[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 novembre 1789.] 705 vres, sous quelque titre que ce soit, sauf aux pensionnaires à les l'aire rétablir en tout ou en partie, en indiquant l’époque et les motifs des pensions, l’Assemblée se réservant de réduire ou de supprimer toutes celles qu’elle croira susceptibles de suppression ou de réduction. M. le comte dcllirabeau. Le préopinant ne pense pas à l’effet de sa motion; il ferait manquer de pain quarante mille personnes avant qu'on eût examiné si elles ont le droit de vivre ; il oublie, dans son zèle patriotique, que beaucoup de pensions et de grâces, très-faiblement tarifées sur des blessures ou de longs services, s’élèvent cependant au-dessus de 3ü0 livres. Peut-on, en attendant, laisser mourir des malheureux, parce qu’ils n’ont pas été tués par les coups de fusil qu’ils ont reçus ? La motion de M. Bouche est ajournée. M. le comte de Mirabeau. Messieurs, si les orages qu’élève l’établissement de notre liberté sont inévitables, s’ils servent peut-être à donner aux lois constitutionnelles dont nous nous occupons un degré de sagesse que le calme et le défaut d’expérience ne nous suggéreraient pas, les désordres qui se multiplient dans nos finances sont loin de nous offrir aucune compensation ; il en est même dont l’aggravation peut enfin rendre tous nos travaux inutiles ; et, de ce nombre, le désordre le plus fâcheux est, sans contredit, la disparition de notre numéraire. Une nation habituée à l’usage du numéraire, une nation que de grands malheurs ont rendue défiante sur les moyens de le suppléer, ne peut pas en être privée longtemps sans que le trouble s’introduise dans toutes ses transactions, sans que les efforts des individus pour les soutenir ne deviennent de plus en plus ruineux, et ne préparent de très-grandes calamités. Elles s’approchent à grands pas, ces calamités. Nous touchons à une crise redoutable; il ne nous reste qu’à nous occuper, sans relâche et sans délai, des moyens de la diriger vers le salut de l’Etat. Observez, Messieurs, que non-seulement le numéraire ne circule plus dans les affaires du commerce, mais encore que chacun est fortement sollicité pour sa propre sûreté à thésauriser, autant que ses facultés le lui permettent. Observez que les causes qui tendent à faire sortir le numéraire du royaume, loin de s’atténuer, deviennent chaque jour plus actives, et que cependant le service des subsistances ne peut pas se faire, ne peut pas même se concevoir sans espèces. Observez que toutes les transactions sont maintenant forcées ; que, dans la capitale, dans les villes de commerce, et dans nos manufactures, on est réduit aux derniers expédients. Observez qu’on ne fait absolument rien pour combattre la calamité de nos changes avec l’étranger; que les causes naturelles qui les ont si violemment tournés à notre désavantage s’accroissent encore par les spéculations de la cupidité; que c’est maintenant un commerce avantageux que d’envoyer nos louis et nos écus dans les places étrangères; que nous ne devons pas nousflat-ter assez d’être régénérés ou instruits pour que la cupidité fasse des sacrifices au bien public; qu’il y a trop de gens qui ne veulent jamais perdre, pour que la seule théorie des dédommagements ne soit pas dans ce moment très-meurtrière à la chose publique. lre Série, T. IX. Observez que les causes qui pourraient tendre au rétablissement de l’équilibre restent sans effet; que l’état de discrédit où les lettres de change sur Paris sont tombées est tel, que dans aucune place de commerce on ne peut plus les négocier. Observez qu’elles ne nous arrivent plus par forme de compensation, mais à la charge d’en faire passer la valeur dans le pays d’où elles sont envoyées ; en sorte que, depuis le trop fameux système, il ne s’est jamais réuni contre nous un aussi grand nombre de causes, toutes tendant à nous enlever notre numéraire. 11 est sans doute des circonstances que les hommes ne maîtrisent plus lorsque le mouvement est une fois donné. Mais on a méprisé des règles d’autant plus indispensables, que l’administration des finances devenait plus épineuse ; on a oublié que le respect pour la foi publique conduit toujours à des remèdes plus sûrs, à des tempéraments plus sages, que l’infidélité. On semble s’être dissimulé qu’au milieu des plus grandes causes de discrédit une religeuse observation des principes offre encore du moins les ressources de la confiance. Rappelez-vous, Messieurs, qu’à l’instant où vous eûtes flétri toute idée de banqueroute, j’ai désiré que la caisse d’escompte devînt l’objet d’un travail assidu. 11 était tout au moins d’une sage politique de montrer que nous sentions la nécessité de son retour à l’ordre, et cependant je fus éloigné à plusieurs reprises de la tribune ; on me força, en quelque sorte, à garder au milieu de vous le silence sur des engagements qu’il ne pouvait convenir sous aucun rapport de mépriser. Qu’en est-il arrivé? l’imprévoyance des arrêts de surséance accordés à la caisse d’escompte, en même temps qu’on lui laissait continuer l’émission de ses billets : cetle imprévoyance augmente tous les jours le désordre de nos finances. La caisse nous inonde d’un papier-monnaie de l’espèce la plus alarmante, puisque la fabrication de ce papier reste dans les mains d’une compagnie nullement comptable envers l’Etat, d’une association que rien n’empêche de chercher, dans cet incroyable abandon, les profits si souvent prédits à ses actionnaires. Arrêtons-nous, Messieurs, un instant sur ces funestes arrêts de surséance. On a oublié, en les accordant, que la défiance consulte toujours; que sans cesse elle rapproche les événements pour les comparer ; que l’expérience nous montre partout la nécessité du numéraire réel pour soutenir le numéraire fictif; qu’il n’est aucune circonstance où l’on puisse, en les séparant, faire le bien de la chose publique. Dans quelles contrées ces vérités devaient-elles être mieux présentes à l’esprit ? qui mieux que les Français a connu les désordres auxquels on s’expose dès que l’on détruit toute proportion entre les deux numéraires ? Il ne faut donc pas s’étonner si les étrangers se sont alarmés dès qu’ils ont vu que nous nous exposions de nouveau aux suites de cette imprudence. Ils ne pouvaient pas méconnaître une conformité évidente entre la banque de Law et la caisse d’escompte : la première avait lié son sort à celui de la dette publique; la seconde en a fait autant. Il ne faut pas s’étonner si, dans cet état de choses, M. Necker n’a rassuré les étrangers un inslant que pour les effrayer sans mesure. Sa réputation même s’est tournée contre le crédit public; en voyant un administrateur aussi cé-45 [Assemblée nationale»! