344 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE ESCHASSERIAUX au nom du comité et de la commission chargée de la révision des lois contre les émigrés, soumet son travail à la discussion. TITRE PREMIER De l’émigration et de sa complicité ART. I. Sont déclarés émigrés : 1) Tous Français qui, sortis du territoire de la République depuis le 1er juillet 1789, n’y étaient pas rentrés au 9 mai 1792. — Décrété. 2) Tous Français qui, absents de leur domicile, ou s’en étant absentés depuis le 9 mai 1792, ne justifieraient pas dans les formes ci-après indiquées qu’ils ont résidé sans interruption sur le territoire de la République depuis cette époque. Un membre : L’objet de cette loi est de faire punir de mort les émigrés saisis par la justice. D’après cela, le paragraphe que l’on vient de lire ne me paraît pas rédigé d’une manière assez claire. Sans doute l’intention de la Convention n’est pas de vouloir faire condamner à mort la personne qui aurait négligé de remplir cette formalité. Je demande que l’article soit ainsi rédigé : « Ceux qui, postérieurement au 9 mai 1792, sont sortis de la République »; car autrement tout homme qui ne résideraient pas dans son district, les députés par exemple, seraient obligés de justifier qu’ils n’ont point émigré; et faute d’avoir rempli les formalités prescrites, ils seraient donc compris dans la loi; c’est ce qu’on ne peut pas concevoir. GARNIER (de Saintes) : il n’est pas de ruses que n’emploient les émigrés pour se faire réintégrer dans leurs biens, pour faire constater faussement leur résidence dans la République. Il ne faut point fournir de nouveaux moyens à ces infâmes abus. Tout homme qui est absent de son domicile l’est pour affaires ou pour quelque autre motif qu’on ne peut juger, et il doit lui être facile de prouver sa résidence dans un domicile nouveau; mais tant qu’il n’a pas de domicile connu, il est présumé émigré; c’est à lui à justifier qu’il ne l’est pas. On a parlé des députés; ils sont sans cesse sous les yeux de la Convention qui les surveille; ils ne pourraient pas faire une longue absence sans qu’elle s’en aperçût, et alors elle les dénoncerait elle-même : c’est ce qu’elle a fait pour Julien (de Toulouse). Je demande l’adoption du second paragraphe. Cette proposition est adoptée. 3) Toute personne qui, ayant exercé les droits de citoyen en France, quoique née en pays étranger, ou ayant un double domicile, l’un en France et l’autre dans les pays étrangers, ne constatera pas également sa résidence depuis le 9 mai 1792. — Décrété. 4) Tous Français sortis du territoire de la République, dont l’absence a pour objet le commerce, l’éducation et le dessein d’acquérir de nouvelles connaissances dans les sciences, arts et métiers, aux termes des exceptions portées à la section IV de la loi du 28 mars 1793, s’ils ne sont rentrés en France dans le délai de deux décades après la promulgation de la présente loi, et ne justifient en outre des motifs de leur absence, tant aux comités de suveillance qu’au directoire du district du lieu de leur domicile, d’après les formes prescrites par ladite loi du 28 mars. PELET : Il me semble que cet article renferme des combinaisons si vastes qu’il embrasse toutes les relations commerciales et politiques de la France. Il porte non seulement sur ceux qui ont des missions ostensibles, mais encore il comprend les négociants établis à Constantinople, dans les échelles du Levant; ceux qui vous ont envoyé de Gênes des dons patriotiques, et qui vous font passer chaque jour des étoffes pour l’habillement de vos troupes; enfin ceux qui vous ont envoyé des grains des Etats-Unis. Comment voulez-vous qu’ils soient rentrés dans le délai de deux décades ? Six mois me paraîtraient même trop peu pour ceux qui sont aux Indes. Je demande que cet article soit renvoyé aux comités de Salut public, des Finances et de Commerce, pour vous en présenter demain une nouvelle rédaction. CARRIER : Si vous ne prenez point de mesures nouvelles, vous favoriserez la rentrée des émigrés sur le territoire de la République. Déjà plusieurs, à la faveur des lettres de commerce qu’ils se sont fait donner chez l’étranger, sont revenus par ce moyen; pour empêcher ces travestissements, je demande que ceux qui prétendront ne s’être absentés que pour des raisons de commerce, ou pour acquérir des connoissances nouvelles, soient tenus de justifier auprès de leur municipalité, et de faire attester par elle que c’était réellement là le motif de leur absence. FORESTIER : La loi du 28 mars prévoit ce cas. CARRIER : On m’objecte la loi du 28 mars; mais comme c’est ici un code nouveau que vous offrez à la France, il faut répéter positivement cet article pour empêcher toute fraude. Un membre : Ce dernier paragraphe ne me paraît pas assez clair; ces mots : « quitté le territoire de la République » me paraissent superflus : on peut s’être réuni aux ennemis après son invasion sans avoir quitté le territoire de la République. Le rapporteur : Il suffirait de mettre : « quitté le territoire non envahi de la République ». GENISSIEU : La rédaction telle qu’on vous l’a proposée serait propre à faire échapper des coupables. La loi des émigrés ne porte en général que sur ceux qui sont sortis du territoire de la République; mais dans ce cas-ci on peut être coupable sans être sorti de France. Quand l’ennemi était à Valenciennes, tous ceux qui se sont réunis à lui n’ont pas quitté Valenciennes, et cependant ils sont regardés comme émigrés. Je propose cette rédaction : « Tout Français convaincu de s’être retiré sur le territoire étranger ou français occupé par l’ennemi,». RÜHL : Quand les Prussiens occupaient une partie du département du Bas-Rhin, un grand nombre des habitants de Haguenau et de Wissembourg furent les joindre. Ce ne fut que quand les armes de la République furent victorieuses, que ces même habitants voulurent SÉANCE DU 21 FRUCTIDOR AN II (7 SEPTEMBRE 1794) - N° 40 345 revenir dans leurs maisons. Certes, ils doivent bien être considérés comme des émigrés. DUQUESNOY : Du côté de Landrecies et du Quesnoy, plus de quinze cents personnes se sont renfermées dans Valenciennes avec les ennemis; ce sont bien là des émigrés. Le paragraphe V est adopté, avec l’amendement proposé par le rapporteur. 