ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] [Assemblée nationale.] dans celles où il y a le plus de maisons religieuses -, la culture y est portée à sa dernière perfection ; l’aisance se montre partout ; les secours y préviennent la mendicité. L’on ne voit donc pas encore sous ce point de vue le bénéfice que la nation pourrait faire en s’adjugeant la propriété des biens du clergé ; on ne prévoit au contraire que des maux. Le décret d’expropriation du clergé serait un véritable anathème, un arrêt de proscription contre les ministres des autels. Les dépouiller, c’est les vouer au mépris ; c’est porter le coup le plus funeste à la religion ; c’est la détruire. 11 n’y en a plus lorsque les ministres cessent d’être respectés ; et ils cesseraient de l’être. Ce décret comblerait les désordres, qui ne se sont déjà que trop fait sentir dans toutes les parties du royaume. On n’aura pas sitôt prononcé que les biens du clergé appartiennent à la nation , qu’une nouvelle insurrection va naître. Dans la plupart des provinces, une grande fermentation agite toutes les têtes ; elle est prête à éclater ; le peuple qui ne voit que la lettre, qui lira que les biens du clergé appartiennent à la nation, croira que ces biens sont à lui et pour lui, ou on l’excitera à le croire : chaque individu s’emparera de ce qui sera à sa convenance ; les abbayes, couvents et monastères seront assiégés; leurs titres envahis, leurs droits perdus ; et leurs grandes et superbes forêts, qui forment une richesse précieuse dans l’Etat, détruites et dévastées. Puisse l’exemple que vous avez encore sous les yeux vous inspirer plus de prévoyance, et les désastres publics qui ont suivi le décret du 4 août nous préserver de ceux-ci ! En d’autres lieux, au contraire, tout sera protégé; la force s’armera contre l’injustice; votre décret sera repoussé et votre autorité compromise ; déjà cette résistance vous est annoncée par les réclamations qui se sont fait entendre de plusieurs provinces. Vous n’aurez donc fait qu’accroître les malheurs de l’anarchie. Eh ! qui pourra les arrêter ; il ne reste plus ni force ni autorité publique, tout est anéanti ; on a eu l’art malheureux de détruire sans recréer ; tous les pouvoirs semblent paralysés ; la force militaire est nulle ; les tribunaux sont sans activité, et les municipalités sans confiance. 11 devient donc aussi impossible de prévoir le terme de toutes ces calamités, que de déterminer les avantages que retirera la nation de l'appropriation des biens du clergé. Gar comme nous l’avons déjà observé, soit qu’on vende ces biens, soit qu’on les mette en administration, on ne peut en espérer aucun secours présentement efficace pour l’Etat. Si on les vend, ce ne peut-être qu’à vil prix, parce que le numéraire est rare, et que, dans ce moment, il se trouve quatre à cinq mille terres à vendre, ou parce qu’on les achètera sans confiance. Une telle masse de biens, d’ailleurs, mise tout à coup dans le commerce, ne pourrait qu’opérer une révolution très-nuisible dans les propriétés. Si on les administre, on connaît l’esprit de fiscalité, qui se glisse et s’insinue partout, et qui, malgré la plus sévère surveillance, en dévorera la plus forte partie. Que vont devenir les grands biens des jésuites ? Quel profit en a tiré l’Etat ? 11 est encore grevé de pensions, et il ne reste de la destruction de ce corps fameux, qu’une perte sensible pour la religion et l’éducation publique. Les mêmes regrets ne tarderont pas à suivre la confiscation des biens du clergé. La religion, le plus puissant lieu de l’ordre social, et le plus sûr fondement des empires, persécutée dans ses ministres, s’affaiblira et s’éteindra bientôt ; les aumônes cesseront; les ressources journalières et inépuisables que les pauvres trouvaient dans les charités toujours abondantes des maisons reli-� gieuses, seront perdues. Il est de fait, quoi qu’en disent leurs calomniateurs, qu’elles nourrissaient plus d’un million de malheureux : l’Etat se trou-. vera donc encore grevée de cette nouvelle charge. Par conséquent et sous tous les rapports possibles, moraux et politiques, la proposition de déclarer la nation propriétaire des biens du clergé, ne doit pas être accueillie par le Corps législatif ; elle est + subversive de tout principe de morale, d’ordre public, de justice et d’équité ; elle est surtout dangereuse dans la circonstance actuelle ; elle ferme toutes les ressources dans un moment où * tous les besoins se font sentir, aux approches d’une saison rigoureuse. 