72 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE BASSAL : Il a été annoncé hier à toute la République que sept représentants du peuple devaient être dénoncés au sein de la Convention nationale. Ce jour a été marqué pour cette discussion solennelle. Le discours qui doit vous être prononcé excitera sans doute une discussion qui peut entraîner des longueurs. Je demande en conséquence que l’on commence dès ce moment l’ordre du jour. Jean DE BRY observe que ce qu’il a à dire n’entraînera pas de discussion et il commence (44). Jean DE BRY monte à la tribune, et prononce un discours souvent interrompu par des applaudissemens. La Convention nationale en décrète l’impression, et le renvoi des propositions qu’il contient aux comités de Salut public, de Législation et de Sûreté générale (45). Jean DE BRY : Citoyens, je vous ai dit hier que les observations faites par Tallien, et celles ajoutées par Thuriot, me sembloient exiger un complément dont le résultat fût une application directe des principes à notre situation actuelle : c’est ce que, depuis plusieurs jours, j’avois intention de vous offrir. Je vous ai dit que l’opposition qui sembloit exister dans la Convention étoit plus apparente que réelle, parce que je crois que cette opposition tient à des causes qui sont hors de nous: c’est ce que j’essaierai de démontrer. Une dénonciation grave fut annoncée hier : de quelques sentimens pénibles qu’elle m’ait affecté, je n’ai pas cru qu’elle dût rien changer à ce que j’avois à vous dire: impassible comme la loi dont elle est l’organe, la représentation nationale doit toute son attention aux idées qui peuvent opérer le bien du peuple, sans que cette attention soit partagée par les faits qu’elle peut avoir à punir, à justifier ou à excuser. Si je n’étois convaincu, citoyens-collègues, que le recouvrement de notre liberté n’est point une illusion; que les mémorables séances des 9 et 10 thermidor, en renversant un usurpateur prétendu populaire, ont porté la lumière sur les principes de la tyrannie qu’il avoit fondée; si je n’étois convaincu que la mort à cette tribune, la mort volontaire dans cette salle, aux pieds de la statue de la liberté, est préférable cent fois pour chacun de nous, au retour de l’ignominieuse oppression d’où nous sommes sortis; solitaire et tranquille, j’attendrois, comme jadis, que des momens plus prospères me permissent d’apporter mon tribut dans la commune délibération : mais l’instant est venu, où il faut que la Convention Nationale ne compose plus avec les événements futurs, où il faut que, dès aujour-(44) Ann. Patr., n° 606. Moniteur, XXI, 620. (45) P.V., XLIV, 210; C 317, pl. 1281, p. 9; Moniteur, XXI, 620: ces comités sont chargés de présenter, primidi prochain, un rapport sur les meilleurs moyens d’action du gouvernement révolutionnaire par rapport à la Convention et par rapport au peuple. Décret n° 10 614. Rapporteur : Jean De Bry, d’après C* II20, p. 271. d’hui, elle se prépare les moyens de les maîtriser, et où, amarrant à tout ce qu’il y a d’éternellement juste, la sûreté et le bonheur du peuple, elle s’assure que des vagues nouvelles ne feront point dériver le vaisseau révolutionnaire. La justice est une; la raison est une : antérieures à toutes les lois positives, à toutes les combinaisons sociales, elles leur survivent dès-lors qu’elles ne les fondent plus. Eh bien ! le peuple en a besoin : souvent il en a goûté les prémices; souvent aussi l’hypocrisie des démonstrations l’a trompé; on lui a fait passer l’attiédissement pour de la modération, et l’extravagance pour de la force; on l’a fait douter un instant du succès de notre régénération. Ramenez-le à son vrai but; agissez comme s’il n’y avoit point de passions intéressées à vous blâmer, quelque parti que vous preniez; car, soyez-en certains, il est si vrai que la situation la plus conforme à la félicité d’un peuple, que le véritable degré de l’esprit public est entre l’attiédissement et l’extravagance, que si ceux qui vous blâment demeuroient seuls directeurs de la volonté populaire, ce seroit à ce point qu’ils la feroient tendre, autant pour leur gloire que pour leur propre sûreté. Un grand changement s’est opéré parmi nous : entraînés jusqu’alors dans les divers mouvemens produits par les circonstances où nous avons passé, et nous aussi à notre tour nous avons eu notre crise, et, comme on l’a dit justement, notre insurrection. Dès lors, il a dû naître pour nous un état de choses nouveau; les diverses affections comprimées ont fortement réagi, et il n’y a même rien d’étonnant, si les prolongemens de cette secousse semblent se faire sentir encore. En effet, perdu dans la classe générale opprimée, chaque individu s’est senti renaître, a ressaisi ses droits, et, honteux d’avoir pu les perdre, a songé moins à régulariser la liberté qu’à se garantir d’un nouvel esclavage. De là les haines, les passions, les chocs, la susceptibilité, l’éloignement, funestes résultats qu’entretient le souvenir des vexations, des menaces, des listes de proscriptions, des assassinats commis au nom de la loi, de l’oppression des pensées, du travestissement des erreurs, et du plus vil fanatisme qui ait obscurci la raison humaine. Le cours des événemens, et non pas assurément les combinaisons ou la nullité des vrais républicains, le cours des événemens a voulu que la Convention nationale s’élevât par cette longue et cruelle expérience à la hauteur des fonctions qu’une grande nation lui avoit déléguées. Aussi devons-nous sans retard, non seulement disperser les restes de la tyrannie, mais faire cesser au milieu de nous ce que la découverte de la conjuration a laissé de ferment nuisible à la chose publique : notre asservissement servoit les tyrans; notre incohérence les servirait encore, et ne tarderait pas à nous mettre sous le joug. Il eût peut-être été à desirer (et quand on considère dans quelles erreurs les hommes les plus purs peuvent être conduits, je ne crains pas qu’on me soupçonne de parler pour moi), il eût peut-être été à désirer que l’on proclamât ici que l’existence politique des représentans du peuple français datoit du 9 thermidor; peut-être cet