2 [ É ta t s généraux.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 mai 1789.1 délibérations répondra aux sentiments d’une nation généreuse, et dont l’amour pour ses rois a toujours fait le caractère distinctif; j’éloignerai tout autre souvenir. « Je connais l’autorité et la puissance d’un roi juste au milieu d’un peuple fidèle et attaché de tout temps aux principes de la monarchie : ils ont fait la gloire et l’éclat de la France; je dois en être le soutien et je le serai constamment. « Mais tout ce qu’on peut attendre du plus tendre intérêt au bonheur public, tout ce qu’on peut demander à un souverain, le premier ami de ses peuples, vous pouvez, vous devez l’espérer de mes sentiments. « Puisse, Messieurs, un heureux accord régner dans cette Assemblée, et cette époque devenir à jamais mémorable pour le bonheur et la prospérité du royaume ! c’est le souhait de mon cœur, c’est le plus ardent de mes vœux, c’est enfin le prix que j’attends de la droiture de mes intentions et de mon amour pour mes peuples. « Mon garde des sceaux va vous expliquer plus amplement mes intentions, et j’ai ordonné au directeur général des Finances de vous en exposer l’état. » De nombreux applaudissements suivent la prononciation du discours du Roi, et se prolongent plusieurs instants. M. de Paille Barentin, garde des sceaux, porte ensuite la parole : Messieurs, il est enfin arrivé ce beau jour si longtemps attendu, qui met un terme heureux à l’impatience du Roi et de toute la France ! Ce jour tant désiré va resserrer encore les nœuds de l'union entre le monarque et ses sujets; c’est dans ce jour solennel que Sa Majesté veut établir la félicité générale sur cette base sacrée, la liberté publique. L’ambition ou plutôt le tourment des rois oppresseurs est de régner sans entraves, de franchir les bornes de toute puissance légitime, de sacrifier les douceurs du gouvernement paternel aux fausses jouissances d’une domination illimitée, d’ériger en loi les caprices effrénés du pouvoir arbitraire : tels ont été ces despotes dont la tyrannie fournira toujours à l’histoire des contrastes frappants avec la bonté de Louis XII, la clémence de Henri IV, et la bienfaisance de Louis XVI. Vous le savez, Messieurs, le premier besoin de Sa Majesté est de répandre des bienfaits; mais pour être une vertu royale, cette passion de faire des heureux doit prendre un caractère public et embrasser l’universalité de ses sujets. Des grâces versées sur un petit nombre de courtisans et de favoris, quoique méritées, ne satisferaient pas la grande âme du Roi. Depuis l’époque heureuse où le ciel vous l’-a donné pour maître, que n’a-t-il point entrepris, que n’a-t-il point exécuté pour la gloire et la prospérité de cet empire dont le bonheur reposera toujours sur la vertu de ses souverains! C’est la ressource des nations dans les temps les plus difficiles, et cette ressource ne peut manquer à la France sous le monarque citoyen qui la gouverne. N’en doutez pas, Messieurs, il consommera le grand ouvrage de fa félicité publique. Depuis longtemps ce projet était formé dans son cœur paternel; il en poursuivra l’exécution avec cette constance qui, trop souvent, n’est réservée qu’aux princes insatiables de pouvoir et de la vaine gloire des conquêtes. Qu’on se retrace tout ce qu’a fait le Roi depuis son avènement au trône, et l’on trouvera dans cet espace assez court une longue suite d’actions mémorables: la liberté des mers et celle de l’Amérique assurées par le triomphe des armes que l’humanité réclamait ; la question préparatoire proscrite et abolie, parce que les forces physiques d’un accusé ne peuvent être une mesure infaillible de l’innocence ou du crime; les restes d’un ancien esclavage détruits, toutes les traces de la servitude effacées et l’homme rendu à ce droit sacré de la nature que la loi n’avait pu lui ravir, de succéder à son père et de jouir en paix du fruit de son travail ; le commerce et les manufactures protégés, la marine régénérée, le port de Cherbourg créé, celui de Dunkerque rétabli, et la France ainsi délivrée de cette dépendance où des guerres malheureuses l’avaient réduite. Vos cœurs se sont attendris, Messieurs, au récit de la sage économie de Sa Majesté, et des sacrifices généreux dont elle a donné tant d’exemples récents, en supprimant, pour soulager son peuple, des dépenses que ses ancêtres avaient toujours cru nécessaires à l’éclat et à la dignité du premier trône de l’univers. Quelle jouissance vos âmes doivent éprouver en la présence d’un roi juste et vertueux ! Nos aïeux ont regretté sans doute de n’avoir pu contempler Henri IV au milieu de la nation assemblée. Les sujets, de Louis XII avaient été plus heureux, et ce fut dans cette réunion solennelle qu’il reçut le titre de Père du peuple. C’est le plus cher, c’est le premier des titres pour les bons rois, s’il n’en restait un à décerner au fondateur de la liberté publique. Si les Etats généraux ne furent point assemblés sous Henri IV, ne l’attribuez qu’aux justes craintes que les discordes civiles devaient inspirer à un prince qui plaçait avant tout la paix et le bonheur de ses peuples. 