BAILLIAGE DU NIVERNAIS. CAHIER De doléances de clergé du Nivernais et Donziais , séant à Nevers (1). Le clergé de ce bailliage remercie très-humble-Votre Majesté de ce qu’elle a bien voulu se rendre au vœu de ses peuples, en se décidant à convoquer les Etats généraux du royaume. Ces assemblées sont le ressort le plus puissant des empires. Elles en développent les forces, elles en régénèrent l’esprit, et des maux mêmes les plus invétérés, elle font sortir les remèdes les plus efficaces. Un autre rapport a frappé le cœur sensible de Votre Majesté dans cette convocation solennelle. Elle a voulu rapprocher d’elle l’universalité de ses sujets, écouter leurs plaintes, connaître leurs réclamations et acquérir, s’il est possible, de nouveaux droits à leur amour ; c’est en cédant à la confiance qu’inspirent ces désirs d’un bon Roi, que le clergé de ce bailliage vient vous présenter le cahier de ses doléances. DE LA RELIGION, ET ÉTAT ECCLÉSIASTIQUE. 1° La religion catholique a été, de tous temps, en France, la religion de l’Etat. Elle est montée avec nos premiers souverains sur le trône ; leurs successeurs promettent, lors de leur sacre, à Dieu et à leur peuple, delà maintenir dans le royaume et d’en écarter les erreurs qu’elle proscrit. Cette religion sainte est ainsi devenue, pour le bonheur de la nation, une de nos lois fondamentales; et les Etats généraux de 1576 déclarèrent, en conséquence, qu’il n’était pas loisible au Roi de l’altérer, sans leur exprès consentement. Votre Majesté a néanmoins permis, par son édit du mois de novembre 1787, non-seulement aux différents sectaires, mais encore aux ennemis du nom chrétien, de s’établir dans les terres de sa domination, et d’y avoir des ministres de leur croyance. Elle a accordée, contre le texte des anciennes ordonnances, aux hérétiques qui ne croient pas à la nécessité du baptême, de constater par d’autres moyens la naissance de leurs enfants. Elle a autorisé les curés à recevoir les déclarations des mariages des non catholiques, avec injonction, en ce cas, de déclarer aux parties que leur alliance est légitime, quoique contractée hors les lois de l’Eglise. Elle a fait connaître, et par le silence de ces lois, et par des décisions subséquentes, que les non catholiques pourraient occuper des places dans les assemblées municipales et nationales. La dernière assemblée du clergé a fait à Votre Majesté sur cette loi, et sur les malheureux effets qu’elle pouvait produire, des représentations dignes de son zèle ; en y adhérant, le clergé de ce bailliage ose vous observer que l’amour de la religion se nourrit dans le cœur des peuples par la protection que le souverain lui accorde ; que la stabilité des empires est liée à celle de la religion ; que le pouvoir monarchique en particulier (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l'Empire. tire une grande force de l’unité de religion, parce que, rapprochés sur ce grand objet, les hommes se portent naturellement à s’attacher au même maître. 2° L’incrédulité répand, depuis quarante ans, parmi nous, ses systèmes pernicieux avec une publicité naturellement affligeante. Elle établit son enseignement dans des ouvrages dirigés vers cet objet ; elle l’insinue dans les productions d’agrément, de philosophie, d’histoire, d’érudition même, comme pour le reproduire sous toutes les formes et l’inculquer dans tous les esprits. Ses conquêtes n’ont été que trop rapides. Elles se sont d'abord manifestées par le mépris des devoirs religieux et par la dépravation des mœurs ; bientôt elles se sont étendues sur l’ordre social pour en troubler l’harmonie, et leurs suites seront, peut-être, d’en dissoudre tous les liens. Le clergé de votre royaume a fait connaître à Votre Majesté, dans plusieurs de ses remontrances, cette marche ordinaire de l’incrédulité. Il lui a présenté que le renversement de la religion entraînait souvent celui des empires ; que le moyen le plus sûr de prévenir ces malheurs était d’arrêter le cours des productions impies, en assujettissant à une surveillance active la police de la presse ; qu’enfin, les rois ne sont pas moins obligés d’écarter les opinions dangereuses qui égarent les esprits, que de veiller à la sûreté individuelle des citoyens. Le clergé de ce bailliage ajoute, en employant les expressions du grand Bossuet, que si la religion place le trône des rois dans le lieu le plus sûr de tous et le plus inaccessible, dans la conscience où Dieu a le sien, il est du plus grand intérêt d’empêcher que l’incrédulité ne le chasse de cet asile. 3° Les vœux de l’église gallicane sollicitent, depuis longtemps le rétablissement des conciles provinciaux et leur convocation régulière, tous les trois ans, ainsi que la tenue des assemblées synodales dans les diocèses. La demande des conciles n’est pas seulement conforme aux constitutions canoniques, elle l’est encore aux lois du royaume, et notamment à l’édit de Melun, 1610, et à la déclaration de 1646. C’est dans ces assem blées que prit naissane cette discipline ecclésiastique qui a fait la gloire des premiers siècles du christianisme ; c’est par leur moyen qu’elle peut revivre et se soutenir. Les deux ordres du clergé y resserreront les liens qui les unissent, parce qu’ils y seraient ramenés de plus en plus vers les grands objets de leur commune mission. L’administration des évêques y serait connue, et deviendrait plus respectable et plus chère lorsqu’elle serait plus immédiatement dirigée par de sages règlements. Les instructions utiles y seraient encouragées par le concours des lumières, des sentiments et des volontés. Dans un moment où toutes les vues de Votre Majesté sont tournées vers la régénération du royaume, son amour pour la religion lui fera sûrement adopter le moyen le plus sûr de la faire refleurir parmi nous. 4° Tous les établissements ecclésiastiques doivent être soutenus dans la forme et avec les [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [Bailliage du Nivernais.] 