145 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] preuve en est dans la nomination des 60 membres qui forment le conseil de ville. Chaque district a nommé 5 députés; les uns à temps limité, les autres avec certains pouvoirs. Les districts se plaignent, et c’est le plus grand nombre, que les députés à l’Hô tel-d e-Ville ont bientôt usurpé une autorité qui ne leur appartient pas. Ainsi ils ont formé un régiment de chasseurs , fait des règlements de police qu’ils ont portés à l’Assemblée, pour éviter de les soumettre à la décision des districts, et ont prié le Roi de rappeler les gardes du corps, etc. Le district des Cordeliers a révoqué ses députés et en a nommé d’autres sur la démission des trois membres de la commune qui n’ont pas voulu prêter le serment qui leur était demandé ; ces députés nouveaux n'ont de pouvoirs que pour un réglement provisoire et non des pouvoirs indéfinis. L’assemblée des représentants des communes a voulu conserver les anciens membres et rejeter les nouveaux. Les questions soumises à l’Assemblée sont donc : 1° de savoir si d’un côté les commettants peuvent révoquer à leur gré leurs députés nommés par un réglement provisoire de police et d’administration; 2° s’ils peuvent leur imposer tel ou tel serment. Le serment exigé soumet les députés à l’assemblée de la commune, à la révocabilité volontaire des districts; 3° si la commune peut casser l’arrêté du district, rappeler les anciens députés dans son sein, malgré la volonté expresse du district qui, sur la démission de ses représentants en l’assemblée de la commune, en a nommé d’autres. M. Duport a demandé que toutes choses demeurassent en état jusqu A, ce que l’Assemblée nationale pût donner elle-même un plan de municipalité ; il lit un décret conforme à ses idées de paix et propose de l’étendre à toutes les municipalités. M. Démeunier propose un projet de décret portant que l’Assemblée nationale s’occupant de L’organisation des municipalités et de l’élection qui aura lieu incessamment pour les membres municipaux, recommande la modération à toutes les villes qui n’ont pas changé leurs municipalités, ou qui, entraînées par des circonstances impérieuses, en ont formé d’autres, sur lesquelles il y a des réclamations. On demande l’ajournement. M. Hébrard demande qu’on décide sur-le-champ, parce que le district n’a plus de représentants. M. Fréteaude Saint-Just appuie la motion de M. Démeunier. L’ajournement demandé pour demain, deux heures après midi, est mis aux voix et prononcé. La séance est levée. ANNEXES à la séance de l1 Assemblée nationale du 20 novembre 1789. PREMIÈRE ANNEXE. RÉFLEXIONS DU comte de Custine sur la proposition du ministre des finances de sanctionner , comme caisse nationale , la caisse d'escompte appartenant à des capitalistes. Messieurs, ce n’est qu’avec crainte que je me permets quelques réflexions sur le plan qui vous a été présenté par le ministre des finances : sa grande réputation , sa longue expérience , tout concourt à faire regarder comme audacieux l’homme qui ose se le permettre. Mais, Messieurs, un représentant de la nation doit à l’Assemblée nationale, à un ministre même, à la probité duquel toute la nation rend hommage, au meilleur, au plus vertueux des rois, enfin, à son devoir, le développement des erreurs des administrations précédentes, qui ont amené la crise où nous sommes aujourd’hui (1) ; il doit faire connaître combien la caisse d’escompte a facilité ces opérations qui, n’étant que des palliatifs, n’ont fait qu’ajouter à nos maux; il est de son devoir de vous faire observer que cette caisse d’escompte, que l’on vous propose de sanctionner comme caisse nationale, à laquelle on vous invite à recourir dans ce moment pour vous assurer ses secours, acquerrait par votre acquiescement une consistance que vous ne pourriez plus ébranler. Il est de son devoir de vous faire connaître, Messieurs, que cette consistance que vous donneriez à la caisse d’escompte, facilitant le retour à ces fausses spéculations dont je vais vous tracer les effets, augmenterait encore cette déperdition de numéraire qui cause aujourd’hui ces suspensions dans la circulation. Il en est, Messieurs, du corps politique comme du corps humain : la suspension de la circulation du numéraire dans le premier produit le même effet que celle de la (1) Sans doute, ces erreurs n’étaient point présentes à la mémoire du premier ministre, lorsqu’il a adopté le plan de la caisse d’escompte, comme caisse nationale dans les mains des capitalistes : si elles lui eussent élé présentes, il n’aurait pas donné, dans la séance du 14 novembre, pour raison principale de la pénurie d’argent, l’éloignement des voyageurs étrangers et l’émigration momentanée qui a eu lieu depuis quatre mois. H n’aurait aussi tenu qu’à lui, en fermant l’exportation à la fin de 1788, et se contentant d’employer l’autorité exécutrice, qui alors avait toute sa vigueur, pour faire exécuter un arrêt du conseil qui aurait cassé tous ceux des parlements, qui tendaient à concentrer les grains dans leur ressort, les empêchait de circuler librement des provinces où ils étaient en abondance, dans celles où l’on éprouvait la pénurie ; enfin, en ne donnant point de prime pour l’importation des grains, car ce moyen n’a servi qu’à faire sortir du grain en fraude pour le faire rentrer, et par là obtenir la prime. Il n’aurait tenu qu’à lui, dis-je, de n’avoir pas ce dernier moyen à employer dans son discours, s’il avait voulu le supprimer des erreurs de son administration. Le ministre des finances se plaint d’éprouver la censure : à quoi servirait-il de donner des louanges à un homme qui sait si bien s’en donner lui-même, sans réfléchir que ce sont les actions des administrateurs qui les élèvent, et non la fumée de l’encens que Ton brûle aux pieds de Tidole ? lr* Série, T. X. 10 446 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] circulation du sang dans le dernier: la