11 voulut suppléer à cette convocation générale par une assemblée de notables; il y demanda des subsides extraordinaires, et sembla lui transmettre ainsi les droits des véritables représentants de la nation. Dans une position moins difficile, le Roi n’appela autour de lui l'élite des citoyens, ou du moins une portion de cette élite, que pour préparer avec eux le bienfait qu’il destinait à la France. Une première assemblée de notables n’avait eu d’autre motif que de soumettre à leurs lumières un plan vaste de finance et d’économie, et de les consulter sur l’établissement patriotique des administrations provinciales , établissement qui signalera ce règne, puisqu’il a pour objet que l’impôt soit désormais mieux réparti, les charges plus également supportées, l’arbitraire banni, les besoins des villes et des provinces mieux connus. Cependant le long espace écoulé depuis les derniers Etats généraux, les troubles auxquels ils furent livrés, les discussions si souvent frivoles qui les prolongèrent , éveillèrent la sagesse royale, et l’avertissaient de se prémunir contre de tels inconvénients. En songeant à vous réunir, Messieurs, elle a dû se tracer un plan combiné qui ne pouvait admettre -cette précipitation tumultueuse dont l’impatience irréfléchie ne prévoit pas tout le danger. Elle a dû faire entrer dans ce plan les mesures anticipées qui préparent le calme des dérisions, et ces formes antiques qui les rendent légales. Le vœu national ne se manifestait point encore ; Sa Majesté l’avait prévenu dans sa sagesse. A ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 mat 1789.} 3 [États généraux.} peine ce vœu a-t-il éclaté, qu’elle s’empresse de le remplir, et les lenteurs que la prudence lui suggère ne sont plus que des précautions de sa bienfaisance toujours active, mais toujours prévoyante sur les véritables intérêts de ses peuples. Le Roi a désiré connaître séparément leurs besoins et leurs droits. Les municipalités, les bailliages, les hommes instruits dans tous les états, ont été invités à concourir par leurs lumières au grand ouvrage de la restauration projetée. Les archives des villes et celles des tribunaux, tous les monuments de l’histoire étudiés, approfondis et mieux développés, leur ont ouvert des trésors d’instruction; de grandes questions se sont élevées ; des intérêts opposés, toujours mai entendus quand ils se combattent en dé pareilles circonstances, ont été discutés, débattus, mis dans un jour plus ou moins favorable ; mais enfin un cri presque général s’est fait entendre pour solliciter une double représentation en faveur du plus nombreux des trois ordres, de celui sur lequel pèse principalement le fardeau de l’impôt. En déférant à cette demande, Sa Majesté, Messieurs, n’a point changé la forme des anciennes délibérations: et quoique celle par têtes, en ne produisant qu’un seul résultat, paraisse avoir l’avantage de faire mieux connaître le désir général, le Roi a voulu que cette nouvelle forme ne puisse s’opérer que du consentement libre des Etats généraux, et avec l’approbation de sa Majesté. Mais quelle que doive être la manière de prononcer sur cette question, quelles que soient les distinctions à faire entre les différents objets qui deviendront la matière des délibérations, on ne doit pas douter que l’accord le plus parfait ne réunisse les trois ordres relativement à l’impôt. Puisque l’impôt est une dette commune des citoyens, une espèce de dédommagement et le prix des avantages que la société leur procure, il est juste que la noblesse et le clergé en partagent le fardeau. Pénétrés de cette vérité, on les a vus presque dans tous les bailliages donner avec empressement un témoignage honorable de désintéressement et de patriotisme, et il leur tarde de se voir réunis par ordre, afin que ces délibérations qui jusqu’ici n’ont pu être que partielles acquièrent ce degré de généralité qui, en les consolidant, fixera leur stabilité. Si des privilèges constants et respectés semblèrent autrefois soustraire les deux premiers ordres de l’Etat à la loi générale, leurs exemptions, du