Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 décembre 1789. M. le Président est chargé d’écrire à la garde nationale de Marseille que l'Assemblée a reçu la délibération. M. le Président rapporte que des députés des administrateurs et des actionnaires de la caisse d’escompte l’ont chargé de soumettre à l’Assemblée le vœu qa’ils forment que des commissaires soient nommés pour éclairer les opérations de cet établissement. M. le Chapelier propose de fixer à cette semaine le dernier terme du travail sur la division des départements, et d’arrêter que, lundi prochain, Je comité de constitution rendra compte de ses opérations sur cet objet, et que l’Assemblée entendra les diverses réclamations. M. Bureaux de Pusy. Le rapport est presque terminé, il pourra être incessamment soumis à l’Assemblée. Le travail du comité a été retardé par les nombreuses réclamations qui lui parviennent, surtout par le défaut d’entente entre les députés de plusieurs provinces ( Voyez aux Annexes, le Mémoire des députés du pays d'Aunis et les Observations des députés du pays de Léon et de Tréguier.) M. Poignot, député de Paris. M. l’abbé Fau-chet a fait au sein de la commune de Paris, le 15 de ce mois, une importante motion sur l'étendue et l’organisation du département de Paris. L’impression a été ordonnée par les représentants de la commune et la distribution en sera faite à tous les membres de l’Assemblée nationale. (Voyez ce document annexé à la séance de ce jour.) M. LeChapelier. Jeproposele décret suivant : « L’Assemblée natiouale décrète : « Que dans la semaine, pour tout délai, les députés des diverses parties du royaume remettront au comité de constitution le travail qu’ils auront arrêté pour la division des départements et des districts, ou leurs mémoires instructifs, touchant les objets qui auront excité leurs réclamations, et sur lesquels les députés ne se seraient pas conciliés, pour le rapport en être fait lundi prochain par le « comité de constitution. » Ce décret est mis aux voix et adopté. L’ordre du jour appelle la discussion des motions faites dans la séance du samedi et dont l'ajournement a été prononcé à la séance d'aujourd'hui. La première motion a pour objet la nomination de commissaires chargés de surveiller l'émission des billets de la caisse d'escompte et des assignats du Trésor royal. M. le comte Levis de Alirepoix. Je demande que ces commissaires ne soient pas actionnaires de la caisse d’escompte. M. le marquis de Lusignan. Ces actions sont au porteur; on en possède aujourd’hui, on n’en possède plus demain. M. Begnaud de Saint - Jean - d'Angely. L’administration doit être surveillée, même lorsque des mains pures y puisent. Déjà on affecte de publier qu’il a bien dépendu de l’Assemblée nationale de rendre les derniers décrets, mais qu’il ne dépendra pas d’elle de les faire exécuter. L’Europe entière sera persuadée quand la France le sera, et la France le sera quand on verra que vous avez pris les précautions les plus sages. Je propose qu'il soit nommé six commissaires chargés : 1° d’assister et concourir au traité définitif qui doit être fait avec la caisse d’escompte; iis en importeront un double pour être déposé dans les archives ; 2° de faire un travail sur l’émission de 400 millions d’assignations. L’Assemblée jugera s’ils présentent les moyens suffisants d’assurer l’emploi et deprévenir l’abus de ces effets. Le comité des finances présentera le plus tôt possible un plan d’organisation de la caisse de l’extraordinaire et des dépenses arriérées pour 1789, et pour tes années précédentes qui doivent être payées par cette caisse. Il offrira aussi une nouvelle comptabilité pour le trésor. M. de Cazalès. Je n’ai qu’une observation à faire sur ces mesures ; elles sont absolument destructives de la responsabilité. Je pense qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. Ic comte de jtlontlosier. Je demande la division de la question préalable. M. Barnave. Tous les objets proposés par M. Regnaud sont intéressants; mais quelques-uns doivent être renvoyés à un autre temps. Je réduis sa motion à nommer des commissaires pour surveiller l’émission des billets de la caisse et les assignats. Ainsi, la responsabilité n’est ni détruite ni affaiblie, mais la confiance publique est assurée. M. le comte de Clermont-Tonnerre. J’appuie la question préalable dans toute son étendue. Le moyen