247 moyens qui leur sont propres. C’est l’esprit de l’Eglise et de ces fondateurs. Sous ces rapports, les églises cathédrales et collégiales doivent être considérées comme des monuments élevés à la solennité et à la majesté du culte. Plusieurs d’entre elles sont dans une indigence fâcheuse, et il paraît d’une justice rigoureuse de venir à leur secours. L’état des curés ne présente pas des considérations moins intéressantes. Le clergé général s’est occupé, dans ces derniers temps, de leurs dotations et des moyens de leur assurer des retraites. Ces deux objets ont frappé Votre Majesté. Que peuvent faire, en effet, des ouvriers nécessaires et dévoués aux travaux les plus pénibles avec une portion congrue de 700 francs, et quelquefois moins? Et comment l’impossibilité de secourir les malheureux n’ajouterait-elle pas à leurs peines habituelles, tant qu’ils auront de si faibles moyens de subsistance pour eux-mêmes ? Il paraît que la situation de beaucoup de décimateurs utiles ne permet pas d’augmenter, à leurs dépens, la portion congrue ; d’autres moyens ont été suggérés, celui, surtout, de l’union des bénéfices ; mais les cœurs ne semblent pas disposés à le favoriser. Le clergé de ce bailliage supplie Votre Majesté de lever ces obstacles, d’y joindre même la force de l’exemple, en établissant, pour le secours des curés, des pensions sur les abbayes en com-mende. En vain on dirait que le droit de nomination de Votre Majesté en souffrirait quelque préjudice, elle s’en consolera par la pensée qu’elle . aura fait un plus grand nombre d’heureux ; et les richesses se réuniront moins sur les mêmes têtes, contre l'esprit des canons de l’Eglise ; les ressources seront alors suffisantes pour tous les besoins. Les curés ne serontpas réduits àpresser les malheureux pour le payement des droits casuels, toujours gênants pour leur fortune, quelle qu’en soit la modicité, il y aura des pensions pour les prêtres vieux ou infirmes, assez fortes pour les aider dans leurs infirmités, et trop faibles pour les dégoûter du travail. Ces vues sont justes et mesurées ; leur effet en sera plus certain, parce que l’âme sensible de Votre Majesté en sera plus touchée. 5° Le moyen le plus sûr de faire fleurir la religion est de la faire connaître et d’y affectionner le cœur de l’homme dès ses premières années. Ce doit être l’effet d’une éducation vertueuse, et tous les jours, il devient plus difficile de la procureur à la jeunesse. L’état du grand nombre des collèges afflige les citoyens éclairés de tous les ordres. Ce malheur va répercuter jusque dans nos campagnes, avec d’autant plus de promptitude que Tinsouciance de la plupart des parents, sur ce grand objet devient chaque jour plus marquée. Pour réparer les maux présents, et pour en prévenir de plus grands encore, il paraîtrait désirable que la direction de l’éducation publique fût confiée au clergé tant régulier que séculier. II est par état dépositaire des saines maximes et des bonnes mœurs. Il a toujours montré le plus rand zèle pour l’enseignement et la propagation es connaissances utiles. Les premières écoles se sont formées dans les églises et dans les monastères. Les collèges, établis dans ces derniers temps, ont été principalement dotés par les évêques. L’ordre ecclésiastique offre encore l’avantage d’avoir en général plus de sujets instruits, et de se livrer par état moins au£ soins temporels de tous les genres,' et d’être particulièrement soutenu, dans des travaux rebutants de leur nature, par l’amour de la religion et par le désir d’en étendre les salutaires influences. Votre Majesté, depuis longtemps occupée de cette partie de l’ordre public, a fait connaître qu’elle voulait la régler avec les Etats généraux du royaume : la justice applaudit à cette vue; nul objet n’intéressera plus l’assemblée nationale que le soin des générations qui doivent la perpétuer. 6° L’expérience a montré, depuis longtemps, que les ecclésiastiques devaient recevoir une éducation plus suivie et plus sévère que le reste des citoyens ; qu’il était convenable de les élever loin du monde, pour qu’ils y remplissent, dans la suite, avec plus de fruits, les fonctions de leur état. Les séminaires ont été établis dans cette vue ; ils n’ont d’abord été dirigés que vers les études et les épreuves qui disposent immédiatement au sacerdoce. La dépravation actuelle des mœurs a fait sentir à plusieurs évêques la nécessité de s’y prendre de plus loin pour entretenir les goûts vertueux dans les jeunes aspirants à l’état ecclésiastique. Il s’est, en conséquence, formé des petits séminaires dans quelques diocèses. Les bonnes inclinations s’y fortifient par l’exemple, ou par d’utiles instructions. Votre Majesté est suppliée de favoriser ces établissements et de faciliter les unions de bénéfices, tant pour servir à leur dotation, que pour établir, dans les grands et petits séminaines, des bourses qui se donnent au concours. Si l’ordre ecclésiastique, qui fournit déjà les ministres des autels, devient encore la pépinière des instituteurs, il aura un titre de plus pour obtenir appui et protection en faveur des petits séminaires. 7° Les ordres religieux sont les troupes auxiliaires de l’Eglise. Les uns sont spécialement consacrés à la vie contemplative, les autres joignent à l’exercice habituel de la prière différentes parties du saint ministère, telles que la prédication, la confession et, suivant le besoin, le service des paroisses.. Il est vrai que tous les ordres religieux ne sont plus dans la ferveur de leur état ; et peut-être le relâchement s’est-il augmenté par les réformes politiques opérées dans les derniers temps, ainsi que par le changement de l’âge de seize ans, auquel les religieux s’engageaient. Votre Majesté aura plus d’une occasion de se convaincre que la manière de réformer les abus n’est pas toujours de détruire. Pour ramener les ordres religieux à leurs anciennes obligations, il faut y appeler les principes et surtout la subordination envers les supérieurs, qui est le nerf de la discipline religieuse. 