dissolution, la destruction. Nous ne pouvons prendre pour modèle du régime que nous adopterons pour notre caisse nationale l’exemple de la Banque d’Angleterre. Premièrement, il s’en faut que cette Banque soit l’objet de l’admiration des spéculateurs (en administration), sages et réfléchis de ce pays; d’ailleurs, pour faire avec justesse l’application du régime d’administration d’un Etat à un autre, il faut aussi comparer leur position. L’Angleterre, placée à côté de l’Europe, est entourée de toute part par la mer; elle n’invite pas, comme la France, par sa position, ses voisins à prendre part à ses opérations, à profiter de ses erreurs en finances. Ce dernier royaume, placé au centre de l’Europe, a vu les banquiers hollandais, flamands, les places de commerce de la haute Allemagne, de la Suisse, de l’Espagne même, s’enrichir de ses fausses spéculations, par un commerce de papier qu’a créé la caisse d’escompte. Mon objet .dans cet instant, Messieurs, est de vous tracer les opérations qui lui ont donné naissance, les inconvénients qui en ont résulté, par l’avilissement de votre change avec les places de commerce de l’Europe. Combien le contre-coup de cet avilissement est nuisible à vos villes de commerce et à vos manufactures ! Combien il rejaillit sur la fortune de vos capitalistes qui ne sont point actionnaires de la caisse d’escompte ! La création de 12,000 actions que l’on vous propose, pour augmenter le numéraire de la caisse d’escompte, afin d’en faire une caisse nationale, est probablement un moyen illusoire. D’abord je demande comment l’on se procurera ces 48 millions de numéraire. Parviendra-t-on, pour y réussir, à trouver des capitalistes qui aient thésaurisé leurs fonds et veuillent les prodiguer pour acquérir les nouvelles actions créées? Je me dis, par quel appât pourraient-ils être décidés, lorsqu’il existe en vente sur la place tant d’actions que l’on peut acheter et payer en billets de la caisse d’escompte, en suspension de payements, à 10 0/0 de moins que le taux que l’on met aux nouvelles actions, qu’il faudrait payer en numéraire sonnant ? Aussi le premier ministre ne tarde pas à dire que, si l’on ne pouvait trouver le numéraire nécessaire à l’acquisition des nouvelles actions, l’on pourrait se contenter du cautionnement de maisons de banque accréditées, qui s’engageraient à fournir les fonds représentatifs du papier qui aurait été fourni en place du numéraire pour l’acquisition des nouvelles actions. Quel sera le résultat de cette annonce négligemment présentée dans le mémoire du premier ministre ? D’ouvrir un nouveau canal au commerce du papier de toutes les maisons de banque d’Europe, dont il a augmenté la fortune en leur rapportant le numéraire réel de la France en échange de papiers acceptés par les banquiers de la capitale, escomptés à la caisse d’escompte. Ce serait avec ce papier que se ferait l’acquisition de ces nouvelles actions : ce moyen, il est vrai, servirait à augmenter les opérations de la caisse d’escompte, et par conséquent ses profits, mais le résultat final de semblables opérations serait de faire sortir du royaume en numéraire, 1/2 0/0 de plus qu’il n’en serait entré, par la moitié de la différence de l’intérêt de 4, que coûterait l’escompte des lettres de change, à celui de 7, où serait le taux du dividende, et cela sans avoir fait entrer un seul écu dans le royaume. Quoi! la nation tout entière serait-elle assemblée pour sanctionner une disposition semblable ? Exigerez-vous du numéraire pour l’acquisition de cette création d’actions ? Je vais vous dire comment on se le procurera: on fera un traité avec des négociants en Espagne pour en obtenir des piastres ; ces piastres seront payées en lettres de change, ces lettres de change seront retirées par les Anglais en échange de marchandises fabriquées dans leurs manufactures, ce nouveau moyen vous fera payer à l’Angleterre un solde qui avilira encore votre change avec cette puissance, portera un coup mortel aux fabrications de vos manufactures, pour accroître celles de votre rivale. C’est ainsi que se lient les opérations de finances et celles de commerce. Si ce sont là les secours que doit donner la caisse d’escompte au commerce national, certes sa reconnaissance sera facile à acquitter! Quel contre-coup mortel n’éprouvera pas par cette nouvelle création la fortune des capitalistes ! Dans quel avilissement une semblable opération ne fera-t-elle pas tomber les fonds publics 1 peut-il se calculer ? ne préférera-t-on pas des effets à 7 0/0, que l’on pourra toujours réaliser, à des contrats qui produiront 5 0/0, dont le payement des arrérages est toujours retardé? C’est alors que les étrangers pourront acheter de ces fonds à vil prix, que les intérêts qui sortiront du royaume par ces acquisitions augmenteront encore la pénurie du numéraire, l’avilissement du change avec l’étranger; et, si jamais les fonds publics après de semblables /opérations venaient à remonter, leur vente à cette époque, faite par ces étrangers, ferait encore sortir un numéraire réel, lorsqu’il ne serait entré que du papier pour les acquérir. Jusqu’à quand s’aveuglera-t-on sur des vérités aussi incontestables ? Et faut-il préparer par l’opération qu’on vous propose, une crise plus désastreuse encore que celle où vous êtes aujourd’hui et où vous conduirait l’agiotage qui s’avivera avec une fureur incalculable? Ce sera un moyen de plus de produire l’exportation des fonds, par les profits immenses des étrangers dans ce jeu; il leur sera facile de s’y livrer par les moyens que leur donneront les opérations d’escompte de cette nouvelle caisse. Eh ! pourquoi se préparer tant de maux? Est-ce pour être juste envers les actionnaires actuels de la caisse d’escompte, pour ne pas donner atteinte à leur fortune ? Quelle atteinte y donnerait-on, lorsque l’on remplirait les engagements du Roi envers eux, lorsqu’on leur donnerait 6 0/0 du fonds qui resterait en numéraire