d’obtenir la confiance universelle consiste à placer tous les pouvoirs dans les mains qui leur sont propres. On sentira toute l’étendue de la responsabilité, quand on verra que l’Assemblée nationale a écarté, par la question préalable, des propositions qui tendaient à témoigner de la défiance. L’Assemblée décide que la question préalable ne sera pas divisée, et qu’il n’y a pas lieu à délibérer. On propose de s’occuper de l’amendement de M. d’Ëstourmel, ayant pour objet de mettre, ainsi que les biens du clergé, les domaines sous la surveillance des assemblées de département. La priorité est demandée en faveur de la question de savoir quel nom on donnera aux membres des nouvelles municipalités, L’Assemblée décide de renvoyer ce dernier objet au comité de constitution. M. le Président. M. Brunet de Latuque a la parole pour une motion relative aux non catholiques. M. Brunet de Latnquc, député deNérac (1). Messieurs, l’organisation future des municipalités et des assemblées de district et de département fait naître une question qui n’est pas difficile à résoudre, mais à laquelle la tranquillité publique exige que vous fassiez une réponse péremptoire. Le désir d’occuper des places dans ces assemblées anime tous les esprits, et la facilité d’y parvenir devant être d’autant plus grande qué l’on aura moins de concurrents, on s’efforce en plusieurs lieux d’écarter de l’élection les non-catholiques, sous le vain et faux prétexte qu’ils ne sont pas nommés dans vos décrets. Cependant, Messieurs (plusieurs députés m’en sont témoins), il est des communautés en grand nombre, et j’en connais dans ma province, où les protestants composent la moitié, les trois quarts, et presque la totalité des citoyens actifs, des contribuables, des électeurs et des éligibles, et s’il avait été possible qu’en ne les nommant pas poli) Cette motion n’a pas été insérée au Moniteur. g94 [Assemblée nationale.] ARCHIVEb PARLEMENTAIRES. [21 décembre 1789.] sitivement vous eussiez prétendu les exclure, il s’en ensuivrait que dans les communautés où il n’y a presque que des protestants, vous auriez entendu qu’elles seraient sans officiers municipaux et sans administration, ou que du moins ce gouvernement populaire et constitutionnel serait constamment exercé dans ces lieux par les mêmes individus, espèce de privilège d’autant plus propre à indisposer les peuples, qu’ils connaissent mieux les principes de justice depuis qu’ils ont été consacrés par vos décrets. Ceux qui veulent exclure les protestants pour arriver plus sûrement aux places municipales, et forcer les élections en demeurant seuls éligibles, allèguent pour prétexte les édits de 1681 et 1685, édits funestes dont la France déplore encore les sinistres effets, et que leur absurde injustice a heureusement fait tomber en désuétude. Ils argumentent encore de l’édit de Nantes de nov. 1685, qui ne permet aux non catholiques d’occuper des places municipales qu’ autant qu elles n’emportent pas fonctions de judicature. Il est certain, Messieurs, que suivant la lettre de ces dernières dispositions, les non catholiques se trouvent exclus des offices municipaux dans tous les pays méridionaux de la France; car il n’est presque pas de villes dans cette partie du royaume, où les offi-riers municipaux ne soient en usage et possession d’exercer la juridiction politique et criminelle, ou seuls ou concurremment avec les officiers royaux. Je cite pour exemple les villes de Bordeaux, Agen , Nérac, Go odom, Bazas, Marmande, etc. ; et j’en pourrais citer un grand nombre d’autres. Aussi depuis , comme avant l’édit de 1685 , on ne voit aucun protestant élevé aux places municipales dans la province de Guyenne; et il est indubitable qu’ils en seront exclus dans les élections qui vont se faire incessamment en exécution de vos décrets, si vous ne les déclarez pas admissibles, parce que ceux qui sont intéressés à les éloigner prétendent que cet article particulier de l’édit de 1685 est encore dans toute sa force, comme tous les autres articles qui le composent, attendu que vos lois n’y ont pas dérogé expressément. Il faut l’avouer de bonne foi, Messieurs, ce raisonnement a quelque chose de spécieux; mais les adversaires des protestants le regardent comme inexpugnable, et il ne serait pas impossible, que de bons esprits se laissassent séduire par ces prestiges. Cependant, Messieurs, l’époque de