11 y a, dans tous les ordres, des sujets édifiants et amis de la règle qui seconderaient avec plaisir ces vues salutaires. Si tes religieux étaient détruits par une opération soudaine, ils ne tarderaient pas à être regrettés et à former un vide. Le clergé séculier suppliera toujours pour leur conservation ; et s’il est quelques maisons qu’il soit impossible de soutenir, la justice invite Votre Majesté à laisser faire de leurs biens une application utile à la religion et au service des diocèses, ainsi qu’à opérer ces suppressions en suivant les formes légales, et par les moyens les plus doux. 8° Les communautés religieuses de filles sont presque la seule ressource pour l’éducation des jeunes personnes de leur sexe. Les arrêts 4ês cours, jaelquefois même des jugements des tribunaux: inférieurs, assignent cesqnaisons pour re- 248 [Etats 8®n-1789* Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Bailliage du Nivernais. traite ou pour lieu d’épreuves à des femmes qui plaident en séparation de leur mari, ou qui tiennent d’ailleurs une conduite suspecte. C’est seulement pour la forme, que la permission de l’évêque diocésain est demandée. Il la donne avec peine, et il craint de faire plus de mal encore en la refusant. La simple raison montre assez que les exemples de mariages au moins malheureux ne doivent pas être mis sous les yeux de la jeunesse. 11 peut même arriver que la conduite personnelle de ces femmes soit dangereuse pour les communautés elles-mêmes , ou devienne, pour elles, un sujet d’embarras et de peines. Il serait de la justice et de la bonté de Votre Majesté d’empêcher que les communautés ne fussent forcées de recevoir des personnes étrangères avec qui elles n’ont pas pris rengagement de vivre , et de défendre aux juges d’assigner pour retraite, dans toutes les circonstances de cette espèce, des maisons destinées à l’éducation. 9° Les fêtes, et surtout les dimanches, sont des jours spécialement consacrés au Seigneur, que les chrétiens doivent honorer par la cessation au travail et par la prière. L’obligation de les sanctifier est presque méconnue dans la capitale du royaume et bien négligée dans les villes un peu considérables des provinces. Dans les campagnes, il se tient quelquefois des foires, et surtout des assemblées connues sous le nom d’apports, qui sont des rendez-vous de scandale et de licence. Les ordonnances rendues sur ces objets forment une chaîne respectable, depuis les premiers rois français jusqu’au règne de Votre Majesté. Le clergé de ce bailliage en réclame l’exécution, avec d’autant plus de confiance que des lettres patentes, données en 1778, enjoignent, en termes exprès, de tenir la main à ce que les ordonnances et règlements concernant l’observation des fêtes et dimanches soient exécutés-, qu’en conséquence, hors les cas d’une nécessité publique et urgente, tout travail cesse ès dits jours, même dans les maisons royales et autres lieux privilégiés. Il devient d’autant plus nécessaire de réveiller, sur cet objet, la vigilance des magistrats, que le nombre des non catholiques augmentera dans le royaume, en conséquence de l’édit de 1787; ils ne seront tenus à la sanctification des fêtes qu’en ver tu des lois civiles. Votre Majesté l’a prévu. Pour écarter de ses sujets catholiques un danger évident, elle a ordonné que les non catholiques rendraient à la religion dominante l’hommage de se conformer aux lois de police pour l’observation des fêtes. Elle ne permettra pas que les ordonnances de ses prédécesseurs et les siennes demeurent sans effet. ADMINISTRATION DU ROYAUME ET FINANCES. 10° Votre Majesté est très-humblement suppliée de proroger et de défendre les titres, franchises et propriétés de tous et chacun de ses sujets, et ceux notamment de l’ordre ecclésiastique. L’Etat des personnes en France n’est pas le fruit du hasard ; il a été déterminé par le génie de la nation, par des conventions anciennes, par la possession et par les lois. C’est sur ces fondements que reposent les droits du souverain, ainsi que ceux des peuples , et Votre Majesté sera sûrement portée à maintenir les uns et les autres par les principes d’ordre et de justice qui sont gravés dans son cœur. 11° La prospérité la plus précieuse à la nation est celle du domaine de la couronne. Il y a peu de Français qui n’en voulût conserver l’intégrité par le sacrifice même d’une partie de sa fortune. Ce sentiment nous a été transmis très-anciennement par nos pères ; il a déterminé plusieurs ordonnances, accordées au vœu desEtats généraux, pour conserver l’inaliénabilité du domaine royal. Par un étrange contraste , la nation se plaint également de la facilité avec laquelle s’aliènent et s’acquièrent journellement les domaines. Les aliénations se pratiquent sous le titre d’échange, d’inféodation , d’engagement ; et toujours il en résulte une diminution de revenus, des acquisitions sans vues d’utilité, dans les temps de détresse et toujours au plus haut prix. C’est un double moyen de se ruiner que de vendre à bas prix et d’acheter cher. Cet abus a porté quelques amis des nouveautés à proposer la vente absolue des domaines. Uns pareille résolution affligerait la partie saine de la nation : elle contrarierait les principes adoptés par les fondateurs de la monarchie et sanctionnés par une longue suite de lois. Si Votre Majesté daigne se faire rendre compte de ses moyens et de ses ressources, elle connaîtra facilement que le domaine royal pourrait s’administrer presque avec la même économie que les biens des particuliers. Charlemagne en a laissé le mémorable exemple ; en marchant sur ses traces, on verrait bientôt les domaines devenir une branche très-importante du revenu public. 