jg (Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (9 juillet 1790.] PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 9 JUILLET 1790. Plainte d'un arrêté du comité des finances du 9 juillet 1790 (concernant les postillons ). Nosseigneurs, vous qui avez juré de défendre nos droits, c’est-à-dire ceux de l’homme et du citoyen. . . Vous qui avez juré de nous maintenir dans nos propriétés, ditês-nous si ce serment sacré, digne des sentiments qui vous animent, doit nous ravir le droit de nous plaindre, celui de vous demander justice, s’il arrive que quelques tyrans nous oppriment ou nous trompent. Et pourriez-vous la refuser à une infinité de victimes qui, tant de fois, se sont prosternées à vos pieds sans avoir pu encore l’obtenir? Cependant, intègres sénateurs, vous la leur devez, c’est de vous seuls qu’ils l’attendent. Lisez donc et prononcez. Copie d'un rapport fait au comité des finances par M. le commissaire chargé de l'administration des postes. « M. de La Blache a communiqué au comité « une plainte portée par les postillons contre « M. Dogny, intendant général des postes, auquel « ils demandent compte d’une somme de « 66,300 livres, provenant de partie d’une retenue « faite sur eux du tiers des petites guides, appli-« cables à l’acquit de quatorze retraites à 150 livres « chacune. » Observation. Les postillons, dans les suppliques imprimées qu’ils ont adressées à l’Assemblée nationale, aux mois de septembre 1789 et février 1790, ne demandent seulement pas compte à M. Dogny d’une somme de 66,300 livres, mais de l’emploi de celle de 155,386 livres, provenant tant des retenues faites du tiers des petites guides, que du prix de la vente du livre des postes, et encore de 6,000 livres annuellement accordées par Sa Majesté, pour être appliquées aux retraites des postillons du royaume. Deuxième phrase du rapport. Mais comme, suivant eux, cette retenue s’élève annuellement à 6,000 livres, et que les quatorze retraites ne forment qu’une somme annuelle de 2,100 livres, il en résulte chaque année une différence de 3,900 livres qui, accumulée pendant 17 ans, offre un total de 66,300 livres, objet de leur réclamation. Deuxième observation . Les postillons n’ont évalué le montant des retenues des petites guides que d’après M. Dogny, ?ui le porte, dans son mémoire à l’Assemblée, à ,050 iivres. Or, dix-sept années à 6,000 livres ont dû produire un résultat de 102,000 livres; et, récapitulation de sa dépense en acquit des pensions relevées sur sa comptabilité même, on trouve pour les retraites des postillons de Paris et Versailles, savoir : Treize pensions pour six mois à 150 livres par an ........ ..... 975 liv. Deux années successives réduites à onze pensionnés ........ 3.300 Treize années à quatorze retraites par an, au prix ci-dessus ..... 27.300 Une année réduite à treize pensionnés . ........... 1.950 Enfin les premiers six mois de 1790, à quatorze, ci ....... 1.050 TotaldeladépensesuivantM. Dogny. 34.575 liv. La recette, par aperçu de. . . . 102.000 liv. M. Dogny serait donc comptable d’environ ............ 67.425 liv. Si le bon du roi qu’il annonce à l’époque du 12 ou 31 mai n’existe que dans sa volonté, il doit restituer cette somme ci-dessus aux postillons de Paris et Versailles, ou leur prouver le contraire sur pièces justificatives ; et c’est ce qui fait l’objet de leur réclamation. Gomme on ne peut douter que le comité des finances ne chérisse la justice, il doit donc faire un rapport à l’Assemblée nationale qui la détermine à décréter que M. Dogny rende un compte en règle aux réclamants, tel qu’ils le demandent. Arrêté du comité des finances. « Sur ce rapport, le comité, ayant observé que « cette plainte a été portée à M. le rapporteur par « les postillons, a arrêté qu’il ne devait s’occu-« per de son examen que lorsqu’elle lui aurait « été renvoyée par l’Assemblée nationale. » Observation. Nous prenons encore la respectueuse liberté d’observer à MM. les députés de l’Assemblée que cette plainte n’a jamais été particulièrement adressée à M. de La Blache, mais directement au tribunal de la nation, le 7 septembre 1789, et à M. d’ Aiguillon, alors président au sénat français ; qu’elle a été réitérée et adressée à l’Assemblée nationale, au mois de février, par les postillons de Paris, réunis aux anciens postillons, veuves, enfants et héritiers d’iceux qui l’ont présentée les premiers, au nom de tous; ce que l’on offre de prouver. On prouvera encore qu’en adressant cette seconde plainte