la suppression des abus est arrivée ; les droits de l’homme et du citoyen ont été retirés de l’amas des fers sous lesquels le despotisme les avait ensevelis; vous les avez promulgués; vous avez déclaré que tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ; vous avec déclaré que nul ne pourrait être inquiété pour ses opinions religieuses, vous avez décrété que tous les citoyens, sans distinction de rang et de naissance, pourraient parvenir aux charges et aux emplois; vous avez décrété que tous les citoyens qui payeraient une contribution de dix journées de travail, seraient admissibles aux assemblées municipales de district et de département, et que ceux qui payeraient d’un mar d’argent, seraient admissibles aux fonctions législatives, et vous n’avez certainement pas voulu, Messieurs, que les opinions religieuses fussent un titre d'exclusion pour quel - ques citoyens et un titre d’admission pour d’autres. Si l’intérêt particulier ne faisait pas méconnaître sans cesse les principes souverains de la justice, ceux qui cherchent par des motifs si condamnables à écarter les protestants des emplois publics, entreraient mieux, Messieurs, dans l’esprit, et même dans le texte de vos décrets ; ils porteraient leurs regards sur l’Assemblée nationale, et voyant siéger plusieurs protestants au milieu de vous, ils rougiraient de vouloir exclure des fonctions secondaires de l'administration ceux qu’eux-mêmes avaient nommés pour remplir les fonctions de la législature suprême. II ne me serait jamais venu dans l’idée. Messieurs, de vous demander la décision que je sollicite : nourri de vos principes, animé de votre esprit, je n’aurais jamais pu penser qu’une classe nombreuse de citoyens utiles que j’ai appris à estimer et à chérir, pût être exclue des droits de citoyen, et qu’on songeât à les lui contester. Mais les nouvelles que j’ai reçues de ma province ont rendu ma réclamation nécessaire. Il est de votre sagesse, Messieurs, de manifester votre justice; il est de votre dignité de faire connaître à tous, et même d’interpréter vos principes ; il est de votre prudence de prévenir l’intrigue, les prétentions anti-constitutionnelles, les animosités, les ressentiments et l’indignation. J’ai eu l'honneur de vous exposer la question avec la simplicité qui convient à des vérités aussi claires que le jour, et j’ai celui de vous proposer un décret à ce sujet ; et puisque votre silence est interprété à réticence, et par conséquent calomnié, puisque de ce que je ne vous parle aujourd’hui que des droits à la représentation et à l’élection, on pourrait en conclure dans d’autres occasions, au mépris de vos principes et de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, que les non catholiques ne sont pas admissibles à tous les emplois, j’ai l’honneur de vous proposer, Messieurs, un décret qui n’ait plus besoin d’être interprété en la forme suivante : « L’Assemblée nationale décrète : « 1° Que les non catholiquest qui auront d’ailleurs rempli toutes les conditions prescrites dans les précédents décrets pour être électeurs et éligibles, pourront être élus dans tous les degrés d’administration, sans exception; « 2° Que les non catholiques sont capables de tous les emplois civils et militaires, comme les autres citoyens. » M. le comte de Tirieu. Vous avez établi des lois générales; il n’y a point d’exceptions contraires aux non catholiques, ainsi nulle interprétation nécessaire. On pourrait dire tout au plus « que tous ceux qui auront rempli les conditions d’éligibilité seront admis : dérogeant à cet égard à toute loi à ce contraire » . M. Rœderer. Je réclame pour une classe de citoyens qu’on repousse de tous les emplois de la société, qui a son intérêt et son importance. Je veux parler des comédiens. Je crois qu’il n’y a aucune raison solide, soit en morale, soit en politique, à opposer à ma réclamation. M. de Clermont-Tonnerre. Je n’ajoute pas un mot à une chose qui n’a pas besoin d’être développée pour vous frapper. Je propose seulement la formule de décret que voici : « L’Assemblée nationale décrète qu’aucun citoyen actif, réunissant les conditions d’éligibilité ne pourra être écarté du tableau des éligibles, ni exclu d’aucun emploi public à raison de la profession qu’il exerce, ou du culte qu’il professe.» On demande l’ajournement. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur cette demande.