[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [i,r mai I791.J Agi (L’ Assemblée consultée décrète qu'il n’y a pas lieu 4 délibérer sur le projet de décret présenté par M. de Vismes.) L’ordre du jour est la suite de la discussion de la motion de M. Rabaud-Saint-Etienne sur la création de petits assignats (1). M. Briois-Beanmetz. Messieurs (2), les assignats ont sauvé la France; mais ils ne l’ont pa9 garantie de tout embarras, de toute souffrance attachée à sa situation. 11 n’eût été permis qu’à des ignorants de l’espérer, à des empiriques de le promettre. Nous souffrons aujourd’hui de la rareté du numéraire. Elle est grande, elle est incommode. Qu’on nous cite une révolution où cette détresse n’ait point eu lieu! Plusieurs honorables membres (M. Pétion en particulier) en ont judicieusement exposé les causes. On pourrait en ajouter de nouvelles à celles qui ont été citées ; mais qu’importe! Gomme il n’est en notre pouvoir de faire cesser subitement aucune de ces causes, leur recherche exacte serait plus curieuse qu’utile. Je pense qu’en général il n’y a pas une assez forte masse d’assignats répandue dans la circulation; mais les moyens de l’augmenter ne sont pas non plus à l’ordre du jour. Il s’agit de la valeur jusqu’à laquelle il convient de faire descendre les sous-divisions d’assignats; il s’agit de savoir si, oui ou non, il est utile de créer des assignats de la valeur de 5 livres; c’est la motion proposée; c’est à elle que doit s’attacher la discussion. Lorsqu’on éprouve journellement le besoin d’échanger des assignats contre des écus, et la difficulté de se procurer ceux-ci; lors même qu’on ne se les procure qu’à perte et à grands frais, je conçois facilement qu’il se présente à la pensée des personnes qui ont peu réfléchi sur les matières de finance et de circulation, qu’il serait facile de remédier à cet inconvénient, par le moyen tout simple de fabriquer des assignats de la valeur ou environ d’un écu. Mais ce remède si simple en apparence est très dangereux en réalité, et l’homme exercé, comme celui qui ne l’est pas, aux calculs de finance, ne peuvent pas différer longtemps sur ce point dès qu’ils en auront raisonné méthodiquement. Toutes les fois que vous associez une monnaie de papier à la monnaie de métal dans la circulation d’un pays, en supposant la monnaie de pa-ier d’une solidité parfaite et d’une valeur indu-itable, ainsi que je considère les assignats, il est presque impossible que l’argent n’obtienne pas toujours quelque préférence sur le papier ; il la devra nécessairement à deux causes : 1° d’être le signe conventionnel de toutes les nations; 2° d’être divisé en plus petites pièces, et consé-uemment de s’appliquer plus juste à la valeur e chacun de nos besoins. Car je suppose que l’on reconnaît impossible de faire descendre l’assignat jusqu’aux dernières sous-divisions des valeurs monétaires et d’en faire de 2 sols, de 6 liards, ni même de 6 et de 12 sols. Gela supposé, il faut donc convenir du point de section où la monnaie de papier doit s’arrêter et céder la place aux pièces de monnaie métallique. il faut s’attendre que là il y aura une perte, (1) Voy. ci-dessus, séance du 29 avril 1791, p. 426 et suiv. (2) Le Moniteur ue donne que des extraits de ce discours. 1" Série. T. XXV. un déchet quelconque à subir. Vouloir nier cette perte, c’est aller contre l’expérience, contre toutes les théories qui ont été écrites, contre toutes les pratiques qui ont été accompagnées d’observations; c’est vouloir s’abuser soi-même; et en ce cas, l’illusion n’est pas longue. lin supposant donc, ce qui m’est tout à fait démontré, qu’une perte quelconque existera quelque part, je dis qu’il faut la placer de telle manière qu’elle soit supportée par les gens aisés, par ceux qui ont le moyen de perdre, qui peuvent en supporter l’incommodité, qui, retirant de la société le plus d’avantages, doivent y porterie plus de charges, quand elles se présentent. Or le seul moyen qu’une perte quelconque, tant qu’elle existera, soit subie par le riche et jamais par le pauvre, c’est que l’assignat soit toujours d’une plus grosse somme que ue le sont les recettes ordinaires du pauvre (Murmures.) afîa que le pauvre ne participe jamais au