à l’Assemblée nationale, il en fut distribué, sous enveloppe, à MM. les députés, plus de quatre cents exemplaires, et qu’il en fut remis à l’hôtel de MM. d’ Aiguillon, Lameth, abbés Gouttes et Maury, membres du comité des finances. D’ailleurs, le mémoire de M. Dogny, par son intitulé : Réponse au mémoire présenté à l’Assemblée nationale par les ex-postillons, et la supplique de ceux en activité commençant par ces mots : Nosseigneurs, vous qui considérez comme les plus précieux instants de votre vie ceux que vous consacrez au bonheur du peuple, désapprouvent que ces plaintes n’aient été adressées qu’à M. le rapporteur; et si M. de La Blache avait fait son rapport sur les pièces que l’Assemblée a fait adresser à son comité, on n’eût certainemeut point prononcé un arrêt si contraire à l’équité qui le caractérise. C’est pour la troisième fois, illustres représentants d’un peuple libre, que les postillons de la [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juillet 1790.] 49 poste de Paris et les anciens postillons se jettent à vos pieds pour vous supplieMe les prendre en considération, et d’ordonner le renvoi de cette dernière plainte à son comité des finances, pour que le rapport de leurs justes réclamations envers M. Dogny soit fait d’après les mémoires qu’ils ont pris la respectueuse liberté d’adresser à l’Assemblée nationale, et sur les preuves qu’ils joignent ici contre les malversations exercées à leur égard ; et ferez justice. Spoliation criante exercée par les intendants des Postes. Vous craindra-t-on toujours, subalternes tyrans, Vous qui nous opprimez sous cent noms différents ? Précis pour les pos tillons. Depuis plus de dix-sept ans, MM. Rigoley, dits Dogny, retiennent une partie du salaire que la loi ou l’usage a accordé aux postillons de Paris et Versailles. Ces êtres paisibles, soumis au joug de ces agents ministériels, n’osaient se plaindre du poids de leurs fers, lorsqu’au mois de septembre, ils engagèrent leurs anciens confrères, à l’abri de la vengeance des intendants des postes, de présenter à l’Assemblée nationale leurs doléances, au nom de tous. M. Dogny, effrayé de l’opprobre que cette demande allait imprimer sur le front de son père, et, par suite, sur le sien, crut devoir opposer à ses subordonnés un compte dont l’artifice pût le mettre à l’abri d’une restitution. H appuya sa justification sur un prétendu bon du feu roi, en date du 12 ou 31 mai 1772, à qui il fait dire que les postillons de Paris et Versailles seront tenus défaire, sur leur salaire, une retraite de 100 livres aux postillons du royaume qui n’y contribueraient point. Quelle équité. . . 0 la belle chose que l’invention ! Car on peut sans crime la soupçonner ici, puisque M. Dogny refuse de représenter ce bon en original. Ce tissu d’erreurs répandu dans le public, M. l’intendant se rendit à la poste de Paris, où, ayant fait assembler tous ses postillons, il leur tint ce discours adroit : « Je suis persuadé, mes amis, que vous n’avez « point de part dans la demande que vos anciens « confrères ont faite à l’Assemblée nationale, et « vous ne vous joindrez point à ces mutins. Je « vais exposer ma conduite aux yeux de i’Assem-« blée, et prouver que l’administration de mon « père est pure et intacte, etc., etc. » Personne n’osa répliquer à ce discours captieux; le monstre du despotisme n’était point encore étouffé, mais nous évitâmes le piège. Avant d’engager notre fondé de pouvoirs à combattre le mémoire de M. Dogny, nous lui fîmes ■écrire pour l’informer de notre réunion aux premiers réclamants. Quelle fut sa réponse ? « Que la réclamation des postillons n’était pas « neuve ; que l’Assemblée nationale n’avait pas « cru devoir faire droit au mémoire qu’ils leur « avaient adressé, etc., etc. » Une réponse aussi vague nous fit juger que tous autres moyens de conciliation seraient inutiles, et nous adressâmes notre seconde plainte à l’Assemblée nationale. M. de Biron, rapporteur, nommé pour ce qui concernait l’administration des postes, et à qui nos pièces furent renvoyées par l’Assemblée, sut nous amuser plus de trois mois par de belles paroles : « Soyez tranquilles, mes enfants, justice « vous sera rendue. Vos papiers sont dans mou « carton, je m’occupe du rapport de votre affaire, « elle est légitime, comptez sur moi, vous serez « tous contents, etc. » Tel était le résultat ordinaire de nos démarches, tant au comité des finances qu’à son hôtel, mais c’est assez l’usage des grands : ils promettent