[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1791.] 19 ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 4 JANVIER 1791. Opinion de M. Rivière, curé de Vie, député de Bicgorre, relativement au serment civique que l'on veut exiger du clergé (1). Ne pouvant me flatter d’obtenir la parole, moins encore d’être écouté favorablement, j’ai cru devoir, pour l’acquit de ma conscience, faire connaître, à mes commettants et à la nation entière, mes sentiments sur le serment exigé par les décrets du samedi 27 novembre 1790. Je n’entreprendrai pas une réfutation complète de ces trop fameux décrets, je laisse à d’autres plus habiles le soin d’en combattre les principes, d’en exposer les dangereuses conséquences, de dévoiler les atteintes qu’ils portent à la juridiction spirituelle de l’Eglise ; je me bornerai, du moins en ce moment, à une réflexion tirée de la nature même du serment, réflexion qui sera à la portée de tous les esprits, comme à l’abri de toutes les objections, et qui ne peut laisser aucun doute sur cette question. C’est un principe incontestable, qu’un chrétien ne peut, sans témérité et même sans calme, faire un serment qui pourrait l’exposer au danger de devenir apostat et persécuteur de sa religion, parce que dès lors il se rendrait coupable de ce double crime. Or, il est évident que le serment auquel l’Assemblée nationale veut assujettir le clergé de France expose à ce danger, s’il est fait sans aucune restriction ni réserve. Je n’aurai point recours ici à aucun raisonnement captieux et étudié; je n’emploierai d’autre preuve que celle que me fournissent les principes memes de l’Assemblée, principes qui ont été souvent répétés à la tribune, sans être contredits, et qui ont servi comme de fondement et de base à la plupart des décrets sur la nouvelle organisation du clergé. Quels sont ces principes? Les voici : c’est que la nation a pu ne pas recevoir la religion catholique dans l’Etat; ne l’y recevoir qu’aux conditions qu’il lui aurait plu. Que par ia même raison (a-t-on ajouté), la nation a encore évidemment le droit de la proscrire et de l’exclure par sa nouvelle Constitution, et à plus forte raison peut lui imposer des conditions pour ia conserver et l’y maintenir. Il y aurait beaucoup à dire sur ces principes et les premières conséquences qu’oo en a tirées, qui ne sont pas aussi généralement évidentes qu’on a voulu le faire entendre; mais étant in-(1) On sera peut-être surpris qu’on publie une opinion aussi sècbequecclle-ci, en ayant paru plusieurs de si lumineuses, si savantes et si profondes, qui ne laissent aucun doute, ni rien à désirer sur cette matière. Ce n’est pas aussi pour donner quelque chose de nouveau ou de plus fort, qu’on s’y est déterminé, mais pour mettre les plus simples, le peuple même, à portée de de nous juger avec justice; nous serions à plaindre et il le serait lui-même, s’il était obligé d’aller puiser ses connaissances dans des ouvrages savants, remplis d’érudition et de profonds raisonnements; d’autant qu’il arrive souvent qu’un endroit un peu faible, auquel on s’attache, déprécie tout le reste et lui fait perdre toute sa force; c’est à tort sans doute, puisqu’il ne faut qu’une bonne raison, surtout pour la décision d’un cas de conscience. différentes pour la décision de notre question, j’en renvoie la discussion à un autre moment, pour me borner ici à ce qui y a un rapport direct et nécessaire. La nation pouvait ne pas recevoir la religion catholique dans l’Etat. La nation peut encore la proscrire et l’en exclure par sa Constitution. D’après ces principes, que puis-je penser? que dois-je faire? La nation fera-t-elle usage de son pouvoir et de son droit? Qui peut me répondre? Qui peut m’assurer qu’elle ne portera pas le décret de la proscription de cette sainte religion , ou qu’elle n’en portera pas d’autres, comme des conditions qu’elle croira devoir et pouvoir exiger, et qui, la dénaturant, cette sainte religion, ne lui seront pas moins funestes, puisqu’elles ne la laisseront plus subsister dans toute sa pureté. Or, avec si peu d’assurance, ou, pour mieux dire, dans cette cruelle incertitude, je le demande à tout homme raisonnable, je le demande au plus simple : puis-je faire, moi, ministre de cette sainte religion, puis-je