petit inconvénient d’être payé en assignats et soit toujours payé de la manière la plus commode pour lui, c’est-à-dire en argent monnayé. Gar comme c’est celui qui doit, qui est obligé de chercher de la monnaie pour s’acquitter, et de la chercher à ses dépens, tout l’avantage est pour l’ouvrier qui reçoit son salaire et le prix de son travail, quand il le reçoit en espèces sonnantes. Tout le désavautage a été pour celui qui a eu la peine de se procurer des espèces pour les donner à l’ouvrier. Mais puisqu’il y a un désavantage, il vaux mieux qu’il soit supporté par le riche que par le pauvre, par le consommateur que par celui qui lui livre sa marchandise et son travail, par le maître que par l’ouvrier. Remarquez bien que de petits assignats ne font que déplacer la difficulté sans la résoudre; que transporter la perte d’où elle est, c’est-à-aire chez les gens aisés, là où elle n’est pas, et où elle ne devrait jamais être : chez les pauvres. Je voudrais que l’on me donnât une bonne raison pour m’expliquer comment, lorsque les assignats de 50 livres perdent 8 0/0, les assignats de 100 sous ne perdraient pas aussi 8 0/0, serait-ce parce qu’il y aurait en France, au moment actuel, plus de petite monnaie, proportionnellement, qu’il n’y a d écus. Eh bien, je nie ce fait et je dis au contraire qu’il y a actuellement en France, dans noire état présent de pénurie d’écus, plus d’ëcus à proportion que de monnaie, et de ce fait je n’en veux qu’une preuve, et elle est sans réplique, c’est qu’un écu de 6 livres paye fréquemment 1 et 2 0/0, pour s’échanger contre de la mon-i aie... ( Bruit de conversation .) Monsieur le Président, je vous prie de présider un petit moment, s’il vous plaît. Mais, m’objecte-t-on, on va faire de la monnaie. On va en faire, soit; depuis longtemps on la promet, on en parle; je ne vois point qu’on y travaille. Quel produit peu!-on nous montrer d’une nouvelle fabrication ? On en fera, insiste-t-on; on fera toute celle décrétée déjà par l’Assemblée nationale, et de plus, on convertira économiquement et utilement, en sols, toute cette mine aérienne de cloches, qui va enfin commencer à devenir utile; et par ce moyen, ajoute-t-on, nous parviendrons à un tel point d’abondance de petite monnaie que dans chaque district il y aura un bureau ouvert j?our échanger à volonté les petits assignats de 5 livres contre de gros sous. Messieurs, y adopte en entier ce projet ; je demande qu’on en presse l’exécution, et quand je le verrai réalisé, je ne diraiplus que les assignats de 5 livres soient mauvais; je dirai 31 m (Assemblée nationale.) AHCH1VES PARLEMENTAIRES. |1« mai 1791.) seulement qu’ils seront complètement inutiles, grâce à l'heureuse abondance de votre monnaie. Lorsque je vois de bons citoyens se proposer, comme un but désirable, de faire en sorte que les assignats parviennent jusqu’à la circulation la plus inférieure, de les faire si petits qu’ils tombent entre les mains du pauvre, du journalier, de l’ouvrier ; je suis tenté de croire qu’égarés par leurs méditations patriotiques, ils se sont figuré que l’assignat de 5 livres allait tomber, comme du ciel, dans la main de celui qui aujourd’hui n’a rien du tout. Certes, s'il était un moyeu de faire que la pauvreté reçût tout à coup ce soulagement; si nous pouvions, ne consultant que nos vœux, répandre tout à coup dans le sein des malheureux cette rosée salutaire, ah ! je conçois qu’un si beau projet aurait des charmes pour les cœurs les moins sensibles. Je n’aurais pas, Messieurs, la barbarie d’y trouver des objections. Mais, puisqu’il faut refuser à notre imagination jusqu’à la douceur d’une semblable espérance je ne conçois plus ce qu’on prétend trouver de favorable au pauvre dans la proposition des petits assignats ; et loin delà je n’y vois plus, contre l’intention desauteurs de la motion, qu’un moyen très assuré de débarrasser l’homme riche et l’homme aisé de la gêne qu’ils éprouvent, en la reversant fout entière sur la classe des pauvres, des ouvriers, de tous ceux qui n’ont pas le moyen de perdre, et à qui l’intérêt même de la société veut qu’on accorde toujours faveur et protection. (Applaudissements au centre.) Suivons, en effet, la marche connue de la circulation. Je