[24 juin 1789.] 147 [États généraux.] 'ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Nous l’avons juré, Messieurs, et notre serinent ne sera pas vain, nous avons juré de rétablir le peuple français dans ses droits. L’autorité qui vous a institués pour cette grande entreprise, de laquelle seule nous dépendons, et qui saura bien , nous défendre, est, certes, loin encore de nous I crier : c’est assez ; arrêtez-vous. Au contraire, / elle nous pousse, et nous demande une consti-' Jtution. Et qui peut la faire sans nous? qui peut jla faire, si ce n’est nous ? Est-il une puissance sur terre qui puisse vous ôter le droit de représenter vos commettants? ' (Ce discours est couvert d? applaudissements) . On prend les voix par assis et levé, et l’Assemblée nationale déclare unaniment qu’elle persiste dans ses précédents arrêtés. i M. le comte de Mirabeau. C’est aujourd’hui que je bénis la liberté de ce qu’elle mûrit de si beaux fruits dans l’Assemblée nationale. Assurons notre ouvrage, en déclarant inviolable la personne des députés aux Etats généraux. Ce n’est pas manifester une crainte : c’est agir avec prudence; c’est un frein contre les conseils violents qui assiègent le trône. Après un court débat, cette motion est adoptée à la pluralité de 493 voix contre 34 ; et l’Assemblée, se sépare après avoir pris l’arrêté suivant : « L’Assemblée nationale déclare que la personne de chaque député est inviolable ; que tous particuliers, toutes corporations, tribunal, cour ou commission qui oseraient, pendant ou après la présente session, poursuivre, rechercher, arrêter ou faire arrêter, détenir ou faire détenir un député, pour raison d’aucunes propositions, avis, opinions, ou discours par lui faits aux Etats généraux; de même que toutes personnes qui prêteraient leur ministère à aucun desdits attentats, de quelque part qu’ils fussent ordonnés, sont infâmes et traîtres envers la nation, et coupables de crime capital. L’Assemblée nationale arrête que, dans les cas susdits, elle prendra toutes les mesures nécessaires pour rechercher, poursuivre et punir ceux qui en seront les auteurs, instigateurs ou exécuteurs ( l). » : Sur le surplus, l’Assemblée a continué la séance b demain neuf heures. Ces arrêtés ont été pris en présence de plusieurs de MM. du clergé. Ceux dont les pouvoirs étaient vérifiés ont donné leur voix lors des opinions ; et les autres ont demandé qu’il fût fait mention de leur présence. | fl) Il a été imprimé diverses versions de l’arrêlé pris par l’Assemblée nationale, le 23 juin 1789, après la séance royale. Nous avons reproduit le texte du procès-verbal, comme le seul authentique. Néanmoins, nous insérons ici, à titre de document, un paragraphe que nous trouvons dans Tune des versions dont nous yenons de parler. Il est ainsi conçu : a Arrête pareillement que toutes poursuites civiles et criminelles, contre iesdits députés, seront interdites ft toutes personnes, en quelque qualité qu’elles soient, et à tous tribunaux pendant la session, si elles ne sont expressément autorisées par l’Assemblée nationale. » ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du mercredi 24 juin 1789. CLERGÉ. Les membres du clergé se sont rendus à neuf heures dans la salle où ils avaient coutume de s’assembler. On a proposé de commencer par la lecture de la déclaration du Roi. La plus grande partie des membres s’y sont opposés, et ont demandé qu’on allât auparavant aux voix pour savoir si la majorité avait été pour la vérification commune ou non. L’autre partie a objecté que ce qui avait été fait postérieurement à la séance du 19 de ce mois était inconnu à l’Assemblée; que l’ordonnance du Roi cassant et annulant tout ce qui s’était fait, il ne fallait plus s'occuper des actes précédents, mais recommencer toutes les opérations, à dater de la séance royale. On a insisté, d’un côté, sur la lecture de la déclaration du Roi, et de l’autre, sur la clôture du procès-verbal de la séance du vendredi 19. Les différents partis n’ayant pu s’accorder, les membres qui avaient voté pour la vérification commune se sont retirés de la salle, et se sont rendus dans celle des communes. Les membres du clergé restant dans la salle, au nombre de 132, en l’absence des secrétaires, ont nommé MM. de