ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 345 [Assemblée nationale.] M. Dupont représente que les tribunaux chargés de maintenir Ja tranquillité publique, conformément à ces lois, existent de droit comme de fait, tant qu’ils ne sont pas supprimés; Qu’il n’est possible aux représentants de la nation de réformer la législation, qu’après qu’ils auront déterminé, par la constitution même, de quelle manière les lois nouvelles doivent être proposées, adoptées et exécutées. Et qu’il est très-nécessaire que le calme, la paix et la justice, rétablis dans tout l’empire, dispensent l’Assemblée nationale de toute autre sollicitude que de celle qui est inséparable du soin dont elle est occupée, de choisir et d’arrêter les éléments de cette constitution sage et durable. En conséquence, il fait la motion suivante: Déclarer que tout citoyen est obligé d’obéir aux lois, en respectant la liberté, la sûreté et la propriété des autres citoyens; Que les tribunaux doivent agir sans cesse pour l’exécution de ces lois; Et qu’il est enjoint par elles, comme par le vœu des représentants de la nation, aux milices bourgeoises età tous corps militaires, de prêter main-forte pour le rétablissement de l’ordre et de la paix, et pour la protection des personnes et des biens, toutes les fois qu’ils en seront requis par les municipalités et les magistrats civils. M. Lognen de Kérangal, député de la Basse-Bretagne. Messieurs, une grande question nous a agités aujourd’hui; la déclaration des droits de l’homme et du citoyen a ôté jugée nécessaire. L’abus que le peuple fait de ces mêmes droits vous ressedeles expliquer, et de poser d’une main abile les bornes qu’il ne doit pas franchir; il se tiendra sûrement en arrière. Vous eussiez prévenu l’incendie des châteaux, si vous aviez été plus prompts à déclarer que les armes terribles qu’ils contenaient, et qui tourmentent le peuple depuis des siècles, allaientêtre anéanties par le rachat forcé que vous alliez ordonner. Le peuple, impatient d’obtenir justice et las de l’oppression, s’empresse à détruire ces titres, monuments de la barbarie de nos pères. Soyons justes, Messieurs: qu’on nous apporte ici les titres qui outragent, non-seulement la pudeur, mais l’humanité même. Qu’on nous apporte ces titres qui humilient l’espèce humaine, en exigeant que les hommes soient attelés à une charrette comme les animaux du labourage. Qu’on nous apporte ces litres qui obligen t les hommes à passer les nuits à battre les étangs pour empêcher les grenouilles de troubler le sommeil de leurs voluptueux seigneurs. Qui de nous, Messieurs, dans ce siècle de lumières, ne ferait pas un bûcher expiatoire de ces infâmes parchemins, et ne porterait pas le flambeau pour en faire un sacrifice sur l’autel du bien public? Vous ne ramènerez, Messieurs, le calme dans la France agitée, que quand vous aurez promis au peuple que vous allez convertir en prestations en argent, rachetables à volonté, tous les droits féodaux quelconques ; que les lois que vous allez promulguer anéantiront jusqu’aux moindres traces dont il se plaint justement. Dites-lui que vous reconnaissez l’injustice de ces droits acquis dans des temps d’ignorance et de ténèbres. Pour le bien de la paix, hâtez-vous de donner ces promesses «à la France; un cri général se fait entendre; vous n’avez pas un moment à perdre; 14 août 1789.] un jour de délai occasionne de nouveaux embrasements; la chute des empires est annoncée avec moins de fracas. Ne voulez-vous donner des lois qu’à la France dévastée? En établissant les droits de l’homme, il faut convenir de la liberté. Plusieurs membres de cette Assemblée trouvent inutile de traiter des droits de l’homme, disant qu’ils existent dans le cœur, que le peuple les sent; mais qu’il ne faut les lui faire connaître que d’une manière simple et à Ja portée de tous. Les droits de l’homme ont été jugés être les préliminaires de la constitution; ils tendent à rendre les hommes libres; pour qu’ils le soient, il faut convenir qu’il n’y a qu’un peuple, une nation libre, et un souverain; il faut convenir des sacrifices de la féodalité nécessaires à la liberté et à une bonne constitution ; autrement il existe des droits de champarls, des chcfs-rente3 , des fiscalités, des greffiers, des droits do moute; nous verrons toujours exercer la tyrannie de l’aristocratie et le despotisme; la société sera malheureuse; nous