suppose les assignats de 5 livres, fabriqués. A qui les délivrera-t-on? Les donnera-t-on gratis aux passants à la porte du Trésor public? Non, sans doute. On les emploiera dans les payements du Trésor public ; on les donnera en échange à ceux qui en rapporteront de gros. Mais, je demande, qui est-ce qui a des payements à recevoir au Trésor public, ou de gros assignats à rapporter. Sont-ce les pauvres? Sont-ce les ouvriers? Sont-ce tous les gens qui vivent jour par jour, Ou de semaine en semaine, du travail de leurs mains? Non, sans doute. Gomment donc leur parviendra un assignat de 5 livres, lorsqu’ils l’auront gagné à la Bueur de leur front, et de la même manière et pour la même quantité de travail avec laquelle ils gagnent aujourd’hui 100 sous, en un petit écu et 40 sous de monnaie? Que l’on veuille donc m’expliquer quel avantage il y aura, pour cet ouvrier qui gagne aujourd’hui, en un certain espace de temps, un petit écu et 40 sous, d’obtenir à la place ue cet argent monnoyé, un assignat de la même valeur. Je conçois bien que, pour celui qui paye, il y a avantage à payer ainsi; mais pour celui qui reçoit, certes il n’y a que du désavantage, et si ce n’est pas là la guerre des riches contre les pauvres, je ne sais où il faut en chercher des exemples. Quand on fit les premiers assignats, les hommes opulents de Paris, les grands possesseurs de capitaux sentirent que, si on ne faisait que des assignats de 1,000 livres, tout l’embarras serait pour eux. Ils voulurent en faire supporter une partie à toute la classe des riches, et ils demandèrent des assignats de 300 et de 200 livres. Les riches à leur tour voulurent appeler à supporter le fardeau toute la classe des gens aisés, et les assignats furent descendus jusqu’à 50 livres; ceux-ci, sans le vouloir, mais par ce sentiment personnel qui tend à se décharger, invoquent aujourd’hui une mesure qui fera tout retomber sur le pauvre. Ici, Messieurs, votre vigilance et votre humanité doivent intervenir. Les autres étaient tous appelés à s’entr’aider, dans la détresse passagère et commune ; écartez-la du moins de celui dont l’infortune n’a point d’accroissements à supporter. Mais j’entends que l’ou m’objecte : L’inaction des manufactures est aussi un mal pour le pauvre, et les manufactures éprouvent une soif extrême d’un plus petit numéraire, d’un signe plus rapproché des distributions continuelles qu’elles ont à faire. Sans examiner si c’est là la plus grande cause de la station de nos manufactures; si elles ne manquent pas encore plus de commandes que d’espèces; si toutes les suites d’une révolution et d; un grand déplacement de richesses ne sont pas la vraie raison de leur langueur, je conviens qu’elles doivent manquer de numéraire monnayé. Mais ce n’est pas par un seul côté favorable que doit se juger une question de cette étendue, qui tient à tant de rapports généraux de justice et d’ordre public. Est-il bien vrai que le salut des manufactures exige impérieusement des assignats de 5 livres? Est-ce parce que les achats de numéraire haussent nécessairement le prix des factures, de la répartition de ce sacrifice sur chaque objet qui en est le produit? Mais si c’est l’ouvrier qui doit souffrir la perte, il n’y aura nulle économie; car ce sera l’ouvrier qui haussera sa journée de tout ce qui doit lui en coûter pour acheter de la monnaie, et les factures ne seront pas diminuées. Heureusement il est, pour le commerce, des ressources plus simples et en même temps plus sûres. Etudions-les chez nos industrieux voisins. Fidèles aux principes, ils ont interdit à leur banque toute émission de billet3 au-dessous de 5 guinées. Mais une foule de monnaies de confiance remplace, dans les manufactures, le numéraire métallique, habituellement rare dans ce pays où le gouvernement est pauvre et les individus riches. Chaque entrepreneur a ses jetons et ses marques. Des fournisseurs les acceptent de la main des ouvriers; et cette circulation très courte, créée par l’industrie, soutenue par la confiance, surveillée par l’intérêt, n’a pas un des défauts d’une petite monnaie forcée de papier, et suffit à tous les besoins des manufactures. Tout ce qui est libre en ce genre est sans inconvénients; car celui qui, ayant