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 novembre 1789.] lèbre se servir de la ressource des arrêts de surséance, on a craint que toute ressource ne fût perdue. À la veille de ces arrêts, les créanciers étrangers balançaient du moins l'effet de leurs craintes par l’effet de leurs espérances. Les uns étaient vendeurs, tandis que les autres étaient acheteurs. Depuis ces arrêts tous sont devenus vendeurs; et comme les billets de la caisse d’escompte sont sans valeur pour les étrangers, il faut bien qu’ils se remboursent avec nos espèces ; aussi est-ce par eux que la sortie de notre numéraire a commencé. Dira-t-on que nos agitations politiques eussent produit le même effet ? Mais les orages d’une liberté naissante sont-ils donc si extraordinaires, que seuls ils aient dû détruire tout notre crédit? Serait-il possible que quelque confiance fût restée, si l’on ne s’était pas permis des opérations qui, dans la plus profonde paix, seraient également destructives de toute confiance? Observez, Messieurs, que le papier-monnaie ne sert point à la thésaurisation ; c’est même un de ses avantages, s’il est possible qu’il en ait quelques-uns. Mais, par cela seul qu’il ne sert point à la thésaurisation, chacun se presse de s’en débarrasser dans les temps de discrédit. 11 occasionne alors une plus grande recherche des métaux précieux, comme l’unique échange propre à calmer les inquiétudes, et des traites sur l’étranger, comme un moyen ou d’arriver à ces métaux, ou de changer de débiteur. Cependant, loin que les billets de la caisse d’escompte disparaissent, leur nombre s’accroît chaque jour. Chaque jour il devient plus impossible de les éviter dans toufes les transactions importantes ; chaque jour par conséquent un plus grand nombre de citoyens redoute cette fragile propriété. Ainsi, la recherche et la rareté du numéraire augmentent avec les progrès de l’inquiétude inséparable du papier-monnaie. Et jusqu’où ne vont pas les fatalités qui nous poursuivent ? Quiconque veut réaliser des effets se voit contraint à recevoir son payement en billets de caisse. S’il pouvait facilement les convertir en argent, il mettrait cet argent en sûreté sans l’envoyer hors du royaume. La rareté du numéraire oblige donc le spéculateur à prendre des lettres de change sur l’étranger, qu’on solde avec nos espèces, et à laisser le produit de ces lettres dans le lieu où elles sont payées. C’est une suite naturelle de son opération; le plus souvent elle n’aurait pas lieu, saus le fâcheux intermédiaire entre les propriétés qu’on veut vendre et l’argent dans lequel on met sa sûreté. Voilà, Messieurs, comment la caisse d’escompte, en ajoutant au discrédit des effets publics celui de ses propres billets, aggrave les causes qui chassent notre numéraire hors du royaume; et c’est dans cet état de choses que nous sommes obligés de convertir en écus la vaisselle, dont l’urgence du moment nous a fait implorer le secours. Et qu’on ne dise pas que je répands ici de fausses terreurs, que les billets de la caisse d’escompte ne s’avilissent point, nu’ils sont toujours reçus pour la valeur qu’ils représentent. Il est des pays où le pain se vend sous une certaine forme; le poids de cette forme varie; le prix seul reste toujours le même : que diriez-vous de celui qui prétendrait que, sous ce régime, le rix du pain ne varie jamais? Qu’importe que le illet de la caisse soit toujours reçu pour la même somme, si le rapport entre la valeur des choses et celle du billet à changé? Ce rapport n’est plus le même. Dès qu’il s’agit d’un objet un peu considérable, on l’obtient à meilleur marché si, au lieu de payer en billets, on s’acquitte en argent. La différence est surtout sensible hors de la capitale : en province on ne peut négocier qu’avec beaucoup de peines les lettres de change sur Paris : elles perdent considérablement par l’agio ; et pourquoi, si ce n’est parce qu’on sait qu elles seront payées en billets dont la conversion en espèces sera ou impossible ou coûteuse ? J’ignore jusqu’à quel jour les personnes intéressées au crédit des billets de la caisse d’escompte peuvent en maintenir l’usage. Une fois altérés dans leur essence, une fois incapables d’être échangés à l’instant contre l’argent effectif qu’ils représentent, il est impossible que leur discrédit ne s’accroisse sans cesse ; et dès lors, quel avantage nous dédommagerait de ce malheur? qui nous rassurerait contre les pertes obscures et journalières qu’un tel accident occasionne ? Dans les places frontières du royaume on donne cent livres sur Paris contre quatre-vingt-quinze en écus. Cette circonstance porte nos espèces sur la frontière, d’où elles ont bientôt franchi la limite qui nous sépare de l’étranger. La rareté des grains cause une autre extraction d’espèces à laquelle on ne songeait pas. Les colonies, ci-devant approvisionnées par les ports de Bordeaux, du Havre, ne peuvent plus l’être de la même manière. Le commerce est contraint d’y suppléer par des écus. Quatre expéditions du Havre portent 800,000 livres pour payer des farines à Philadelphie, destinées pour nos îles; d’autres expéditions semblables se préparent à Marseille, et ne tarderont pas à épuiser le peu d’espèces qui circulent dans cette