beaucoup et finissent par le travail de la montagne. Enfin, ne cessant chaque jour de le solliciter, il nous promit que notre affaire serait décrétée à la suite de celle concernant les privilèges des maîtres de postes; promesse vaine de sa part, espérance frivole de la nôtre. Ge décret sortit, et notre cause ne fut point agitée. Quelle justice! Lanouvelle du départ de M. de Biron pour l’île de Corse nous servit de prétexte pour présenter au comité des finances une humble requête, pour le supplier de nous nommer un autre rapporteur. M. de La Blache, commissaire aussi nommé pour cette administration des postes, parut prendre quelque intérêt à nos réclamations; il nous assura même que cette affaire serait décrétée à la suite de celle des messageries ; mais quelques jours après, notre fondé de pouvoirs s’étant présenté au comité des finances pour d’autres plaignants aussi peu heureux que nous, (1) M. de La Blache croyant qu’il recommandait notre cause à M. de La Fayette, assura à notre général que l’affaire des postillons était terminée et que M. Dogny devait lui remettre le lendemain un compte très en règle. A’otre fondé crut si fortement à cette sortie hors de propos qu’il écrivit à M. Dogny de vouloir bien hâter cette remise. Point de réponse. Il écrivit à M. de La Blache, le 4 du présent, et lui témoigna ses vives inquiétudes sur la lenteur qu’apportait M. Dogny dans la remise de son compte. Point de réponse. 11 écrivit à M. l’intendant des postes, sur le même sujet. Voici sa réponse en date du 7 : « Vous vous trompez, Monsieur, je n’ai point re-« fusé de rendre compte au comité des finances « de tout ce qui regarde les pensions des pos-« Liions, et je remettrai, demain à M. de La Bia-« che, toutes les pièces de cette affaire, etc., etc. » Le 8, je fis communiquer celte lettre, à M. de La Blache et lui lis demander si M. Dogny avait fait la remise de son compte. Point de réponse. Enfin, le 16, justement indignés et soupçonnant notre avocat de nous trahir, cette accusation était trop outrageante pour lui, pour qu’il la supportât un instant. Il écrivit à M. de La Blache. Point de réponse. Quelle équité !... Tandis que, sur son rapport, il avait été pris un arrêté par le comité des finances, le 9 du même mois, qui renvoyait cette affaire à i Assemblée nationale ! Hé ! qui ne pourrait pas se plaindre de ce silence ? La colère et le mécontentement se glissant dans notre cœur, tout nous devenant suspect, nous exigeâmes de notre fondé de pouvoirs de paraître lu même jour au comité des finances pour s'expliquer avec M. de La Blache, en notre présence; la solution fui l’arrêté que l’on a rapporté en titre de celte plainte. Si elle n’est point assez fondée, nous prions nos juges de parcourir ce qui suit : (1) Les commis aux fermes. 20 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juillet 1790.1 Preuves convaincantes de malversations. Extrait des postillons pensionnés qui paraissent exister comme vivants dans le mémoire de M. Dogny. Amiens. — Jacques Fusillier, postillon de cette poste, mort La 17 novembre 1780, après 35 ans de services, et couvert de blessures, malgré toutes représentations faites à M. Dogny, sur son triste état, n’a reçu pour toute gratification que 24 livres, une fois payées ; resté à la charge de ses parents, il est encore porté sur la liste du mémoire de M. Dogny, ainsi que ceux ci-après. Port-Saint-Ouen. — Pierre Mane ville, postillon, décédé le 27 février 1788, dans le dernier état d’indigence, n’a jamais été gratifié que de 50 livres, après avoir servi plus de 55 ans. Son maître de poste a sollicité vainement l’appui que réclamait la vieillesse et les infirmités de ce malheureux, après avoir épuisé la recommandation des âmes sensibles, après avoir envoyé un volume de certificats à M. Dogny, rien n’a été capable de l’attendrir. La Charité. — Guillaumart, postillon, mort le 12 mars 1778, n’a jamais louché de pension, quoiqu’il se fût fait enregistrer depuis 1772, après plus de 40 ans de services. Il est resté à la charge de son maître de poste. Cependant M. Dogny le porte comme pensionné sur la liste. Pont-Farcy. — Jacques Le Roquais, mort le 30 janvier 1781, n’a jamais touché que 13 livres, 11 sols, 6 deniers pour toute retraite. Orléans. — Gabriel Delarue, postillon, mort infirme, n’a point touché sa pension. Il lui est donc dû des arrérages, puisque son fils offre d’envoyer sa procuration pour les toucher, Villejuif. — Vienot, mort le 7 octobre 1783, a laissé sa veuve