dans la caisse, lorsque l’on se chargerait des papiers qui forment leurs opérations de change? Quoi! auraient-ils acquis le droit exclusif de détruire la fortune de l’Etat, pour accroître la leur? et lorsqu’elle est fondée sur un système qui a détruit les finances de la France, la nation serait-elle injuste si elle détruisait à son tour cet établissement, en garantissant aux actionnaires leurs fonds laissés à la caisse et en leur en payant l’intérêt à 6 0/0 ? Les actionnaires de la caisse d’escompte oublieraient-ils que c’est aux opérations de finances qu’ils doivent les dividendes qu’ils ont obtenus? Les banquiers qui y sont intéressés ne savent-ils pas que c’est à ces mêmes opérations qu’ils doivent les fortunes immenses qu’ils ont accrues par le système d’emprunt établi dans nos finances? J’ai trop bonne opinion de leur patriotisme, de leur honnêteté, pour ne pas croire à leur justice. Les actionnaires qui ont acheté à perle depuis l’avilissement du prix des [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. actions auraient-ils à se plaindre? Non, sans doute ; et si l’on cesse toutes opérations de finances, que l’on paye en billets qui seront acquittés lors de la rentrée de l’imposition patriotique, que l’on force la caisse d’escompte à payer à caisse ouverte, je demande quelle sera la fortune de ses capitalistes ? Dira-t-on que ce soit une fausse spéculation, que de former une caisse vraiment nationale ; qu’il serait bien plus avantageux de soutenir un établissement qui fera des prêts à la nation à 3 0/0? Quelle opinion a-t-on donc d’hommes auxquels on présente de semblables appâts ? Le dernier résultat de cet établissement ne sera-t-il pas de valoir à la caisse d’escompte 7 0/0, même en aidant le Trésor de ces sommes immenses fournies à la nation? pourquoi ne pas ajouter aux avantages que recueillera la nation le produit de 7 0/0, réduit à 1 0/0 net pour elle, jusqu’à l’époque où elle aura remboursé aux actionnaires les capitaux pour lesquels elle payera 6 0/0 ? L’appât des fonds à 30/0, qui vous est offert, n’a d’autre objet que de sanctionner un établissement que l’État ne pourra plus détruire lorsqu’il aura contracté avec lui une créance immense. La proposition qui vous est faite de tourner à votre profit ce qui excédera 7 0/0 dans les bénéfices de la banque me paraîtrait illusoire : comment vérifier ce bénéfice, lorsqu’il sera si facile de vous cacher les opérations d’une banque que vos représentants ne dirigeront pas ? De semblables amorces ne peuvent être un appât séduisant pour les représentants éclairés d’une grande nation. La caisse qui appartiendrait à la nation, donnerait autant de moyens de diminuer l’intérêt de la créance publique, que cette caisse appartenant à des capitalistes. Mais il est un inconvénient attaché à la caisse qui vous est proposée, et cet inconvénient doit vous décider à la rejeter sans retour. Entre les mains d’hommes qui ne pourront être responsables à la nation, ne pourra-t-elle pas faire des prêts à un Roi qui pourrait se servir de ses fonds pour acheter les moyens de vous asservir ? La probité, la pureté des intentions du monarque qui nous gouverne, ôtent à la nation toute crainte à cet égard ; mais ses représentants doivent porter leurs regards dans l’avenir et prévoir d’avance les possibilités. Enfin, une caisse nationale qui, lorsqu’elle aura acquis du crédit, contiendra le numéraire du royaume, ne peut être qu’entre les mains de délégués choisis par les représentants de la nation et comptables à eux seuls. Si une caisse appartenant à la nation est préférée, ce que je désire vivement, ce ne sera pas des billets d’Etat qu’il faudra créer, mais un papier qui, mis en circulation, sera sans doute escompté lentement à son début, pas plus même que celui de la caisse d’escompte, ensuite plus vivement lorsque les fonds des impositions des provinces auront fait rentrer le numéraire dans la caisses : ce moyen n’augmentera pas l’avilissement de notre change avec l’étranger ; il en assurera, au contraire, l’augmentation pour l’avenir ; au lieu que je crois avoir démontré que le parti proposé opérerait la destruction du crédit de la France pour bien longtemps. Si la nation doit cautionner les billets d’un établissement, ce doit être de celui qui l’enrichira, car il faudrait qu’elle fût frappée de folie pour garantir ceux d’un établissement qui amènerait sa ruine, et qui ne vous permettra jamais [20 novembre 1789.] | 47 de faire contribuer aux charges publiques ses intéressés. Je terminerai ce tableau par les moyens que j’aurai l’honneur de vous soumettre, tendant à établir une caisse vraiment nationale, qui puisse par ses opérations lier là fortune des capitalistes à celles de l’Etat, les forcer de contribuer aux charges publiques, servir à la splendeur de votre commerce, faire cesser l’exportation du numéraire, enfin, faciliter les versements de fonds des provinces. La destruction de quelques compagnies de finances (que je crois pouvoir prédire sans me tromper) pourrait rendre difficile le versement de fonds des impôts, sans le moyen que je propose. La rareté que l’on éprouve dans le numéraire, date d’une époque bien plus éloignée que l'époque actuelle ; sa source principale est dans trois grandes erreurs des administrations précédentes, qui remontent à l’époque du commencement delà guerre d’Amérique : premièrement, le système de faire cette guerre sans mettre d’impôt, et par des sommes empruntées (1) ; l’agiotage auquel ce système a donné naissance, les facilités qu’a fournies la caisse d’escompte, pour aviver ce jeu infernal, qui a enrichi les banquiers des places de commerce de nos voisins, aux dépens des mauvais spéculateurs et des hommes séduits, dans la capitale, par l’appât de s’enrichir. Quoi! la nation aurait-elle déjà oublié la chute de M. de Saint-James, celle de M. de Sérilly, et de tant d’autres, dont l’agiotage a hâté la ruine? L’idée qu’ils avaient