(Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. *jj S’éœmbre*"*� 685 encore étrangers, nous allions former des vœux pour ses martyrs dans des maisons consacrées à l’empire de l’erreur et de la superstition ! Quand de froides prières, langage servile de la timide et crédule ignorance qui tint si long¬ temps nos pères sous le joug de la tyrannie des prêtres et des rois, auraient pu transmettre à l’Etre suprême l’expression des sentiments d’un peuple libre, quel intérêt pouvions -nous ajouter à la mémoire des hommes généreux qui ont scellé de leur sang la conquête de la liberté et de l’égalité? Nous implorions le Créateur pour les braves qui se vouèrent à la libération de ses créatures et à l’extermination des brigands qui lui disputent sa puissance sur elles ! Nous affligions leurs grandes âmes en voulant les consoler... Ah! s’ils avaient pu se faire entendre de nous alors : Malheureux! Que faites -vous ! nous eussent -ils dit : ne perdez pas le temps en des cérémonies vaines et ridi¬ cules ! Armez-vous et courez nous venger ! Gourez défendre contre la férocité des despotes et de leurs esclaves ligués pour le détruire Védifice de la liberté du monde dont V érection nous a coûté la vie! Ce discours, qu’ils n’ont pu nous faire parvenir, le génie de la liberté vient de nous le souffler; ce génie dont l’heureuse influence fait succéder la raison au vertige, le dévoue¬ ment à l’égoïsme, l’enthousiasme des grandes choses aux froides conceptions de l’orgueil, enfin toutes les vertus républicaines aux vices du despotisme et de l’esclavage; son feu sacré a pénétré nos cœurs d’une chaleur nou¬ velle ; il a agrandi et épuré tous nos sentiments. . . Cette fête est le premier fruit de ses inspira¬ tions divines; tout y porte l’empreinte de son sublime caractère; tout y est simple et modeste comme l’égalité qui y préside, imposant et majestueux comme la hberté qui en est l’objet; quel cœur assez froid pourrait résister aux tendres émotions que sa disposition inspire? « O liberté ! o égalité ! votre ascendant pou¬ vait seul enchaîner toutes les passions parti¬ culières et en faire perdre le souvenir dans le sentiment de l’affection commune qui nous attache à vous; sous votre empire le même intérêt lie tous les citoyens, le même cœur règle tous leurs mouvements; et vous n’avez d’enne¬ mis que parmi des hommes inanimés. « Mais le temps approche, que dis -je, le moment est venu qui doit en épuiser l’espèce; quel espoir pourrait encore rester à ces bêtes féroces, lorsqu’un peuple puissant et libre est debout tout entier pour les détruire? « Jeunes républicains, braves camarades, c’est à vous qu’appartient l’hpnneur de leur frapper les premiers coups; que pourrait leur fureur contre votre courage? La cause que vous allez défendre est le garant de vos succès ; bientôt vous reviendrez triomphants recevoir cette couronné que la patrie, par les mains de la beauté, présente à votre émulation; oui, jeunes guerriers, c’est la beauté qui vous la garde et quand vous avez juré de l’obtenir, quelle puissance pourrait vous la disputer? « Vous venez de revêtir l’armure de ces valeureux vétérans ; leur attitude fière vous découvre à la fois que le feu du républicanisme ne peut être amorti par les glaces de l’âge, et qu’ils ne vous cèdent leurs armes que parce que l’épuisement de leurs forces leur a ôté l’espoir de les faire servir aussi utilement que vous contre les tyrans dont la mort est la seule jouissance qu’ils puissent éprouver près de descendre au tombeau; ils attendent de vous cette jouissance et leur attente ne sera pas trompée; ils mourront libres ou vous mourrez avant eux; ils en partagent l’assurance avec nous et le bonheur qu’elle nous présage leur fait envisager sans regrets la fin de leur carrière. « Mais si les événements enchaînant votre courage, vous vous trouviez victimes d’un aveugle destin, braves soldats, qu’aucun sen¬ timent de méfiance ne trouble vos derniers instants ! Votre mort n’aura pas été sans fruit; nous sommes tous républicains, et notre pays demeurera libre ou il ne sera plus qu’un désert. » Après ce discours, le président se tournant vers les autorités constituées, leur a dit î Citoyens, dans un temps de révolution, tout citoyen est magistrat, venez donc