130 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 juin 1791.] Art. 5. <i Qu’à compter de cette déclaration à lui notifiée, Louis-Joseph de Bourbon-Condé sera tenu de rentrer dans le royaume dans le délai de 15 jours, ou de s’éloigner des frontières, en déclarant formellement, dans ce dernier cas, qu’il n’entreprendra jamais rien contre la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le roi, ni contre la tranquillité de l’Etat. » (Ces divers articles sont successivement mis aux voix et adoptés.) M. Fréteau-Saint-Just, rapporteur , donne lecture de l’article 6 ainsi conçu : Art. 6. ‘ « Et à défaut par Louis-Joseph de Bourbon-Condé de rentrer dans le royaume, ou, en s’en éloignant, de faire la déclaration ci-dessus exprimée dans la quinzaine de la notification, l’Assemblée nationale le déclare rebelle, déchu de tout droit à la couronne; le rend responsable de tous les mouvements hostiles qui pourraient être dirigés contre la France sur la frontière; décrète que ses biens seront séquestrés, et que toute correspondance et communication avec lui ou avec ses complices ou adhérents, demeureront interdites à tout citoyen français, sans distinction, à peine d’être poursuivi et puni comme traître à la patrie; et dans le cas où il se présenterait en armes sur le territoire de France, enjoint à tout citoyen de lui courir sus, et de se saisir de sa personne, ainsi que de celle de ses complices et adhérents. » M. de Folleville. Je demande à l’Assemblée nationale, pour qu’elle soit conséquente, de décider d’abord la question qu’elle a renvoyée, il y a quelques jours, au comité sur ma motion. On disait que tout Français qui porterait les armes contre sa patrie serait puni de mort ; j’ai demandé qu’on déterminât d’abord ce qu’on entendait par ce mol Français. Avant de prononcer contre M. de Gondé, il faut savoir s’il est Français, s’il se condamne à être Français... (Murmures.) M. Boutteville-Bumetï. Je demande que M. de Folleville soit rappelé à l’ordre pour avoir insulté l’armée française. M. de Folleville. Avant de déclarer M. de Gondé rebelle, il faut lui demander s’il veut être, s’il est Français; s’il répond affirmativement et s’il commet des actes d’hostilité, vous pourrez le déclarer rebelle. Vous avez encore très sagement ajourné la disposition qui portait injonction de courir sus à un citoyen français armé contre sa patrie, et vous voulez décréter aujourd’hui non pas comme une règle générale, mais comme une règle particulière, un assassinat! ( Murmures à gauche.) Je demande donc la question préalable sur l’article : sans cela, vous vous dévouerez à la barbarie, ce qui importe peu à beaucoup de personnes, et à l’inconséquence, ce sur quoi l’Assemblée est plus chatouilleuse. Plusieurs membres : Aux voix, l’article ! M. l’abbé Maury. Messieurs, je n’attaquerai en ce moment aucune des dispositions de l’article : je me bornerai à présenter les raisons de sagesse et de justice qui obligent l’Assemblée à ajourner cet article au moins pendant quinze jours... Un grand nombre de membres à gauche demandent la question préalable sur l’ajournement, M. l’abbé Maury. On demandera toutes les questions préalables que l’on voudra, mais les contradictions ne m’empêcheront pas de défendre, avec modération, une cause infiniment délicate, dans laquelle j’ose dire que la justice de l’Assemblée est prodigieusement intéressée. Ne cédons pas, Messieurs, à un premier mouvement : réfléchissons et mettons de l’ensemble dans nos décrets . Quelle est, Messieurs, dans ce moment, la position de M. de Gondé? A vos yeux, c’est la position d’un homme suspect ; mais, aux yeux de personne dans le monde, elle ne peut être encore la position d’un homme coupable. Vous le regardez comme suspect, et en conséquence vous lui enjoignez ou de rentrer dans le royaume, ou de s’éloigner de la frontière pour exécuter notre décret. Vous voyez déjà, Messieurs, que votre comité considérait M. de Gondé comme se trouvant dans une position très particulière ; car ce n’est pas pour rien qu’on lui laisse l’option entre son retour dans le royaume ou son éloignement des frontières : on a senti qu’il serait barbare de lui dire de rentrer dans le royaume dans un moment où