ville. Les espèces une fois épuisées, le commerce fera prendre des piastres à Cadix. Si ces piastres devaient venir en France, elles en seront détournées; si elles n’y doivent pas venir, il faudra que les écus de France sortent par un canal quelconque pour payer ces piastres aux Espagnols. Marseille, fatiguée depuis longtemps par la rareté du numéraire, compte à peine dix maisons qui ne soient pas dans une très-grande pénurie. Déjà plusieurs négociants sont convenus entre eux d’ajouter dix nouveaux jours de grâce â ceux qui sont en usage, et l’on y craint à tout instant de voir éclater plusieurs dérangements. Bordeaux manque de numéraire au point que les plus riches commerçants craignent de se voir dans l’impossibilité physique de payer leurs engagements , quoique leur fortune les mette infiniment au-dessus de leurs affaires. A Nantes, les commerçants ont établi des billets de crédit réciproque, et acquittent ainsi leurs engagements. Un tel moyen ne peut pas durer. Le Havre ne s’est soutenu jusqu’ici que parce qu’il est dans l’usage de faire tous ses payements à Paris, ce qui épargne à ce port les embarras de la balance. Les villes intérieures et manufacturières offriraient un tableau plus effrayant. Amiens n’est pas en état de remplir ses engagements pour les achats de grains faits par une société patriotique. Lyon, qui donnait toujours des secours au commerce, a eu besoin d’être aidé par les banquiers de Paris. Genève, partageant le discrédit de nos fonds, ne peut faire ses circulations qu’avec Lyon et la capitale. Cette ville éprouve la même pénurie que [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 novembre 1789.] 707 nous. Elle s’avance vers la nécessité d’une suspension totale de payements. Cette suspension une fois déclarée, les suites en sont incalculables. Des situations aussi critiques pressent les pas d’une grande catastrophe, et l’état de la capitale est loin d’être rassurant. A l’époque du premier compte rendu par M. Nec-ker dans l’Assemblée nationale, les 80 millions d’assignations suspendues, et 150 millions d’autres assignations ou rescriptions à longue échéance circulaient encore. L’opinion ne les soutient plus, elles sont sans cours. Celles qui avaient été renouvelées pour un an, et celles échues en septembre, ne sont pas toutes acquittées. Le refus du Trésor royal de recevoir comme du comptant dans l’emprunt de 80 millions celles qui échoient en octobre et novembre, a complété le discrédit de tous ces effets. Ceux qui s’en aidaient, ne le pouvant plus, seront enfin forcés de suspendre leurs payements. On ne peut pas sortir tout d’un coup 200 millions de la circulation dans des circonstances aussi critiques, sans causer une gène inexprimable; et s’il doit en résulter des dérangements, ils sont d’autant plus affligeants que les propriétaires de ces effets seront contraints de suspendre leurs payements au sein d’une richesse qu’il n’est pas même permis de croire douteuse. Ceux-là peuvent seuls échappera cette douloureuse nécessité qui auront pu ramasser en espèces une somme égale à leurs engagements. Paris une fois bouleversé par de nombreuses suspensions, la circulation avec les provinces sera complètement arrêtée. Les suspensions de payements s’étendront par tout le royaume. Chacun ne verra dans les débris qu’il pourra recueillir que les moyens de subsister en attendant un nouvel ordre de choses. Quand et comment se formera-t-il? Les papiers échafaudés sur une base ruinée seront inutilement offerts en échange; ils ne présenteront rien qui puisse tirer de leur inaction les agents de l’industrie productive. Le numéraire actuellement caché, et celui qui circule encore, ne seront mis en usage que comme les provisions dans les temps de famine; chacun, se voyant obligé à la plus sévère parcimonie, craindra de se dessaisir d’une valeur qui, partout et en toute conjoncture, représente du pain, aussi longtemps que tout le pain n’est pas consommé. Et, dans une calamité aussi générale, si le lien social ne se rompt pas; si, au défaut de la force physique, la force morale le maintient, ne sera-ce as un miracle auquel personne ne doit oser se er? Est-on certain que dès à présent les anxiétés de Paris sur les subsistances ne soient pas autant l’effet de la rareté de l’espèce, et des alarmes qu’elle répand, que de ces complots si ténébreux, si difficiles à comprendre, si impossibles à démontrer, auxquels on s’obstine à les attribuer? Les grands approvisionnements, à moins qu’ils n’aient été contractés au loin, et sur les ressources du crédit, ne peuvent plus se faire facilement dès que l’espèce est rare. Les fermiers ne sauraient comment employer les billets de la caisse d’escompte. Ces billets ne servent pas à payer des journées de travail; et s’il faut que l’habitant de la campagne accumule pour payer ses baux, accumulera-i-il des billets? Ce n’est que l’argent à la main qu’on peut aller ramasser le blé dans les campagnes, et dès lors les avances deviennent impossibles, si les espèces effectives sont toujours plus difficiles à ramasser. 11 faut près de 150,000 livres par jour pour l’approvisionnement du pain. Cette somme va parcourir les campagnes ; elle ne revient jamais que lentement, et aujourd’hui quelle ne doit pas être cette lenteur tandis que ceux qui cherchent l’argent pour le vendre fouillent partout, et donnent en échange des billets de la caisse d’escompte? Rapprochons maintenant de la masse de notre numéraire l’effet de toutes ces causes qui le chassent, l’enfouissent ou le dissipent. Il en faut peu sans doute à chaque individu pour payer ses besoins, lorsqu’il est assuré que ia circulation le ramènera dans ses mains toutes les fois que sa provision sera épuisée; mais dès qu’il craint les obstacles, il fait une provision d’espèces aussi considérable que ses facultés le lui permettent. Or, même en admettant notre numéraire à 2 milliards, si vous le partagez entre les chefs de famille, ou ceux qui ont à