11 faut, Messieurs, laisser au clergé ses biens, mais en surveiller l’administration, eri régler et déterminer l’emploi; il faut taxer sa contribution présente et future aux charges de l’Etat. Ce droit appartient à la nation ; et cette contribution doit être forte et prompte, parce que les besoins de l’Etat sont grands et * pressants. On ne doute point d’après les offres généreuses du clerjgé et les sacrifices qu’il a déclaré être prêt à faire, de son empressement à l’acquitter, il remplira un devoir ; la nation n’aura usé que de son droit ; sa dette sera assurée ; la M religion garantie ; la confiance renaîtra ; les dé-( sastres publics cesseront; les ressources de l’Etat et des pauvres seront conservés. ASSEMBLÉE NATIONALE. * PRÉSIDENCE DE M. FRÉTÈAÜ. Séance du samedi 24 octobre 1789 (1). a La séance a commencé par la lecture du procès-verbal de la veille, et des adresses des différentes villes et communautés ci-après : D’une délibération des habitants de la ville d’Albert, contenant félicitations, remercîments et adhésion à tous les arrêtés de l’Assemblée, et en 1 outre la formation d’un comité permanent, pour ; maintenir l’ordre et la tranquillité publique ; D’une adresse de la ville de Rochefort, conte-„ nant une délibération de l’assemblée générale de la commune, par laquelle elle adhère, de (a manière la plus formelle, aux décrets de l’Assemblée nationale, notamment à celui où elle accepte de confiance le plan du premier ministre!- des finances ; et ladite commune s’engage eu conséquence à payer aux termes prescrits le 4 quart de ses revenus ; D’une adresse de félicitations et reconnaissance - des officiers municipaux de la ville d’Abbeville ; D’une adresse du comité des différents corps de la garnison de Strasbourg, où ils protestent qu’ils ne connaissent point d’autre devoir que* d’être soumis aux décrets de l’Assemblée nationale, d’obéir au Roi pour faire exécuter les -< lois et de déployer toutes leurs forces contre les ennemis de la nation ; < D’une adresse du comité permanent de la ville de Montôlimar en Dauphiné, contenant une délibération par laquelle il proscrit les écrits sédi-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] 515 lieux qui sont semés pour détruire ou affaiblir y la confiance due à l’Assemblée nationale, et lui renouvelle sa reconnaissance et son adhésion à tous ses décrets ; D’une adresse des officiers municipaux et Y comité de la ville de Saint-Etienne en Forez, où ils attestent à l’Assemblée qu’ils protègent de tout leur pouvoir la perception des impôts et le recouvrement des droits ; où ils adhèrent au plan �.du premier ministre des finances, et notamment à l’abandon par chaque citoyen du quart de son revenu; D’une adresse de félicitations, remercîments, ► dévouement et adhésion des officiers municipaux de Ghâteauneuf-d’Isère, Saint-Marcel, Plovier, ' Fauconnières, et du régiment national de Yalenti-nois ; D’une adresse du comité permanent de la ville If de Paimpol, où il adhère avec zèle au décret de l’Assemblée nationale, par lequel elle accepte de confiance le plan de M. Necker, pour venir au secours de l’Etat ; elle demande aussi une justice y royale, une amirauté et une municipalité ; Enfin d’une adresse de la municipalité et du comité de la ville de Mons, où ils présentent à l’Assemblée leur dévouement respectueux, et la •�supplient de considérer que le rétablissement de l’ordre et de la tranquillité publique, la percep-1 tion des impôts, et le désir général de tous les citoyens, exigent qu’elle s’occupe sans relâche �de l’organisation des municipalités. On a annoncé un plan d’éducation nationale, dont l’auteur, M, le Clerc, chevalier de l’ordre du Roi, fait hommage à l’Assemblée. , M. Bory a remis des mémoires sur l’administration de la marine et des colonies. M. l’abbé d’Ëspagnac, un plan de banque. M. Loiseau, avocat au parlement, un mémoire fcsur les Etats provinciaux, comparés avec les administrations provinciales. M. le président a été chargé de faire à tous ces citoyens des remerciements de la part de l’Assemblée nationale. L’Assemblée a décrété que les offres patriotiques dont la soumission