il pourrait vous dire, avec vérité, que ses jours n’y seraient peût-êtrepas en sûreté... (Murmures à gauche.) Mais, Messieurs, sans nous jeter dans des considérations diplomatiques, dans un moment où l’union des sentiments serait infiniment désirable dans cette Assemblée, je vous invite à être conséquents. Il est bien manifeste que, pendant 15 jours après la notification du décret de l’Assemblée, M. de Condé aura la liberté d’entrer dans le royaume ou de s’éloigner des frontières; au bout de ces 15 jours-là, il sera seulement sous le coup de la loi. Jusqu’à cette époque, il n’aura pas même désobéi ; il aura profité d’une latitude que vous lui avez accordée vous-mêmes, car je ne parle que d’après un décret qui vient d’être prononcé par vous. Or, Messieurs, du moment que M. de Gondé jouit de cette alternative de votre part, je soutiens que vous ne pouvez pas par précaution prononcer d’avance des peines qui détruiraient celte liberté. (Murmures à gauche.) Votre décret, dans la forme que lui donne votre comité, est comminatoire dans le délai ; vous ne pouvez pas le rendre définitif dans sa peine, car vous seriez obligés, dans le cas où M. de Gondé désobéirait au décret, de rendre un nouveau décret par lequel vous déclareriez que la peine prononcée tel jour a été encourue. (Murmures à gauche). Je dis, et ce n’est pas la peine de le prouver, que si M. de Gondé désobéit, vous serez obligés, si vous êtes conséquents, de rendre un second décret pour déclarer que la peine est encourue. Qu’allez-vous donc faire aujourd’hui ? Vous allez prendre une mesure manifeslement contraire à vos principes, à vos propres intérêts : contraire à vos principes, en ce que vous ne devez pas dire qu’une mesure comminatoire est une mesure definitive ; contraire à vos intérêts, car ils ne sont autres que ceux de la nation; or, le grand intérêt de la nation est que, pour calmer les inquiétudes que vous donne M. de Gondé, il ren- [Assemblée nationale*] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 juin 1791]. tre dans le royaume. Comment se peut-il que d’un côté vous lui ouvriez les bras pour le réunir à ses concitoyens et que de l’autre côté vous alliez l’avilir aux yeux de la nation entière en portant contre lui une peine qu’il n’a pas encourue, qu’il est le maître d’éluder et qu’il n’encourra peut-être pas. Mais, Messieurs, si vous voulez supposer un instant comme vous le devez, par ce que vous ne devez jamais préjuger le crime, si vous voulez, dis-je, supposer que M. de Condé rentrera dans le royaume, avez-vous le droit de l’entacher d’avance? A gauche : On ne l’entache pas. M. l’abbé llaury. Eh bien ! je suppose qu’un décret comminatoire u’entacherapas M. de Condé. Mais au moins vous conviendrez qu’un pareil décret pris sans nécessité... A gauche : Vous savez bien le contraire. M. l’abbé llaury. Dans votre propre système, Messieurs, il est nécessaire de donner à M. de Condé l’ordre de revenir ou de s’éloigner; mais dans votre même système, il est si peu nécessaire de prononcer une peine, que vous lui accordez avec justice un délai de 15 jours. Eh bien, je soutiens, en supposant que votre décret ne l’entache pas, qu’il est propre à l’irriter. (Murmures et rires ironiques à gauche.) Votre décret est propre surtout à irriter contre lui des citoyens aveuglés qui croiront faire un acte de patriotisme en assassinant un prince du sang. (Murmures.) Messieurs, je vous conjure d’oublier un instant que vous êtes assis paisiblement dans une salle où vous n’avez aucun danger à courir. Mais souvenez-vous que les dispositions des hommes varient, et varient quelquefois en bien peu de temps. ( Rires ironiques à gauche.) A gauche : Ah ! ah 1 c’est une menace ! Aux voix, l’article 1 M. l’abbé llaury. Je dis, Messieurs, et je ne le dis certainement pas avec l’accent de la menace, que les dispositions des hommesvarient, et quelquefois en si peu de temps que nous ne devons pas nous donner des lois sans nécessité. (A gauche : Aux voix! aux voix!...) Je dis que votre menace est inutile pendant 15 jours et que nous devons nous féliciter d’avoir 15 jours de plus de délai pour rendre un décret qui doit affliger tous les Français. (Murmures à gauche...) Oui, Messieurs, il