ne ferons enfin de bonnes lois qu’en nous organisant sur un code qui exile l’esclavage. Il ne faut pas, Messieurs, remonter à l’origine des causes qui ont successivement produit l’asservissement de la nation française, ni démontrer que la force seule et la violence dos grands nous ont soumis à un régime féodal. Suivons l’exemple de l’Amérique anglaise, uniquement composée de propriétaires, qui ne connaissent aucune trace do la féodalité. Je frémissais hier au soir de voir adopter de sang-froid la motion qui tendait à punir les malversations dans les châteaux ; pour moi, je pense que, malgré la justice de cet arrêté, on devait en rendre inséparable la destruction du monstre dévorant de la féodalité, de l’assujettissement le plus fatal des vassaux pour les moulins, et la rapidité du fisc à répandre partout le désespoir, en saisissant féodalement, par des formes illicites et ruineuses, les propriétés des médiocres fortunés, qui n’ont pour garant de l’existence de leur famille qu’un triste hameau et un� seul champ, sans que le seigneur du fief arrête le cours de l’agiotage auquel il donne lieu, en accordant sa confiance à des personnes avides de s’enrichir, par les séquestres des rentes et des propriétés, par des formalités outrées, par des exploits et autres suites de chicane, dont les frais montent souvent à 300 livres pour une rente de (50 livres. Le fisc finit par surprendre les titres des vassaux; et pour fin de ses prétentions, se fait payer par le propriétaire, et jouit d’un bien pour fin de payement. Peu importe au fisc que le vassal doive ou ne doive pas, qu’il ait satisfait ou non au fief; muni des archives de son seigneur, il regarde seulement les noms des vassaux, et dans deux heures de temps il forme cent exploits; s’il trouve vingt personnes en solidité de chef de rente, il forme autant d’exploits et de requêtes. Le seigneur, concédant des charges à des prix excessifs à tous ses agents et officiers de fief, les force d’excéder le tarif de leurs fixations, pour entretenir le luxe aux dépens d’un vassal ignorant. Les meuniers sont dans le même cas; le droit de moute sera donc affranchi au seigneur de fief, à raison du denier vingt-cinq, ou denier trente, en admettant la valeur du droit de moute, par chaque année et pour chaque particulier, à trois livres, sauf d’en payer la rente de trois livres, jusqu’au remboursement et affranchissement d’icelle, et chaque particulier aura par ce moyen la liberté de faire moudre où il lui plaira. 346 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 août 1783.] C’est l’unique moyen d’arrêter le cours de «l'oppression des sujets et de conserver les droits légitimes des seigneurs; c’est un de ceux que je présente à celte auguste assemblée pour le bonheur de la nation. Je finis par rendre hommage aux vertus patriotiques des deux respectables préopinants qui, quoique seigneurs distingués, ont eu les premiers le courage de publier des vérités jusqu’ici ensevelies dans les ténèbres de la féodalité, et qui sont si puissantes pour opérer la félicité de la France. Ce discours est vivement applaudi. L’enthousiasme saisit toutes les âmes. Des motions sans nombre, plus importantes les unes que les autres, sont successivement proposées. M. le marquis de Foucault fait une motion vigoureuse contre l’abus des pensions militaires; il demande que le premier des sacrifices soit celui que feront les grands, et cette portion de la noblesse, très-opulente par elle-même, qui vit sous les yeux du prince, et sur laquelle il verse sans mesure et accumule des dons, des largesses, des traitements excessifs, fournis et pris sur la pure substance des campagnes. M. le vicomte de Beauharnais propose l’égalité des peines sur toutes les classes des citoyens, et leur admissibilité dans tous les emplois ecclésiastiques, civils et militaires. M. Cottin représente les peuples gémissant sous la tyrannie des agents inférieurs des justices seigneuriales, dont il demande l’extinction, ainsi que celle de tous les débris du régime féodal qui écrase l’agriculture. M. de Lafarc, évêque de Nancy, s’empare de la parole, après l’avoir disputée à un de ses confrères.... Accoutumés à voir de près la misère et la douleur des peuples, les membres du clergé ne forment d’autres vœux que ceux de les voir cesser. Le rachat des droits féodaux était réservé à la nation qui veut établir la liberté; les