droit à un payement, ne veut pas d’un billet libre qu’on lui offre, peut l’écarter et exiger de l’argent. G’est toujours son choix qui le détermine. Mais pourquoi chercher des exemples chez nos voisins? Déjà le patriotisme et l’industrie française ont imité avec succès ces circulations libres et volontaires. Bordeaux en a donné le premier exempte; et, si quelques pertes ont suivi ce premier essai, c’est que peut-être le zèle avait-il pris un essort trop élevé, en voulant soutenir l’échange, à bureau ouvert, des assignats contre les écus. Marseille, Lyon, Tours, Orléans offrent plusieurs exemples très heureux d’établissements volontaires, et je m’étonne que la capitale ait reçu ces exemples au lieu de les donner et les ait reçus si longtemps sans les imiter. Aucuns établissements ne sont plus dignes de l’émulation et du patriotisme des bons citoyens. Aucuns ne méritent plus de protection et d’encouragement. Aucun emploi de fonds ne me paraît plus louable et plus avantageux; car, s’il se présentait quelque perte, pourrait-on s’accuser d’imprudence pour avoir été bienfaisant? Et s’il en (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |i" mai 1791.] 483 résultait des bénéfices, quel prix n’auraient-ils point aux yeux de l’homme sensible, puisqu’ils seraient un vrai signal de prospérité publique? Voilà, Messieurs, les ressources qui conviennent aux manufactures, et non pas l’empirisme d’un remède dont on n’aurait pas osé vous proposer l’excès quand vous avez rendu vos premiers décrets sur les assignats. Considérez, Messieurs, qu’une perte de 8 0/0 est insupportable à celui pour qui 5 livres composent le revenu d’une semaine et le prix de 6 journées d’un pénible labeur ; considérez que si nous avons peine à nous défendre nous-mêmes d’un mouvement d’humeur contre le marchand d’argent qui nous force à subir dans ses mains la loi de la nécessité, cette humeur causera beaucoup de rixes de la part de ceux pour qui cette perte sera plus dure, et qui d’ailleurs ont moins de lumières sur la liberté du commerce des métaux monnayés ; on peut craindre que ces rixes ne deviennent fréquentes, et qu’elles ne prennent même souvent uncaractère plus général. Je pourrais ajouter d’autres considérations : il est sensible que la contrefaçon des assignats sera bien plus facile et bien plus commune, lorsque l’on n’aura à tromper que des yeux qui ne sont point exercés à soupçonner et à découvrir les fraudes. Vous sentez qu’un faux assignat, qui s’anéantira dans la main d’un malheureux ouvrier, dont il devait nourrir la femme et les enfants, réduira au désespoir cette famille qui n’avait pas d’autre moyen de subsistance. Enfin, je pourrais opposer à ceux qui regardent cette ressource comme devenue indispensable dans la crise actuelle, qu’il faudra plus de 4 mois pour fabriquer ce remède du moment ; et que dans 4 mois, si nous accélérons no3 travaux, si la Constitution est finie, si nous sommes remplacés par nos successeurs, nos malheurs actuels seront guéris bien mieux que par le palliatif des petits assignats, s’il est vrai qu’on puisse nommer palliatif un remède dont tout l’effet serait de soulager du sentiment de nos malheurs actuels la partie aisée de la nation, qui a des moyens et des forces pour les soutenir, et d’accabler de ce surcroît de fardeau la partie pauvre et calamiteuse pour qui il serait insupportable. Je conclus au rejet absolu de la motion de M. Rabaud. ( Applaudissements dans une partie de la salle.) (L’Assemblée décrète l’impression du discours de M. Briois-Beaumetz.) M. de Montesquiou (1). Lorsque nous traitions l’année dernière la grande question des assignats, ceux qui soutenaient l’opinion que l’Assemblée nationale a adoptée, n’osaient exprimer leur pensée tout entière. Leurs adversaires les arrêtaient à chaque pas, ou par des principes abstraits faussement appliqués, ou par des pronostics fondés sur des exemples funestes dont on se gardait bien de développer la véritable cause. Trop de passions alors étaient en activité, trop de préjugés étaient enracinés dans les esprits que la passion n’égarait pas; d’ailleurs, quelques hommes, connus par l’amour du bien et par de profondes études politiques, professaient la doctrine opposée