SÉANCE DU 3 VENDÉMIAIRE AN III (24 SEPTEMBRE 1794) - N° 46 25 Après la lecture de l’adresse, le membre inculpé répond qu’il n’a jamais dit que le peuple de Saint-Omer ne fût pas bon en masse; mais que des fédéralistes et des contres-révolutionnaires l’agitoient et cherchoient à l’égarer. 11 dénonce l’orateur de la députation comme dilapidateur des fonds publics, et comme ayant été à cet égard traduit au tribunal révolutionnaire par un représentant du peuple. Après des débats assez vifs et dans lesquels il est prouvé que ce citoyen a été acquitté par le tribunal même de Le Bon, la mention honorable et l’insertion de l’adresse au bulletin sont décrétées, et les observations relatives à l’individu renvoyées au comité de Sûreté générale (76). L’orateur fait le tableau de ce qui s’est passé dans cette commune pendant le cours de la mission de Joseph Le Bon dans ce département, où il avait mis la terreur à l’ordre du jour. Après avoir applaudi à la conduite du représentant Florent Guiot, qui a fait sortir la liberté du fond des tombeaux, arraché le masque aux faux patriotes, et ramené le règne de la justice et de la vertu, il se plaint d’un libelle diffamatoire qui a représenté cette commune comme une arène où le modérantisme écrasait les patriotes, et duquel Duhem s’est rendu, dit-il, l’organe et l’apologiste aux Jacobins. Une calomnie aussi atroce, continue-t-il, fait sortir par un mouvement spontané tous les braves sans-culottes de leurs ateliers; ils se sont rassemblés sur-le-champ dans le temple dédié à l’Etre suprême ; là ils ont juré de nouveau de faire de leurs corps un rempart à la Convention nationale. Quoi, ont-ils dit, lorsque d’exécrables ministres du despotisme ont porté les larmes du désespoir dans nos familles ; lorsque chaque citoyen est prêt à verser son sang pour cimenter les bases de la République; lorsque le crime a si longtemps persécuté la vertu; lorsque nous avons fait connaître à Florent Guiot ces hommes de sang qui, affublés du manteau du patriotisme, préparaient des poignards pour nous égorger; lorsque la plupart d’entre eux n’ont emporté que le mépris et l’indignation du peuple, en étant chassés des fonctions publiques, ils ont encore l’audace de nous accuser aux yeux d’une société célèbre ! Eh bien! que la Convention apprenne que nous avons déclaré unanimement qu’ils étaient de vils imposteurs, ceux qui avaient trompé la religion de Duhem; que la liberté qui bouillonnait depuis longtemps dans son vase n’en a vomi que l’écume; que la Convention apprenne que nous maintenons avec enthousiasme et dans toute son étendue l’adresse votée sur les événements des 9 et 10 thermidor par la société des Amis de la Convention nationale, séante en cette commune; que nous vouons à l’exécration pu-(76) P. V., XLVI, 58-60. blique ces continuateurs de Robespierre qui outragent la liberté jusque dans la conscience des hommes libres, et qui veulent le triomphe des égorgeurs et l’anéantissement de la justice ; que la Convention apprenne que nous pousserons toujours le char du gouvernement révolutionnaire, mais que nous ne voulons plus que la terreur lui imprime une action convulsive et tyrannique ; que la faction du moderne Cromwell ne sera éteinte dans ce département que lorsque son infâme ministre Le Bon et tous les bourreaux affreux seront traînés au pied de l’échafaud; que la Convention apprenne qu’elle sera toujours notre seul point de ralliement ; que nous sommes debout pour fondre sim les assassins qui attenteraient à son intégrité, et qui entraveraient l’harmonie de ses travaux; que ceux-là sont les ennemis du peuple qui veulent se placer entre lui et ses mandataires; que, si nous devions tomber encore sous le joug de la tyrannie, nos