pourvoir à d’autres besoins que les leurs, cette masse ne présente que 400 livres pour chacun d’eux. Sur ces 400 livres, il faut prélever le numéraire qui passe dans l’étranger, celui que la crainte et les spéculations tiennent en réserve. Tenez compte de ces défalcations appauvrissantes, et représentez-vous les espèces qui restent pour les transactions indispensables dès que, la circulation étant suspendue, elles ne peuvent plus se multiplier par la rapidité de leur mouvement. Vous vous demandez sans doute, Messieurs, à quoi ces observations doivent nous conduire? A nous éloigner plus que jamais de la ressource des palliatifs, à redouter les espérances vagues, à ne nous fier au retour d’un temps plus heureux qu’en multipliant nos efforts et nos mesures pour le faire naître, et non à tenter encore, par des ressources usées, à rejeter nos embarras sur ceux qui viendront après nous. Nos tentatives seraient inutiles; le règne des illusions est passé; l’expérience nous a trop appris la perfidie de tout moyen où l’imagination se charge seule de créer les motifs de la confiance. Si les revenus s’altèrent, que peut-on attendre d’une contribution sur le revenu? Quelle contribution ne devient pas onéreuse pour le grand nombre, lorsqu'il faut, pour la payer, se dessaisir de quelques espèces auxquelles on attache sa sécurité? La rareté de l’argent a-t-elle jamais facilité le payement des impôts? La ressource de ia vaisselle pouvait aller loin peut-être; mais si le numéraire continue à se cacher ou à sortir du royaume , à quoi servira la vaisselle? Qu’attendre d’une caisse d’escompte qui s’exagère ses forces et son utilité, qui nous inonde de billets qui s’avilissent, qui croit relever l'opinion qu’elle-même a détruite? Sa véritable situation est un secret; les talents de son administration ont été jusqu’ici fort au-dessous de son entreprise; on n’aperçoit que des motifs de défiance dans les volontés qui la dirigent. On parle d’augmenter son fonds, sans rendre à ses billets leur qualité essentielle, ctdle d'être exigibles à la présentation ; et, nonobstant la persévérance dans un tel régime, on se flatte de quintupler cette augmentation des billets. Ce projet est une continuation de méprises ; il reposerait déjà sur une erreur, lors même que l’arrêt de surséance serait toléré. La faculté qu’ont les banques de répandre leurs billets en quantité triple et quadruple de leur numéraire estconstammentsubordonnée aux circonstances. Si l’on peut se livrer à une proportion 708 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. qui multiplie le numéraire, ce n’est qu’en se tenant prêt à la diminuer dès que les espèces se resserrent. Hors de cette règle générale, il est impossible de se lier à une banque de secours ; ses billets ne sont plus qu’une charge sur le public, un impôt odieux, un feu pestilentiel qui dévore la substance de l’Etat ; et si quelques gens d’affaires paraissent vouloir s’en contenter, c’est que l’art des reprises leur est familier. Voyez ce qui résulte maintenant de cette distribution banqueroutière de quelques sacs d’argent que fait la caisse d’escompte pour tempérer le fâcheux effet des arrêts de surséance. On ne peut participer à cette distribution qu’avec de pénibles efforts. Elle s’est convertie en un agiotage onéreux ; on vend à la porte de la caisse d’escompte l’argent qu’il est si difficile d’en obtenir ; il faut perdre sur le billet pour le changer contre des écus, à moins qu’on ne veuille lutter longtemps avec une foule avide ou inquiète, qui nécessairement se composera et se grossira de plus en plus des agioteurs sur nos écus et nos louis. Il faudra donc établir dans la capitale une différence entre l’argent de banque, c’est-à-dire les billets, et l’argent effectif. Passe encore si cet impôt pouvait retenir ou rappeler notre numéraire ; mais comme dans cet échange l’avilissement porte sur les billets, il ne peut que s’accroître sans cesse et préparer un déficit qu’on voudra remplir en proposant de nouveau de multiplier ces billets. Sont-ce là, Messieurs, je vous le demande, sont-ce là des conceptions dont il soit possible d’attendre la restauration de nos finances? L’attendrons-nous, cette restauration, des procédés qui rebutent ou offensent les créanciers de l’Etat? Que sous les caprices du despotisme l’on devienne dur, injuste, ou tyrannique envers eux, après avoir tout employé pour les séduire, il serait ridicule de s’en étonner ; mais lorsqu’une nation a déclaré qu’elle mettait ses créanciers sous la sauvegarde de son honneur et de sa loyauté, doivent-ils, outre les injustices, essuyer les brusqueries? Si des circonstances impérieuses, suite de l’imprudence des engagements, obligent à franchir les échéances, est-ce la faute des créanciers? Faut-il abuser de leur impuissance jusqu’à se dispenser de tous égards ? Quel avantage le crédit public peut -il retirer des ruses des mauvais payeurs ? Sont-ce des emprunts profitables à la nation, que ces retards où l’on n’offre pas même aux créanciers de quoi soulager leur attente? Est-ce ménager le crédit que d’épuiser toutes les difficultés, lorsqu’elles doivent se terminer parun payement? que d’annoncer dans des papiers publics des payements de rente qu’on ne fait point, où on laisse en souffrance un grand nombre de rentiers sans les prévenir, sans s’arrangera vec eux? Certes, ces misérables expédients éteignent le patriotisme, découragent l’esprit public, aggravent tous les autres maux. Ce tableau, Messieurs, est loin d’être exagéré ; il me conduit à vous faire observer : 1° Que, s’il est pressant de se garantir de la disette, il serait heureux de pouvoir assurer les subsistances à la capitale sans trop l’épuiser de numéraire; 2° Qu’il est urgent de s’occuper de la dette publique dans toute son étendue, en sorte qu’elle n’effraye plus par son obscurité, et de prendre avec les créanciers de l’Etat des arrangements qui les éclairent sur leur sort ; 3° Qu’on ne saurait trop se