conçue du degré auquel ils pouvaient porter leurs fortunes par ces opérations, les avait fait se livrer à des dépenses auxquelles ils espéraient satisfaire par ces fausses spéculations. Ce système, réprouvé par tout homme qui y a réfléchi ( sans consulter l’intérêt de quelques négociants d’argent de la capitale), lié à celui de n’envoyer que peu ou point de convois pour l’approvisionnement des armées de terre et de mer, répandues au loin sur la surfacedu globe dans cette guerre, a produit tous nos maux. En suppléant à l’omission des convois, par la liberté donnée aux commandants de ces armées, de tirer des lettres de change sur le Trésor public en Europe, on en a avili la valeur; ces lettres ont perdu d’abord 15, ensuite 20, 25 et 35, et l’on dit dans l’Inde (1) Dans tout le cours de cette guerre, les denrées ont, été dans le royaume à vil prix ; et ta raison simple en était que de nombreuses armées de terre et de mer, éloignées des rives de la France, étaient en grande partie pourvues par des puissances étrangères, par les neutres ou par nos alliés, dans les parties du monde où nous en avions ; que nos colonies étaient approvisionnées de même. Le défaut d’exportation de ces denrées, l’abondance des récoltes à cette époque, avaient avili le prix du travail du cultivateur : si l'on eût employé ces denrées à approvisionner nos colonies et nos armées, qu’on les eût fait convoyer en temps et saison convenables, l’augmentation de prix qu’elles eussent acquise dans le royaume par cette exportation, aurait rendu facile le payement de nouveaux impôts, et ces impôts auraient empêché l’accroissement énorme de la dette ; mais il fallait des administrateurs qui eussent de la prévoyance, des connaissances et une justesse de combinaisons qui n’existait sans doute pas, puisque de telles erreurs ont été commises, et que personne ne fait injure ni à la pureté ni à la droiture de leurs intentions. On ne pourrait pas dire que des convois multipliés auraient pu être interceptés par les Anglais, aux côtes d’Europe et aux atterrages : nos flottes étaient à même de les protéger ; et il n’est personne qui ne sache que des bâtiments légers et quelques frégates sont tout ce qu’il faut en pleine mer. {48 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [20 novembre 1789.] jusqu’à 40 et 50 0/0, à mesure qu’elles se multipliaient dans les pays où séjournaient les armées. Il est facile de prouver que tant d’erreurs liées au système de la neutralité armée (1) sont une des plus fortes causes de l’extraction énorme de numéraire qui a été faite de France depuis la paix. Les lettres de change versées avec profusion dans la dernière guerre, dans tous les pays où séjournaient nos armées de terre et de mer, n’auraient pas été encore le plus grand de nos maux, puisqiren enrichissant les puissances neutres , elles les plaçaient en relation de commerce des denrées coloniales avec la France, leur faisaient contracter l’habitude de les consommer, et même leur en formaient un besoin qui, à la paix, devait nous dédommager par une plus grande consommation, une augmentation du commerce de ces denrées avec ces puissances ; alors des fonds qui n’auraient été extraits que momentanément seraient rentrés par ce commerce. Mais pour produire cet heureux effet, il fallait restreindre le service des armées fait en lettres de change, aux Antilles seulement; il fallait au moins approvisionner ces colonies mêmes des denrées du royaume, que ne produisaient point ces pays étrangers à la France, qui pourvoit à leur subsistance, et éviter surtout de laisser la possibilité à l’Angleterre, d’approvisionner des marchandises de ses fabrications, tous les marchés du monde, qui regorgeaient des lettres de change laissées avec prodigalité et perte extrême par la France, dans toutes les parties du globe. L’inattention et l'assoupissement des administrateurs en France sur cet important objet a relevé la fortune de l’Angleterre d’une manière qui nous paraît incompréhensible (2), après la guerre la plus désastreuse, en lui portant notre numéraire employé à payer ces lettres de change. Voilà une de ces vérités que peut attester la légation française à Londres, qui a vu, ainsi que j’ai été à portée de le voir, des monceaux d’or existant dans la caisse de la Banque d’Angleterre, au coin de France, en 1785 en 1786. Le faux système adopté, de tirer des piastres d’Espagne, pour les faire frapper dans les monnaies au coin de France, en les payant en lettres de change, ce commerce erroné est encore fait aujourd’hui par la caisse d’escompte pour se procurer du numéraire ; il ajouté à notre détresse, nous a imposé l’obligation de faire le solde de l’Espagne à toutes les puissances commerçantes de l’Europe, et par là, augmenté la sortie de notre numéraire par l’avilissement de notre change avec; les places de commerce étrangères, il a accru la fortune de l’Angleterre, qui a eu grand soin de retirer par les fabrications de ses manufactures, les lettres de change que la France donnait aux négociants espagnols, en payement de leurs piastres; ce sont toutes ces facilités données à l’Angleterre par les fausses spéculations des administrateurs en France (3) qui ont relevé le (1) Toutes les puissances neutres qui avaient accédé à la neutralité armée employaient leur marine à approvisionner nos armées et nos colonies ; nos alliés en faisaient autant. (2) J’ai développé cette vérité dans mon plan d’une caisse nationale. (3) D’où naissent ces fausses spéculations multipliées ? c’est qu’aucun administrateur jusqu’ici n’a eu le génie nécessaire à la conception d’un vaste plan de finances, lié dans toutes ses parties, uni à toute abnégation de tous intérêts particuliers, à ce grand caractère qui ne sait se plier à aucune faveur à aucune intrigue ; à cette commerce et la fortune de cette puissance rivale, en tenant notre change avec elle dans l’avilissement dans lequel il a été depuis la paix de 