433 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 février 1791.] ficier commandant un détachement des chasseurs de Lorraine, après avoir déclaré qu’il ne serait fait nulle violence et que le visa de la municipalité serait attendu, s’est transporté chez le maire, et de là s’est rendu, accompagné d’icelui maire chez le susdit procureur de la commune, où il a trouvé le particulier susdésigné, qui leura fait voir des passeports signés du roi, contresignés de M. Montmorin, ministre, lesquels passeports sont pour Mesdames, tantes du roi, allant à Rome. « A en outre représenté le susdit particulier, se disant homme d’honneur, pour accompagner Mesdames, un avis de la municipalité de Paris, signé de M. Dejolv, secrétaire-greffier, qui dit que les lois autorisait chaque particulier de voyager dans tel endroit du royaume qui lui plaît, en conséquence elle n’a pas cru devoir donner un pouvoir sur une chose qu’elle n’avaitpasdroit d’empêcher. « Sur quoi réfléchissant, la municipalité de Moret avait remarqué une contrariété frappante : c’est que les passeports du roi étaient pour Rome et l’avis de la municipalité donné sur la liberté de voyager dans le royaume; en conséquence, elle avait déterminé d’interrompre le voyage de Mesdames jusqu’à ce qu’elle ait pu faire passer à l’Assemblée nationale le présent procès-verbal et connaître si elle devait, ou non, laisser passer outre Mesdames, tantes du roi. « Pendant laquelle explication, des chasseurs de Lorraine, au nombre de lût) environ, renforcés des gens de la maison de M. Montmorin, gouverneur et maire de Fontainebleau, arrivèrent en courant à toute bride, les armes en mains, pour forcer l’ouverture des portes; ce qui eut lieu par la terreur que porta dans la ville cette espèce d’armée, arrivant sans ordre, sans pouvoir et sans avoir consulté même la municipalité, qui se disposait dans cette circonstance à remplir son devoir, conformément aux lois; que d’ailleurs l’heure de l'arrivée de Mesdames en cette ville, qui était entre 6 et 7 heures du matin, leur donnait à soupçonner qu’elles avaient marché une partie de la nuit; que par conséquent elles fuyaient plutôt qu’elles ne voyageaient; qu’en outre, ayant été fait usage de la force armée, sans réquisitoire de la municipalité et des ruses pour tromper tant les habitants de celte ville que les officiers municipaux, ils ont cru à propos de dresser et rédiger le présent procès-verbal, qui sera envoyé sans délai à M. le Président de l’Assemblée nationale pour servir et valoir ce que de raison. « Signé sur la minute des procédures, etc. « Signé : HüTTEAU, secrétaire-greffier . » M. Rewbell. Je remarque dans ce procès-verbal deux circonstances frappantes et très essentielles. La première est que le passeport d ■ Mesdames est contresigné du ministre des affaires étrangères. Ce ministre ne pouvait assurément pas ignorer qu’une pétition de la municipalité de Paris, relative aux devoirs des membres de la dynastie, avait été renvoyée par l’Assemblée à son comité de Constitution qui devait nous en faire le rapport; il parait bien étrange qu’il ait cru devoir se permettre de contresigner ce passeport avant que l’Assemblée eût pris un parti sur cette pétition. Je soutiens qu’il ne pouvait pas le faire. ( Murmures et applaudissements.) J’observe qu’il est bien extraordinaire que des dames qui, dans leur jeunesse, n’ont jamais voyagé que de Paris à Versailles et de Versailles à Paris... {Rires.) lra SÉRIE. T. XXIII. Plusieurs membres : Et à Plombières. M. de Clermont-Tonnerre. Si le préopinant et l’Assemblée croient devoir entrer dans la confidence d’une conversation particulière, je demande à l’entretenir à mon tour : une pétition n’est pas une loi. M. Rewbell. Rien n’est si facile que de trouver un orate ir ridicule lorsqu’on l’interrompt au milieu d’une phrase. Je dis que le ministre savait bien que Mesdames ne pouvaient aller de Versailles à Paris sans une autorisation du roi, alors législateur. Cette loi , par laquelle aucun membre de la dynastie ne pouvait s’absenter sans un passeport du chef de la nation, n’a pas été annulée et il est surprenant que M. de Clermont-Tonnerre ne la connaisse pas. Un membre à gauche : Il la connaît! M. Rewbell. Mais je remarque dans le procès-verbal de lu municipalité de Moret