Barmond et Goster pour en remplir les fonctions. On a mis aux voix si l’on ferait la lecture de la déclaration du Roi, ce qui a été accepté et exécuté. On a ensuite délibéré sur ce qu’il y avait à faire dans les circonstances présentes ; l’arrêté suivant a été pris à la majorité de 118 voix. Les membres du clergé assemblés dans la salle affectée à l’ordre, pour y reprendre leurs séances conformément à la volonté du Roi, lecture faite des discours et de la déclaration de Sa Majesté concernant la présente tenue des Etats généraux, et en conséquence des articles 1 et 11 de ladite déclaration, sont convenus de reconnaître comme valides tous les pouvoirs déjà légalement vérifiés des membres tant absents que présents, sur la députation desquels il ne s’est point élevé de contestations. Us ont en conséquence déclaré qu’ils se constituaient dès à présent en Assemblée active de l’ordre du clergé aux Etats généraux ; et ladite Assemblée a arrêté, à l’égard de la communication des pouvoirs entre les ordres, et les jugements à porter sur les pouvoirs contestés , de se conformer aux articles 2 et 10 de ladite déclaration. » MM. Delomieu et de Saint-Albin ont déclaré que sur la vérification des pouvoirs ils adoptaient les formes proposées par le Roi ; mais que sur la constitution de la Chambre; ils ne pouvaient, d’après leurs mandats, consentir à ce que le clergé se constituât, et qu’ils en demandaient acte, ce qui leur a été accordé. On a procédé ensuite à l’élection d’un président. M. le cardinal de la Rochefoucauld a obtenu la majorité des suffrages, et a été proclamé en cette qualité. La séance a été levée à cinq heures. NOBLESSE. M. le Président a donné lecture de la lettre suivante, qui lui a été adressée par la minorité de la noblesse ; 148 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [États généraux.] « Monsieur leprésident, c’est avec la douleur la plus vraie que nous sommes déterminés à une démarche qui nous éloigne dans ce moment d’une Assemblée pour laquelle nous sommes pénétrés de respect, et dont chaque membre a des droits personnels à notre estime; mais nous regardons comme un devoir indispensable de nous rendre dans la salle où se trouve réunie la pluralité des Etats généraux. Nous pensons qu’il ne nous est plus permis de différer un instant de donner à la nation une preuve de zèle, et au Roi un témoignage de notre attachement pour sa personne, en proposant et procurant , dans les affaires qui regardent le bien général, une réunion d’avis et de sentiments que Sa Majesté regarde comme nécessaire dans la crise actuelle, et comme devant opérer le salut de l’Etat. « Le plus ardent de nos vœux serait sans doute de voir notre façon de penser adoptée par la Chambre de la noblesse tout entière : c’est sur ses pas que nous eussions voulu marcher; et le parti quenous nous voyons obligés de prendre sans elle est sans contredit le plus grand acte de dévouement dont l’amour de la patrie puisse nous rendre capables; mais dans la place que nous occupons, il ne nous est plus permis de suivre les règles qui dirigent les hommes privés ; le choix de nos concitoyens a fait de nous des hommes publics ; nous appartenons à la France entière, qui veut par-dessus tout des Etats généraux, et à des commettants qui ont le droit d’y être représentés. * Tels sont, Monseur le président, nosmotifs et notre excuse ;nous eussionseul’honneurde porter nous-mêmes à la Chambre de la noblesse la résolution que nous avons prise; mais vous avez assuré l’un de nous qu’il était plus respectueux pour elle de remettre notre déclaration entre vos mains ; nous avons en conséquence l’honneur de vous prier de vouloir bien lui en rendre compte. » M. le comte de Lally-Tolendal demande à faire connaître son opinion au sujet de la séance royale du 23 juin, et prononce le discours suivant : M. le comte de lially-Tollendal (1). Messieurs, en réduisant les différentes déclarations qui nous ont été lues hier, on peut y distinguer deux objets. lo Un nouveau plan de conciliation que le Roi nous offre sur les divisions qui séparent les ordres, et qui empêchent les Etats généraux de commencer. 