bras, armés de poignards, immoleraient nos oppresseurs nouveaux ; que nous les entraînerions avec nous dans la tombe, plutôt que d’être un troupeau de lâches esclaves. Vive la République! vive la Convention! périssent les factieux! DUHEM : Je demande à donner quelques explications sur ce qui vient d’être dit à la barre. Je n’ai jamais dit que le peuple de Saint-Omer ne fût pas bon en masse, ni qu’il fût en insurrection ; mais j’ai dit que des fédéralistes, des contre-révolutionnaires agitaient le peuple et cherchaient à l’égarer. [il assure que c’est le calomnier que de dire qu’il a insulté le peuple de Saint-Omer qu’il connoit aussi bien que d’autres, qu’il a seulement dit que des intrignans cherchoient à égarer le peuple de Saint-Omer, qu’il en a les preuves et qu’il les fournira au comité] (77). On m’a dit, par exemple, que l’individu qui se trouve à la barre, et qui je crois se nomme Jadot (78), a été traduit au tribunal révolutionnaire, par notre collègue Duquesnoy, comme dilapidateur des fonds publics, qu’un autre nommé Valet et le nommé Pietz ont été les rédacteurs d’adresses contre-révolutionnaires ; que ces individus se remuent aujourd’hui, et viennent au nom des sociétés populaires qu’ils agitent. Je sais qu’à Saint-Omer on a convoqué le peuple par section, contre le vœu exprès de la loi. J’ai déposé les lettres qui prouvent ces faits au comité de Sûreté générale. Je ne connais à Saint-Omer qu’un seul patriote en qui j’ai placé ma confiance ( Murmures, ). Je le répète, quelque soit le sens que les malveillants veuillent donner à mes paroles, et je dis que je ne connais à Saint-Omer qu’un homme véritablement patriote en qui j’ai placé toute ma confiance. Je demande le renvoi du pétionnaire au comité de Sûreté générale. [je m’y rendrai aussi avec plusieurs de nos collègues pour l’éclairer sur cette affaire] (79). (77) J. Paris, n 4. (78) Jadole, selon J. Perlet, n 731. (79) J. Perlet, n" 731. 26 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE DUQUESNOY : Lorsque je suis allé en mission dans le département du Pas-de-Calais, j’y ai trouvé ce citoyen à la tête de l’administration des fourrages. Plusieurs plaintes me parvinrent contre lui; on l’accusait d’exiger des citoyens les quatre au cent. Je le fis traduire au tribunal révolutionnaire. Je ne sais par quelle fatalité il a été mis en liberté, et pourquoi il a quitté son poste pour venir ici. J’ai remis moi-même les pièces à l’accusateur public ; j’appuie donc le renvoi du pétitionnaire au comité de Sûreté générale. Au reste, voilà mon collègue Carnot qui vous dira qu’il a aussi fait mettre ce citoyen en état d’arrestation. Je demande donc qu’il soit entendu avec moi au comité de Sûreté générale. Nous lui en fermerons la porte. En attendant, j’en demande provisoirement l’arrestation. J’ai été envoyé, il y a environ six mois, dans Saint-Omer, pour y faire l’épuration des autorités constituées, accusées d’être peuplées d’amis de La Fayette ; quand j’y arrivai, l’épuration des autorités était faite; il ne restait à faire que l’épuration des prisonniers ; pour l’effectuer, j’ai convoqué le peuple, je l’ai consulté sur chacun individuellement ; chacun parlait librement pour ou contre, et avant de prononcer l’arrestation ou la liberté je la mettais aux voix; quand l’épreuve était douteuse, je la décidais en faveur des détenus. Je dénonce donc ce citoyen, et j’en demande le renvoi à l’accusateur public. Plusieurs voix : Il a été acquitté. Un membre : Je demande la mention honorable de cette adresse et son insertion au Bulletin. Il ne faut pas que l’accueil que l’on fait aux pétionnaires puisse influencer sur les sentiments que la Convention veut témoigner à une commune qui s’est toujours bien