497 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1- avril 1791.] M. le Chapelier, rapporteur. L’article 15 sort de la ligne des décrets que r;ous venons de rendre ; je passe donc à l’article 16. Plusieurs membres : Lisez l’article 15 I M. le Chapelier, rapporteur, donne lecture de l’article 15 ainsi conçu : « Le droit des enfants légitimes ne pourra être contesté, lorsqu’ils auront la possession de leur état, ou lorsque leurs père et mère auront vécu en possession de l’état de mari et de femme, sans que les enfants soient tenus de rapporter la preuve de mariage. Mais ceux qui auront été privés de fait de l’état d’enfants légitimes seront admis à s’y établir, en prouvant ou rapportant le titre de l’état de leurs père et mère. M. Defermon. Je pense que cet ariicle présente deux points essentiels à distinguer, et qui demandent toute l’attention de l’Assamblée. Je conçois que l’on peut autoriser les enfants, pour exiger les droits de la légitimité, à faire preuve de la possession d’état, parce que les enfants ne sont pas les maîtres d’établir leur état civil; mais la même raison ne me parait pas militer pour un mari et une femme, qui ont tous les moyens d’assurer leur état. Or, dans l'article qu’on vous soumet, on autoriserait un mari et une femme à jouir de l’état civil, autrement que par la possession. Plusieurs membres ; Non! non! M. Defermon. Eh bien ! je vais lire l’article, la chose en vaut bien la peine. « Le droit des enfants légitimes ne pourra être contesté, lorsqu’ils auront la possession de leur é at, ou lorsque leurs père et mère auront vécu en possession de l’état de mari et de femme, sans que les enfants soient tenus de rapporter la preuve de mariage. Mais ceux qui auront été privés de fait de l’état d’enfants légitimes seront admis à s’y établir, en prouvant ou rapportait; le titre de l’état de leurs père et mère. » Je demande si, quand un homme et une femme vivront comme mari et femme, ils n’auront pas besoin d’une preuve légale pour leur propre existence, pour faire jouir leurs enfants de l’éiai civil. 11 y a donc 2 moyens d’établir l’état civil du mari et de la femme, c’est la preuve légale et la possession. Or, je demande si vous pouvez autoriser, pour l’existence civile du mari et de la femme, la preuve de la simple possession ? Vous allez me dire : où l’enfant prendra-t-il la preuve? Il n’y aurait donc que l’impossibilité prétendue pour un enfant de représenter ia preuve légale de l’état civil de ses père et mère, qui pourrait vous porter à admettre ia possession. Mais est-il donc si difficile de suivre ou de connaître l’existence de ses père et mère? Généralement parlant, il n’est pas difficile à des enfants d’en présenler la preuve légale. Il est des cas d’exception. Les cas d’incendie eu autres ont toujours été admis comme exception. Dans ce cas-là il suffira à des enfants de justifier la possession. Vous allez, Messieurs, vous allez autoriser des inconvénients. 11 arrivera que beaucoup de citoyens qui ne veulent pas se lier par le contrat civil existeront comme s’ils l’avaient contracté, et que leurs enfants pourront réclamer, sous prétexte de cette existence-là, la légitimité. Je i10 Série. T. XXIV, crois extrêmement intéressant de rappeler aux citoyens l’obligation de se soumettre à ia loi civile, extrêmement intéressant de maintenir dans toute sa pureté le contrat civil du mari et de la femme. M. Garai, aîné. Il faut que les mariages se multiplient, et que ceux qui ont paru se faire deviennent réels. Il faut que les enfants nés sous les auspices extérieurs d’un légitime mariage deviennent et soient regardés en effet comme des enfants légitimes. L’intérêt des mœurs le demande aussi hautement que l’intérêt de la so ciété. La possession, c’est-à-dire l’acte de la vie ci vile le plus authentique, demande que celte preuve soit regardée, soit respectée Comme le titre le plus respectable du mariage : les mœurs le veulent, la loi civile le veut, la loi politique le veut ; et je ne craindrai pas de le dire : un décret qui partirait de l’Assemblée nationale pour ébranler ces principes sacrés serait