12° Le droit de s’assembler en Etats généraux appartient essentiellement à la nation et ne peut être séparé de son existence légale. Ces assemblées éclairent le souverain sur les maux de l’Etat et sur les entreprises des ministres. Elles défendent les droits particuliers et pourvoient aux besoins publics. Tous les malheurs actuels dérivent de la cessation de ces assemblées, notamment la déprédation des finances, l’inégalité de la répartition, la multiplication des privilèges qui surchargent les dernières classes des contribuables. 11 est donc devenu nécessaire , non - seulement de convoquer la nation, mais de statuer sur le retour périodique des Etats généraux , et d’en faire dépendre la durée ou la continuation des tributs. C’est dans cette source pure que Votre Majesté trouvera son bonheur ; il est inséparable de celui de ses peuples. 13° La forme des Etats généraux est déterminée par toute la suite de notre histoire. Le clergé y forme un ordre et le premier ordre de l’Etat. Il y délibère séparément, il y accorde volontairement ses tributs. C’est le privilège de chacun des trois ordres de l’empire français, qu’ils exercent avec indépendance Jes uns des autres. Les augustes prédécesseurs de Votre Majesté l’ont toujours maintenu et conservé ; ils l’ont consigné dans divers monuments et surtout dans les célèbres lois de 1355 et de 1560. Le clergé de ce bailliage a espéré qu’en conformité de ces exemples, il conservera, pour le bien de tous les ordres, ce principe fondamental de la constitution française ; et il a cru de sa fidélité d’enjoindre très-expressément à ses députés de ne s’en écarter sous aucun prétexte. 14° La possession de former ordre dans l’Etat suppose, de la part du clergé, l’exercice le plus libre du droit de représentation qui appartient à chacun de ses membres. Cette liberté a été gênée par un grand nombre des dispositions du règlement du 24 janvier dernier, et par les interprétations qui s’en trouvent consignées dans les ordonnances de MM. les baillis d’épée. Le clergé a vu, avec surprise, qu’un article de [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage du Nivernais.] 249 ces ordonnances enjoignît de le lier par serment à procéder aux élections par voie de scrutin, et à n’élire que tel et tel nombre de députés. Ce serait faire perdre à la nation, par la voie du serment, une partie de la liberté que le droit naturel lui assure. Ce serait attacher la religion du serment à des engagements qui n’en sont pas susceptibles par leur nature. Le texte du règlement porte encore plus d’atteinte à la liberté nationale ; il exclut indirectement les agents généraux du clergé, fondés en une possession qui se lie à l’existence de leur ordre. 11 limite, sur le nombre des individus, le nombre des députés des corps et communautés ecclésiastiques; il n’accorde qu’un député dans certains cas sur dix, dans d’autres, sur vingt personnes. Il traite comme des espèces de corporations les ecclésiastiques résidant dans les villes. Ces nouveautés sont sans exemple. Elles supposent des classifications auparavant inconnues, les appréciations humiliantes de l’état, du rang, de l’influence des personnes contre le principe ancien qui autorisait tous les ecclésiastiques particuliers, de même que les nobles, à se rendre aux assemblées bailliagères, et tous les corps et communautés à déterminer le nombre de leurs représentants. Le règlement est plus sévère encore vis-à-vis des religieux non rentés. Il les exclut des assemblées, comme si les Etats généraux n’avaient pour objet que de consentir des contributions, comme si des objets de bien public, de police, de législation générale étaient étrangers à des religieux non rentés. Les curés sont tous appelés en apparence, mais les assemblées leur sont interdites, si, étant éloignés de la séance du bailliage de plus de deux lieues, ils n’ont pas des desservants ou des vicaires pour tenir leur place. Leur droit est alors restreint à envoyer des procurations ; et leur trop grand nombre empêche de trouver des fondés de pouvoirs, ou la confiance est donnée à l’aveugle , en sorte qu’on ôte d’une main, au grand nombre des curés, ce qui paraît leur être donné de l’autre. Tous ces inconvénients auraient été évités en suivant des formes connues et faciles. La justice de Votre Majesté autorise à croire qu’elle ne se formalisera pas de ce que députés de ce bailliage réclament contre l’atteinte portée à la liberté de l’ordre ecclésiastique, et qu’après s’être fait entendre à la chambre du clergé, ils fassent, pour la défense d’un droit si précieux, toutes les démarches utiles, et dans les mesures avouées par l’ordre public et par les lois. 15° Le vœu général de la nation est que toutes les provinces du royaume soient mises en pays d’Etats; et le cœur sensible de Votre Majesté incline à donner à ses peuples cette marque de sa tendresse paternelle. La manière de former ces Etats décidera le prix et l’étendue du bienfait. Le clergé de ce bailliage se rapporte aux vues qui seront proposées à cet égard par l’assemblée nationale, mais il désire vivement et demande avec instance que le Nivernais et le Douziais forment des Etats séparés, sans dépendance des provinces voisines et sans distraction des parties aujourd’hui confondues dans les généralités de Paris, Orléans et Bourges, pour former les élections de la Charité, Vézelay et Clamecy. Cet ensemble ne donnera pas aux pays la consistance d’une administration fort étendue, mais l’expérience montre que les administrations, et trop étendues, et trop resserrées, ont, les unes et les autres, des avantages et des inconvénients. ïo° Tous les ordres de l’Etat ont manifesté le désir de voir établir la plus juste répartition des charges publiques. La constitution française n’admet aucune exception pécuniaire et ne souffre que les prérogatives de distinction et d’honneur, attribuées à de certains ordres et à de certaines personnes. Mais il faut observer que la répartition des charges publiques ne serait pas juste, si tous les biens n’étaient pas appelés à y concourir, si les biens-fonds étaient seuls imposés, si