partager avec vos frères des fonctions trop pénibles et trop multipliées pour vous seuls; ils sont prêts à vous soulager dans vos travaux. Et les fonction¬ naires publics se sont aussitôt confondus avec le peuple. Puis s’adressant à tous : Le sexe fort, dit-il, doit être V appui du faible; citoyennes, voilà vos défenseurs. A ces mots, il présente la main à la plus âgée des mères de famille. Chacun, imitant son exemple, cherche dans la foule son épouse ou celle qui peut un jour le devenir et, la musique donnant le signal du départ, le cortège s’avance vers le monument de Desail-leux. Là le président élevant la voix : Peuple, dit-il, nous célébrons aujourd'hui la fête des martyrs de la liberté. Desailleux, le premier, succomba dans nos murs sous le poi¬ gnard de V aristocratie, je pose en ton nom cette couronne de chêne sur la cendre de ton ami. Le cortège se remet en marche. Dès qu’il est parvenu sur la place de la Fraternité, on entonne un hymne à la concorde. Le président remplit une coupe qui passe tour à tour dans les mains du peuple et de ses magistrats, tandis que la musique joue l’air : Où peut-on être mieux... On finit par se donner mutuellement un baiser fraternel. Telle était l’ordonnance de cette fête, tels étaient les hommages que le peuple de Brive rendait aux mânes des héros. Son cœur se livrait sans réserve aux douces émotions d’une douleur religieuse, aux mouvements rapides du républicanisme le plus pur, aux élans d’une vive reconnaissance envers ses législateurs siégant sur la Montagne. Et cependant la disette au front livide planait sur ces lieux mêmes qu’il remplissait de ses chants patrio¬ tiques, et au retour de la fête il devait la trouver assise devant le seuil de sa maison... O liberté, liberté ! C’est là un de tes miracles ! Ducham, président; Crozat aîné; Publicola Ca vaille, secrétaires. Des députés du 11e bataillon de Paris, composé des contingents de la première réquisition des sections des Champs-Elysées, des Tuileries et des Invalides, viennent justifier ce bataillon des im¬ putations qui lui ont été faites; en approuvant la démarche sublime de leurs pères, ils nient qu’ils aient jamais chanté l’air infâme : O Richard , o mon roi, etc. Le soir du jour où ce bataillon arriva à Caen, le procureur de la commune en¬ tendit trois volontaires chanter dans la rue cette . chanson, il les suivit jusque dans un café où ils (586 [Conveution nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. | r?, étaient entrés; le lendemain, sur la plainte qu’il en porta an général, on fit assembler le bataillon pour en passer la revue. Le procureur de la com¬ mune y était; il passa dans tous les rangs et ne retrouva point les individus qu’il avait vus la veille; c’est ce fait qu’il a ensuite rapporté aux représentants du peuple, en le mettant sur le eompte du bataillon, sans observer qu’outre le bataillon, il y avait encore à Caen d’autres volon¬ taires qui se rendaient à leur destination. Le bataillon ne s’est pas borné à nier ce fait; il a consigné dans un acte authentique, remis à la Société populaire de Pont-Audemer, toute l’hor¬ reur et l’indignation dont il a été saisi en voyant qu’on pût l’en soupçonner capable; il a déclaré que jamais pareille chanson n’avait été chantée dans le bataillon, où l’on n’entend au contraire que les hymnes sacrés de la liberté, qu’aucun vo¬ lontaire du bataillon n’avait connaissance qu’un - seul individu de ce même bataillon eût chanté une pareille chose, et qu’il ne l’eût pas souffert; que si un pareil coupable existait et qu’il fût connu, le bataillon n’attendrait pas qu’il fût livré aux tribunaux, mais qu’il en ferait lui-même sur-le-champ justice, comme d’un monstre dont on ne saurait trop tôt purger le sol de la liberté; qu’enfin il a applaudi avec transport à la dé¬ marche républicaine des trois sections réunies, se félicitant de tenir le jour de parents qui, par leur exemple, viennent de prouver à l’univers que la République est immortelle, et fera le désespoir des tyrans coalisés contre elle. Renvoyé au comité de Salut public (1). ( Suit le document.) Le 11e BATAILLON DE PARIS A LA CONVENTION NATIONALE (2). « Citoyens représentants, « Nous vous avions adressé le récit simple et vrai de notre conduite (3), afin de vous