ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 février 1790.] 645 [Assemblée nationale.] le père et l’ami; et pendant trente années consécutives, il a offert à la France, aux étrangers, aux souverains qui venaient s’abaisser devant tant de vertus et de talents, le double modèle d’un grand génie et d’un vertueux citoyen. M. l’abbé de l’Epée ne jouissait cependant d'aucun bienfait du gouvernement et n’en avait jamais imploré aucun. Les grâces ecclésiastiques n’étaient pas non plus parvenues jusqu’à lui, il n’en avait sollicité aucune. Tout ce qu’il a fait en faveur des malheureux, c’est à l’aide de son patrimoine seul et de celui de son frère ; c’est en se sacrifiant tout entier au besoin qu’il avait de soulager la misère et de consoler l’affliction : en sorte que les sourds et muets sont devenus orphelins en le perdant ; et que, si la bienfaisance nationale ne remplace pas aujourd’hui la sienne, il y aura en France une classe d’infortunés privés du secours dont on leur avait donné l’habitude; doublement malheureux, et par la triste condition à laquelle la nature les a condamnés et par la douleur qu’ils auront de voir l’amélioration de leur sort échapper à leurs espérances. Ah ! la nation française est trop généreuse et trop sensible pour laisser vacante et ne pas remplir elle-même une place aussi nécessaire à la misère humaine. Non, certes, elle ne souffrira pas que lorsque l’Italie, la Hollande, la Suisse et les Etats de l’Empereur, offrent aux regards de l’humanité des établissements créés à l’imitation de celui de M. l’abbé de l’Epée et dirigés par des instituteurs qu’il a formés, nous nous voyions dans la nécessité d’aller redemander aux nations étrangères les secours que celles-ci sont venues chercher parmi nous ; elle ne souffrira pas qu’une invention aussi précieuse que celle de M. l’abbé de l’Epée périsse où elle a pris naissance, et qu’on lui reproche un jour que la bienfaisance d’un seul citoyen a été supérieure à la bienfaisance nationale. Les sourds et muets, qui étaient les enfants adoptifs de M. l’abbé de l’Epée, deviendront donc ceux de la patrie et la patrie fera pour eux, par justice et par bienfaisance, ce que la bienfaisance seule inspirait en leur faveur, à M. l’abbé de l’Epée ; car la nation française, en se régénérant, n’a perdu aucun de ses nobles penchants , et ce qu’elle se serait empressée autrefois de consacrer par un assentiment unanime, elle fera elle-même aujourd’hui, et il est de son devoir de le faire, lorsqu’elle en a conquis la puissance. C’est à vous, Messieurs, qu’il appartient de faire le reste. Il importe à la gloire et à la sensibilité de la nation française qu’un établissement public soit créé en faveur des sourds et muets ; et cet établissement, pour être vraiment national, pour être un asile ouvert à tous les malheureux de cet empire que la nature aurait également disgraciés, doit être créé par vous. Nous savons qu’en général il peut être indiscret de proposer la formation d’un établissement nouveau, lorsque les ressources du Trésor public sont à peine suffisantes pour entretenir ceux qui existent; mais ce n’est point lorsque l’établissement est aussi nécessaire que celui qui vous est proposé, ce n’est point lorsqu’on parle à des hommes qui n’ignorent pas que ce ne sont jamais les dons modérés d’une bienfaisance inépuisable, mais les injustes prodigalités de la faveur, qui sont onéreuses à un Etat, et qui le ruinent ou l’appauvrissent. L’établissement est, d’ailleurs, pour ainsi dire, créé à l’avance et il n’a presque plus besoin que d’être consacré par votre autorité. Le Roi avait destiné pour cette œuvre d’humanité et de justice une partie de la maison et des biens des Gélestins qui résidaient à Paris et qui sont depuis quelques années supprimés. Déjà même le décret en avait été arrêté en son Conseil ..... Ah ! nous n’avons plus rien à ajouter maintenant : les intentions du Roi sont connues de vous et elles seront exécutées, car il vous sera honorable et doux en même temps, Messieurs, de pouvoir accomplir les desseins généreux d’un Roi que vous chérissez ; d’avoir quelque chose à faire pour lui, lorsqu’il fait tant de choses pour son peuple ; d’aller enfin au devant de lui pour lui complaire, lorsqu’il vient lui-même au devant de vous pour vous rendre heureux ; et, en secondant ainsi son penchant à la bienfaisance, vous aurez encore la douceur de recueillir des bénédictions des malheureux pour qui votre justice est un besoin et à l’égard desquels votre humanité est un devoir. M. le Président témoigne aux députés de la commune de la ville de Paris la sensibilité de l’Assemblée sur les infortunés auxquels M. l’abbé de l’Epée avait prodigué tant de soins. Il assure la députation que l’Assemblée prendra cette demande en grande considération. Les ci-devant gardes-françaises et les officiers, soldats et chasseurs incorporés dans l’armée nationale parisienne offrent un don patriotique de 7,297 livres et deux paires de boucles d’argent ; ils assurent en même temps de leur disposition à verser leur sang pour soutenir la constitution. Les députés de la commune de Mamers, au Maine, renoncent, au nom de cette commune, à la finance de ses officiers municipaux, qui forme un principal de 3,000 livres. M. Quesnay de Saint-Germain, député extraordinaire de Saumur, offre, de la part de cette ville, un don patriotique de 30,000 livres et prononce un discours plein de sentiments patriotiques, qu’il termine par le serment civique. M. le Président répond à chacun de ces discours par des témoignages de la satisfaction de l’Assemblée, et les orateurs assistent à la séance. M. le Président annonce que M. Rousseau, architecte du Roi, fait hommage à l’Assemblée des plans d’un palais national; et M. Devilly, d’un projet de monument à la gloire du Roi. Les plans et projets sont exposés dans les bureaux : i’ Assemblée témoigne sa satisfaction du patriotisme de ces généreux citoyens. M. Palasne de Champeaux, membre du comité des recherches , fait un rapport sur l’affaire du sieur Martineau, relativement à un fait d’exportation de blé ; cette affaire avait été portée d’abord par devant ceux de Fontenay qui en avaient référé à l’Assemblée nationale. — Le comité propose de renvoyer les parties par devant les juges de Fontenay pour statuer sur l’appel de la sentence de Luçon. M. Coys. Par ce procédé, l’Assemblée jugerait à l’instar des tribunaux judiciaires : pour éviter cet inconvénient, je propose de décréter qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. Prieur, L’Assemblée ne prend aucune attribution judiciaire en renvoyant aux juges de Fontenay. J’appuie donc les propositions du comité.