faire d’avance sans exception ni réserve le serment de maintenir de tout mon pouvoir une Constitution qui peut renfermer la proscription de ma religion ou des choses les plus sacrées, et qui tiennent le plus à son essence? Non, je décide hardiment, et je me flatte que tout le monde décidera avec moi, que non seulement aucun ecclésiastique, mais même aucun catholique, ne peut ni faire ni exiger ce serment, sans s’exposer au danger de devenir apostat et persécuteur de sa religion, et de se rendre dès lors coupable de ce crime, à moins de l’exception et réserve susdites, apposées par celui qui le prête ou par celui qui l’exige. Aussi ai-je cette confiance que l’Assemblée nationale ne l’exigera pas ; le respect qu’elle a tant de fois annoncé pour cette sainte religion, la protestation qu’elle a faite de ne vouloir pas toucher au spirituel, le silence même qui équivalait à un aveu, lorsque M. l’évêque de Clermont lit celte réserve, à laquelle adhéra le clergé, m’en sont de sûrs garants ; non, l’Assemblée nationale ne saurait s’y opposer, d’autant qu’elle ne le pourrait sans se contredire, puisqu’on ne lui demande que ce qu’elle a dit être dans son intention ; ou si, ce que je n’ai garde de croire, elle s’y refusait, ne donnerait-elle pas trop lieu de suspecter cette intention, et ne rendrait-elle pas, par là, le refus du clergé à prêter le serment sans aucune réserve, d’une obligation étroite et rigoureuse, en justifiant ces trop justes alarmes pour une religion qu’il voit attaquée et poursuivie de toute part, par des enfants ingrats à qui elle n’a fait que du bien ! Alarmes d’abord puisées dans des considérations étrangères à l’auguste Assemblée, mais qui n’en sont ni moins redoutables ni moius affreuses, et qui se fortifieraient si l’Assemblée, par ses sages décrets, n’en tarissait la source et n’en arrêtait le cours. Que voyons-nous, qu’entendons-nous partout et jusqu’aux portes de ce sanctuaire, qui ne nous fasse frémir? La licence à cet égard est portée à un tel excès, que je ne puis me permettre de vous eu exposer l’affreux tableau ; mais qui de vous peut l’ignorer? et en faut-il davantage pour ranimer la vigilance et le zèle de l’Assemblée en portant surtout ses regards sur l’avenir (1)? (1) Ou croira peut-être pouvoir répondre ici, et même à toute celte opinion, qu’il ne s’agit dans le serment que des décrets déjà portés et non de ceux qu’on pourra porter, etc. Mais : 1° la généralité des expressions ne permet point cette distinction ; 2“ décrets portés ou à porter, peu importe, la réserve n’est pas moins néces- jAssemLlée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 janvier 1791.] 20 La sagesse de ses membres actuels peut nous rassurer, pour le moment, mais que nous présente l’avenir, que ne devons-nous pas craindre des législatures suivantes? Car telle est notre Constitution actuelle, qu’elles pourront se trouver peuplées de protestants et de juifs, d’hommes de toutes les religions, et ce qui serait plus dangereux encore, de personnes qui n’en auraient aucune. Or, que n’aura pas à craindre la religion d’une Assemblée ainsi composée; ce qui n’est nullement une supposition chimérique ! D’où il résulte encore évidemment que le serment absolu, sans restriction ni réserve, serait téméraire et criminel, puisqu’il exposerait ceux qui le feraient au danger de devenir parjures ou apostats et persécuteurs de la religion. Parjures s’ils le violaient, apostats et persécuteurs s’ils l’observaient fidèlement dans toute son étendue. D’après ces raisonnements auxquels je me borne, parce qu’ils suffisent et qu’ils sont sans réplique, voici comment je conclus, et que je me flatte que tout le monde conclura avec moi; voici quelle doit être la profession de foi de tout catholique, et quelle est la mienne: Conformément au précepte de l’Evangile, souvent rappelé sur cette matière : le véritable chrétien doit rendre à César ce qui appartient à César; il doit une soumission entière à toutes les lois qui ont uniquement pour objet le bien temporel, civil et politique; ministre d’un Dieu qui a dit que son royaume n’cst pas de ce monde, le pasteur de l’Eglise ne doit s’ingérer dans les affaires temporelles, ni paraître même dans ce monde qu’auiant qu’il y est appelé par son