aux assignats, et leur autorité retenait ceux à qui les seules lumières de la raison faisaient apercevoir la vérité dans l’opinion cootraire. Enfin l’expé-(1) Lo Moniteur ne donne que des extraits de ce discours. rience est venue à noire secours. Un milliard de monnaie fictive a été mis en circulation et aucune des prédictions effrayantes qui nous avaient été faites ne s’est réalisée ( Murmures à droite ; applaudissements à gauche.): le pain est resté au même prix; toutes les denrées nécessaires aux usages les plus communs de la vie ont conservé leurs anciennes proportions, tandis que les seuls biens-fonds reprennent journellement la valeur qu’ils ont acquise dans les pays où les bons principes en nuance sont depuis longtemps en pratique. Enhardis par ce grand succès, hors d’atteinte désormais de ces conseils usillanimes qui faisaient jadis flotter nos déli-érations, nous pouvons aujourd’hui soumettre, à de nouveaux calculs, la dernière portion d’une théorie dont les premiers essais n’ont presque plus de contradicteurs. On vous propose d’adopter un nouveau moyen de secourir tous les genres d’industrie et de fournir aux besoins multipliés qui nous environnent. Rien n’est exagéré dans le tableau qu’on vous a fait du mal auquel il faut apporter remède ; l’argent resserré par la crainte, ou envahi par la cupidité, est devenu beaucoup trop rare dans la circulation. La multitude des échanges qui ne peuvent s’opérer sans son secours, ne diminuera jamais; et, sur cette inévitable nécessité, de hardis spéculateurs ont pu fonder des bénéfices immenses. Ce qu’ils font n’est pas illicite; mais s'il est un moyen possible d’empêcher un petit nombre d’hommes avides de mettre à contribution la plus grande partie de la société, il ne nous est pas permis de nous refuser à ce devoir. Il faut seulement réfléchir beaucoup sur le choix des moyens, considérer les résultats avant d’embrasser un parti et ne pas oublier surtout que les pas faits jusqu’ici dans cette carrière n’ont été fort heureux que parce qu’ils ont été sages, que l’opinion éclairée par la discussion ou par l’expé-rieuce les a toujours précédés et que tfest encore elle qui doit nous préparer de nouveaux succès. Nous n’avons plus à disputer sur la solidité des assignats, sur la certitude de leur anéantissement successif et sur le besoin que la nation avait d'un moyen extraordinaire de payer ses dettes. Il ne s’agit aujourd’hui que d’ajouter une mesure nouvelle à celles qui jusqu’à présent nous ont réussi. La proposition qui nous est faite se présente avec un grand avantage, celui d’un vœu généralement exprimé et peut-être peut-on l’envisager encore comme un moyen de priver de leurs dernières ressources les ennemis de la Révolution. ( Murmures à droite ; applaudissements à gauche.) Il est urgent de rétablir la circulation, dont la langueur est une maladie grave pour tout le corps politique ; la circulation languira, tant qu’il �existera pas une suffisante abondance de signes intermédiaires entre les derniers assignats et les plus petites valeurs du commerce. L’argent, à qui ce rôle intermédiaire appartient essentiellement, vend-il trop cher ses services? Il faut parvenir à s’en passer : tel est le problème que vous deviez résoudre. On parle toujours avec une sorte d’indignation de ce que nous appelons l’agiotage de l’argent, et je crois qu’on ne s’en fait pas une idée juste. La propriété du numéraire, ainsi que toutes les autres propriétés, a se3 droits inviolables; les possesseurs de l’argent pourraient le garder ; ainsi ils peuvent ne le donner qu’à une certaine condition : cette condition est le prix de là vente qu’ils consentent à en faire, et qu’ils seraient 484 (Assemblée nationale.] libres de refuser. Le nombre des vendeurs est-il plus petit,? Celui des acheteurs est-il plus grand? La marchandise est-elle plus rare? De quelque manière que l’une de ces choses arrive, la denrée augmente de prix. Il en serait ainsi de toute autre marchandise dans tous les lieux et dans tous les temps. Si l'on s’en tenait à la simplicité de cet exposé, dans lequel l’argent est l’objet du négoce, au lieu d’en être le moyen, on s’épargnerait beaucoup de mauvais raisonnements. Les assignats n’ont plus