moins pendant longtemps, ont été plus apparentes que réelles. Dans des siècles où les églises n’étaient point dotées, où on ne connaissait encore ni les hôpitaux ni ces autres asiles nombreux élevés par la piété et la charité des fidèles, où les ministres des autels, simples distributeurs des aumônes, étaient solidairement chargés de la subsistance des veuves, des orphelins, des indigents, les contributions du clergé furent acquittées par ses soins religieux, et il y aurait eu une sorte d’injustice à en exiger des redevances pécuniaires. Tant que le service de l’arrière-ban a duré, tant que les possesseurs de tiefs ont été contraints de se transporter à grands frais d’une extrémité du royaume à l’autre, avec leurs armes, leurs hommes, leurs chevaux, leurs équipages de guerre; de supporter des pertes souvent ruineuses, et, quand le sort des combats avait mis leur liberté à la merci d’un vainqueur avare, de payer une rançon toujours mesurée sur son insatiable avidité; n’était-ce donc pas une manière de partager l’impôt, ou plutôt n’était-ce pas un impôt réel que ce service militaire que l’on a même vu plusieurs fois concourir avec des contributions vôlom-taires? Aujourd’hui que l’Eglise a des richesses considérables, que la noblesse obtient des récompert-ses honorifiques et pécuniaires, les possessions de ces deux ordres doivent subir la loi commune. Nous aimons à le répéter, leur acquiescement a cette loi eut dans sa première forme toute la Vivacité de l’émulation, et prit tous les caractères delà loyauté, de la justice et du patriotisme. L’impôt, Messieurs, n’occupera passent vos délibérations; mais pour ne point anticiper sur lés objets de discussion qui partageront les moments consacrés à vos Assemblées, il me suffira de vous dire que vous n’imaginerez pas un projet utile, que vous n’aurez pas une idée tendant au bonheur général que Sa Majesté n’ait déjà conçue,- ou dont elle ne désire fermement l’exécution. Depuis que les Etats généraux sont déterminés, le Roi n’a jamais pensé sans attendrissement à cette réunion d’un bon père et de ses enfants chéris, qui deviendra le gage de la félicité commune. Au nombre des objets qui doivent principalement fixer votre attention et qui déjà avaient mérité celle de Sa Majesté, sont les mesures à prendre pour la liberté de la presse ; les précautions à adopter pour maintenir la sûreté publique, et conserver l’honneur des familles; les changements utiles que peut exiger la législation criminelle pour mieux proportionner les peines au& délits, et trouver dans la honte du coupable un frein plus sûr, plus décisif que le châtiment. Des magistrats dignes de la confiance du monarque. et de la nation étudient les moyens d’opérer cette grande réforme; l’importance dé l’objêt est l’unique mesure de leur zèle et de leur activité. Leurs travaux doivent embrasser aussi la procédure civile qu’il faut simplifier. En effet, il importe à la société entière de rendre l’administration de la justice plus facile, d’en corriger les abus, d’en restreindre les frais, de tarir surtout la source de ces discussions interminables qui trop souvent ruinent les familles, éternisent les procès, et font dépendre le sort des plaideurs du pins ou du moins d’astuce, d’éloquence et de subtilité des défenseurs ou de leurs adversaires. Il n’importe pas moins au public de mettre les justiciables à portée d’obtenir un prompt jugement; mais tous les efforts du génie et toutes les lumières de la science ne feraient qu’ébaucher cette heureuse révolution, si l’on ne surveillait > avec le plus grand soin l’éducation delà jeunesse. Une attention exacte sur les études, l’exécution des règlements anciens, et les modifications nécessaires dont ils sont susceptibles, peuvent seuls former des hommes vertueux, des hommes précieux à l’Etat, des hommes faits pour rappeler les mœurs à leur ancienne pureté, des citoyens, en un mot, capables d’inspirer la confiance dans toutes les places que la Providence leur destine. Sa Majesté recevra avec intérêt, elle examinera avec l’attention la plus sérieuse, tout ce qui pourra concerner la tranquillité intérieure du royaume, la gloire du monarque et le bonheur de ses sujets. Jamais' la bonté du Roi ne s’est démentie dans ces moments d’exaltation où une effervescence qu’il pouvait réprimer a produit dans quelques provinces des prétentions ou des réclamations exagérées. Il a tout écouté avec bienveillance; 4 JÉLaLs généraux.