l’indus-irie et le commerce portaient tout le fardeau. La grande difficulté des circonstances présentes consiste donc à déterminer dans quelle proportion se balancent, dans le royaume, le produit des biens-fonds avec ceux de l’industrie ej; du commerce. Les premiers sont susceptibles de calcul, les seconds s’y refusent par leur nature : il paraît difficile de marcher entre ces extrêmes. Cependant il est démontré que tout sera perdu pour l’Etat, si l’imposition des biens-fonds dégoûte de les cultiver, si les taxes mises sur l’industrie el le commerce éloignent des professions lucratives. Votre Majesté est suppliée de faire rechercher, avec le plus grand soin, les dangers et les inconvénients de toute nouvelle assiette d’impositions, afin de prévenir les maux qu’elle pourrait produire. Il serait bien affligeant qu’en voulant atteindre la plus juste répartition, on ne tarît, sans retour, les ressources de la prospérité publique. 17° Le clergé n’entend pas se maintenir dans le droit de former un ordre à part, pour se soustraire à cette juste répartition des charges publiques, que tous les désirs appellent. Il reconnaît devoir à ses concitoyens l’exemple du désintéressement, et se porte, avec joie, à donner au souverain des témoignages de zèle. Mais il n’a pu voir sans douleur que ses dons gratuits aient été présentés à la première assemblée des Notables comme un objet de 3,400,000 livres par an au trésor royal, tandis qu’il prélève annuellement 10 millions sur lui-même, sans y comprendre les contributions des pays conquis. La bonne foi exige d’exposer à cette assemblée que les précédents ministres, pour jouir par anticipation des dons du clergé, l’avaient engagé dans des emprunts ruineux ; que des décimes annuels en sont le gage; qu’ils sont employés fidèlement à payer des intérêts, ou à éteindre des emprunts formés pour le bien de l’Etat; qu’en un mot, il était impossible de jouir par anticipation, et de retrouver dans le trésor public les produits annuels. Il fallait dire encore que, malgré les lois anciennes et ses contrats avec nos Rois, le clergé avait insensiblement été imposé à la taille, sous le nom de ses fermiers, d’abord à raison du produit de leurs fermes, ensuite à raison de leur exploitation, en telle sorte que les biens ecclésiastiques, en pays d’élection, sont imposés comme lesbiens laïques, et sans distinction. Le clergé désire que, par un relevé fidèle, il soit constaté quelle perte il supporte dans les impôts directs, sous le nom de taille ou de décimes. J1 est bien assuré que sa position ne paraîtra pas alors meilleure que celle des autres sujets. Mais, pour ne laisser aucun équivoque sur ses véritables sentiments, le clergé de ce bailliage offre de s’en rapporter au jugement de la nation assemblée, pour savoir : 1° Quelle mesure d’égards il convient d’avoir pour la nature et la destination des biens des ecclésiastiques ; 2° Quelle règle il faudra suivre dans l’imposition de ceux des ecclésiastiques qui, chargés de fonctions publiques et journalières , seraient, comme les militaires eux-mêmes, à la charge de 250 [Étals gén. 1789. Cahiers.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. l’Etat s’ils ne jouissaient pas de la portion de bien qui leur est affectée ; 3° S’il peut résulter avantage ou inconvénient pour la chose publique de la conservation des formes actuelles de l’administration ecclésiastique, en matière d’imposition. L’habitude rend insensible aux avantages de l’ordre établi ; sa subversion excite souvent des regrets tardifs ; si la nation donne son avis contre les formes particulières à l’ordre ecclésiastique, le clergé ne se reprochera pas d’en avoir fait le sacrifice, quels que soient les événements. 18° Dans le cas où la conservation de ses formes paraîtrait. avantageuse, les curés espèrent que Sa Majesté 'écoutera les observations qui lui ont été présentées par les assemblées du clergé pour perfectionner cette administration. Elles tendent à donner aux diverses classes de bénéficiers, tant séculiers que réguliers, et surtout aux curés, dans chaque chambre diocésaine, des représentants amovibles et librement choisis par eux. Les mêmes motifs conduiront à donner aux curés, dans les assemblées métropolitaines et générales, l’influence qu’ils ont droit d’avoir, et y porteront la connaissance des besoins des dio-eèses. Us s’y éclaireront sur les intérêts généraux du clergé. Ils seront la preuve du respect porté aux anciens services, et, contribuant aux charges de l’ordre ecclésiastique, ils en partageront avec justice les honneurs, les distinctions, et surtout les grâces de Votre Majesté. 19° Les causes de la dépopulation et de la misère des campagnes doivent être soigneusement recherchées dans les grandes assemblées des nations. Votre Majesté en a montré le désir en indiquant les procédés à suivre pour connaître leur situation par l’appel des propriétaires qui les habitent, et surtout pour entendre, sur cette matière, la voix des pasteurs. Ils vous diront que les premières causes du mal sont dans la rigueur des impôts et dans leur mauvaise répartition. Mais il en est d’autres qu’il ne faut pas taire ; de ce nombre estl’ignorauce des chirurgiens et des sages-femmes, le défaut de bureaux de charité dans les paroisses, l’absence des grands propriétaires qui livrent leurs biens à des fermiers avides, uniquement occupés de rendre leur exploitation utile pour eux-mêmes, sans se mettre en peine des vassaux du seigneur et de leur anéantissement. La non-résidpnce des bénéficiers simples produit les mêmes effets ; et elle n’est pas toujours compensée par les aumônes qu’ils doivent faire suivant l’esprit de l’Eglise. Le goût des dé-frichemenits, les concessions des terres vaines et vagues ont été aussi portés trop loin, et jusqu’à diminuer les ressources pour la nourriture des bestiaux; et à ce mal se sont jointes les anticipations sur les usages. Il convient d’observer encore que, si la grande culture a des avantages, elle a aussi des inconvénients. Elle détermine des établissements et de grands domaines auxquels on réunit les terres attachées à des habitations de journaliers; et le nombre des mains laborieuses diminue ainsi tous les jours. Plusieurs raisons engagent, sans doute, les propriétaires à cette manière d’exploiter. Elle occupe moins de bras, elle oblige à entretenir moins de bâtiments. Il est de fait que la petite culture multiplie les occupations et fait vivre plus d’individus. Si cette vue n’est pas un sujet de législation, elle l’est au moins d’une grande prévoyance, car la force des empires est déterminée par le nombre de leurs habitants et par Jjeurhonheur. [Bailliage du Nivernais.) 