un décret impolitique, un décret homicide des droits sacrés des citoyens. Je conclus donc que l’article soit maintenu. M. Martineau. Nous avons décrété, Messieurs, que nous ne nous occuperions en ce moment que de ce qui est constitutionnel. L’article 15 est-il constitutionnel? Je soutiens que non, que c’est un article de pure législation. Sans difficulté, Messieurs, l’état des citoyens est un objet vraiment constitutionnel; mais si tout ce qui est essentiellement constitutionnel devenait constitutionnel sous tous ses rapports et dans toutes ses relations, j’ose dire, Messieurs, qu’il n’y a rien qui ne fût constitutionnel. Par exemple, la propriété est certainement un article constitutionnel, c’est l’article fondamental de toutes les sociétés; mais ii ne faut pas conclure de là, Messieurs, que toutes les lois qui peuvent être relatives aux propriétés sont des lois constitutionnelles. Il en est de même dans l’espèce présente. Le grand principe constitutionnel sur l’état d> s citoyens, c’est qu’aucun citoyeG ne peut être privé de son état que pour des raisons que la loi aura déterminées. Mais de prétendre nous faire regarder comme article constitutionnel la manière d’établir son état; voilà, Messieurs, ce qui est une erreur manifeste. Autrement, Messieurs, vous qui avez juré de ne point vous séparer sans avoir achevé la Constitution, vous ne pourrez vous séparer que vous n’ayez réglé un code général des lois. Or, certainement, l’article qu’on vous propose es; rempli par son objet dans toute son étendue. Je le répète, l’article 15 n’est point constitutionnel, il indique seulement une manière de constater l’état des citoyens. Par exemple, un homme et une femme viennent s’établir daûs la ville de Pans; ils s’annonceront comme mari et femme; les voisins ne les connaissant pas les croiront mariés; mais si au bout d’un an ou 6 mois l’homme vient à mourir el laisse sa femme enceinte : croyez-vous, Messieurs, que l’enfant de ce concubinage ait le droit de réclamer les biens du père? Voix diverses ; Oui! oui! Non! non! M. Martineaa. Moi je dis que cet enfant vien dra, avec votre décret à la main, dire : « Je m’en vais prouver que mon père et ma mère étaient mari et femme. » Il fera entendre pour témoins 32 498 [Assemblée nationaie.l ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [i«r avril 1791. des voisins du domicile de ses père et mère, qui diront qu’ils étaient regardés dans le quartier comme mari et femme; et avec cette possession de 6 mois, qui n’a pu être plus longue, attendu la mort du père, il couvrira le défaut de sa naissance du voile sacré du mariage. La dernière partie de l’article ouvre encore une porte à une foule de contestations. Mais, Messieurs, entendez-vous bien cet article? Pour moi, je ne l’entends pas. M. Lie Chapelier, rapporteur. Je le crois, car je suis persuadé que, si on l’entendait, il ne souffrirait pas la moindre difficulté. M. Martineau. 11 y a une autre question à examiner : l’enfant pourra prouver qu’il est fils de telle; mais il ne pourra peut-être pas prouver qu’il est fils de tel. (Rires.) Messieurs, c’est renverser toutes les bases sociales. Je soutiens que vous ne pouvez décréter cet article. J’en demande le renvoi à la nouvelle législature. M. Prieur. Je prétends au contraire que l’article doit être adopté et qu’il n’est qu’une conséquence des principes d’égalité établis pour tous les citoyens. Je soutiens que l’article est constitutionnel, parce que toute loi, tendant à établir l’état des citoyens, à leur rendre les droits qu’ils tiennent de la nature, ne peut être regardée que comme constitutionnelle. Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! (L’Assemblée décrète l’ajournement de l’article 15 à la prochaine législature.) M. Tronchet, président , reprend le fauteuil qu’il avait été obligé de quitter pendant quelques instants et où il avait été remplacé par M. Ra-baud-Saint-Etienne, ex-président. M. Le Chapelier, rapporteur. Je soumets maintenant à votre discussion l’article 16, parce que, après avoir, par l’article 2, décrété l’égalité de tous les partages, il faut que vous décrétiez de quelle manière sera exécutée cette disposition générale. Voici l’article : •' Les dispositions ci-dessus auront leur effet dans toutes les successions qui s’ouvriront après la publication du présent décret, sans préjudice des institutions contractuelles, ou autres clauses qui ont été légitimement stipulées par contrat de mariage, lesquelles seront exécutées conformément aux anciennes lois. » M. Gonpil-Préfelu. Je propose de substituer à ces mots : ou autres clauses qui ont été légitimement stipulées par contrat ae mariage, ceux-ci : ou autres clauses équivalentes. M. Defermon. Dans les coutumes où les cadets étaient partagés par viager, c’est-à-dire où l’aîné avait droit, tant qu’il vivait, de réduire le partage provisoire qu’il faisait à ses puînés à un simple viager, je demande si les partages qui ont été faits ainsi seront définitifs ou s’ils seront encore assujettis à la disposition qui était ci-devant attribuée à l’aîné, ou si les dispositions que vient de décréter l’Assemblée, qui assurent à tous les héritiers leur part héréditaire, sans égard d’aînesse ou de masculinité, ne doivent pas exclure un aîné aujourd’hui à faire le partage en viager. L’article ne dit rien de cela. Si I on ne veut pas décider maintenant, je demande que l’article soit renvoyé au comité pour nous en présenter une nouvelle rédaction. M. Martineau. Je m’oppose à cet amendement. La loi que vous faites aujourd’hui ne peut pas avoir un effet rétroactif. Ces aînés-là, Messieurs, ont été investis, à l’instant de l’ouverture de la succession, du droit de rendre le partage viager tant qu’ils vivraient. Prétendre aujourd’hui rendre ce partage-là définitif, c’est leur enlever la faculté de faire leur déclaration, c’est les dépouiller d’un droit qui leur est acquis par la loi. Ce droit, je le répète, est une propriété; ainsi je demande que l’on rejette l’amendement du préopinant. M. Andrieu. Si l’Assemblée nationale n’entend pas donner à cet article un effet rétroactif, je demande qu’après les mots, en contrats de mariage , on ajoute : ou autres actes autorisés par les lois. M. Moreau. J’appuie l’amendement de M. Andrieu. M. Ramel-Hogaret. L’article 16 contient une règle générale et une exception. La règle générale c’est que la disposition s’exécutera, à compter du jour de la publication de la loi ; et l’exception est faite en faveur des institutions contractuelles et des clauses stipulées par contrats de mariage. Je m’arrête à ces mots-ci : légitimement stipulées par contrats de mariage. Il était des clauses, et notamment dans le pays de droit écrit, qui étaient suppléées de droit dans les contrats de mariage et qui étaient tout aussi stables que celles qui y étaient expressément stipulées; j’entends parler du droit de retour. Une mère mariait sa fille et lui donnait une constitution dotale. La fille avait des enfants, venait à mourir avant ses enfants; les enfants venaient aussi à mourir, mais laissaient leur père vivant. Eh bien, en exécution du retour légal, c’était le grand-père de ces enfants qui revenait sur la constitution. Je demande par amendement qu’on ajoute après ces mots : ou autres clauses qui ont été légitiment stipulées par contrats de mariage , ceux-ci : ou qui y sont suppléées de droit. M. Mougins de Roquefort. Je demande qu’on rédige comme suit cette disposition : qui sont légitimement suppléées par contrat ou par article de mariage. Je ne crois pas qu’il soit dans l’intention de l’Assemblée d’anéantir cette forme. M. Malès. Je demande qu’on ajoute ces mots : ou autres actes faits en contemplation de mariage. M. Loys. Je demande qu’on ajoute : ou ceux qui seront célébrés sous un délai déterminé. M. Le Chapelier, rapporteur. Je réponds au premier amendement proposé par M. Defermon. Je crois qu’il n’est pas admissible, parce qu’il ne doit y avoir rien de plus sacré que les droits échus. Or, quand une succession est échue, elle est gouvernée par la loi qui régissait alors cette portion de l’empire dans laquelle elle était échue. On ne peut rien changer à cette disposition, et l’amendement n’esl pas admissible non plus que