de crédit, vous dit-on; ils perdent tant contre l’argent. On dit une absurdité. Si l’assignat était sans crédit, c’est-à-dire sans valeur reconnue, on ne donnerait pas telle somme pour l’acquérir, car personne n’est jamais obligé de se prêter à cet échange. Si on le croyait désavantageux, on se garderait bien de le faire, à quelque prix que ce fût; et puisque des usuriers s’en chargent, c’est qu’ils estiment l’assignat plus que l’argent qu’ils en donnent. ( Rires à droite; applaudissements à gauche.) Je ne prétends pas cependant persuader à l’homme qui n’a pu obtenir que 920 livres en échange de son assignat de 1,000 livres, qu’il n’a pas perdu 8 0/0; mais je prétends qu’il les a perdus, parce que celui qui possède l’argent, qui voit le besoin que l’on en a, et qui s’aperçoit que la concurrence est grande pour l’acneter, et petite pour le vendre, fait tourner la circonstance à son profit, élève le prix de sa marchandise; et alors il serait plus exact de dire que l’argent est plus cher de tant, et non que l’assigDat perd tant. Lorsqu’une denrée de première nécessité devient rare, on la paye plus cher : avec 6 livres on n’obtient que la même quantité que l’on obtenait précédemment pour 5 livres; on ne dit pas alors que les écus de 6 livres ne valent plus que 5 livres. Il en est de même des assignats comparés à l’argent; la valeur de l’assignat reste la même ; car il est nécessairement, ou tout bon, ou tout mauvais. La valeur de l’argent-marchandise a seule varié suivant l’abondance ou la rareté, suivant telle ou telle circonstance, qui en augmente ou en diminue le besoin, et sans doute encore en raison de l’habileté de ceux qui en font le commerce. Ces observations paraissent peu importantes, mais elles nous conduisent à des conséquences qui le sont beaucoup. La première, c’est que toute denrée que toutle moude veut avoir et que tout le monde n’a pas doit se vendre et ne peut s’échanger gratuitement; vouloir le contraire, c’est vouloir l’impossible; les assignats eux-mêmes en ont fourni la preuve. Dès qu’une division plus commode a été établie, chacun a voulu se procurer les moindres assignats; aussitôt on les a vendus : les petits assignats, devenus plus communs, ont diminué de prix; mais ils sont toujours demeurés un objet de commerce : ce devait être ainsi et cela par la seule raison que tout le monde en voulait, et que tout le monde n’en avait pas. C’est à cette vérité presque niaise, à force d’être simple, que se réduit toute la science économique en ce genre. Il résulte de là que si tous les écus de 6 livres et de 3 livres étaient changés tout à coup en écus de papier, et qu’il circulât en même temps la masse considérable de monnaie du même genre qui existe en grosses sommes, il en serait des écus de papier comme de ceux de métal ; les échanges des petites pièces contre les grosses demeureraient à peu près tels u’ils sont, c’est-à-dire que les mêmes causes onner&ienl les mêmes résultats. Avant u’arriver aux moyens curatifs, il était U*r mai 1791.] nécessaire d’avoir bien étudié la cause de la ma* ladie. Ceux qui exercent le commerce de l’argent ont, jusqu’à présent, eu l’art de faire tourner à leur profit les moyens que nous avions employés pour déconcerter leurs manœuvres. Il faut à notre tour profiter des leçons qu’ils nous ont données. Tant qu’il n’avait existé que de gros assignats, l’argent s’était soutenu à un prix modéré. Lorsque les petits assignats sont devenus un nouvel objetde spéculation, les spéculations ont eu à la fois deux marchés à entretenir : celui des gros assignats contre les petits, et celui des petits contre l’argent. Ces derniers ont pris une place intermédiaire, qui a changé l’ancienue proportion entre les gros assignats et l’argent, cette proposition s’est accrue de la différence que les monopoleurs sont parvenus à établir entre les gros assignats et les petits. Personne n’avait prévu ce résultat. Ce n’est pas par des moyens coercitifs, mais par des mesures sages que nous devons chercher a rendre le peuple indépendant de ceux qui, parvenus à se rendre nécessaires, lui enlèvent journellement une partie de sa subsistance. La première cause du mal est dans la rareté du numéraire et dans le besoin que l'on