hâter d’établir sur [6 novembre 1789-1 une base réelle de sages dispositions, des dispositions qui sans détériorer la chose publique, sans contraindre personne, sans exalter les imaginations, conduisent l’Etat à des temps plus propres aux remboursements, et qui donnent, en attendant, aux propriétaires de la dette la faculté de faire usage de leurs titres, chacun selon sa position ; 4° Qu’il faut s’assurer d’un fonds propre à soutenir la force publique, jusqu’à ce que l’ordre, l’harmonie et la confiance soient solidement rétablis ; 5° Qu’en un mot il faut faire cesser toutes les causes destructives de la confiance, et mettre à leur place des moyens dont l’efficacité se découvre aux yeux les moins exercés, et se soutienne par la solidité et la sagesse de leur propre construction. J’observe, à l’égard des subsistances, que nous avons dans les Etats-Unis une ressource qui semble nous avoir été préparée pour les conjonctures actuelles. Ces Etats nous doivent en capital 34 millions dont 10 ont été empruntés en Hollande, et 5,7 10,000 livres d’intérêts seront échus au 1er janvier prochain. Les seuls intérêts suffiraient à payer chez eux un approvisionnement de plus de deux mois pour la ville de Paris, et le tiers du capital payerait la somme nécessaire pour rendre cet approvisionnement égal à la consommation d’une demi-année. Ce secours soulagerait la capitale dans deux objets importants et inséparables, le numéraire et le pain. L’union et la concorde sont rétablies dans ces Etats auxquels nous allons bientôt tenir par les rapports intéressants et féconds delà liberté. Nous avons versé notre sang surleur.sol pour les aider à la conquérir ; ils viennent de la perfectionner par l’établissement d’un congrès qui mérite leur confiance. Ils ne refuseront pas de s’acquitter envers nous, en nous envoyant un aliment qui nous est absolument nécessaire, qui ne nous est rendu rare que par une difficulté qu’ils ont-eux-mêmes connue, et que nous les avons aidé à surmonter, savoir, la rareté du numéraire. Oui, il n’y aurait qu’une impossibilité absolue qui pût rendre les Etats-Unis sourds à nos demandes, et cette impossibilité n’est nullement présumable; elle leur serait trop douloureuse ;iï leur serait même trop impolitique de ne pas faire de grands efforts en notre faveur, pour que nous devions hésiter de recourir à eux incessamment, dans la juste espérance d’en obtenir des grains et des farines qui ne nous coûteraient que des quittances. D’ailleurs, en tournant nos regards de ce côté, nous y achèterons, s’il le faut, ces denrées, mais avec moins d'argent qu’en les payant à de secondes mains, et par conséquent notre extraction de numéraire pour cet objet sera moins considérable. Quant à la dette publique et aux dérangements dont elle nous menace, vous observerez, Messieurs, qu’il est des préparatifs qui, en tout état de cause, sont nécessaires, et qui, faits dès à présent, disposeront les esprits à la confiance et et à tout ce qui peut éloigner ces dérangements. Telles sont toutes les mesures favorables à l’ordre. Votre comité des finances vous a proposé de séparer la partie qui concerne la dette publique de celle qui a pour objet les dépenses nécessaires à tout gouvernement. Cette séparation n’a aucun inconvénient. La dette nationale actuellement contractée est une obligation étrangère à tous les [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 novembre 1789.] 709 rapports politiques, relatifs à la conservation de nos droits. Cette mesure était infiniment sage. Les gens éclairés ont été étonnés de la voir, pour ainsi dire, oubliée, tandis qu’elle méritait, à tant de titres, ’ d’être immédiatement exécutée ; car c’est la seule qui puisse prouver à la nation qu’on veut enfin adopter envers elle de vrais principes de comptabilité. Votre comité a senti que les fonds destinés à payer les créanciers de l’Etat doivent être mis à " l’abri de toute incertitude, et surtout de cette manutention où les agents de la finance, sans cesse v aux expédients, pervertissent l’emploi des fonds, laissent un côté en souffrance pour les besoins d’un autre, et se jettent malgré eux dans le dédale ruineux des injustices ou des partialités. Ces désordres sont autant de justes motifs de discrédit. Les peuples, peu certains de voir employer à la dette ce qu’on leur demande au nom de la dette, prennent et le fisc et la dette en horreur, et les * créanciers de l’Etat ne se tranquillisent jamais sur aucune des mesures destinées cependant à leur sécurité. Les changements dans le ministère des finances, la variabilité des systèmes, les relâchements dans la comptabilité, tous ces inconvénients d’un pouvoir exécutif chargé d’immenses détails, seront toujours des fléaux redoutables pour la confiance, si un établissement particu-lier n’en affranchit pas les créanciers de l’Etat. Si la meilleure manière d’assurer le payement de la dette et de ne pas eu troubler le décroissement importe à la nation, la puissance exécutive ne saurait non plus former un vœu différent ; elle doit se redouter elle-même dans la disposition des deniers. Ainsi une caisse nationale, uniquement destinée à la dette, et dirigée sous l’inspection immédiate de la nation, est un établissement indiqué par la nature des choses. Une fois dotée de revenus destinés au payement de la dette, c’est au pouvoir exécutif à la protéger dans la perception de ses deniers. Sa comptabilité annuelle à l’Assemblée nationale, et les surveillants qu’elle lui donnera, en assurent un emploi toujours conforme à leur destination. Nulle crainte à cet égard ne serait raisonnable. Que d’avantages cet établissement ne présente-t-i l pas ! L’ordre et l’économie dans les dépenses du gouvernement étrangères à la dette en sont une suite immédiate ; car, ne pouvant plus changer la destination des revenus, il est impossible qu’on les dilapide. Cette caisse devient en quelque sorte la propriété des créanciers de l’Etat. Ils acquièrent le droit de la