20° Les Etats généraux de 1614 demandèrent l’abolition des droits de traite qui se payent en passant de certaines provinces du royaume dans d’autres, et que tous bureaux de traites et droits d’entrée fussent établis à l’extrême frontière. Cette vue tient à d’excellents principes : il ne semble pas juste que des sujets d’une même puissance soient traités comme étrangers les uns aux autres. Cet état subsiste pourtant encore par l’effet de règlements successifs. Le royaume est aujourd’hui divisé en provinces de cinq grosses fermes, provinces réputées étrangères, provinces à l’instar I de l’étranger. La raison est blessée par ces dénominations barbares. Pour les faire disparaître, il faudrait compenser le produit réel des droits existants par des droits équivalents, levés à l’entrée et à la sortie du royaume. Il faudrait surtout que les provinces à l’instar de l’étranger trouvassent dans un nouvel ordre de choses une compensation pour la liberté de commerce extérieur qu’elles se sont réservées en se donnant à la France. Votre Majesté a fait connaître à la première assemblée des Notables qu’elle avait fait préparer un grand travail sur cet objet. Elle est suppliée de ne pas le perdre de vue. Le Nivernais a un intérêt plus pressant encore de voir supri-mer le droit de la marque des fers, qui donne à son principal commerce de si funestes entraves. Dans un moment où chacun peut proposer ses vues, les divers citoyens demanderont, sans doute, la suppression des impôts qui les grèvent plus spécialement. Il n’est pas possible de les supprimer tous. Mais, lorsque des impôts donnent de faibles produits, lorsqu’ils coûtent plus en frais de perception qu’ils ne donnent en recouvrement, leur proscription doit être prononcée. Les droits de traite et de la marque des fers réunissent ces fâcheux caractères. 21° Il serait injurieux pour les députés aux Etats généraux de penser qu’ils donneront leur consentement à l’ouverture d’aucun emprunt et à 1’établissement d’aucun impôt, avant que la situation des finances n’ait été vérifiée avec le plus grand soin, que les réductions possibles dans les diverses branches de l’administration n’aient été opérées, et que le montant de la dépense publique nécessaire n’ait été déterminé. Mais Votre Majesté désire sûrement que leur zèle aille plus loin, et qu’avec le remède des maux passés, ils présentent des préservatifs pour l’avenir. Elle est suppliée de ne pas perdre de vue que l’ordre est Je principe de toute bonne administration, et qu’il est du plus grand intérêt de l’établir sur des bases immuables ; que l’ordre impose la loi de l’exactitude dans la comptabilité; qu’il prescrit la destination d’un fonds particulier pour chaque dépense particulière; qu’il oblige à respecter les affectations et assignations déterminées par les édits d’emprunts ou par d’autres lois et règlements. Le trésor royal est devenu la source commune qui fournit à toutes les dépenses. Les préposés aux versements divers réservent une masse qui tranquillise sur les malheurs extrêmes. Mais cette masse est formée par la langueur de tous les services; plusieurs parties sont en souffrance, et la tranquillité règne parce que l’argent paraît abonder. Le ministre est moins armé contre les demandes indiscrètes, parce qu’il n’est pas retenu par la connaissance des besoins. L’immensité de la dette nationale semble exiger qu’il s’établisse un ordre nouveau; que les fonds destinés aux créanciers del’Etat ne sojiept jamais confondus avec ceux des dépenses ordinaires, et [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage du Nivernais.! u’il existe, pour ces deux caisses, des préposés ifférents. Cette méthode conduira à reprendre les moyens d’amortissement qui avaient été adoptés ci-devant, et dont la détresse même n’excuse pas l’abandon. Votre Majesté ordonnera sans doute à ses ministres de se concerter avec les Etats sur ces importants objets, et de convenir avec eux d’une marche qui les rassure contre les surprises et qui éclaire, dans tous les temps, ses sujets sur le véritable état des finances. JUSTICE ET POLICE. 22° La réforme du code civil et criminel est, pour le royaume, un objet d’attente universelle ; la simplification des formes, la diminution des frais sont devenus des besoins réels ; la nation gémit de voir , tous les jours , s’accroître les moyens de compliquer les procédures, de grossir le goût des assignations, celui des actes de notaires et surtout des inventaires des huissiers-Sriseurs nouvellement établis dans les provinces. ais Votre Majesté est suppliée de considérer : 1° Que les grandes réformes de ce genre demandent de longues réflexions et de sages mesures. La magistrature s’honore encore du nom des hommes célèbres qui furent employés à la rédaction des ordonnances civiles et criminelles. Sous Louis XIV, ce grand roi ne les publia, malgré la confiance qu’inspiraient leurs lumières, qu’après avoir consulté ses parlements, et même les personnages distingués des tribunaux inférieurs des provinces. 11 savait combien les changements ont de dangers, et combien les méprises, en matière de législation, préparent de suites fâcheuses. 