devoir et la confiance des peuples, pour y exercer son ministère, s’employer aux œuvres de justice et de charité. Renfermé, en un mot, dans les bornes d’un ministère purement spirituel, il ne doit s’occuper que du salut de son âme et de celles qui lui sont confiées. Mais comme il ne doit point s’immiscer dans les affaires temporelles, sans une véritable nécessité, lorsqu’il s’agit de cette sainte religion dans laquelle, par la giâce et la miséricorde divine, il a eu le bonheur de naître et d’être élevé plein de cette maxime ; qu’il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, il doit tout exposer et sa fortune et sa vie même, si le sacritice en devient nécessaire: il ne peut, parcoriséquenf, prêter sans réserve un serment dont l’étendue et la généralité des expressions pourraient un jour le réduire à i’allernative cruelle de devenir ou parjure ou apostat et persécuteur de sa religion. Qu’il me soit permis d’ajouter, en finissant, qu’en recevant avec soumission et reconnais sance les décrets qui excluront le clergé de toute administration temporelle et civile, les ministres de la religion osent espérer de la sagesse de l’ Assemblée qu’elle voudra s’occuper du soin d’éloigner du lieu saint les scandales et hs profanations qui affligent et font gémir tous les vrais fidèles : qu’il n’est point de vœu plus conforme s aire, et le clergé ne saurait croire que l’Assemblce veuille s’arroger le droit d’y statuer. D’ailleurs n’avons-nous pas déjà des exemples donnés par des magistrats même, et opposant à un digne prélat le serment qu’il avait fait sur la Constitution, lorsqu’il ne s’agissait encore que du temporel, pour lui reprocher de ne pas se soumettre aux décrets postérieurs sur l’organisation du clergé? Ce reproche est injuste sans doute; mais il a été fait à M. l’évêque de Lisieux ; ne devons-nous pas craindre qu’on ne le fit à nous-mêmes? aux principes de la religion, ni plus recommandé par son divin auteur. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. EMMERY. Séance du mercredi b janvier 1791 (1). La séance est ouverte à neuf heures et demie du matiu. M. l’abbé Latyl, secrétaire , fait lecture du procès-verbal de la séance de la veille. M. d’André. II est fort inutile de mettre dans un procès-verbal qu’un homme s’est présenté à la tribune et s’est retiré : cela n’a aucune utilité. Il y a encore une autre observation, c’est que le procès-verbal porte : a prêté son serment pur et simple. Je demande que les mots pur et simple soient retranchés; cela supposerait qu’on peut prêter le serment d’une autre manière. M. Treilhard. Je demande également que l’on supprime du procès-verbal le mot : civique. Ce n’est point un serment civique que l’on demande aux fonctionnaires publics. (Ces deux motions sont décrétées.) Un membre. Je réclame contre l’endroit où il est dit que M. le Président a interpellé les fonctionnaires publics pour qu’ils eussent à prêter sur-le-champ leur serment; je crois que cela aurait l’air d’une contrainte. Il faudrait mettre : s'ils voulaient ou non prêter le serment. (Cette rectification est ordonnée.) Un membre. J’ai encore une erreur à faire remarquer dans le procès-verbal; il y est dit que M. le maire est monté à la tribune et a dit : ... etc... Je crois devoir faire remarquer que M. le maire n’a pas le droit de parler ici et de monter à la tribune comme maire. Je demande que M. Bailly ne soit désigné, dans le procès-verbal, que sous la dénomination de député; parce que c’est en effet à la tribune, comme membre de cette Assemblée, et non comme maire de Paris, qu’il a parlé. M. de Tessier de Marguerittes, maire de Nîmes. M. Bailly vous a parlé comme maire, quoiqu’il soit monté à la tribune; c’est aussi delà tribune qu’il vous a parlé, lorsque, comme maire de Paris, il vous a rendu compte des excès populaires, dont trois hommes ont été les victimes dans le faubourg Saint-Antoine; et cela a été inséré ainsi au procès-verbal. Un membre : Non ! non! M. de Tessier de Marguerittes. Cela y est, Monsieur. Comme je compte tirer parti de cet objet, je demande qu’il soit dit dans le procès-verbal que M. Bailly a parlé hier à la tribune comme maire de Paris. M. Duport. J’observe au préopinant qu’ii ne (1) Cette séance est, incomplète au Moniteur.