honorables membres qui ont déjà parlé n’ont demandé le rachat que pour les propriétaires. Je viens exprimer, au nom du clergé, le vœu de la justice, de la religion et de l’humanité; je demande le rachat pour les fonds ecclésiastiques, et je demande que le rachat ne tourne pas au profit du seigneur ecclésiastique, mais qu’il en soit fait des placements utiles pour l’indigence. M. de liiibersac, évêque de Chartres , présentant le droit exclusif de la chasse comme un fléau pour les campagnes ruinées depuis plus d’un an par les éléments, demande l’abolition de ce droit, et il en fait l’abandon pour lui. Heureux, dit-il, de pouvoir donner aux autres propriétaires du royaume cette leçon d’humanité et de justice. A ce mot, une multitude de voix s’élèvent; elles partent de MM. de la noblesse, et se réunissent pour consommer cette renonciation à l’heure même, sous l’unique réserve de ne permettre l’usage de la chasse qu’aux seuls propriétaires, avec des mesures de prudence, pour ne pas compromettre la sûreté publique. Tout le clergé se lève pour adhérer à la proposition ; il se forme un tel ensemble d'applaudissements et d’expressions de bienveillance, que la délibération reste suspendue pendant quelque temps. Bientôt le zèle du bien public calmant cette excusable effervescence, M. Le Pelletier de Saint-Fargeau développe des considérations de bienveillance et de justice, d’après lesquelles, pour le soulagement des laboureurs et des propriétaires accablés de tant d’infortunes, il croyait devoir stipuler que la renonciation aux privilèges et immunités pécuniaires s’appliquât à la présente année, et que les communes des campagnes ressentissent sur-le-champ ce soulagement, par la cotisation des nobles et des autres exempts, faite à leur décharge, dans la forme qui serait jugée la plus convenable par les assemblées provinciales. M. de Rfcher, revenant sur ce que l’extinction des justices des seigneurs doit faire espérer de soulagement aux peuples, demande que l’Assemblée vote la gratuité de la justice dans tout le royaume, sauf les précautions tendant à éteindre l’esprit de chicane et la longueur indéfinie des procès. Plusieurs curés demandent qu’il leur soit permis de sacrifier leur casuel. A ces mots, un membre de la noblesse réclame pour cette classe précieuse des ministres du culte l’accroissement des portions congrues. Les applaudissements redoublent de la part des citoyens de tous ordres. M. le duc du Châtelet propose qu’une taxe en argent soit substituée à la dîme, sauf à en permettre le rachat, comme pour les droits seigneuriaux. Il annonce, en appuyant les premières motions, avoir déjà rendu compte de l’offre qu’il a fait faire à tous ses vassaux de les admettre incontinent à ces différents rachats. Les signes de transports et l’effusion de sentiments généreux dont l’Assemblée présentait le tableau, plus vif et plus animé d’heure en heure, n’ont pu qu’à peine laisser le temps de stipuler les mesures de prudence avec lesquelles il convenait de réaliser ces projets salutaires, votés par tant de mémoires, d’opinions touchantes, et de vives réclamations dans les assemblées provinciales, dans les assemblées des bailliages, et dans les autres lieux où les citoyens avaient pu se réunir depuis dix-huit mois. Quelques-uns des membres de la noblesse offrent de sacrifier jusqu’à leur droit exclusif de colombier. On est revenu sur l’extinction absolue des mainmortes de Franche-Comté, de Bourgogne, et de3 autres lieux qui les connaissent. M. de Boisgelin, archevêque d1 A ix, dépeignant avec énergie les maux de la féodalité, prouve la nécessité de les prévenir par la prohibition de toutes les conventions de ce genre, que la misère des colons pourrait dicter par la suite, et d’annuler d’avance toute clause capable de les faire revivre: il rappelle les maux non moins effrayants que l’extension arbitraire des impôts, et surtout des droits prétendus domaniaux, de la gabelle et des aides, a produits dans tout le royaume, où l’esprit de fiscalité corrompt la loyauté et la droiture des sentiments du peuple, comme il altère la sincérité des contrats et des actes, absorbe l’aisance et arrête la circulation des fonds. Après cette observation, qui semblait épuiser le projet si étendu des réformes, l’attention et la sensibilité de l’Assemblée ont été encore réveillées et attachées par des offres d’un ordre tout nouveau.