avec douze enfants, dans le dernier état de misère, sans qu’elle ait reçu le plus faible secours. Chartres. — Nasse, décédé le 12 juin 1789, n’est donc pas vivant. Meaux. — Gaspard Le Colu, décédé le 3 septembre 1783. Mmes. — Charrier, ce postillon est mort et n’a jamais touché de pension, quoiqu’il soit porté comme ceux-ci en dépense. Pont-Amarque. — Bary, mort le 15 mai 1789. Le Roulet. — Thiébault, postillon, décédé le 29 décembre 1786. Fromenteau. — Louis Manissié, mort en 1776. Agen. — Lavigne, mort Je 28 août 1787. Montpellier. — Lauzier, décédé le 10 mai 1783. Tous ces postillons paraissent exister dans les listes du mémoire de M. Dogny. Mais un objet qui paraît encore plus révoltant, c’est qu’à la réserve des huit postillons attachés à la poste de Paris, et des six pour celle de Versailles, suivant la création de cet établissement en 1772, jusques en 1780, malgré toutes les perquisitions que nous avons faites, nous ne trouvons aucun postillon pensionné depuis cette première époque, jusqu’à celle de 1780. Cependant M. Dogny a la hardiesse de nous annoncer que, suivant un bon du roi, en date du 10 décembre 1780, le nombre des postillons pensionnés était alors de 58, tandis que l’on n’en connaît que 14, dont il ne donne non plus les noms ni la demeure que des 44. Quelle raison pourrait le dispenser de cette première liste qui confirmerait la vérité du bon du roi du 12 mai 1772 qui ne paraît exister que dans son imagination ? Qu’il nous représente donc ce bon original, ainsi que la liste des 58 pensionnés existants, par celui du 10 décembre 1780, et nous l’en croirons. Preuve de l'existence du bon du 12 mai 1772. Suivant la copie delà lettre de M. le ci-devant baron Dogny aux maîtres des postes de Paris et de Versailles en 1771, il est écrit que les retenues du tiers des petites guides faites aux postillons de ces deux postes seront applicables en gratifications « annuelles de 100 livres chacune, au « profit de ceux qui, malheureusement blessés « dans le cours de leurs services, se trouveraient « hors d’état de le continuer, ou qui, ayant ac-« quis le droit de demander leur retraite par « 25 années de service, se trouveraient le désirer. « Cet arrangement, en donnant de l’émulation à « vos postillons vous donnera la facilité de vous « attacher encore de meilleurs sujets, etc., etc. » Cette lettre n’annonce certainement pas que le bon du 12 mai 1772 assujettisse les postillons de Paris et Versailles à faire aux autres postillons du royaume une retraite prise sur le tiers de leurs salaires. Ce moyen n’eût pas été celui de s'attacher de meilleurs sujets. Si l’on veut rapprocher tous les faits supposés dans le mémoire de M. Dogny, on sera forcé de convenir qu’il ne paraît avoir existé que 14 postillons pensionnés depuis 1772 à 1780; que sept ans et demi d’une retenue de 6,000 livres par an a donné un capital en recette de 45,000 livres et que l’acquit de ces 14 retraites à 100 livres chacune n’ont dû produire qu’une dépense de 10,500 livres. Or, la différence de la recette à la dépense est de 34,500 livres, premier objet de restitution. Et, en partant toujours d’après ces principes, il annonce que, suivant le bon du roi en date du 26 septembre 1779, les pensions ont été portées à 150 livres pour les postillons de Paris et Versailles. Neuf années et demi de pensions à 2,100 livres par an, formeraient une dépense de 19,950 livres, et la recette par an de 6,000 livres pendant le même temps formerait un total de 57,000 livres, ce qui opère une deuxième différence de 37,050 livres; second objet de restitution qui, jointe à la première, suivant M. Dogny, le rend comptable, envers les postillons de Paris et Versailles, d’une somme de 71,550 livres, ce qui diffère de leur demande en plus de 4,125 livres. Si MM. Dogny sont jaloux de conserver une réputation à laquelle ils paraissent si peu attachés, ils doivent prouver, sur pièces justificatives, aux postillons que leur demande en reddition de compte est illusoire. D’après cet exposé sincère, les postillons réitèrent leur prière à l’auguste Assemblée, afin qu’elle daigne ordonner que le rapport de cette affaire lui soit fait d’après l’examen des pièces qu’ils ont pris la respectueuse liberté de lui adresser les 7 septembre et février derniers. Ils doivent espérer des représentants du peuple français, non pas cette grâce, mais cette justice. POURRAT, fondé de pouvoirs pour les postillons , hôtel de Malte, place Baudoyer. A Paris, le... juillet 1790.