[8 avril 1791.) [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. pour les emprisonnements arbitraires; c’est là où je demande qu’il n’y ait point de prescription. (Cette motion est décrétée.) M. Démeunier, rapporteur. L’article serait, en conséquence, rédigé comme suit : Art. 8 (ancien art. 35 du projet de décret), « L'action en matière criminelle, ainsi que l’action accessoire en dommages et intérêts, pour faits d’administration d’un ministre hors de place, sera prescrite au bout de 3 ans à l’égard du ministre de la marine, et au bout de 2 ans à l’égard des autres. Les 2 ou 3 années de prescription compteront du jour des faits donnant lieu à l’action criminelle, ou à l’action accessoire en dommages et intérêts. « Néanmoins, l’action pour ordre arbitraire contre la liberté individuelle ne sera pas sujette à prescription. » (Adopté.) M. Démeunier, rapporteur , donne lecture de l’article 36 du projet de décret, qui est ainsi conçu : « L’acte d’accusation porté par le Corps législatif contre un ministre suspendra celui-ci de ses fonctions. » M. Buzot. Il y a un décret rendu sur la haute cour nationale, qui dit : que le décret portant qu’il y a lieu à accusation emporte nécessairement le décret de prise de corps ; or, il y a ici interversion d’idées. D’abord entre l’acte d’accusation et le décret, il y a un espace de temps qui peut être de 5 ou 6 mois. Pondant ce temps-là comment se pourrait-il faire que le ministre qui a un décret de prise de corps, qui peut être mis en prison, fût néanmoins ministre tout à la fois. Ainsi je pense que si l’on veut laisser subsister l’article, il ne faut pas dire comme le comité : « l’acte d’accusation porté par le Corps législatif... », mais : « le décret du Corps législatif déclarant qu’il y a lieu à accusation... » Ici je me permets de faire une autre observation. Ou nous a dit, en faisant adopter l’article 7, qu’il serait possible de renvoyer pour cause purement civile où il ne s’agirait que de dommages et intérêts, devant les tribunaux ordinaires. Je crois que, sans contrarier les décrets rendus, on pourrait mettre à celui-ci une disposition telle qu’elle exprimât que, dans tous les cas où il s’agira de haute trahison, l'accusé sera renvoyé devant la haute cour nationale, et que le Corps législatif pourra, quand il le jugera à propos, renvoyer les actes et les faits particuliers à l’administration d’un ministre devant un tribunal ordinaire. M. lléineuuier, rapporteur. L’opinion du préopinant est très juste; mais le preopmant, qui rapproche les décrets, a oublié que le décret de prise de corps est postérieur à i’acte d’accusa-sation, et qu’il est très important de marquer qu’au moment où le Corps législatif a déclaré qu’il y a lieu à accusation, un ministre est suspendu de ses fonctions. Ainsi voilà le fond de l’article justifié. J’avone avec le préopinant que j’aurais désiré que, dans le décret relatif à la haute cour nationale, il fût stipulé que ce serait elle qui connaîtrait de toutes ces matières. Je suis intimement persuadé que, lors de la révision des décrets, l’observation du préopinant trouvera sa place, mais ce n’est pas ici. Ce serait vous faire préjuger qu’on doit renvoyer un ministre devant un tribunal ordinaire, composé de 5 juges; ce qui n’est pas sans inconvénient; car quoique les ministres soient resserrés, comme ils le sont par vos décret'!, ils auront toujours une certaine prépondérance; il serait, je crois, plus nuisible qu’avantageux au particulier de les citer devant un tel tribunal. Il faut un tribunal qui en impose; ainsi la haute cour nationale est, suivant moi, le tribunal le plus propre, j’adopte le premier amendement, et demande qu’on mette aux voix l’article ainsi amendé. M. Delavigne. Je demande que i’on consigne dans le procès-verbal ce que vient de dire le rapporteur, en convenant qu’il sera très utile, lors de la révision du décret, de changer l'attribution qui paraît être donnée exclusivement à la haute cour nationale de juger tout ce qui intéresse les ministres. M. Démeunier, rapporteur. Ce n’est point du tout là ce que j’ai dit; j’ai dit le contraire ; pardon si je vous interromps, j’ai dit qu’on ne pouvait renvoyer aux tribunaux ordinaires les délits des ministres. Plusieurs membres : Aux voix l’article et le renvoi au comité ! M. Se Président. Je mets aux voix l’amendement de M. Buzot tendant à substituer aux mois : « l’acte d’accusation portée par le Corps législatif », ceux-ci : « le décret du Corps législatif déclarant qu’il y a lieu à accusation. » (Cet amendement est adopté.) M. Démeunier, rapporteur. L’article serait, en conséquence, rédigé comme suit : Art. 9 (ancien article 36 du projet de décret). « Le décret du Corps législatif déclarant qu’il y a lieu à accusation contre un ministre suspendra celui-ci de ses fonctions. » (L’Assemblée décrète cet article et charge en outre le comité de Constitution de lui présenter le plus tôt possible ses vues sur les moyens de soumettre les ministres aux réparations civiles envers les particuliers.) M. Bouche. Nous avons vu pendant longtemps, avant la convocation des Etats généraux, une foule de ministres qui voltigeaient comme des ombres et qui disparaissaient à l’instant; ces hommes révoqués et destitués de leurs places emportaient chez l’étranger leurs vices, leurs passions, leur incapacité et notre or. ( Piires à gauche.) Appelés au ministère, ils étaient aussitôt déplacés pour être remplacés par d’autres qui ne restaient pas longtemps en place. Pour remédier à cet inconvénient, je vais vous proposer un article additionnel. Je lis dans toutes vos lois que les ministres qui ont géré doivent rendre compte de leur administration, et j’ai lieu d’en conclure qu’ils ne pourront pas sortir du royaume qu’ils n’aient rendu compte de leur administration; les divers articles que vous avez décrétés passent sous silence cet objet. Je crois que ce serait rendre imparfaite cette partie de votre législation, si vous ne décrétiez ce que je vais vous proposer : la loi de prime abord vous paraîtra dure, mais elle est juste; eu 656 [Assemblée nationale.] conséquence, Messieurs, je vous propose de vouloir bien décréter ces mots : « Nul ministre, soit qu’il ait été révoqué, soit qu’il ait quitté volontairement ses fonctions, ne pourra s’éloigner du lieu des séances du Corps législatif, qu’il n’ait présenté, rendu et fait apurer le compte de son administration. » ' M. Carat cûnè. J’adopte l’article additionnel, mais je demande qu’il y soit ajouté que le Corps législatif sera tenu de procéder sur-le-champ à l’apurement des comptes que lui présentera le ministre. M. Dcmeunier, rapporteur. Je crois qu’il est digne de la sagesse de l’Assemblée d’examiner la rédaction des propositions qui lui sont faites incidemment au milieu d’une discussion. J’adopte le principe de l’article additionnel présenté par M. Bouche; mais je lui observerai qu’il n’a pas réfléchi sur la difficulté présentée par M. Carat, difficulté bien véritable. Je demande donc, Monsieur le Président, que l’article de M. Bouche soit renvoyé au comité. M. Barnave. Je crois qu’il ne peut y avoir aucune espèce de difficulté à décréter actuellement, comme le demande M. Bouche, que Je ministre qui quittera sa place par une cause quelconque ne pourra s’éloigner du lieu qui lui sera fixé avant de rendre ses comptes. Quant à ia rédaction, je crois que, en décrétant le principe, elle peut être renvoyée, si on le désire, au comité de Constitution, qui ia rapportera. Mais vous avez à renvoyer au comité une autre proposition que je ne crois pas moins essentielle et sur laquelle il me paraît qu’on n’a pas fait une attention assez approfondie. Elle tend à fixer uu mode pour poursuivre le ministre en dommages et intérêts sans un jugement de la haute cour nationale ; sans cela vous ouvrez la porte à toutes les oppressions particulières qui sont toujours les plus fréquentes, parce qu’elles ne frappent que sur le faible. Je déclare que, selon moi, le mode de responsabilité, le mode des réparations des ministres, en faveur des particuliers, n’est point encore complet ; car, je ne puis pas concevoir qu’il n’existe une action en réparations, en dommages-intérêts, qui ne puisse être exercée sans un jugement