montrée. Je demande aussi le renvoi du pétitionnaire au comité de Sûreté générale. Un membre : Ce citoyen a été traduit au tribunal révolutionnaire pour avoir mal parlé de la société populaire ; il a été acquitté par le tribunal même qui avait été institué par Le Bon. Je me rappelle bien que ce citoyen a été mis en arrestation une autre fois, mais je me rappelle aussi qu’il a été élargi par le représentant du peuple. Je demande donc l’ordre du jour. DUQUESNOY : Personne ne parle contre l’adresse ; personne ne s’oppose à la mention honorable, mais je persiste à demander le renvoi du citoyen au comité de Sûreté générale, et j’adjure mon collègue Carnot de dire la vérité (80). [Du Roy remarque que si le citoyen dont il s’agit est pur, il ne doit pas craindre d’aller au comité de Sûreté générale, pour y être entendu contradictoirement avec ceux qui l’accusent] (81). Un membre : On voudrait comprimer certaines adresses à la barre ; cependant comment pourra-t-on savoir ce qui se passe dans les so-(80) Moniteur, XXII, 62-63. (81) J. Mont., n° 148. ciétés populaires? Faut-il en juger par ce qui se passe sous nos yeux? GOUPILLEAU (de Fontenay) : Occupons-nous, citoyens, des principes et non des individus. Je demande à faire un amendement qui lèvera toutes les difficultés. L’individu dont on occupe la Convention a été acquitté par un tribunal révolutionnaire pour un fait qui n’est pas celui de dilapidation dont il était accusé; j’en demande le renvoi au comité de Sûreté générale. PETIT : C’est violer les principes que de renvoyer un individu au comité pour des faits pour lesquels il a été acquitté. Plusieurs voix : Lis le jugement. Petit lit le jugement ; il porte en substance que, sur la déclaraton du jury, il n’est pas constant que le citoyen Jadot a voulu dissoudre les sociétés populaires. PETIT : Vous l’avez entendu; c’est une société populaire qui l’envoie : ceux qui le dénoncent peuvent l’attaquer au comité de Sûreté générale, et non pas à la barre de la Convention. Je demande l’ordre du jour. DUHEM : Je n’ai point voulu occuper la Convention de quelques individus, mais de l’état de la commune de Saint-Omer. Je dis qu’il y a dans son sein des hommes qui ont volé le peuple, qui ont signé des adresses fédéralistes ; ce sont ceux qui dans cette commune comme partout, s’acharnent sur trois ou quatre patriotes. Je demande que le pétitionnaire soit entendu contradictoirement avec nos deux collègues; la Convention ne doit pas donner toute sa confiance à des intrigants. DUQUESNOY : Duhem vient de me rappeler un fait. On me dénonça l’administration du Pas-de-Calais comme signataire d’une adresse fédéraliste. Je la destituai; eh bien, l’homme que vous voyez a signé cette adresse. Puisque vous avez décrété l’arrestation de l’administration du district de Sedan pour un fait pareil, la Convention ne doit pas avoir deux poids deux mesures ; je demande également l’arrestation du citoyen qui est à la barre. BATTELLIER : Je combats toutes les mesures proposées; et, par respect pour le droit de pétition, je demande le renvoi des pièces au comité de Sûreté générale. THURIOT : Si la Convention est divisée, c’est parce que l’on a confondu deux points très distincts ; ce qui regarde la commune de Saint-Omer doit être pris en considération. Je demande donc la mention honorable de l’adresse. Quand à l’individu dont il s’agit, je demande le renvoi des observations au comité de Sûreté générale. Ces propositions sont adoptées (82). (82) Moniteur, XXII, 62-64. Débats, n° 733, 37-38 ; J. Mont., n' 148 ; Ann. Patr. ; n° 632 ; Ann. R. F., n° 3 ; F. de la Républ., n" 4; Mess. Soir, n° 767; Gazette Fr., n” 997; J. Fr., n° 729; J. Paris, n° 4; J. Perlet, n° 731; M. U., XLIV, 43; Rép., n° 4.