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |5 mai 1789.) les demandes justes ont été accordées; il ne s’est point arrêté aux murmures indiscrets, il a daigné les couvrir de son indulgence ; il a pardonné jusqu’à l’expression de ces maximes fausses et outrées à la faveur desquelles on voudrait substituer des chimères pernicieuses aux principes inaltérables de la monarchie. Vous rejetterez, Messieurs, avec indignation, ces innovations dangereuses que les ennemis du bien public voudraient confondre avec ces changements heureux et nécessaires qui doivent amener cette régénération, le premier vœu de Sa Majesté. L’histoire ne nous a que trop bien instruits des malheurs qui ont affligé notre royaume dans les temps d’insubordination et de soulèvement contre l’autorité légitime. Elle n'est pas moins fidèle à vous transmettre dans ses fastes les prospérités de vos pères sous un gouvernement paisible et respecté. Si la France est une des plus anciennes monarchies de l’univers, la seule, après quatorze siècles, dont la constitution n’ait pas éprouvé les revers qui ont déchiré et changé la face de tous les empires formés, comme elle, des débris de l’empire romain, c’est dans l’union et l’amour mutuel du monarque et des sujets qu’ilfaut chercher la principale cause de tant de vie, de force et de grandeur. La troisième race de nos rois a surtout des droits à la reconnaissance de tout bon Français. Ce fut elle qui affermit l’ordre de la succession à ia couronne; elle abolit toute distinction humiliante entre ces représentants si fiers et si barbares des premiers conquérants des Gaules, et l’humble postérité des vaincus qu’on tint si longtemps et si honteusement asservis. Par elle, la hiérarchie des tribunaux fut créée, ordre salutaire qui rend partout le souverain présent ; tous les habitants des cités furent appelés à leur administration ; la liberté de tous les citoyens fut consacrée, et le peuple reprit les droits "imprescriptibles de la nature. Mais si les intérêts de la nation se confondent essentiellement avec ceux du monarque, n’en serait-il pas de même des intérêts de chaque classe de citoyens en particulier? et pourquoi voudrait-on établir entre les différents membres d’une société politique, au lieu d’un rang qui les distingue, des barrières qui les séparent? Les vices et l’inutilité méritent seuls le mépris des hommes, et toutes les professions utiles sont honorables, soit qu’on remplisse les fonctions sacrées du ministère des autels , soit qu on. se voue à la défense de la patrie dans la carrière périlleuse des combats et de la gloire, soit que, vengeurs des crimes et protecteurs de l’innocence, on pèse la destinée des bons et des méchants dans les balances redoutables de la justice ; soit que par des écrits, fruit du talent qu;enflamme l’amour véritable de la patrie, on hâte les progrès des connaissances, qu’on procure à son siècle et qu’on transmette à la postérité plus de lumières, de sagesse et de bonheur; soit qu’on soumette à son crédit et aux spéculations d’un génie actif, prévoyant et calculateur, les richesses et l’industrie des divers peuples de la terre; soit qu’en exerçant cette profession mise enfin à sa place dans l’opinion des vrais sages, on féconde les champs parla culture, ce premier des arts auquel tient l’existence de l’espèce humaine; tous les citoyens du royaume, quelle que soit leur condition, "ne sont-ils pas les membres de ia même famille ? Si l’amour de l’ordre et la nécessité assignèrent des rangs qu’il est indispensable de maintenir • dans une monarchie, l’estime et la reconnaissance n’admettent pas ces distinctions, et ne séparent point des professions que la nature réunit par les besoins mutuels des hommes. Loin de briser les liens qu’a mis entre nous la société, il faudrait, s’il était possible, nous en donner de nouveaux, ou du moins resserrer plus étroitement ceux qui devraient nous unir. Un grand général disait, en parlant des Gaulois, qu’ils seraient le premier peuple de l’univers, si la concorde régnait parmi eux. Ces paroles de César peuvent s’appliquer au moment actuel : que les querelles s’apaisent, que les inimitiés s’éteignent, que les haines s’anéantissent, que le désir du bonheur commun les remplace, et nous serons encore le premier peuple du monde. Ne perdez jamais de vue, Messieurs, que la discorde renverse les empires, et que la concorde les soutient. La rivalité entre les citoyens fut la source de tous les maux qui ont affligé les nations les plus célèbres. Les guerres intestines des Romains furent le germe de l’ambition de leurs oppresseurs, et commencèrent la décadence de la patrie, dont la ruine fut bientôt consommée. Sans les troubles qui la déchirèrent, la Grèce aurait vu se perpétuer