1783. Voudrait-on donc, en augmentant le nombre des actions de la caisse d’escompte, fournir de nouveau les mêmes moyens à l’Angleterre? Après tant déraisons de ne pas augmenter un établissement dont les secours ont été si chèrement payés (1), il faut y ajouter le développement des motifs donnés depuis longtemps dans mon opinion relative aux finances de la France et à la caisse d’escompte. Pour que cette caisse puisse vous faire l’avance des fonds nécessaires au Trésor public, il faut que tous ceux qui feront partie de l’impôt patriotique, soient versés dans les caisses de cet établissement, pour former le remboursement des avances faites par cette caisse devenue nationale de nom. Cette disposition portera à la caisse d’escompte une grande partie du numéraire du royaume; et, pour l’obtenir, elle vous aura donné du papier (2). noble fierté, à cette vertu pure, à laquelle suffit ce témoignage intérieur, qu’être sans reproche est la seule récompense à laquelle doive aspirer l’homme d’Etat, laissant le soin de sa gloire à la postérité (ce juge impartial des hommes publics), Quel pays plus que la France ouvre à un administrateur une aussi belle carrière ? (1) On vante aujourd’hui les grands services qu’a rendus la caisse d’escompte, on exalte les obligations que lui a la nation : je vais tracer d’un trait de plume le tarif de la reconnaissance qu’elle doit lui conserver. Un établissement que la puissance royale tient en suspension de payement depuis plus de 15 mois, a vu les actionnaires recevoir à son dernier dividende près de 6 0/0 de l’intérêt de ses fonds dans l’instant où toutes les fortunes, même les plus assurées, sont chancelantes ; à ce tableau fort raccourci l’on peut ajouter que la fortune de cette caisse prend sa source dans la détresse et la crise où se trouve la nation, que ses opérations causent en partie l’extraction du numéraire, et l’embarras et le discrédit qui se font ressentir dans les places de commerce du royaume. (2) Mais, dira-t-on, si on n’avait point eu ce papier, il aurait fallu avoir du numéraire ; ce numéraire aurait été dépensé ; il ne serait plus dans les caisses du Trésor public. Et moi je répondrai : mais si le papier d’une caisse vraiment nationale à cette époque où la nation se répond à elle-même de son papier, était en circulation, il acquitterait, comme le papier de la caisse d’escompte, toutes les dépenses, et avant qu’il fût assez répandu dans les provinces pour que l’on payât tous les impôts avec ce papier, il ferait entrer dans toutes les caisses publiques le numéraire du royaume, qui ne sortirait plus de ces caisses, car il ne peut être douteux que l’on ne préférât du papier pour sa dépense, lorsque l’on serait assuré de pouvoir dans toutes les caisses des provinces et de la capitale l’échanger contre de l’argent : avec une semblable disposition, ce ne serait point dans les caisses de la caisse d’escompte que serait le numéraire, mais dans les caisses de la nation. 11 n’est plus qu’un instant pour ne pas consommer la ruine de la France : une spéculation fausse de plus, et c’en est fait de la fortune de mon pays ; cette dernière spéculation est la sanction de la caisse d’escompte comme caisse nationale dans les mains des actionnaires: car comment la leur retirer jamais, quand tout le numéraire du royaume sera dans leurs mains? Ne voit-on pas combien est’ illusoire le moyen qu’on vous propose de rentrer dans 10 ans en possession de cette caisse ? Les actionnaires devenus maîtres de votre numéraire ne vous feront-ils pas toujours la loi ? ne seront ils pas les maîtres de l’extraire du royaume ? est-il de la prudence des représentants de la nation de laisser cette possibilité;? n’en seront-ils pas comptables à leurs commettants ? C’est dans cet instant que je me plaindrai de la nature qui m’a refusé cette éloquence douce et persuative ; si 149 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] Au point où vous êtes arrivés, il ne reste plus i qu’un parti à prendre pour que cet établissement ne devienne pas Ja ruine des capitalistes non intéressés dans la caisse d’escompte, et ne porte par un coup mortel aux opérations de banque de toutes les places de commerce du royaume, sans qu’il en résulte aucun avantage ni pour votre commerce intérieur ou extérieur, ni pour votre agriculture. Je le répète : décréter la caisse d’escompte, caisse nationale, serait décréter la ruine de la nation, en investissant par ce décret, les capitalistes actionnaires de cette caisse, d’un crédit public prépondérant. Pour vous en convaincre, jetez un regard sur l’effet qu’elle a produit. Cette caisse a été formée par le ministre des finances pour faciliter ses emprunts ; et, en effet, elle donne la facilité à toutes les maisons accréditées de toutes les places de commerce de l’Europe, de prendre des parts dans les emprunts publics, sans verser en France aucuns fonds, puisqu’en tirant sur leurs correspondants à Paris, qui font escompter leurs traites à la caisse d’escompte, il versent au Trésor royal les fonds qu’ils ont pris dans les emprunts; sans avoir sorti un écu de leurs caisses, ils partagent avec leurs correspondants à Paris, le bénéfice qui résulte de la différence entre l’escompte de 4 0/0, exigé à la caisse d’escompte, et l’intérêt de l’emprunt fait par le gouvernement, plus (ainsi que l’appelle le premier ministre) l’appât donné au prêteur, de l’intérêt courant entre le jour de la soumission faite au Trésor public, et celui de la remise des fonds : il est donc évident que les fonds provenant de la moitié de ce bénéfice sortent du royaume; que pour les obtenir, les banquiers étrangers n’y ont envoyé que du papier. Combien les rentes viagères ne font-elles par aujourd’hui sortir de fonds du royaume, sans que les maisons étrangères qui en sont propriétaires aient sorti de leurs caisses aucun numéraire Ce mal, quoique réel, est bien léger, mis en parallèle avec celui qu’occasionne le jeu