6) Ne pourra être opposée pour excuse la résidence dans les pays réunis à la République, pour le temps antérieur à la réunion proclamée. — Décrété. Exceptions : ART. IL Ne seront point réputés émigrés : 1) Tous Français chargés de mission par le gouvernement dans les pays étrangers, ainsi que les personnes spécialement désignées pour les suivre. CHAZAL : Je demande que ceux qui ne seront point rentrés trois mois après leur mission terminée soient regardés comme émigrés; car, s’ils ne sont point rentrés en France dans l’espace de trois mois, ils ont évidemment manifesté l’intention de rester dans les pays étrangers. Le paragraphe 1er et l’amendement de Chazal sont adoptés. 2) Les Français absents antérieurement au 1er juillet 1789, qui n’étaient pas rentrés au 11 brumaire dernier sur le territoire de la République; mais ils sont considérés comme ayant renoncé à tous leurs droits de citoyen, et sous ce rapport leurs biens sont acquis à la nation. Il leur est défendu de rentrer en France tant que durera la guerre, à peine d’être traités comme émigrés. Sont néanmoins assimilés aux émigrés ceux qui sont reconnus pour avoir porté les armes contre la République, fait partie des rassemblements d’émigrés, ou être venus résider depuis les hostilités commencées sur les pays ennemis contigus aux frontières de la République. Un membre : Ce paragraphe me paraît contenir une contradiction manifeste: si ceux qu’il concerne sont regardés comme émigrés, pourquoi leur permettre de rentrer à la paix ? s’ils ne sont pas regardés comme tels, pourquoi confisquer leurs biens ? Un membre : J’observe que cet article est une suite de celui que la Convention a renvoyé à un nouvel examen de ses comités. J’en demande également le renvoi. Un membre: Je m’oppose au renvoi: si ces citoyens ne sont pas regardés comme émigrés, ils doivent être au moins regardés comme étrangers, et vous avez décrété que les biens des étrangers seraient séquestrés. DÜHEM : Je m’oppose à la faculté qui leur est accordée de rentrer à la paix. Ces individus doivent être considérés comme émigrés. On leur avait donné jusqu’au 11 brumaire dernier pour rentrer; ils ont eu le temps de réfléchir. Puisqu’ils n’ont partagé ni la gloire ni les dangers de la révolution, ils sont indignes d’en partager les fruits. Je demande la suppression de la disposition qui leur permet de rentrer à la paix. GOUPILLEAU : J’appuie cette proposition. Il y a dans la Nouvelle Angleterre un grand nombre d’individus à qui votre ministre a offert tous les secours et moyens nécessaires pour revenir dans leur patrie : ils s’y sont refusés parce qu’ils attendaient la contre-révolution. Un membre : Il faut pourtant différencier les peines comme les délits. Il y a de la différence entre celui qui a quitté sa patrie dans les moments de danger et celui qui est resté dans le pays étranger où il était. GARNIER (de Saintes) : Je m’oppose à ce qu’on établisse aucune différence : celui qui a abandonné sa patrie quand le tocsin sonnait, et celui qui a appris chez l’étranger qu’on sonnait le tocsin, et qui n’est pas venu se réunir à ses frères pour partager les périls, sont également coupables; ils sont également indignes de partager les fruits d’une révolution à laquelle ils n’ont pas concouru. On demande la question préalable sur l’article. Un membre : J’observe que, si vous adoptiez la question préalable, il n’y aurait rien de statué sur ceux qui sont désignés dans cet article. Plusieurs membres demandent qu’on supprime l’exception portée dans le deuxième paragraphe du deuxième article, que ceux qu’il concerne soient regardés comme émigrés, et qu’en conséquence ce paragraphe soit reporté à l’article Ier, qui spécifie le cas d’émigration. Cette proposition est décrétée (92). Dans le cour de la discussion, Raffron avoit demandé que tous les articles des lois antérieures, auxquels la loi actuelle renvoyait, fussent textuellement relatés dans cette dernière, afin qu’il n’y eut plus à cet égard qu’une loi unique et entière. Le rapporteur observe que plusieurs des articles antérieurs ont été modifiés par la loi actuelle. Un membre: S’ils ont été modifiés, ils sont fondus dans la loi; s’ils sont conservés intégralement, au lieu d’y renvoyer, il faut les rapporter. L’opinant en conséquence appuie la proposition de Raffron; elle est décrétée. L’Assemblée ajourne la suite de la discussion (93). La séance est levée à quatre heures. Signé, Bernard (de Saintes), président ; Ben-tabole, L. Louchet, Cordier, Borie, Reynaud, Guffroy, secrétaires. AFFAIRES NON MENTIONNÉES AU PROCÈS-VERBAL 40 [Le conseil général de la commune de Fleurance, département du Gers, à la Convention nationale] (94) (92) Moniteur, XXI, 702-704. Débats, n° 718, 365-369. (93) Débats, n° 718, 369. (94) Bull, 21 fruct.