i Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 28 lrimaire an II 18 décembre 1793 son temps à l’étude, l’intrigant s’agite pour se faire remarquer; il ne néglige aucunB des petits moyens capables de séduire, et finit presque toujours par écarter celui qui n’a que son mé¬ rite et sa franchise. En laissant à la Convention le soin de cette nomination, d’après la présentation du comité d’instruction publique, chargé de révolutionner les arts, les inconvénients n’existent plus; l’ar¬ tiste franc et loyal, la basse et présomptueuse ignorance trouveront des juges capables de les apprécier l’un et l’autre, et le génie n’aura plus à gémir des coups funestes qui lui ont été portés jusqu’à ce jour. Ceux qui composent la Commission actuelle ont perdu plusieurs chefs-d’œuvre en employant des hommes inhabiles pour les réparer. Pour se convaincre de cette vérité, il faut üre les observa¬ tions sur le Muséum, publiées par les citoyens les plus éclairés de l’Europe dans cette partie. Qu’on examine l’état des restaurateurs des tableaux et des personnes qu’ils ont employées à détruire les tableaux de la République, on y verra les prix arbitrairement distribués, sans ordre, sans principes et sans base déterminée; dans de telles mains, plus il en coûte pour la réparation des tableaux, et plus ils sont gâtés. D’un autre côté, n’est -il pas honteux que les logements du Louvre, qui ne devraient être accordés qu’à des hommes d’un talent et d’un patriotisme prononcés, n’aient été donnés par Roland et ses dignes amis qu’à leurs viles créatures et à leurs valets. Que la Convention se hâte de réparer les torts de la malveillance et de l’ignarerie; qu’elle confie promptement à des artistes, aussi éclai¬ rés que patriotes, le soin de conserver et de transmettre à la postérité les sublimes travaux des grands artistes de tous les pays. C’est ainsi qu’elle rendra l’Europe entière tributaire de son génie; et en n’offrant aux jeunes élèves des arts que de beaux modèles, l’on verra bientôt disparaître ce goût factice et maniéré qui a caractérisé jusqu’à présent presque tous les maîtres de l’école française. La composition du muséum des arts était répréhensible sous le rapport du patriotisme, je vous en propose la réforme; son organisa¬ tion était vicieuse, je vous présente un mode nouveau propre à diriger et à garantir son action. Le mot de Commission était devenu insignifiant, parce qu’il signifiait tout; je vous présente l’idée et la dénomination d’un Conser¬ vatoire du muséum des arts, qui sera sans cesse, par son nom même, rappelé à ses devoirs; son objet qui a un centre commun se ramifie en plusieurs branches assez distinctes, pour exiger des hommes particulièrement éclairés dans chacune des parties principales. Ainsi plusieurs des membres du conserva¬ toire seront attachés à la peinture, plusieurs à la sculpture, quelques-uns à l’architecture, et d’autres aux antiquités, ce qui formera quatre sections résultant naturellement de la différence des objets. On conçoit que ces sec¬ tions travailleront séparément ou en commun, selon les divers objets qui seront renvoyés au conservatoire par ie ministre de l’intérieur. Le ministre, de son côté, trouvera par ce moyen des artistes disponibles et prêts à four¬ nir les matériaux des rapports que le corps législatif pourra lui demander. Il me reste, citoyens, à vous dire un mot sur ces motifs qui ont dirigé le choix fait par votre comité d’ins-643 truction publique pour composer le nouveau conservatoire du muséum des arts. Eragonard a pour lui de nombreux ouvrages; chaleur et originalité, c’est ce qui les caractérise; à la fois connaisseur et grand artiste, il consacrera ses vieux ans à la garde des chefs-d’œuvre dont il a concouru dans sa jeunesse à augmenter le nombre. Bon voisin : ü a pour lui son talent, ses vertus, et un refus de la ci-devant académie. Le... jeune et intéressant paysagiste, entendant très bien la tenue administrative que l’on peut établir dans un conservatoire. Picault restaurateur de tableaux, le plus entendu dans cette partie. Voilà, citoyens, pour la section de peinture. Pour la sculpture, nous vous proposons Dar-del, tête active et républicaine, rempli de talent et doué d’une heureuse imagination. Julien, je n’en dirai qu’un mot : il a sculpté Jean La Fon¬ taine et Jean La Fontaine est tout entier dans son image. En architecture, nous vous indiquons De-launoy, artiste, à la fois correct et grand, autant que ces deux qualités peuvent se réunir faisant sortir le beau de l’utile, l’ornement du sein de la simplicité même. David Leroi, artiste et homme de lettres, connu par ses recherches et par ses écrits sur l’architecture civile et navale des anciens. Pour les antiquités, nous vous proposons Wicar, dessinateur justement célèbre, connais¬ seur exercé par le long séjour qu’il a fait en Italie, et notamment à Florence. On a gravé, d’après ses dessins, toutes les pierres antiques du Muséum, de Florence. Varon, avantageusement connu comme ar¬ tiste et homme de lettres; c’est lui qui a composé les hymnes chantés à la fête de la Réunion, le 10 août; il a fait deux voyages en Italie, afin de perfectionner son goût pour les arts; sans toutes les persécutions qu’ont éprouvées les artistes français à Rome, il eût achevé un ou¬ vrage pour servir de suite aux Monumenti ine-diti de Winkelmann, ouvrage presque fini, et dont la nation saura bien faire assurer la con¬ tinuation. Tels seraient les citoyens qui composeraient le conservatoire du Muséum des arts ; nous avons jugé convenable de donner à cet établissement un secrétaire, homme de lettres à la fois et ins¬ truit dans les arts; le citoyen Sevieys est celui que nous vous proposons, également recom¬ mandable par ses lumières et par son goût dans cette partie. Citoyens, d’après cet exposé; voici le projet de décret que votre comité d’instruction pu¬ blique m’a chargé de vous soumettre Projet de Décret Art. 1er. « La Commission du Muséum”estjsupprimée. Art, 2. r La garde du‘|Muséum sera confiée à un conservatoire Art. 3. « Il sera composé des citoyens dont la liste est annexée au présent décret. 