de l’agiotage : je vais essayer d’en esquisser le tableau. Les banquiers établis dans la capitale, qui ont dans leurs mains les agents de change, connaissant à coup sûr l’époque de la plus grande baisse du papier, en donnent avis à leurs correspondants chez l’étranger, en leur proposant d’en prendre une partie. Ces correspondants tirent sur eux les fonds nécessaires à cette acquisition ; leurs traites acceptées, escomptées à la caisse d’escompte, fournissent les fonds de ces achats qu’ont amenés à un taux très-bas les manœuvres des joueurs ; et lorsqu’arrive l’instant de la hausse du papier, tout aussi connu que celui de la baisse, et qui s’opère de même par les agents de change, ces fonds revenus à 10, 12 et 15 0/0 de profit, font passer la moitié du bénéfice de ce jeu dans les caisses des banquiers des puissances voisines, sans qu’ils aient fourni de numéraire pour l’obtenir. Mais, dira-t-on, dorénavant il ne se fera plus d’emprunt, l’agiotage tombera. La Banque d’Angleterre (1) ne produit pas dans ce royaume en effet, je ne vois point anéantir un semblable système, il ne me restera qu’à pleurer sur la ruine de mon s. e premier ministre nous assure qu’un pareil établi s-sement est contre ses principes ; en réponse, je lui demande pourquoi il a établi la caisse d’escompte ? (1) J’ai démontré dans le commencement de ce mé-cet effet funeste, quoique les fonds en appartiennent à des capitalistes. La Banque d’Angleterre est en garde contre l’escompte des papiers qui arrivent des Etats voisins : elle connaît les maisons de banque qui se livrent à ce commerce ; elle n’en escompte pas les effets, parce qu’elle en connaît le danger; elle aime mieux se contenter de dividendes modiques. La caisse d’escompte au contraire, quoique souvent en état de suspension de payement, pour obtenir des dividendes excessifs, s’est immodérément livrée à ces escomptes. En France, à Paris surtout, loin des grandes opérations de commerce dont les principes sont fondés sur de saines bases (elles ne sont connues que dans les ports), l’appât de fortunes rapides donnera toujours essor à l’agiotage. Il sera moindre sans doute quand le gouvernement ne fera plus d’emprunt ; mais, à cette époque� même, n’existera-t-il pas un autre moyen de ruine, bien plus prompt encore que celui de l’agiotage de maisons de banque ? L’idée ne peut-elle pas venir à une grande puissance de décréter votre ruine, en la fondant sur le jeu d’un agiotage qu’elle aurait tant de moyens d’aviver ? C’est pour avoir conçu ce plan, m’être occupé des moyens par lesquels on pourrait le rendre utile à élever la fortune de mon pays au plus haut degré, que je puis en faire la réflexion dans cette assemblée ; elle peut donner matière à méditation aux génies prévoyants. La Banque d’Angleterre s’est établie dans ce royaume dans un temps où il existait peu de connaissances en finances; l’Angleterre est forcée aujourd’hui de subir les lois qu’elle lui impose, parce que le gouvernement a contracté envers elle trop d’engagements; qu’elle a tout le numéraire dans ses caisses, qu’elle a trop de papier en circulation pour pouvoir l’éteindre ; mais les fautes de l’Angleterre ne doivent-elles pas nous apprendre à nous tenir en garde contre les effets fâcheux des opérations qui les ont produites (1) ? Voyons maintenant si, pour le commerce, former de la caisse d’escompte une caisse nationale, produirait un plus heureux effet, si cette caisse n’appartient pas réellement à la nation ; examinons celui qu’elle a produit : cet effet, le voici. Par le même jeu dont j’ai parlé, elle a donné des fonds à toutes les maisons de commerce de la haute Allemagne qui en manquaient ; ce défaut de fonds les rendait dépendantes des banquiers et du commerce des différentes places du royaume, dont elles n’étaient que les commissionnaires : aujourd’hui les fonds qu’elles ont pu se procurer par la caisse d’escompte ont fait prendre aux maisons de commerce de France le rôle des maisons de commerce de la haute Allemagne. moire, combien il était erroné de comparer l’administration d'un pays à un autre, lorsqu’on ne comparait pas leurs positions. (1) Combien ces fautes seraient-elles d’une plus grande conséquence en France ! Dans un seul instant, la nation mettrait son numéraire et sa fortune au pouvoir de la prétendue caisse nationale ; les assignations indispensables, proposées à faire à cette caisse sur les revenus certains, les billets que cette caisse vous prêterait pour rembourser les fonds d’avances faites au Trésor royal, les billets fournis pour le service courant qu’il faudrait rembourser avec le numéraire des impositions, tout concourrait à faire arriver dans la banque l’or et l’argent du royaume ; en même temps qu’un immense engagement contracté envers ell6 ôterait la possibilité de jamais se soustraire au joug qu’elle aurait imposé. Je n’ajouterai pas les maux causés par l’agiotage qu’avivera cette disposition. ISO [Assomblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] L’établissement de cette caisse ne sera pas plus utile à l’agriculture, qu’il ne l’a été jusqu’ici à aucune place de commerce du royaume ; il n’a servi qu’à restreindre les opérations de banque de ses places diverses : l’effet du discrédit qu’il jette dans ces places sur les traites qu’elles font sur la capitale, leur porte le plus grand préjudice. Que le commerce de Lyon s’explique ; cette allégation ne sera par douteuse. Tant de maux produits, dans le présent, d’effets si funestes prévus pour l’avenir, n’ont pu me permettre le silence. Si l’état de splendeur de mon pays doit marcher -vers sa décadence, sa destruction, par un décret porté par l’Assemblée nationale, je ne veux pas éprouver l’éternel remords d’avoir laissé les représentants de la nation dans l’ignorance des effets funestes que j’appris à connaître en Angleterre, en Hollande, en Allemagne et en France même. N’y aurait-il de moyens d’obtenir de secours présents