2° Des instructions sur les différents travaux auxquels nous devons nous livrer, quand les Etats seront commencés et sur les différentes lois que nous pourrons avoir à proposer ou consentir. L’un et l’autre de ces objets nous ont certainement présenté plusieurs grandes vues de justice et de bienfaisance. Plus d’une disposition nous a frappé par sa sagesse, plus d’une expression a retenti et retentit encore au fond de nos âmes; mais je ne sais quel mélange semblait aussi altérer quelquefois la pureté du bienfait. Des dispositions étaient contrariées par d’autres; on eût dit que le cœur noble et sensible de Sa Majesté avait été arrêté au milieu des mouvements généreux auxquels il s’abandonne. Ainsi, tandis que le Roi nous invitait encore, nous pressait encore de tout son amour , suivant l’expression qu’aucun de nous n’a oubliée, d’adop-(1) Le discours de M. le Comte de Lally-Toliendal p’a pas été inséré au Moniteur » [24 juin 1789.] ter un nouveau plan d’union, on prononçait en son nom, au milieu de l’Assemblée nationale, des ordres, des défenses et des cassations. Ainsi ces instructions si touchantes en elles-mêmes, ces projets qu’il nous donnait pour nos lois futures, on les intitulait : Déclaration des volontés du Roi. Il était évident dès hier que c’était une erreur ministérielle ; le Roi, qui jusqu’ici a si constamment honoré son caractère et son cœur en défendant notre liberté contre nous-mêmes, ne pouvait pas avoir eu l’idée de venir au milieu des Etats libres et généraux, nous déclarer sa volonté, sur des points que nous n’avions pas encore mis en délibération. L’acte sur lequel reposera la constitution ne peut pas être intitulé: Déclaration des volontés du Roi\ il doit être intitulé : Déclaration des droits de la nation, du Roi et des individus. Quelque juste, quelque bienfaisant que fût un pareil acte, avec le titre sous lequel il a été produit, ce que nous ne tiendrions que de la volonté d’un monarque, nous poumons le perdre par la volonté d’un autre moins vertueux, moins sensible que celui qui nous gouverne. Mais le Roi, dans sa bonté, a pu nous tendre un fil pour nous aider à sortir du labyrinthe où nos divisions nous ont engagés ; il a pu rappeler notre attention à tous les objets qui devaient l’occuper; il a pu nous annoncer enfin ses dispositions sur les vœux que nous avions à former; et, sous cet aspect, c’est une sollicitude paternelle, c’est un avis salutaire ; ce sont des institutions bienfaisantes qui doivent nous pénétrer de la plus tendre et de la plus respectueuse reconnaissance. Il serait prématuré de s’occuper dans ce moment, de tous les articles contenus dans les instructions, soit pour les lumières à tirer du fond, soitpourles réclamations que la forme peut nécessiter. Avant de songer aux objets de délibération, il faut avoir une forme de délibérer ; avant que les Etats généraux fassent des lois, il faut qu’ils existent. Le nouveau plan de conciliation, proposé par le Roi, doit donc seul dans ce moment fixer toute notre attention, et j’adopte entièrement, à cet égard, la résolution proposée par M. le comte de Tonnerre. Donnons au Roi, Messieurs, celte consolation; donnons-lui cette juste récompense de ses soins paternels : que pour prix de ses bienfaits, il ne | recueille pas toujours l'amertume. Allons au tiers, allons-y tous ; portons-lui nous-mêmes cette communication de nos pouvoirs que le Roi nous invite à lui donner. Délibérons-y même, si vous le voulez, sur ce qui s’est passé hier. Le Roi nous a invités encore à délibérer en commun sur les objets qui intéresseraient le bonheur général ; or, ! quels objets intéressent plus le bonheur général, que ceux qui ont rempli cette séance et les bien-i faits du Roi, elles droits de ses sujets, et les; moyens de concilier l’exercice de l’autorité légi-i time avec la liberté des Assemblées nationales. Nous remonterons ensuite dans notre Chambre ; nous nommerons des commissaires ; nous nous occuperons des moyens d’opérer une réunion constante. Mais je regarde ce grand exemple de notre part ; je regarde cet acte imposant de patriotisme comme seuls capables d’amener le tiers à adopter les mêmes vues de conciliation. C’est par là seulement, c’est par ce mouvement entraînant que nous le vaincrons, et non par des conférences de commissaires dont l’inefficacité nous est assez prouvée. Enfin c’est parla seule-