défendre. Us peuvent suivre pour ainsi dire jour à jour son administration, et voir prospérer les mesures qui assurent leurs remboursements. Avec cette caisse disparaîtront toutes les objections que l’expérience a consacrées, et qui jusqu’ici n’ont imprimé sur tous les plans d’amortissement que le sceau de la légèreté et du charlatanisme. Il y a plus : les créanciers de l’Etat pourront en quelque sorte actionner la caisse nationale toutes les fois qu’ils auront à s’en plaindre. Nul ministre, nul préposé, nul commis ne sera redoutable pour eux. On ne pourra plus mettre l’Etat au rang de ces débiteurs qu’on ne peut pas contraindre, contre lesquels on n’ose pas même murmurer. Ce changement donnera désormais au crédit des motifs qu’il n’a encore nulle part. Par cette caisse on découvrira chaque année avec certitude les excédants qui doivent servir à l’extinction des capitaux. Là, pouvant toujours calculer les effets de la dette sur les ressources destinées à la payer, les représentants de la nation pourront toujours arbitrer ce qui lui convient le mieux, et par conséquent à ses créanciers, ou d’éteindre une portion de la dette égale à ses excédants, ou de les faire servir à quelque entreprise en faveur de l’industrie productive, plus avantageuse que l’intérêt de la dette ne serait onéreux. Car n’oublions pas qu’on ne vit que de ses revenus ; que le créancier de l’Etat est content quand ses rentes lui sont payées avec exactitude ; et que si la dette est un mal, il se peut très-bien que, le mal étant fait, le remède ne consiste pas à le détruire le plus tôt possible. Enfin, la caisse nationale nous donnera l’avantage d’une utile consultation avec ceux d’entre les créanciers de l’Etat que leur part dans la dette rend importants, ou qui peuvent en représenter un grand nombre. C’est de leur propre affaire que la caisse nationale s’occupera. Ils ne peuvent pas demander l’impossible, etilest telle disposition dans laquelle leur concours sera évidemment une spéculation à leur avantage. On ne peut raisonnablement attendre d’eux ce concours qu’en leur donnant une sorte de caution que les opérations de la caisse seront consacrées entièrement à leur service et à leur sûreté. Je suppose, pour mieux me faire entendre, qu’une caisse de numéraire effectif fût nécessaire pour soutenir une circulation de billets solidement hypothéqués et destinés à rembourser toutes ces parties arriérées de la dette publique, et à mettre fin à des expédients désastreux ; je suppose que la vaisselle fût le meilleur moyen de produire ce numéraire : peut-on douter que les créanciers de l’Etat, propriétaires de quelque vaisselle, n’eussent intérêt, et ne le sentissent, à la faire concourir à l’établissement de cette caisse. 11 ne faut donc pas différer, Messieurs, l’exécution de cette utile mesure. Il faut s’occuper sans relâche de l’organisation de la caisse nationale. Vous sentirez avec quel soin on doit y procéder puisqu’il s’agit d’un établissement durable, d’un établissement dont les principes et les règles doivent devenir permanents et résister à toute influence ministérielle. La caisse nationale, une fois organisée, deviendra votre comité des finances. Elle s’occupera, jour à jour, de tous les plans qui la mettront en état d’accomplir le vœu national, ce vœu qui, à la face de l’univers, a mis les créanciers de l’Etat sous la sauvegarde de la loyauté française. Que manquera-t-il dès lors, je ne dis pas pour rendre à la nation le crédit qu’elle mérite, elle ne l’a jamais eu, mais pour le lui donner? Le retour de ia paix et du bon ordre, le rétablissement des forces de l’empire. Vous y marchez à grands pas, Messieurs ; et ne doutez "point que cet établissement ne les hâte, en faisant rayonner l’espérance et chez le peuple qu’elle garantira des coups que lui porte l’embarras des finances, et chez les créanciers de l’Etat, sur la propriété desquels sont appuyés un si grand nombre de rapports importants pour la tranquillité publique. J’ai dit, Messieurs, que nous marchions à grands pas vers le retour de la paix et du bon ordre, vers le rétablissement des forces de l’empire. J’en ai pour garants tous les témoignages ui nous viennent des provinces. Leur confiance ans l’Assemblée nationale n’est point affaiblie •, 710 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. elles nous rendent plus de justice qu’on ne voudrait nous le persuader ; elles placent sans cesse, à côté de la lenteur de nos travaux et des fré quentes interruptions qu’ils éprouvent, les difficultés que nous avons à surmonter. Les provinces voient notre zèle, notre dévouement pour les vrais intérêts de la nation, notre ferme résolution de ne pas abandonner, sans le conduire à sa fin, le grand ouvrage qu’elle nous a confié, jusqu'à ce qu’aucun effort, qu’aucune conjuration ne puisse le renverser. Pourquoi faut-il que de tristes malentendus entre l’Assemblée nationale et les ministres aient donné lieu à unmémoirepublicdanslequel, en repoussant une responsabilité qu’ils ont mal interprétée, ils ont répandu des alarmes capables de produire les maux mêmes qu’ils exagéraient! Etendons un voile sur ces déplorables méprises, et cherchons les moyens de mettre fin à toutes ces contradictions qui ne cesseront de s’élever aussi longtemps que les ministres du Roi seront absents de l’Assemblée nationale. Tous les bons citoyens soupirent après le rétablissement de la force publique ; et quelle force parviendrons-nous à établir, si le pouvoir exécutif et la puissance législative, se regardant comme ennemis, craignent de discuter en commun sur la chose publique ? Permettez, Messieurs, que je dirige un instant vos regards sur ce peuple, dépositaire d’un long cours d’expérjences sur la liberté. Si nous faisons une constitution préférable à la leur, nous n’en ferons pas une plus généralement aimée de toutes les classes d’individus dont la nation anglaise est composée ; et cette rare circonstance vaut bien de notre part quelque