longtemps sa puissance et sa gloire. La France a couru des dangers; si elle fut quelquefois malheureuse, faible et languissante, c’est quand elle devint le foyer ou le théâtre de ces tristes rivalités. Couvertes du voile toujours imposant de la religion, elles jetèrent ces longues semences de haines dont le règne entier de Henri IV put à peine étouffer les restes, mais sans en réparer tous les désastres. La concorde rassemble tous les biens autour d’elle ; tous les maux sont à la suite de la discorde. Ne sacrifions pas, Messieurs, à des prestiges funestes les avantages que nous avons reçus de la nature. Eh! quel peuple en obtint plus de "bienfaits ! Deux mers baignent une partie de nos provinces, et en nous assurant ainsi la situation la plus heureuse pour le commerce, semblent nous avoir destinés à commander sur l’Océan et sur la Méditerranée. Toutes les productions de la terre croissent ou peuvent croître au sein de la France, et la culture plus perfectionnée nous apprend encore à féconder par de nouveaux moyens ses terrains les moins fertiles. L’activité, les prodiges des arts et du talent, des chefs-d’œuvre de tous les genres ; la perfection des sciences et des lettres, la gloire de tant d’hommes célèbres dans l’église, dans la magistrature et dans les armées, tout se réunit pour lui garantir une prospérité immuable et la première place dans les annales du monde. Encore une fois, Messieurs , ne perdons pas en ce moment, par de cruelles dissensions, les fruits précieux que tant de siècles nous ont acquis, et dont nous sommes redevables aux efforts et à l’amour paternel de nos souverains. Ah! s’il pouvait rester des traces de division dans vos cœurs, s’il y germait encore des semences mal étouffées de cette rivalité malheureuse dont les différents ordres de l’Etat furent tourmentés , que tout s’anéantisse et s’efface en présence de votre Roi, dans ce lieu auguste qu’on peut appeler le temple de la patrie. Représentants de la nation, jurez tous aux pieds du trône, entre les mains de votre souverain, que l’amour du bien public échauffera seul vos âmes patriotiques ; abjurez solennellement, déposez ces haines si vives qui depuis plusieurs mois ont alarmé la France et menacé la tranquillité publique. Que l’ambition de subjuguer les opinions [États généraux.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (5 mai 1789. j o et les sentiments par les élans d’une éloquence impérieuse ne vous entraîne pas au delà des bornes que doit poser l’amour sacré du Roi et de la nation. Hommes de tous les âges, citoyens de tous les ordres, unissez vos esprits et vos cœurs, et qu’un engagement solennel vous lie de tous les nœuds de la fraternité. Enfants de la patrie que vous représentez, écartez loin de vous toute affection, toute maxime étrangères aux intérêts de cette mère commune ; que la paix, l’union et l’amour du bien public président à toutes vos délibérations; mais si quelque nuage venait altérer le calme de vos séances , s’il était possible que la discorde y soufflât ses poisons, c’est à vous, ministres des autels, qu’il appartient de conjurer l’orage : vos fonctions saintes, vos titres sacrés, vos vertus et vos lumières impriment dans les cœurs ce respect religieux d’où naît l’ascendant qui maîtrise et dirige les passions humaines. Eh! comment refuser aux interprètes d'une religion pure et sublime cette vénération, ces hommages, cet empire moral que des hommes enveloppés de ténèbres et livrés à d’extravagantes superstitions ont toujours accordés aux ministres de leurs fausses divinités ! C’est donc sur vous que la nation se repose en particulier du soin de ramener la paix dans cette Assemblée, s’il était possible qu’elle s’en bannît un instant. Mais pourquoi m’occuper du retour de la concorde, quand vous en donnerez des exemples que les deux ordres s’empresseront d’imiter? En effet, quelle sorte de dévouement et quel concours patriotique ne doit-on pas attendre de ces braves et généreux successeurs de nos anciens chevaliers, qui, prodigues envers la France de leur fortune, de leur sang et de leur vie, n’hésitèrent jamais sur un sacrifice que l’utilité publique avait prescrit ou consacré? Vous suivrez aussi ces grands exemples de désintéressement, desoumission et d’attachement à la patrie, hommes sages et laborieux dont les travaux nourrissent, vivifient, instruisent, consolent, enrichissent la société. Tous les titres vont se confondre dans le titre de citoyen, et on ne connaîtra plus désormais qu’un sentiment, qu’un désir, celui de fonder sur des bases certaines et immuables le bonheur commun d’une nation