de la haute cour nationale. Un ministre est un agent de l’admiuistration publique; il a nécessairement l’occasion fréquente de léser des individus dans l’exercice de ses fonctions, sans que l’acte par lequel il les lèse puisse être véritablement un crime national qui puisse donner lieu à un jugement de la haute cour nationale. Il est présumable qu’il y aura beaucoup de circonstances où un ministre pourra être sujet à des dommages, sans que, néanmoins, il y ait lieu à porter sa personne ou ses faits devant la haute cour nationale. Il est donc indispensable d’examiner encore la question; le comité l’avait si bien senti, qu’il avait d’abord fait cette réserve. Je crois bien avec le comité qu’il est indispensable de mettre le ministre à couvert, à l’abri de toutes les attaques industrielles qui pourraient être portées par toutes les inimitiés que s’attire l’homme-mimstre; mais, je crois qu’il faut établir un mode, suivant lequel, avec la permission du Corps législatif, on puisse actionner Je minisire en dommages et intérêts sans obtenir un jugement de la haute cour nationale. Yous avez si bien senti la vérité de ce principe, [8 avril 1791.] que vous avez établi que les juges, qui sont aussi officiers publics, pourraient être actionnés en dommages et intérêts, moyennant un arrêt du tribunal de cassation, qui permît aux parties de les attaquer eu dommages et intérêts. Je ne conçois pas comment un ministre pourrait être soustrait à ce même genre de responsabilité; je demande donc non pas l’adoption actuelle de l’article, mais que le comité soit tenu de nous présenter un mode suivant lequel les individus pourront poursuivre le ministre. M. Brloîs-Beanmetz. J’observe que cette idée est absolument Ja même que celle qui a été proposée par M. Buzot et déjà renvoyée au comité. Quant à l'observation de M. Bouche, je la crois extrêmement juste en principe; je crois juste qu’il faut que le ministre qui sortira de place subisse une épreuve quelconque avant qu’il ait la permission de sortir du royaume. Mais, je suis éloigné de penser que cette épreuve doive ê'.re une reddition de comptes. Cette épreuve conviendrait assez mal, par exemple, au ministre de la guerre, au ministre de la justice. Aussi, cette expression est trop générale et je demande que le comité vous présente, à cet égard, ses vues tendant à exprimer que nul ministre ne pourra s’éloigner du lieu qui lui sera fixé, sans avoir subi l’épreuve qui sera déterminée par le Corps législatif. M. Alexandre de Lanieth, Il me semble que l’espace de temps pendant lequel le ministre ne pourra pas s’éloigner du royaume doit être celui que l’on a fixé pour le cas de prescription, c’est-à-dire pendant 2 ou 3 ans. Plusieurs membres : Aux voix ! le renvoi au comité! (L’Assemblée, décrète le renvoi de la motion de M. Bouche au comité de Constitution pour y être examinée et rapportée incessamment à l’Assemblée.) M. Démeiinier, rapporteur. Nous avons terminé le titre du projet de décret relatif à la responsabilité; il nous faut maintenant déterminer l’ordre du travail que vous voulez adopté. Le comité pense que nous devons revenir au titre lor; nous vous proposons de statuer tout d’abord sur la nomination des ministres, puis sur leur nombre et leurs fonctions. ( Marques d’assentiment.) En conséquence, c’est l’article 1er du projet de décret qu’il s’agit en ce moment de mettre eu délibération; il est ainsi conçu : Art. 10 (ancien art. lor du projet de décret.) « Au roi seul appartiennent le choix et la révocation des ministres. » {Adopté.) M. Démenuier, rapporteur. Nous passons maintenant à l’article 2 du projet de décret; il est ainsi conçu : « Les ministres seront au nombre de 6; savoir : le ministre de la justice, le ministre de l’intérieur, le ministre des colonies, le ministre de la guerre, celui de la marine et celui des affaires étrangères. » M. Monneron. Les motifs que vous a présentés le comité de Constitution pour diviser le département de la marine devraient vous déterminer à l’adopter, puisqu’ils ont pour objet de faire jouir nos colonies de la liberté et de la ARCHIVES PARLEMENTAIRES.