mettre à portée de juger le reproche qu’on pouvait nous faire de désobéissance et d’indis¬ cipline. Nous ignorions alors que de jeunes citoyens appelés à l’honorable fonction de défendre la patrie, et qui brûlaient du désir de combattre pour elle; que de jeunes citoyens, à qui l’on ne peut reprocher autre chose que de n’être pas encore mûris par l’expérience de l’âge et d’une ancienne discipline, eussent été représentés à vos yeux comme des traîtres et des brigands, qui avaient conjuré la perte de leurs pères, de leurs mères, de leurs parents, de la patrie enfin, à laquelle ils sont attachés par les liens les plus sacrés de l’amour et de la reconnaissance. « C’est après vingt-huit jours d’une marche pénible, que le bataillon lut pas hasard, dans les papiers publics et l’imputation horrible dont il était chargé, et la démarche sublime (1) Procès-verbaux de la Convenlion, t. 26, p. 392. (25 Bibliothèque nationale : Lb*', n° 917. (3) Voy. Archives Parlementaires, lre série, t. LXXX, séance du 11 frimaire an II (dimanche !•* décembre 1793), p.490 l’adresse du 11e bataillon de Paris. qu’avait provoquée cette imputation de la part des trois sections, des Tuileries, des Champs-Elysées et des Invalides. Le bataillon doit répondre à ce fait horrible, pour lequel il a témoigné son indignation. Il est dit que le bataillon a chanté publiquement l’air infâme : O Richard!... « Le fait est faux; jamais le bataillon n’a chanté cette chanson digne des vils esclaves des rois. Jusqu’ici, il ignorait même oe qui avait pu donner lieu à cette imputation; voici ce qu’il vient d’apprendre. « On lui a rapporté que le procureur de la commune de Caen avait entendu, le jour de l’arrivée du bataillon dans cette ville, trois volontaires chanter la nuit cette chanson dans la rue; qu’il les avait suivis jusque dans un café où ils étaient entrés. « Le lendemain sur la plainte qu’il en a portée au général, on a passé la revue du bataillon : le procureur de la commune y était, il nous a tous examinés, il n’a point reconnu les indi¬ vidus qu’il avait vus la veille. « Nous ne ferons aucune réflexion sur la conduite imprudente ou timide du procureur de la commune qui, après avoir suivi ces trois individus, ne les a pas fait arrêter ; nous obser¬ verons seulement, qu’outre le bataillon des Tuileries, il y avait encore beaucoup de volon¬ taires d’autres bataillons. « Le bataillon ne devait pas se contenter de répondre par la négative à ce fait atroce, il devait encore déclarer d’une manière authen¬ tique et solennelle son opinion et ses sentiments. « Sur la nature de ce fait, et sur l’horreur qu’il lui inspire, il a profité du premier instant de repos que lui laissait sa marche continue, pour déposer entre les mains de la Société populaire de Pont-Andemer la déclaration suivante : « Le 11e bataillon de Paris venant de lire dans les papiers publics qu’il était accusé d’avoir chanté publiquement l’air : O Richard!; consi¬ dérant qu’il est de son devoir, non seulement de se justifier sur cette inculpation, mais encore de témoigner toute l’horreur qu’elle lui inspire ; « Déclare que jamais pareille chanson n’a été chantée dans le bataillon, où l’on n’entend au contraire que les hymnes sacrés de la liberté; « Déclare qu’aucun volontaire n’a connais¬ sance qu’un seul individu du bataillon ait jamais chanté cette chanson; « Déclare que, si un pareil coupable existait, et s’il était connu, le bataillon n’attendrait pas qu’il fût livré aux tribunaux, mais qu’il en ferait lui-même, sur-le-champ, justice, comme d’un monstre dont on ne saurait purger trop tôt le sol de la liberté; « Déclare enfin qu’il applaudit avec transport à la démarche vraiment républicaine des trois sections, se félicitant de tenir le jour de parents qui, par leux exemple, viennent de prouver à l’univers que la République est immortelle, et faire le désespoir des tyrans coalisés contre elle. » Tels sont nos sentiments dont nos frères les sans-eulottes de Pont-Audemer, ont lu l’expression franche et animée sur tous les visages et dans tous les cœurs. Ensuite, pour réparer en quelque sorte l’injure faite au bataillon, il a chanté l’hymne de la liberté aux cris mille fois répétés de vive la République ! « Citoyens représentants, nous n’entrerons