fidèle à son monarque, si digne de vos respects et de votre amour. L’intention du Roi est que vous vous assembliez dès demain, à l’effet de procéder à la vérification de vos pouvoirs, et delà terminer le plus promptement qu’il vous sera possible, afin de vous occuper des objets importants que Sa Majesté vous a indiqués. La faiblesse de l’organe de M. de Bareutin avait empêché d’entendre une partie de ce discours. Après quelques moments de silence, M. Necker, directeur général des finances, prend la parole pour faire connaître aux députés du royaume l’état de leur situation. (Après avoir lu quelques pages de son discours, il le remet à M. Broussonet, secrétaire perpétuel de la société d’agriculture, qui en continue la lecture.) M. Hecker, directeur général des finances. Messieurs, lorsqu’on est appelé à se présenter et à se faire entendre au milieu d’une Assemblée si auguste et si imposante, une timide émotion, une juste défiance de ses forces sont les premiers sentiments qu’on éprouve, et l’on ne peut être rassuré qu’en se livrant à l’espoir d’obtenir un peu d’indulgence et de mériter au moins l’intérêt que l’on ne saurait refuser à des intentions sans reproche ; peut-être encore a-t-on besoin d’être soutenu par la grandeur de là circonstance et par l’ascendant d’un sujet qui, en attirant toutes nos pensées, en s’emparant de nous en entier, ne nous laisse pas le temps de nous replier sur nous-mêmes, et ne nous permet pas d’examiner s’il y a quelque proportion entre notre tâche et nos facultés. Quel jour, Messieurs, que celui-ci ! quelle époque à jamais mémorable pour la France ! les voilà donc, après un si long terme, les voilà rappelés autour du trône, ces députés d’une nation célèbre à tant de titres, d’une nation qui a rempli l’univers de sa renommée, et qui peut en appeler au témoignage incorruptible de l’histoire, soit pour attester ses hauts faits et sa valeur guerrière, soit pour se retracer à elle-même le tableau de ses progrès et de ses triomphes dans tous les genres de gloire et de rivalité ! Elle a parcouru les diverses routes qui sont ouvertes au talent et au génie ; elle s’est fait remarquer avec éclat dans toutes les carrières: les ans qui se sont écoulés servent presque à compter ses succès, et ses regards ne peuvent se tourner en arrière sans y contempler quelque monument de ses grandes destinées. Découvertes majestueuses dans les sciences, brillant éclat dans les lettres, ingénieuses inventions dans les arts, hardies entreprises dans le commerce ; elle a tout fait, elle a tout obtenu, et souvent sans autre secours que ses propres efforts, et souvent sans autre appui que les dons d’une heureuse nature. Oui, les pénibles recherches d’une attention laborieuse et les aperçus rapides du génie, la profondeur de la raison et les embellissements de l’éloquence, les talents utiles et la perfection du goût : elle a tout su réunir, cette noble et magnifique nation dont vous êtes aujourd’hui, Mes* sieurs, les dignes représentants. Que lui fallait-il donc encore pour son bonheur et pour sa gloire ? réussir dans le plus beau de tous les desseins, avancer, terminer, s’il est possible, la plus grande et la plus importante de toutes les entreprises, celle que vous êtes chargés de venir concerter sous les regards et la protection de votre monarque. Ce n’est pas au moment présent, ce n’est pas à une régénération passagère que vous devez borner vos pensées et votre ambition ; il faut qu’un ordre constant, durable et à jamais utile, devienne le résultat de vos recherches et de vos travaux ; il faut que votre marche réponde à la grandeur de votre mission ; il faut que la pureté, la noblesse et l’intégrité de vos vues demeurent en accord avec l’importance et la gravité de la confiance dont vous êtes dépositaires. Partout où vous découvrirez les moyens d’accroître et d’affermir la félicité publique, partout où vous découvrirez les voies qui peuvent conduire à la prospérité de l’Etat, vous aurez à vous arrêter. C’est vous, Messieurs, qui en avant, pour ainsi dire, des générations futures, devez marquer la route de leur bonheur ; il faut qu’elles puissent dire un jour : C’est à Louis, notre bienfaiteur, c’est à l’Assemblée nationale dont il s’est environné, que nousdevons les lois et les institutions propices qui garantissent notre repos ; il faut qu’elles puissent dire : Ces rameaux qui nous couvrent d’une ombre salutaire sont les branches de l’arbre dont Louis a semé le premier germe. Il le soigna de ses mains généreuses, et les efforts réunis de sa nation en ont hâté et assuré le précieux développement.