en a ; il faut le rendre commun ou le rendre inutile; pour cela, il faut ou des écus, ou un équivalent. Une seconde cause est dans les nombreuses séries des hommes différentes entre lesquelles les assignats sont divisés depuis 2,000 livres jusqu’à 50 livres. Il faut profiter de notre expérience, et changer ces divisions pour diminuer la variété des échanges, et rapprocher les extrêmes. Enfin, après avoir établi la concurrence dans les marchés, en y introduisant de nouveaux signes à peu près égaux en valeur à nos écus, il faut empêcher que l’usure ne vienne encore s’emparer de l’échange des derniers assignats contre la petite monnaie, sans quoi nous nous serions donné beaucoup de peine pour déplacer le mal, en le faisant tomber sur des victimes beaucoup plus intéressantes : et, pour parer à ce danger, il n’est pas de meilleur moyen qu’une immense quantité de monnaie de cuivre. Cette mesure est vivement, mais en vain sollicitée depuis un an. On nous a donné des dissertations fort savantes, qui, sans doute, nous ont beaucoup appris; 40 millions de petite monnaie nous eussent laissés dans notre ignorance, et rendus bien plus heureux. ( Applaudissements .) A cette occasion de la petite monnaie, je dois dire à l’Assemblée que j’ai vu ce matin un des artistes employés aux empreintes, et que j’ai su de lui qu’on en est encore au concours. Quand le concours sera fini, il faudra déterminer précisément le dessin; il faudra ensuite faire les modèles; ensuite il faudra faire les machines. Enfin, Messieurs, vous voyez qu’il y aura encore un an d’écoulé avant que nous puissions jouir de nos sous. M. Martineau. Il y a un moyen d’abréger, c’est de se servir des anciens coins et de ne pas vouloir toujours faire du neuf. (Murmures.) J'en fais la motion expresse ; elle est appuyée, et je vous prie, Monsieur le Président, de la mettre aux voix. M. Belzais-Courmenil. L’Assemblée appren* dra sans doute avec satisfaction que l’article dont parle M. Montesquiou l’a absolument trompé. Ayaut décrété une nouvelle empreinte, vous avez statué que les artistes seraient admis au concours ; votre comité les a pressés d’accélérer archives parlementaires. lAMeroblée nation ilo.l ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |1«» mai 1791.] 485 leurs opérations. Iis travaillent jour et nuit et je pais vous certifier qu'à la fin du mois de mai courant ou au commencement de juin prochain on pourra fabriquer sur les nouveaux coins. En attendant, les différents hôtels des monnaies du royaume ont continué à fabriquer du billion sur les anciens coins pour plus de 100,000 livres par mois, taux que vous avez ordonné, et dans la haute Normandie il se fait actuellement des ements de 100 livres en gros sous. cette occasion je ferai une proposition incidente. On a dit qu’il était possible de faire de la monnaie avec le métal des cloches. J’y vois personnellement de grandes difficultés, mais il faut que ce point soit bien éclairci. Je fais la motion que les comités des finances et des monnaies soient tenus de faire faire devant eux les expériences des moyens que plusieurs artistes entendent posséder pour rendre le métal des cloches malléables et d’éclaircir promptement la question de savoir si on peut faire de la monnaie avec ce métal. M-Rabaut-Salnt-Etienne. J’ai moi-même mené au comité monétaire les artistes dont vient de parler M. B'izais-Courmenil ; on leur a ouvert l’atelier du Comité; iis ont joint au métal qu'on leur a donné un ingrédient sur la nature duquel ils gardent le secret; au sortir du creuset, ces lames ont été soumises au marteau et m’ont paru assez malléables. Je demande que vous chargiez votre comité de faire répéter cette expérience, de donner aux artistes le métal et tous les instruments dont ils ont besoin, et que directement après l’expérience les flancs soient portés à la monnaie pour être éprouvés sous le balancier. On peut renvoyer à un autre temps l’examen d’un moyen mécanique qu'ils proposent comme plus facile que celui du balancier ordinaire. Je fais, en conséquence, la motion suivante : « Sur la proposition des sieurs Sauer et Briatte, de faire des expériences pour rendre le métal des cloches malléable et Je mettre en monnaie, 2 membres du