequel tendraient tous les gens prêts à faire faillite ; elle ne peut pas vouloir que des banqueroutiers restent membres de la législature. Ceux-là ne peuvent faire honneur aux affaires publiques, qui n’en ont pas su faire à leurs affaires particulières. En matière criminelle toute l’accusation peut porter sur un fait incertain; vous ne faites alors que suspendre instantanément le cours de la justice pour vous instruire du fait, pour prendre une connaissance sommaire des preuves, et vous décrétez s’il y a lieu ou non à accusation. Mais en matière civile, la procédure est simple; le fait de la dette est constaté par les tribunaux. Vous ne voudrez pas, pour l’honneur des membres du Corps législatif, leur donner des arrêts de surséance ou d’évocation; l’avantage de la nation n’est pas qu’on leur donne un brevet d’impunité pour ne pas remplir leurs engagements. (Applaudissements.) L’Assemblée, consultée, décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’amendement de M. de La Rochefoucauld.)