qu’en élevant la fortune de la caisse d’escompte au plus haut degré que puisse atteindre un établissement qui déjà absorbe une partie des opérations des maisons de banque qui n’y sont point intéressées ? Elle a, sans doute, facilité les emprunts de la dernière guerre ; mais qu’ils ont été onéreux, et combien est cruelle la crise dans laquelle ils ont jeté les finances ! Ce ne serait qu’en versant des fonds du Trésor public à la caisse d’escompte que l’on pourrait espérer de lui faire reprendre ses paiements, et, par conséquent, lui rendre du crédit. Pour que ce crédit fût utile au prompt versement des impôts, il faudrait des impôts, il faudrait des bureaux de cette caisse dans les provinces pour escompter ses billets. La suppression de la plupart des compagnies de finances va nécessiter celte disposition pour le versement des fonds au Trésor public : alors elle pourrait, en effet, faire des avances à la nation. Mais ce ne serait autre chose que le système d’emprunt, ramené, il est vrai, sous une forme moins onéreuse, puisque les prêts qu’elle ferait au Trésor seraient à un moindre intérêt. Ce système alors, quoique moins onéreux, aurait un inconvénient de plus, celui de ne pouvoir jamais être détruit qu’à l’extinction de la dette publique sans pouvoir faire contribuer les actionnaires delà caisse d’escompte à aucune charge de l’Etat. Le ministre des finances doit, plus que personne, être frappé de l’évidence de ces vérités; et puisque l’intérêt d’une nation qui s’abandonne à lui doit lui être cher, ne doit-il pas désirer que le succès d’un établissement de banque nationale tourne en entier au profit de la nation? Serait-il arrêté par la difficulté de se procurer les fonds nécessaires pour escompter les billets de la caisse appartenant à la nation, mis en circulation ? lime semble, au contraire, que rien ne serait plus aisé que de se procurer ces fonds. Dans les provinces et dans la capitale, il existe des caisses de consignations dont l’Assemblée nationale pourrait décréter que les fonds seraient employés aux escomptes des billets, lorsqu’ils seraient présentés à la caisse pour être payés. Je ne sais si j’ai été trompé, mais un homme versé dans les finances m’a assuré qu’il existait de grandes sommes dans les caisses des consignations du royaume. Le premier ministre a proposé lui-même, dans son mémoire, de verser à la caisse d’escompte les fonds provenant des dépôts judiciaires, en payant 1/4 0/0 par usance : un même décret ne pourrait-il pas être porté en faveur d’une caisse vraiment nationale ? Il existe au moins 3 millions dans les fonds de caisses des régiments qui pourraient être employés au même objet; l’on pourrait donner aux unes et aux autres un modique intérêt. Tous les fonds provenant de la perception des impositions seraient versés dans les caisses nationales pour être employés de même aux escomptes. L’argenterie que les églises verseront dans les monnaies pourrait encore augmenter ces fonds destinés aux escomptes ; il en serait de même de toute l’argenterie portée aux monnaies. A mesure que les fonds du quart des revenus du royaume, votés par l’Assemblée nationale, seraient payés par les propriétaires, ces fonds seraient versés dans les caisses destinées aux escomptes des billets. Avec de telles dispositions, on pourrait, dès ce moment, créer 150 millions de billets de cette caisse en billets de 1,000 livres, de 300 livres, de 200 livres, de 100 livres et de 50 livres. Ces billets seraient reçus dans les caisses publiques, et bientôt ils prendraient un tel crédit qu’ils seraient préférés à l’argent. Pour produire cet effet plus sûrement, il serait nécessaire de décréter que l’or qui aurait passé un certain taux de frais ne serait plus reçu que dans les monnaies et au poids; on accorderait seulement une remise au porteur du tiers du profit des monnaies. Si cette caisse ne prenait pas tout le crédit qu’il est probable qu’elle obtiendra, la vente des biens du domaine, dont on recevrait un tiers en effets publics et deux tiers en argent, ce papier étant reçu pour même valeur qu’argent en relèverait bientôt le crédit. La vente des maisons ecclésiastiques supprimées, que l’on pourrait faire succéder à celle des domaines, serait un nouveau moyen. Tant de manières de révivifier le crédit de ces billets ne peuvent laisser aucun doute sur le succès de leur établissement. Une fois ce succès assuré, le crédit relevé, quelle facilité ne tirerait-on pas de cette caisse pour changer la nature de la dette nationale et diminuer les intérêts de la créance publique? L’établissement d’une semblable caisse est le seul moyen qu’ait la nation d’atteindre les fonds des capitalistes et de les faire contribuer aux charges publiques. En effet cette caisse, une fois accréditée, peut avoir des emprunts toujours ouverts, où elle reçoive tous les fonds que l’on voudra y verser ; qu’elle emploie ces fonds à faire des prêts sur des hypothèques assurées ; que les fonds qu’elle prêtera aient un privilège toujours acquis, avantage dont jouit même aujourd’hui le Trésor royal pour les créances contractées envers lui, alors tous les capitalistes qui voudront avoir leurs fonds assurés devront les placer dans la banque, et ils seront forcés d’acheter cette assurance 1 0/0 par an, car la banque donnera 1 0/0 de moins aux prêteurs qu’elle n’en exigera de ses créanciers (1). Si la caisse d’escompte devient caisse nationale, alors ce seront ses actionnaires qui pourront jouir de cet avantage; elle atteindra les fortunes de tous les capitalistes, ils deviendront ses tributaires. (1) Ce moyen est le seul par lequel on puisse éteindre le jeu de l’agiotage. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] 151 Vous jugerez, Messieurs, qu’avec une Assemblée des représentants de la nation l’établissement proposé ne peut avoir ni inconvénient, ni dangers, surtout en séparant, comme l’a établi le comité de finances, les fonds attribués aux départements de ceux affectés aux payements des arrérages et à la liquidation de la créance publique. 