la dénonciation d’un autre fa t beaucoup plus grave, parce qu’il tend à mettre la Constitution en danger. Cent chasseurs, sans réquisition d’aucun pouvoir civil, forcent les portes de la ville, attaquent les citoyens et les gardes nationales et fout sauver Mesdames. De quel droit ces chasseurs ont-il forcé les portes de la ville de Moret et violé sou territoire? Le sang aurait coulé si les citoyens de cette ville eussent fait quelque résistance. La Constitution a été outragée, les lois de l’Etat mises en oubli et les pouvoirs confondus. Si vous souffr-z que des troupes de ligne puissent, sans réquisition, prendre les armes, attaquer les citoyens et agir dans un se is contraire à la loi, vou-n’avez,' Messieurs, qu’à déchirer votee Constitution ; car vous n’ètes plus libres. {Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes.) Sans donner ni tort ni raison à qui que ce soit, je conclus à ce que le procès-verbal qui vient de vous être lu soit renvoyé aux comités militaire, des rapports et des recherches réunis. Les faits qu’il dénonce méritent toute l’attention de ces trois comités, puisque tous les pouvoirs sont compromis. M. Regnaud {de Saint-J ean-d' Angély). Je crois, avec M. Rewbell, qu’il est impossible que l’Assemblée ne porte une tron sévère attention sur une v olation manifeste des lois constitutionnelles de l’Eiat, qui attribuent exclusivement aux municipalités et aux corps administratifs le droit de requérir la force militaire. Lu mesure du renvoi de cette dénonciation au comité des recherches est très importante; moi s je pense qu’il faut y ajouter c-lle de faire vérifier promptement les faits contenus au procès-verbal pour que le comité des recherch s puisse en rendre incessamment un compte exact et détaillé. Il faut que le département envoie des commissaires pour vérifier ces faits. {Murmures.) Un membre ; Le département ne peut pas informer. M. Regnaud {de Saint-J ean-d) Angély). Ou me dit que le département ne peut pas informer; je le sa s : mais le devoir spécial des administrations de département est de surveiller l’exécution de 28 434 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 février 1791.] la loi; c’est au procureur général syndic à faire vérifier par des commissaires les violations qui lui sont dénoncées, et lorsque les départements ne sont pas dans leur devoir, c’est au Corps législatif à ies y rappeler. Quant à la violation du territoire de la municipalité de Moret, je crois que dans aucun cas, dans aucun temps, dans aucune circonstance, vous ni* devez laisser porter la plus légère atteinte aux lois protectrices de lu liberté. Je demande que le roi soit prié de faire donner des ordres au directoire du déparlement de Seine-et-Marne, pour qu’il fasse vérifier par des commissaires les faits contenus dans le procès-verbal de la municipalité de Moret et pour qu’il en rende compte directement à l'Assemblée nationale. M. «T Aiguillon. J’adopte totalement les opinions de MM. Revvbell et Regnaud; mais je propose qu’on ajoute ceci : que les comités réunis seront chargés de demander au ministre de la guerre par quels ordres les chasseurs de Lorraine ont agi. c’est le ministre de la guerre qui a donné des ordres, il me paraît responsable d’un grand délit ( Applaudissements ), du plus grand de tous les délits, celui d’avoir confondu tous les pouvoirs et d’avoir porté une atteinte véritable à la Constitution. {Applaudissements.) (L1 Assemble ordonne le renvoi du procès-verbal de la municipalité de Moret aux comités militaire, d-s rapports et des recherches réunis, et décrète qu’il sera demandé au ministre de la guerre par quel ordre les chasseurs du régiment de Lorraine ont agi.) L’ordre du jour est un rapport du comité de Constitution sur la résidence des fonctionnaires publics (1). M • He Chapelier, rapporteur. Messieurs, vous avez renvoyé à vetre cuniité de Constitution la pétition de la commune de Paris, sur l’état et les obligations de la famille du roi, dans le gouvernement français. Vous avez donc voulu une loi constitutionnelle, et non un décrit du moment, qui laisserait en arrière une loi importante du royaume, et n’en serait que l'ajournement. Nous partageons les vues de votre sagesse; nous pensons, après un examen très réfléchi, que le corps constituant doit