2° Que la diminution des frais est un objet encore plus important à prévoir dans les juridictions secondaires que dans les cours souveraines, parce qu’il en coûte souvent plus de plaider dans un bailliage que dans un parlement. Cependant, il est vrai que les causes des malheureux finissent la plupart dans les bailliages; et Votre Majesté trouvera, dans cette considération, un motif de plus de prévenir, par de sages règlements, l’abus que notre fidélité vous dénonce. 3° Que toute réforme des lois serait inutile, si la nation voyait se reproduire l’affligeant spectacle des commissions créés pour juger certains particuliers ou certains délits. La justice demande que tout sujet de Sa Majesté soit laissé à ses juges naturels ; l’intérêt de la nation s’accorde à cet égard avec l’honneur du trône. 23° Votre Majesté est animée du désir le plus vif de faire rendre la justice à ses peuples : c’est le premier devoir des Rois, et leur première dette. Ce sentiment l’a éclairée sur la nécessité de rapprocher les tribuaux de divers justiciables et ce vœu doit le faire bénir de la nation. Mais il convient d’observer à Votre Majesté que c’est surtout, pour les premiers besoins, pour les affaires simples et journalières, que le recours à la justice doit être prompt et facile. Le malheureux, l’opprimé ne peuvent pas être trop tôt secourus. 11 n’est pas également nécessaire que les tribunaux d’appel, et surtout les tribunaux en dernier ressort, se trouvent, pour ainsi dire, à la portée de tous les plaideurs. ILen résulterait rineonvénient inévitable de multiplier les procès, d’en nourrir le .goût, de grossir le nombre des suppôts de la justice qui, pour assurer leur existence, fomenteraient l’esprit de chicane. La substance du royaume passerait insensiblement dans leurs mains, au grand préjudice des qualités morales du peuple français et des arts et professions plus utiles à cultiver. La trop grande multiplication des tribunaux en dernier ressort aurait un autre danger : ils ne présenteraient plus l’image de ces corps augustes, capables d’en imposer à la multitude ; des juges resserrés dans une sphère trop étroite ne s’étendent pas plus loin qu’elle ; ils se concentrent dans ce qui. les entoure; ils sont subjugés par de petits intérêts , d’autant moins propres à réunir la confiance universelle, Toutes ces difficultés s’évanouissent Si Votre Majesté rappelle l’ordre ancien des choses et réforme les abus présents. L’ancien état attribue aux seigneurs le droit de justice. Cette propriété est aussi respectable >que les autres. Elle met la justice à la portée des justiciables ; l’abus est que plusieurs seigneurs ne s’acquittent pas assez exactement de leur dette vis-à-vis de leurs vassaux , ne font pas tenir leurs assises dans des lieux assez commodes et semblent n’avoir que pour la forme des juges résidant loin des seigneuries et ne tenant que rarement leürs audiences. L’ancien ressort des cours souveraines a déterminé à les composer d’un nombre considérable de juges. L’abus est que les charges ont été multipliées pour les besoins de la finance, sans égard à la faiblesse de cette ressource et aux suites fâcheuses de la multiplication des privilèges. Les résidiaux sont un établissement ancien et utile. ’abusest, peut-être, que leurs ressorts, ainsi que celui des bailliages, ne soient pas mieux arrondis, qu’ils n’aient pas une attribution plus forte et telle que les causes d’un grand intérêt sortent seules des limites des provinces. Votre Majesté pèsera ces puissantes considérations avec la nation assemblée, et ne touchera un édifice noble et majestueux qu’en mesure des altérations qu’il aura éprouvées. 24° Votre Majesté a fixé ses regards sur les tribunaux d’exception et a paru les considérer comme une surcharge fâcheuse. Il semble, toutefois, que leur proscription universelle doit être précédée du plus sérieux examen. Les lois, en matière d’impôt, forment aujourd’hui, parmi nous, un code immense, dont l’étude est plus que suffisante pour l’application et les moyens de la plupart des hommes. Il n’y a que des génies rares qui fussent en état de "joindre à la connaissance approfondie des lois générales celle des règlements sur le fait des tailles, des aides, de la gabelle et de toutes les autres impositions. En rapprochant ces rapports, il faudra, peut-être, conclure à l’impossibilité d’un tribunal unique, malgré les charmes attachés à une idée si touchante par sa simplicité. Quels que soient les partis à prendre, Votre Majesté croira, sans doute, dans sa justice, qu’elle doit des ménagements aux propriétaires d’offices ; qu’il est impossible de les dépouiller de leur état sans des indemnités proportionnées; que la suppression des tribunaux est un de ces grands actes d’autorité sur lesquels la nation doit être consultée ; que les suppressions d’officiers particuliers ne peuvent être prononcées que le cas de vacance arrivant, ou après le jugement de la forfaiture. Telles sont nos mœurs , tels sont nos usages, tel est le droit national ; et le clergé de ce bailliage peindrait difficilement à Votre Majesté la douleur profonde qui accabla la ville de Ne vers, lorsqu'elle vit, dans l’année dernière, fa puissance royale frapper du même coup toutes les juridictions inférieures d’exceptions qui y sont établies. 25° Lee mœurs anciennes du clergé me permettaient pas .que 4es ministres des autels parussent Î52 [Etats gen. 1789. Cahiers] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage du Nivernais.! dans des cours séculières et fassent jugés autrement que par l’évêque assisté de son presbytère, ou par des officiaux revêtus de ses pouvoirs. C’était la suite de cet esprit de paix qui a toujours distingué le christianisme. Diverses causes ont changé cet usage respectable, et il n’en reste plus que la procédure conjointe déterminée dans certains cas par les lois. Ce ne serait pas intervertir l’ordre établi dans le royaume, que de demander à Votre Majesté de rendre aux évêques une partie de cette juridiction que votre confiance leur déférait encore, en érigeant, dans chaque diocère, un tribunal de conciliation qui serait présidé par eux, et devant lequel seraient tenus de comparaître, avant de se présenter aux tribunaux séculiers, les ecclésiastiques qui auraient des procès les uns avec les autres. Nous soumettons cette idée à Votre Majesté avec d’autant plus d’empressement qu’une pareille institution exciterait la confiance publique et présenterait, en tous lieux, aux personnes de bonne foi un moyen de terminer à l’amiable tous leurs différends. 