30 millions ou environ, que peut avoir aujourd’hui en caisse la caisse d’escompte, n’ajouteraient point de facilités aux escomptes des billets qu’elle fournirait au Trésor public, puisque ces 30 millions ne suffisent pas à l’escompte des billets que cette caisse a en circulation pour les opérations d’escompte auxquelles elle se livre. Le sort de la nation est dans les mains du premier ministre des finances ; aucun bien ne peut se faire que par lui. Investi d’une confiance qui lui donne d’aussi incalculables moyens, l’Assemblée nationale doit diriger tous ses efforts pour le seconder, lui élever un monument de gloire dont aucun mortel n’aura joui ; mais en même temps, des hommes animés du désir du bien public, doivent attendre de ce ministre, qu’oubliant tous intérêts autres que ceux de la nation, il n’aura qu’une seule perspective, celle d’assurer un bonheur durable à un grand peuple qui s’est abandonné à lui. Je me résume. Je propose : premièrement, que la nation rembourse aux actionnaires de la caisse d’escompte les fonds d’avances avec lesquels ils l’ont formée, et leur en paye, jusqu’au remboursement, les intérêts à raison de 6 0/0, taux de commerce ; Secondement, que lesdites actions soient remboursées à raison de 5,000 livres l’une, en y comprenant les 1,000 francs par actio rn,ésultant de l’appel fait au mois de janvier dernier ; Troisièmement, que la nation se charge de toutes les lettres de change escomptées par la caisse d’escompte sans exiger aucune indemnité des actionnaires actuels, pour raison de protêt desdites lettres de change ; Quatrièmement, que la caisse d’escompte donne un état exact de la quantité de papier-monnaie qu’elle a en circulation; Cinquièmement, quece papier soit échangé contre du papier de même espèce, marqué d’un timbre Dational, et des divers signes auxquels il serait reconnu ; Sixièmement, qu’il reste en numéraire, ou engagements du Trésor public, une somme égale à celle des fonds des actionnaires, dont la nation leur payerait l’intérêt. proposition. Je propose qu’il soit créé une caisse nationale dont le premier ministre sera invité à concerter le plan avec un comité de l’Assemblée nationale composé de six personnes ; que ce comité soit chargé de même de former, de concert avec le premier ministre des finances, et un comité nommé par les actionnaires de la caisse d’escompte, le plan des indemnités à donner à ces actionnaires. Que le travail terminé soit soumis à l’Assemblée nationale, qui en ordonnera; Que l’Assemblée nationale, remplie de confiance dans la probité du premier ministre, s’empresse de lui offrir la direction de cette caisse, où seront versés tous les fonds des impositions affectées aux payements des arrérages et des amortissements de la créance publique ; qu’il en choisisse lui-même tous les agents secondaires ; qu’enfin il soit nommé par l’Assemblée nationale un comité de six personnes, pour former, avec le premier ministre, qui le présidera, le conseil établi pour les opérations de la caisse nationale. 2e ANNEXE. Plan d'une banque nationale par M. le comte de Custine. . INTRODUCTION. Dans les moments de crise, tout citoyen doit à l’Etat, à la société dont il fait partie, le tribut de son travail, de ses réflexions ; des voyages que j’entrepris dans la vue d’étendre les connaissances à l’étude desquelles je m’étais livré pendant plusieurs années, m’ayant mis à portée de connaître les détails des différentes banques qui existent dans plusieurs Etats de l’Europe, j’ai profité, à mon retour, de mes loisirs pour rédiger le plan d’une banque qui pût servir à mettre en circulation avec plus de facilité le numéraire qui existe dans le royaume ; je m’estimerai heureux s’il se trouve dans ce plan des idées qui répandent quelque jour sur les principes de l’administratiou des finances de la France, qui fassent connaître les inconvénients qui en sont résultés, préviennent le retour à des erreurs aussi funestes. Quel motif plus puissant peut animer le zèle de tout citoyen attaché aux intérêts de sa patrie, que de voir un Roi animé de l’amour du bien, qui n’a cessé depuis les premières années de son règne de montrer le désir de faire le bonheur de ses sujets, avec cette sollicitude vraiment paternelle qui lui fit chercher, dès son avènement au trône de ses ancêtres, tous les hommes marqués par l’opinion publique pour être les plus propres à seconder ses vues bienfaisantes ; qui, fatigué de voir ses vœux si souvent trompés, de n’avoir, malgré ses recherches, mis à la tête des affaires que des hommes ou peu capables ou insensibles aux maux de leur pays, préférant leur repos, les hommages prodigués au pouvoir , aux grands travaux, aux entreprises nécessaires pour détruire les abus des différentes parties de l’administration, l’encens dejquelques adulateurs, des jouissances apathiques, à la gloire qui aurait illustré leurs noms, les aurait portés à l’immortalité, noms que cette coupable indifférence a condamnés à l’oubli ? Quoi de plus fait, dis-je, pour animer tout ce qui composera les Etats généraux de cet esprit public qui seul peut régénérer une grande nation, que de voir un Roi qui, lassé de tant de recherches vaines, persévérant dans son ardent désir de faire le bonheur de ses peuples, voulantle rendre immuable, assemble sa nation, pour discuter, régler elle-même, et avec lui, ses véritables intérêts? c’est là le résumé du rapport de l’administrateur des finances, fait au Conseil d’Etat du Roi le 27 décembre dernier: en effet, que doivent être les Etats généraux? le conseil permanent des rois, l’assemblée où se discuteront, s’arrêteront, se promulgueront les lois, les règlements sages, qui n’éprouvant pas de contradiction, restaureront une grande nation , rendront au Roi le calme et le bonheur, à sa couronne son lustre antique, la prépondérance qu’elle ne pouvait