doit affliger tous les Français, quelque opinion politique qu’ils adoptent, quelque idée qu’ils aient de M. de Condé. Vous l’avez reconnu vous-mêmes, Messieurs, dans votre déclaration des droits, les actes de rigueur qui ne sont pas nécessaires ne sont que des actes d’oppression contre tous vos principes. Votre décret ne pourrait donc être exécuté que par la nécessité. Je demande donc, Messieurs, qu’un décret qui ne décide rien pendant 15 jours ne soit décrété que dans 15 jours. C’esL l’ajournement que je demande. A gauche ;La question préalable I Aux voix, l’article I M. deFaueigny-liueinge. Il faut mettre aux voix la proposition de M. de Folleviile. 11 est né-131 cessaire qu’on sache ce que c’est qu’un Français; il y en a bien qui ne veulent pas l’être p'arce qu’ils ne sont pas amoureux de votre Constitution. Un membre à gauche : Il y en a bien qui en ont le nom et qui ne le méritent pas. M. Briois-Beaumetz. Je pense que le préopinant ne s’est pas fait une idée assez exacte des mesures de la justice, lorsqu’il a demandé que l’Assemblée ajournât la partie pénale du décret qui vous est proposé; cette partie pénale est une mesure exacte de justice; car elle comprend la déclaration de la peine à laquelle s’exposerait M. de Condé, s’il n’accédait point à la déclaration qui lui est faite au nom de la nation. Il faut bien distinguer entre l’établissement delà loi.qui déclare ce qui est défendu, et qui énonce sous quelle peine un acte est défendu, et le prononcé du jugement qui applique cette même loi à l’individu; il serait tout à fait injuste, sans doute, de croire qu’un individu tombât ipso facto sous la peine, et que la peine s’appliquât d’elle-même à lui, si elle ne lui était pus infligée par un nouveau jugement; mais il ne serait pas moins injuste de supposer qu’il fut tombé sous le cas de cette peine, avant que cette peine ait pu être déclarée et établie d’avance par la loi. C’est donc à tort que l’on prétend que l’on pourrait se dispenser de prononcer dès à présent cette peine. Sans doute, il serait heureux pour tous les membres de la nation de ne voir entre eux que des frères, et de considérer comme des frères tous les membres d’une dynastie que les Français sont accoutumés à respecter et à chérir, et je m’étonne, et il m’est permis de m’étonner que ce soit dans la circonstance présente que l’on applique cette question : Qu’est-ce qu’un Français ? Peut-on se permettre une pareille réflexion lorsque l’objet du décret sur lequel vous délibérez est un membre de la dynastie, lorsqu’il a des droits éventuels à la couronne de France? Et peut-on douter de bonne foi, si un homme appelé par son rang et par sa naissance (Rires.) à porter cette couronne dont vous avez fait et dont vous avez déclaré que le pouvoir était constitutionnel et salutaire pour la France entière... Qu’il me soit permis de ne pas m’arrêter davantage sur une question aussi inconcevable, et de rappeler au préopinant que, lorsqu’il croit entrevoir une rigueur inutile et par conséquent déplacée dans le décret que vous propose votre comité, il se trompe absolument, puisqu’il n’y a dans la prononciation de cette peine qu’une justice qui est due, dans tous les cas, à ceux que l’on constitue, soit en état de désobéissance, soit en état de délit quelconque. Je demande donc la question préalable sur l’ajournement. (Applaudissements à gauche.) M. de Cazalès. Messieurs, je n’ai que de courtes observations à présenter à l’Assemblée sur ce que vient de dire M. de Beaumetz... A gauche : Aux voix! aux voix, le décret! La discussion fermée ! M. le Président. Je mets aux voix la motion de fermer la discussion. M. de Cazalès. J’arrête la délibération ; l’As» 132 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [il juin 1791.] semblée nationale va se déshonorer en fermant la discussion : A gauche : Aux voix ! aux voix ! A droite : Sur une discussion de cette importance, on doit entendre les réflexions. M. de Custine. Il est inconcevable que l’Assemblée montre une telle impatience de prononcer dans une discussion aussi importante. M-de Montlosier. Il n’y a pas de générosité de votre part à fermer la discussion. M. de Cazalès. J’ai la parole et je parlerai... A gauche ! Non ! non ! M. l’abbé Maury. Laissez donc, Messieurs 1 On aurait le droit de défendre un assassin devant le juré. M. de Cazalès. Le préopinant vient d’établir... A gauche : A l’ordre ! à l’ordre ! La discussion est fermée. M. de Cazalès. Non, elle n’est pas fermée. Je ne souffrirai pas que l’Assemblée nationale se déshonore à ce point. Je respecterai un décret, mais je ne descendrai pas de cette tribune qu’il ne soit prononcé. Monsieur le Président, je vous prie de la consulter : elle n’osera pas rendre un décret pour fermer la discussion. A gauche : Allons donc, Monsieur, voulez-vous faire peur à l’Assemblée ? M. de Cazalès. Le préopinant a établi d’une manière... (Bruit). A gauche : La discussion est fermée! M. de Cazalès. Consultez l’Assemblée, Monsieur le Président. M. Fréteau - Saint -Just, rapporteur. Je demande que M. de Cazalès soit entendu. Un membre â droite: Consultez l’Assemblée. M. l’abbé Maury. Il faut entendre tout le monde. M. de Cazalès. Le préopinant a établi d’une manière très claire... (Bruit.) A gauche: La discussion est fermée. M. l’abbé Maury. Monsieur le Président, ayez la bonté de consulter l’Assemblée, (L’Assemblée, consultée, décrète que la discussion est fermée.) M. de Cazalès. Il n’y a pas d’exemple de cette oppression et de celte tyrannie dans l’histoire du monde. Je déclare l’Assemblée nationale ennemie de sa dignité et de sa justice. M. de Custine. Je demande l’ajournement. M. Populus. La question préalable sur l’ajournement. M. de Cazalès parle dans le bruit. A gauche : A l’ordre ! à l’ordre ! M. de Cazalès. Comme je ne puis dire la vérité à l’Assemblée, je la dis à M. de Beaumetz. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il n’y a pas lieu de délibérer sur l’ajournement de l’article 6 qui est ensuite mis aux voix et adopté.) M. Pétîon de Villeneuve. J’ai un article additionnel à proposi r, article très important dans les circonstances actuelles où l’Assemblée doit se comporter avec la dignité et l’énergie qui lui conviennent. Sous l’ancien régime, si une puissance voisine avait fait ou souffert qu’il se fît sur son territoire, près de nos frontières, un grand rassemblement d’homrae3 au delà du rassemblement ordinaire, le gouvernement aurait pris la marche suivie en pareil cas, qui consiste à faire demander par le ministre des affaires étrangères quelles sont les intentions de celte puissance etiebut de ce rassemblement. La raison et la politique se réunissent pour que l’Assemblée prenne cette mesure. M. Populus. 80,000 hommes sur les bords du Rhin et nous le demanderons après. M. Pétîon de Villeneuve. Ce serait une pusillanimité très dangereuse... (Bruit.) M. Rabaud-Saint -Ftienne. Je demande qu’on passe à l’ordre du jour. Ce n’est pas pusillanimité, c’est courage. M. Démeunier. Vos comités se sont occupés de cette proposition: ils vous en rendront compte quand vous l’ordonnerez. (L’Assemblée passe à l’ordre du jour.) M. Fréteau-Sal nt-J ust , rapporteur , donne lecture des articles suivants : Art. 7. « Le roi sera prié d’ordonner aux départements et districts, municipalités et tribunaux, de veiller d’une manière spéciale à la conservation des propriétés de Louis-Josepli de Bourbon-Condé. Art. 8. « Le roi sera également prié d’ordonner aux départements et districts, municipalités et tribunaux, de faire informer contre tous embau-cheurs, émissaires et autres qui entreprendraient d’enrôler ou faire déserter aucun soldat français.» (Ces articles sont successivement mis aux voix et adoptés.) M. Fréteau-Saint-Just, rapporteur. Il nous reste, Messieurs, la question de l’adresse aux Français, cette mesure ayant encore besoin d’être examinée et discutée dans les comités, nous nous en occuperons et nous la proposerons ultérieurement. Un de MM. les secrétaires annonce qu’on a remis sur le bureau : 1° Une adresse de plusieurs citoyens de la ville d'Auch, par laquelle ils proposent certaines mesures relatives aux ecclésiastiques réfractaires. 2° Une adresse des administrateurs du départe - ment de Maine-et-Loire , qui expose les avantages qui résulteraient de la jonction de la rivière de la Mayenne avec celle de la Vilaine, entre Laval et Vitré, et qui supplie l’Assemblée de s’occuper