26° L’édit du mois de mai 1765 associa les ecclésiastiques à l’administration des villes. Les motifs qui déterminèrent à cette association se trouvent consignés dans une lettre d’un des ministres du feu Roi. Sa Majesté, disait cette lettre, a appelé les membres du clergé à l’administration des villes, parce qu’elle les a regardés comme des citoyens éclairés, sur le zèle patriotique et sur les lumières desquels elle pouvait compter. Son objet a été de multiplier les coopérateurs en qui elle pouvait raisonnablement placer sa confiance, et s’assurer d’autant plus de l’exacte observation des règles qu’elle établissait. Le clergé justifiera toujours, par son zèle, une opinion si flatteuse, qu’il en est d’autant plus touché d’avoir été exclu de la municipalité de Nevers ; sous le frivole prétexte que les ecclésiastiques ne pouvaient pas être officiers municipaux, on a tiré contre eux d’un princice faux une conséquence injuste. Le clergé de ce bailliage en demande le redressement, et ce vœu est fondé sur la loi même qui a déterminé la constitution actuelle des municipalités. 27° Les dernières assemblées du clergé ont fait connaître à Votre Majesté combien devenaient fréquentes les aliénations des biens de l’Eglise, malgré la sévérité des lois ecclésiastiques et la multiplicité des formes civiles pour empêcher ces sortes de spoliations. Les lettres patentes, portant permission d’aliéner, s’obtiennent facilement au conseil. Les cours souveraines homologuent sans enquêtes, Ou sur des enquêtes fort légères, les actes d’arrentement , les baux emphytéotiques, les baux à cens, les échanges. Jamais les évêques ne sont consultés , quoique chefs des diocèses , quoique premiers administrateurs des églises qui les composent. Nos lois ont défendu aux gens de mainmorte d’acquérir , et des considérations assez fortes ont pu inspirer cette prohibition . Mais on s’égarerait en pensant que les mêmes motifs doivent conduire à laisser dépouiller les églises ; la société doit subsistance aux ministres des autels ; ils retomberaient à sa charge, si les dotations devenaient insuffisantes. L’intérêt commun demande donc que les mesures les plus exactes soient prises pour maintenir les lois canoniques èt les formes civiles touchant l’inaliénabilité des biens d’Egiise : les assemblées du clergé en ont indiqué les moyens. Le clergé de ce bailliage, animé du même esprit , supplie Votre Majesté d’ordonner que, dans le cas où des vues de bien public imposeraient à quelques églises la nécessité de sacrifier des parties de biens-fonds, le remplacement soit fait en biens de même nature, et que, dans aucune circonstance , il n’y soit subtitué des rentes en argent qui dépérissent par leur nature. Il a cru même de son devoir de donner, sur ce sujet, à ses députés les instructions les plus positives. Signé Damas, doyen ; f Pierre , évêque de Nevers, président ; Delarue, prieur ; Boury, chanoine ; Maugin de Gautrières, chanoine ; Decray, curé, archiprêtre deDécise; Malaprat, curé, ar-chipêtre ; Pimantron, chantre, curé de Glamecy ; Rogelet, prieur ; Fouques,curé de Saint-Laurent; F. -Augustin Gogois; Garouge, curé de Monceau; Després, vicaire général; Trouflant, secrétaire; Panier, curé d’Ourouer-aux-Moigne, secrétaire. CAHIER GÉNÉRAL De la noblesse du bailliage de Nivernais et Don-ziais, et pouvoirs par elle donnés à ses députés (1). Cejourd’hui, 22 mars 1789, la noblesse du bailliage du Nivernais et Donziais, légalement assemblée en vertu des lettres du Roi données à Versailles, le 24 janvier dernier, pour la convocation et assemblée des Etats généraux de ce royaume, et de l’ordonnance de M. le bailli dudit siège, rendue en conséquence, le 14 février suivant, donne aux députés qui seront élus par elle par la voie du scrutin, pour représenter ledit bailliage aux Etats généraux du royaume, tous les pouvoirs généraux et suffisants" pour proposer, remontrer, aviser et consentir tout ce qui peut concerner les besoins de l’Etat, la réforme des abus, l’établissement d’un ordre fixe et durable dans toutes les parties de l’administration, la prospérité générale du royaume et le bien de tous les sujets de Sa Majesté. ’ A ces pouvoirs, tels qu’ils sont prescrits par les lettres même de convocation, la noblesse du Nivernais croit devoir ajouter les instructions suivantes, et elle enjoint expressément à ses députés de s’y conformer littéralement. Art. 1er. D’après les formes constitutionnelles du royaume et l’intentiou expresse de la noblesse du Nivernais, l’opinion par ordre sera maintenue et conservée. Art. 2. Avant toute délibération sur l’objet des finances, les droits de la nation seront reconnus, avoués et constatés par un acte synallagmatique, et déposés dans une charte solennelle, revêtue de tous les caractères de l’authenticité. Art. 3. Ces droits sont : 1° Le pouvoir législatif en toute matière, de telle sorte que toute loi ait besoin d’être demandée ou consentie par la nation. 2° Le droit de consentir, répartir et percevoir des impôts. 3° La liberté individuelle et sacrée de tous les citoyens. 4° Le droit de propriété reconnu également sacré. Art. 4. De même et avant toute délibération, la périodicité fixe et assurée des Etats généraux sera obtenue. Art. 5. Il sera établi des Etats provinciaux dans toutes les parties du royaume qui n’en ont point encore. (1) Nous publions ce cahier d’après un imprimé de la Bibliothèque du Sénat.