attention aux usages et aux opinions de la Grande -Bretagne. Jamais, depuis que le parlement anglais existe, il ne s’est élevé une motion qui tendît à en exclure les ministres du Roi. Au contraire, la nation considère leur présence non-seulement comme absolument nécessaire, mais comme un de ses grands privilèges. Elle exerce ainsi sur tous les actes du pouvoir exécutif un contrôle plus important que toute autre responsabilité. Il n’y a pas un membre de l’Assemblée qui ne puisse les interroger. Le ministre ne peut pas éviter de répondre. On lui parle tour à tour; toute question est officielle, elle a toute l’Assemblée pour témoin ; les évasions, les équivoques sont jugées à l’instant par un grand nombre d’hommes, qui ont le droit de provoquer des réponses plus exactes ; et si le ministre trahit la vérité, il ne peut éviter de se voir poursuivi sur les mots mêmes dont il s’est servi dans ses réponses. Que pourrait-on opposer à ces avantages? Dira-t-on que l’Assemblée nationale n’a nul besoin d’être formée par les ministres? Mais, où se réunissent d’abord les faits qui constituent l’expérience du gouvernement ? N’est-ce pas dans les mains des agents du pouvoir exécutif? Peut-on dire que ceux qui exécutent les lois n’aient rien à observer à ceux qui les projettent et les déterminent? Les exécuteurs de toutes les transactions relatives àla chose publique, tantintérieures qu’extérieures, ne sont-ils pas comme un répertoire qu’un représentant actif de la nation doit sans cesse consulter? Et où se fera cette consultation avec plus d’avantage pour la nation, si ce n’est en présence de l’Assemblée? Hors de l’Assemblée, le consultant n’est qu’un individu auquel le ministre peut répondre ce qu’il veut, et même ne faire aucune réponse. L’interrogera-t-on par décret de l’Assemblée ? Mais alors on s’expose à des répon-[6 novembre 1789.] ses obscures, à la nécessité enfin de multiplier les décrets, les chocs, les mécontentements, pour arriver à des éclaircissements qui, n’étant pas donnés de bon gré, resteront toujours incertains. Tous ces inconvénients se dissipent par la présence des ministres dans l’Assemblée. Quand il s’agira de rendre compte de Ja perception et de l’emploi des revenus, peut-on mettre en comparaison un examen qui sera fait sous ses yeux? S’il est absent, chaque question qu’il paraîtra nécessaire de lui adresser deviendra l’objet d’un débat; tandis que, dans l’Assemblée, la question s’adresse à l’instant même au ministre par le membre qui la conçoit. Si le ministre s’embarrasse dans ses réponses, s’il est coupable, il ne peut échapper à tant de regards fixés sur lui ; et ia crainte ae cette redoutable inquisition prévient bien mieux les malversations que toutes les précautions dont on peut entourer un ministre qui n’a jamais à répondre dans l’Assemblée. Dira-t-on qu’on peut le mander dans l’Assemblée? Mais le débat précède, et le ministre peut n’être pas mandé par la pluralité, tandis que dans l’Assemblée il ne peut échappera l’interrogation d’un seul membre. Où les ministres pourront-ils combattre avec moins de succès la liberté du peuple? où proposeront-ils avec moins d’inconvénients leurs observations sur les actes de législation? où leurs préjugés, leurs erreurs, leur ambition, seront-ils dévoilés avec plus d’énergie? où contribueront-ils mieux à la stabilité des décrets ? où s’engageront-ils avec plus de solennité à leur exécution? N’est-ce pas dans l’Assemblée nationale? Dira-t-on que le ministre aura plus d’influence dans l’Assemblée que s’il n’avait pas le droit d’y siéger ? On serait bien en peine de le prouver. L’influence des ministres, lorsqu’elle ne résulte pas de leurs talents et de leurs vertus, tient à des manœuvres, à des séductions, à des corruptions secrètes; et si quelque chose peut en tempérer l’effet, c’est lorsque, étant membres de l’Assemblée, ils se trouvent sans cesse sous les yeux d’une opposition qui n’a nul intérêt à les ménager. Qu’on me dise pourquoi nous redouterions la présence des ministres? Craindrait-on leurs vengeances ? craindrait-on qu’il marquassent eux-mêmes leurs victimes? Mais on oublierait que nous faisons une constitution libre, et que, si le despotisme pouvait supporter des Assemblées nationales permanentes, il les remplirait d’espions auxquels les hommes courageux n’échapperaient pas mieux qu’à la présence des ministres. Ce sont les lois sur la liberté individuelle qui nous affranchiront du despotisme ministériel. Voilà le vrai, l’unique palladium de la liberté des suffrages. Non, Messieurs, nous ne céderons point à des craintes frivoles, à de vains fantômes; nous n’aurons point cette timidité soupçonneuse qui se précipitent dans les pièges par la* crainte même de les braver. Les premiers agents du pouvoir exécutif sont nécessaires dans toute assemblée législative ; ils composent une partie des organes de son intelligence. Les lois discutées avec eux deviendront plus faciles, leur sanction sera plus assurée, et leur exécution plus entière. Leur présence préviendra les incidents, assurera notre marche, mettra plus de concert entre les deux pouvoirs auxquels le sort de l’empire est confié. Enfin, on ne nous demandera pas de ces inutiles comi- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 novembre 1789.] 