644 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 28 f™»"” “ » fArt. 4. «’ En cas de vacance d’une des places, il sera pourvu au remplacement par le Corps légis¬ latif, sur la présentation du comité d’instruc¬ tion publique. Art. 5. « Le conservatoire du Muséum des'arts sera divisé en quatre sections; savoir peinture, sculpture, architecture, antiquités. Art. 6. «fLe conservatoire du Muséum sera pour l’administration soumis au ministre de l’in¬ térieur et, pour la direction, sous la surveillance du comité d’instruction publique. Art. 7. « Il sera tenu d’exécuter tous les décrets rela¬ tifs au Muséum, auxquels il n’est pas dérogé par la présente loi. Art. 8. « La Commission supprimée par le présent décret rendra son compte d’administration au ministre de l’intérieur. Art. 9. « Elle remettra aux membres du Conserva¬ toire tous états, inventaires, catalogues, des¬ criptions, mémoires, notes et registres des déli¬ bérations concernant les travaux qui lui étaient Confiés. f Art. 10. «“Il sera affecté pour les dépenses du Conser¬ vatoire du Muséum des arts un fonds annuel, égal à celui déterminé par les décrets, pour l’ancienne Commission du Muséum. Art. 11. «' Chacun des conservateurs recevra un trai¬ tement égal à celui qui était attribué à chacun des membres de la Commission du Muséum. » Compte rendu du Moniteur universel (1). David fait un rapport sur la réorganisation de la Commission du Muséum, dont les membres actuels sont ou peintres qui n’en ont que le nom, ou artistes sans patriotisme, ou amis de Roland, nominateur de ces commissaires. f (1) Moniteur universel [n° 90 du 30 frimaire an II vendredi 20 décembre 1793), p. 364, col, 2]. D’au¬ tre part, le Journal des Débats et des Décrets (fri¬ maire an II, n° 455, p. 392) rend compte du rapport de David dans les termes suivants ; David , au nom du comité d'instruction publique, fait un rapport sur la suppression de la Commission Il propose d’appeler la Commission du Mu¬ séum Conservatoire du Muséum des arts. Sur la proposition de Cambon, la Convention décrète l’impression et l’ajournement du projet de décret présenté par David. Réflexions sur le Muséum national (1) PAR LE CITOYEN LEBRUN (2). Réflexions sur le Muséum national. Lorsqu’ après avoir abattu l’hydre du despo¬ tisme, nous avons conquis notre pays à la liberté, nous n’avons pas prétendu n’embrasser qu’un fantôme. Quand nos têtes étaient courbées sous le joug de l’esclavage, on ne pouvait, sans courir les plus grands risques, essayer de porter la lumière dans les ténèbres de l’administration. Il était digne, en effet, d’un régime monstrueux d’interdire aux hommes le droit d’éclairer leur patrie : mais aujourd’hui que le génie de la liberté vivifie la France, et que tout citoyen, intéressé à la gloire et au salut de son pays, peut avoir le courage de dire la vérité, ce serait être coupable que de ne pas dénoncer les abus dont on peut être frappé; c’est un devoir que de mettre au grand jour l’incapacité des hommes que la protection des ministres aurait pu élever à des places importantes. Fort de ces principes et de ma conviction, je vais révéler les abus énormes qui existent dans une partie qui intéresse essentiellement la chose publique. Je serai court et je réclame la plus grande attention. Il s’agit, citoyens, de former un Muséum, de le composer de tous les objets rares et précieux appartenant au ci-devant roi et aux émigrés. Ce Muséum doit effacer tous les autres établisse¬ ments de ce genre ; je dis plus, il doit honorer la République; il doit l’enrichir (3). Si un seul chef-d’œuvre, la Vénus de Praxitèles, attira autrefois dans la ville des Gnidiens les peuples des contrées les plus éloignées qui venaient contempler cette statue célèbre, quelle affluence ne verrons-nous pas dans nos murs, destinés à ren¬ fermer des milhers de chefs-d’œuvre? Paris de¬ viendra, pour ainsi dire, la capitale de l’uni vers]et, semblable à la nu r à laquelle les fleuves viennent apporter le tribut de leurs eaux, il sera le point où se réunira tout l’or de l’Europe. Sachons donc ménager utilement cette ressource, la seule peut-actuelle du Muséum, et sur l’institution d’une nou¬ velle Commission, composée d’artistes qui connais¬ sent et pratiquent leur art avec des talents distin¬ gués. Cambon demande l’impression, la distribution et l’ajournement, afin de se pénétrer des vues du comité et de les méditer. (Décrété.) fc (1) Nous insérons à la suite du rapport de David les réflexions de Lebrun sur le Muséum national, qui paraissent se rattacher directement à ce rapport et auxquelles il nous serait difficile d’assigner une autre place. (2) Bibliothèque de la Chambre des députés i Collection Portiez fde l’Oise) t. 444, n° 16. (3) Que n’avons-nous cette harangue digne du plus grand citoyen de Rome, pour me servir du terme de Pline, où Agrippa, gendre d'Auguste, fai¬ sait voir combien, sous tous les rapports, il serait utile à la capitale du Monde, d’exposer publiquement les chefs-df œuvre de l’antiquité. Cette harangue viendrait utiliment à l’appui de ce que j’avance.