comité des finances et 4 membres de l’Académie des sciences se joindront au comité des monnaies pour faire lesdites expériences, et en rendre compte à l’Assemblée, ainsi que du bénéfice qu’il reviendra à la nation, soit de cette offre, soit des autres offres qui ont été faites relativement à l’emploi des cloches qui sont restées inutiles. » M. Leeonteolx de Cantelen. J’ai fait, il y a déjà longtemps, un rapport au nom du comité des finances sur l’emploi des cloches. Le résultat de ce rapport était qu’il serait plus convenable au Trésor public de les vendre en adjudication et à l’enchère; qu’il était très probable que si l’on faisait de la monnaie, du métal des cloches, on ne pourrait mettre cette monnaie en circulation que pour une valeur courante trop au-dessus de sa valeur intrinsèque, parce qu’il faudrait naturellement faire entrer dans la valeur courante d’une livre de ce métal le prix auquel elleaurait été vendue, les frais de foute, celui du secret des artistes pour le rendre malléable, et le bénéfice ordinaire sur la petite monnaie; qu'il ne fallait pas ignorer que la livre de cuivre qui est mise en circulation pour une valeur courante de 42 sous, ne vaut intrinsèquement que de 18 à 20 sous; qu’il est très à craindre que la livre du métal des cloches, dans le cas où elle serait mise en circulation pour une valeur courante de 42 sous la livre, sans obtenir le même bénéfice de monnayage que celui que donne la monnaie de cuivre, n’aurait de valeur intrinsèque, si on voulait eu employer le métal à toutautre usage quedela monnaie, que 8 à 10 sous la livre. Je conclus à la vente des cloches par adjudication et à l’enchère. M. Briois-Beaumetx. Depuis longtemps l’Assemblée aurait dû prendre le parti extrêmement simple de vendre les cloches pour des sous ; il existe une compagnie qui lui offre 35 sous de ce qui ne rapporterait que 11 sous par le moyen de la fusion et de la fabrication en espèces. M. Charles de Lameth. se présente à la tribune. Un grand nombre de membres demandent que la discussion soit fermée. M. Charles de Lameth. Monsieur le Président, vous m’avez donné la parole. J'avoue que je suis étonné que lorsqu’une motion a été faite, qui, dans tous ses détails, a pour objet l'intérêt public, on veuille si précipitamment fermer la discussion. M. Briois - Beaumetz propose de vendre les cloches payables en sous, et il dit qu’une compagnie solide se présente pour les acheter et qu’elle y gagnera beaucoup et fera gagner beaucoup à l'Etat. Je n’ai pas connaissance... M. Le Chapelier. 11 ne s’agit pas de cela. M. Charles de Lameth. C’est une question d’une très grande importance et je demande à être entendu. M. Le Chapelier. Elle ne sera pas décidée aujourd’hui. M. Charles de Lameth. Vous vendrez à bon marché pour racheter très cher. Il m’a été remis différents mémoires qui établissent que ce qu’on vous dit ne pouvoir rapporter par la fonte que 40 sous en rapporterait 44. J’appuie en conséquence la motion de M. Ra-baut. (L’Assemblée, consultée, décrète la motion incidente de M. Rabaut-Saint-Etienne relative à la fonte du métal des cloches. M. de Montesquion. Je reprends mon opinion. Je disais, Messieurs, que l’abondance de la petite monnaie, telle qu’il ne soit pas commode de l’accaparer, ni utile de l’expatrier, fait tomber entièrement l’obiection du preopinant et disparaître le risque de voir tomber sur l’indigent (a perte des assignats de 5 livres. L’existence de cette petite monnaie que je voudrais porter jusqu’à la surcharge, ne rend pas inutiles, ainsi que le pense M. de Beaumetz. les petits assignats. La facilité des échanges n’empêche pas que les pièces qui épargnent le détail immense des menus comptes et l'incommodité des masses de monnaie ne soient très utiles. Un commerçant ne peut pas avoir toujours un chariot chargé de sous à sa suite. Mes conclusions diffèrent peu de celles qui vous ont été présentées par l'estimable auteur de la motion que nous discutons. Je suis également d’accord avec lui sur la fixation du dernier terme de la monnaie, qu’il s’agit de créer. Je la crois déterminée par le prix des salaires communs ; il me semble à désirer que les assignats puissent y servir, mais qu’un assignat ne suffise pas sans