71 1 tés où se compromet presque toujours la dignité des représentants de la nation. Je propose donc, en me résumant, que l’Assemblée décrète : « 1° Que Sa Majesté sera suppliée de dépêcher incessamment auprès des Etats-Unis, comme envoyés extraordinaires, des personnes de confiance et d’une suffisante capacité, pour réclamer, au nom de la nation, tous les secours en blés ou en farines qu’elles pourraient obtenir, tant en remboursement des intérêts arriérés dont les Etats lui sont redevables, qu’en acquittement d’une partie des capitaux ; c 29 Que le comité des finances proposera le plus tôt possible à l’Assemblée le'plan d’une caisse nationale, qui sera chargée dorénavant du travail des finances relatif à la dette publique, d’en faire ou d’en diriger les payements, de percevoir les revenus qui seront affectés à ces payements, et en général de tout ce qui peut assurer le sort des créanciers de l’Etat, affermir le crédit, diminuer graduellement la dette, et correspondre avec les assemblées provinciales sur toutes les entreprises favorables à l’industrie productive ; « 3° Que les ministres de Sa Majesté seront invités à venir prendre dans l’Assemblée voix consultative, jusqu’à ce que la Constitution ait fixé les règles qui seront suivies à leur égard. » On demande l'impression de cette motion, en exposant que son importance ne permet pas de délibérer sur-le-champ. M. le comte Mathieu de Montmorency représente que les objets qu’elle renferme peuvent se réduire à des termes si simples qu’il sera facile de délibérer sans délai, et que l’Assemblée aurait épargné des moments précieux et des débats très-longs, si les ministres avaient été présents. M. Duquesnoy. Je propose que les ministres, qui sont membres de cette Assemblée, y aien t voix délibérative, après avoirété réélus par leurs bailliages et sénéchaussées. M. Blin (1). La question qui s’agite aujourd’hui devant vous, Messieurs, quoique réduite à une simple disposition provisoire, et tout à fait détachée de la Constitution, semble néanmoins tellement liée avec la question que vous avez ajournée mardi dernier (2), par l’autorité que donne toujours pour l’avenir l’exemple de ce qui a eu lieu au passé, que je ne puis nrempêcher de vous supplier d’accorder à la discussion de cette question vraiment intéressante tout leMemps, toute la réflexion que son importance exige. Quelle que soit, suivant un grand nombre de ceux qui ont parlé hier, la nécessité qui nous presse et qui nous commande, il n’en est point de plus impérative que celle d’agir sagement , et deux ou trois jours consacrés à l’examen d’un point capital n'entraînent point une perte de temps irréparable, quand une fausse mesure occasionnerait des inconvénients qu’il est de votre sagesse de prévenir, et auxquels une longue suite d’années ne remédieraient pas, si une fois elle était adoptée. On nous propose d'inviter les ministres du Roi (1) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire de l’opinion de M. Blin. (2) Les ministres du Roi et autres agents du pouvoir exécutif sont-ils, ou nt sont-ils pas éligibles à l’Assemblée nationale ? à venir siéger dans l’Assemblée nationale , et à prendre voix consultative , jusqu’à ce que la Constitution ait statué à leur égard. L’on a appuyé cette motion sur trois considérations principales : la première, qu’il est une multitude d’éclaircissements relatifs à l’administration, que le besoin du moment exige, et que l’on ne peut recevoir que des ministres ; la seconde, que la méthode de communiquer avec les ministres par l’intermédiaire d’un comité est une pratique dangereuse ; la troisième enfin, que c’est un usage reçu en Angleterre, dont le gouvernement nous offre des titres de perfection que l’on chercherait en vain dans les autres gouvernements de l’Europe. Je vais examiner, le plus brièvement qu’il sera possible, le degré de poids et d’autorité qu’il convient �d’attacher à ces considérations. Une pareille tâche offre deux écueils faciles à éviter, quand on n’aspire qu’à faire valoir la cause de la vérité. Ces deux écueils sont la timide circonspection de la crainte et le langage exagéré de la prévention ; mais pour que la discussion actuelle soit fructueuse, cela ne suffit pas encore, et je crois qu’il importe surtout d’en bannir la composante facilité d’une ambition prochaine ou éloignée. D’abord, je conviens qu’il est beaucoup de points de l’administration sur lesquels l’Assemblée (qui n’est point une assemblée administrative) ne saurait réunir toutes les connaissances requises. Ce n’est pas dans un jour que l’on devient grand administrateur, et nous pouvons convenir sans honte que nous sommes encore dans l’enfance par rapport à cet art, devenu difficile à cause de la multiplicité des machines dont on l’a compliqué. Mais si les ministres ont dans cette partie l’avantage sur nous, l’expérience a-t-elie prouvé jusqu’ici que leur manière d’administrer les empires est la meilleure possible, et ne pourrait-on pas, sans être taxé de prévention ou de calomnie, affirmer que les ministres sont encore loin de réunir sur les différentes branches de l’administration toute la masse de lumières qui existe dans une nation éclairée? Je suppose que ces points ne sont pas constatés ; et je dis que, si l’Assemblée nationale doit toujours tendre à la plus grande perfection possible, ce ne sont pas seulement les ministres qu’elle doit consulter, mais encore tous ceux qui peuvent ajouter aux lumières qui naissent de la discussion toutes les lumières que fournit la méditation ; et par conséquent que le premier devoir de l’Assemblée est ae ne rien décréter d’important avant d’avoir pris tout le temps nécessaire pour peser mûrement et attentivement ses résolutions. Or, cet avantage, elle peut se le procurer, même en ce qui regarde les ministres, sans leur intervention personnelle dans l’Assemblée : car s’ils sont vraiment zélés pour le bien public, il leur sera très-facile de communiquer leurs réflexions, sur le sujet en débat, à des députés qui en feront part à l’Assemblée et qui les feront valoir ; ou de les adresser directement à l’Assemblée, qui ne doit repousser rien de ce qui porte le sceau de la raison, de l’évidence et de l’utilité. On objectera peut-être l’exemple des décrets du 4 août. Je réponds que ces décrets n’étaient point des lois, mais simplement des principes à suivre dans la législation, et qu’en iusistant sur leur promulgation, l’Assemblée n’a pas manqué de déclarer qu’elle apporterait, dans la confection des lois qui en résulteraient, la plus grande et la plus respectueuse attention aux observations que Sa Majesté avait eu la bonté de lui communiquer.