faire, le plus rarement qu’il est possible, des décrets de circonstances. Ainsi c’e-st une loi constitutionnelle que nous vous apportons. Nous n’avons point à craindre que les événements actuels portent leur influence sur votre décision ; ce ne sont ni les alarmes qu’on se plaît à répandre, ni les agitations qu’on cherche à exciter, ni un départ qui peut blesser les convenances, mais qui n’enfreiut pas les lois, qui peuvent vous occuper : vous ne porterez votre attention que sur la Constitution décrétée par vous, et acceptée par le roi, et vous chercherez, pour la confection de la loi que vous allez discuter, qu lies sont les conséquence.? de cette Constitution dont toutes les parties doivent être d’accord, et sortir du même principe. Le travail que nous vous soumettons aujourd’hui n’est cependant qu’une portion de celui (1) Le Moniteur ne donne qu’uno analyse de ce discours. qu’embrasse cette matière. Pour fixer complètement l’état et les obligations des membres de la famille du roi, il faut non seulement dire quels sont ceux d’entre eux, qui, comme fonctionnaires publics, ou prochainement appelés à le devenir, sont assujettis à la résidence; mais encore déterminer les règles qui seront suivies pour la régence et l’éducation de l’héritier présomptif on du roi mineur. Sous fort peu de jours, nous vous apporterons ces projets de lois et, plus promptement encore, nous vous soumettrons un projet de décret sur les émigrants. Cette dernière loi est aussi nécessaire que les antres, et la liberté ne s’en alarmera pas. Il faut distinguer le droit qui appartient à l’homme en société, d’aller, de venir, de partir, de rester, de fixer son domicile où bon lui semble, et le délit qu’il commet quand, pour exciter, on pour fuir lâchement les troubles de sa patrie, il eu abandonne le sol; l’ordre ordinaire est alors dérangé, les lois qui lui conviennent ne sont plus les lois applicables, et comme dans un moment d’émeute la force publique prend la place de la loi civile, ainsi, dans les cas d’émigration, ia nation prend des mesures sévères contre ces déserteurs coupables qui ne peuvent plus prétendre ni à ses bienfaits pour leurs personnes, ni à sa protection pour leurs propriétés. Nous sentons et la justice et l’urgence de cette loi; nous n’en ferons pas attendre le projet; ce sera encore une loi constitutionnelle, mais qui, comme la loi martiale, ne sera applicable qu’à ces moments de désordre et d’incivisme qui en solliciteront l’application. Aujourd’hui, c’est un décret sur la résidence des fonctionnaires publics; ceux qui sont, à des titres différents, chargés du gouvernement de l'Empire sont certainement obligés de résider. Mais ce n’est aussi qu’à ceux-là que la loi de la résidence doit être imposée. Tous les autres citoyens ne peuvent être dans leurs voyages, dans la fixation de leur domicile, ni aperçus par la société, ni atteints par une loi, à moins que ce ne soit plus ni leur liberté dont ils fassent usage, ni leurs droits qu’ils exercent, mais une émigration dont ils se rendent coupables. Outre le roi qui est le premier fonctionnaire de l’Etat, il est des membres de sa famille qui, sans être encore fonctionnaires publics eu activité, sont si prochainement appelés à la suppléance héréditaire que la Constitution leur défère, qu’ils doivent être assujettis à la résidence. L’héritier présomptif, quand celui-ci est en minorité ; celui de ses parents majeur qui est le plus près de la succession au trône, doivent résider dans le royaume ; et un devoir de famille, sur l’observation duquel la nation doit veiller, assujettit à cette résidence la mère de l’héritier présomptif mineur. C’est là que doit s’arrêter la loi, parce que, quoique tous les mâles de la famille du roi soient par la Constitution appelés à la succession du trône, par droit de primogéniture, la libre disposition des personnes ne peut pas être étendue au delà de ce qui est strictement exigé par l’utilité publique. Ce sera déjà une fiction que celle qui placera dans la classe des fonctionnaires public-s en activité continue, les membres de la famille du roi qui, venant immédiatement après lai, sont ses premiers suppléants au trône; un double danger résulterait de la loi gui, prolongeant la fiction jusqu’au dernier individu de cette famille,