était douteuse, seraient �envoyées au comité des rapports, et elle a auto-1 risé MM. les trésoriers à accepter ou à rejeter ces offres, selon qu’elles seraient recevables ou non. * On lit une lettre de M. Laborde de Méréville, l’un des membres de l’Assemblée. Elle est ainsi conçue : « En acceptant les fonctions honorables dont jnes commettants m’ont chargé, j’ai pris la ferme résolution de consacrer tous mes efforts à la , liberté ; ma vie et ma fortune appartiennent à la patrie ; j’offre une somme de 50,000 livres qui �seront portées ce matin au trésor des dons patriotiques, pour être employées aux dépenses que le comité des recherches sera forcé de faire pour découvrir les coupables. .. « Signé : Laborde de Méréville. » M. le Président annonce une députation de messieurs de Saint-Victor. Les chanoines réguliers de cette abbaye offrent leur argenterie. M. le président leur répond que l’Assemblée nationale reçoit avec satistaction l’expression de leurs sentiments, et accepte le don patriotique qu’ils offrent. ► On annonce une confrérie de Paris, qui vient offrir une vierge d’argent de 1,072 livres. M. le duc de Charost, au nom de la société royale d’agriculture, a offert un Mémoire sur les abus qui s'opposent aux progrès de V agriculture. Ce mémoire, qui sera distribué à tous les membres de l’Assemblée nationale, est renvoyé au comité d’agriculture et de commerce (1). M. le Président s’adressant à la députation : L’utilité de vos travaux est connue de toute la France, et la société d’agriculture ne pouvait choisir des membres dont les sentiments pour le bien public fussent plus marqués. Plusieurs communautés et villages de la Touraine offrent de payer six mois d’impositions de cette année d’avance. Ces offres n’étant signées que de quelques citoyens ne sont pas acceptées. Huit personnes de Toulon proposent de faire un établissement d’éducation national. Les héritiers légitimes de la succession Thiery offrent la presque totalité de cette succession si on leur rend la justice qui leur est due. Depuis longtemps cette succession est échue ; le lise et quelques hommes puissants s’en sont emparés : les tribunaux ont été sourds aux justes représentations de l’agriculteur et du journalier qui réclamaient la succession de leur cousin Thiery. Les députés extraordinaires de la province d’Anjou, qui avaient ôté annoncés la veille, ont été introduits, et l’un d’eux portant la parole, a dit: Nosseigneurs, la province d’Anjou, persuadée que la volonté générale, exprimée par les représentants de la nation, doit être pour elle la voix du ciel même, a juré d’obéir respectueusement à vos décrets, d’en maintenir l’exécution par tous les moyens qui sont en sa puissance, et nous sommes chargés de déposer ses serments solennels dans le sein de votre auguste Assemblée. Mais, Nosseigneurs, si l’Anjou a reçu avec la plus vive reconnaissance tous les décrets émanés de votre sagesse pour le bonheur des peuples et la prospérité de l’empire, il est impossible de dissimuler que votre arrêté du 23 septembre dernier, qui rétablit provisoirement la gabelle, a produit un effet contraire à vos intentions et à l’esprit qui l’a dicté. Tous les citoyens éclairés ont senti qu’en décrétant le rétablissement provisoire de la gabelle, vous avez été déterminés par des circonstances impérieuses, et par la difficulté de remplacer, quant à présent, d’une manière efficace et générale, un impôt nécessaire pour alimenter le Trésor public, et assurer la dette nationale. Mais le peuple, incapable d’atteindre à la hauteur de vos idées, et d’en mesurer l'ensemble et l’étendue, n’a vu, dans votre décret, que la conservation d’un régime oppressif, et qui lui est insupportable. En vain lui a-t-on dit que vous veniez au secours des contribuables en adoucissant le régime des gabelles ; que vous en promettiez une délivrance prochaine ; que le prix du sel était diminué de moitié ; que vous aviez sévèrement défendu ces visites inquisitoriales et tyranniques qui alarmaient les campagnes, et jetaient la terreur parmi leurs hahitants ; que vous aviez aboli les peines atroces qui, en assimilant le contrebandier à l’assassin, le déterminaient à le devenir ; En vain lui a-t-on dit que vous aviez supprimé ces tribunaux de sang où des agents du (1) Voy. plus loin ce mémoire annexé à la séance de ce jour.