32 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE maintiendra les mesures de sûreté que le salut public commande ; mais elle ne consentira point qu’elles soient arbitrairement étendues, et que la suspicion soit une source de calamités. Enfin, tous les actes du gouvernement porteront le caractère de la justice : mais cette justice ne sera plus présentée à la France sortant des cachots, toute couverte de sang, comme l'avoient figurée de vils et hypocrites conspirateurs. Français, considérez comme vos ennemis tous ceux qui voudraient attaquer obliquement, ou d’une manière directe, la liberté, l’égalité, l’unité, l’indivisibilité de la République. Fuyez ceux qui parlent sans cesse de sang et d’échafauds, ces patriotes exclusifs, ces hommes outrés, ces hommes enrichis par la révolution, qui redoutent l’action de la justice, et qui comptent trouver leur salut dans la confusion et dans l’anarchie. Estimez, recherchez ces hommes laborieux et modestes, ces êtres bons et purs, qui fuient les places, et qui pratiquent sans ostentation les vertus républicaines. Ne perdez jamais de vue que, si le mouvement rapide et violent est nécessaire pour faire une révolution, c’est au calme et à la prudence de la terminer. Unissez-vous donc dans un centre commun, l’amour et le respect des lois. Voyez vos braves frères d’armes vous donner l’exemple de cette obéissance sublime, dans leur soumission et leur dévouement : leur gloire est de recon-noître la voix de leurs chefs. Ils bénissent sans cesse les décrets de la Convention nationale; s’ils souffrent, ils en rejettent le malheur sur les circonstances; s’ils meurent, leur dernier cri est pour la République. Et vous, dans le sein des villes et des campagnes, vous vous laisseriez agiter par de vaines querelles; vous jetteriez dans vos assemblées des obstacles qui retarderoient la marche triomphale de la révolution! O Français! quelle douleur pour nous, quelle satisfaction pour nos ennemis, de voir la France victorieuse au-dehors, et déchirée au-dedans! Non, ils ne l’auront pas ce cruel plaisir; et ce que la Convention a fait dans les armées, elle le fera dans le sein de la République. Les vertus guerrières enfantent le héros, les vertus domestiques forment le citoyen; et ce sont ces vertus, soutenues et fortifiées d’un invincible attachement aux principes républicains, qui perpétuent dans une nation généreuse ce feu sacré, ce grand caractère qui a fait du peuple français le premier peuple de l’univers. C’est alors que tous les agitateurs étant déconcertés, on verra tous les partis tomber et s’éteindre d’eux-mêmes; car, dans tous les partis, il y a des gens qui font du bruit pour en faire, et du mal sans y rien gagner; ce sont comme autant de vents opposés qui, sans rendre aucun service au pilote, ne servent qu’à troubler la manoeuvre. Citoyens, toutes les vertus doivent concourir à l’établissement d’une République : vous avez déployé tour-à-tour la force pour renverser la Bastille et le trône ; la patience, pour supporter les maux inséparables d’une grande révolution; le courage, pour repousser les barbares qui vouloient forcer vos frontières. Le temps est venu de vaincre encore vos ennemis par la fermeté et par la sagesse : il faut que le calme succède enfin à tant d’orages ; le vaisseau de la République, tant de fois battu par la tempête, touche déjà le rivage : gardez-vous de le repousser au milieu des écueils; laissez-le s’avancer dans le port, en fendant d’un cours heureux une mer obéissante au milieu des transports d’un peuple libre, heureux et triomphant. La Convention nationale, après avoir entendu la lecture de l’adresse qui lui a été présentée par les comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation réunis, en exécution du décret du 11 de ce mois, et l’avoir approuvée à l’unanimité, décrète : Qu’elle sera imprimée, envoyée à toutes les administrations de département et de district, aux municipalités, aux comités de sections, aux armées et aux sociétés populaires ; Qu’elle sera publiée par les municipalités, affichée dans les salles décadaires, et lue dans les assemblées de communes et de sections; Qu’elle sera distribuée à chacun de ses membres au nombre de six exemplaires, et traduite dans toutes les langues; Que les administrations de district la feront réimprimer, et que les agens nationaux l’enverront aux instituteurs pour en faire lecture à leurs élèves (91). MERLIN (de Thionville) : J’annonce à la Convention, afin que le peuple le sache, que le comité de Sûreté générale a fait arrêter hier un ci-devant commissaire exécutif, arrivé tout exprès des Pyrénées pour nier à la Convention le droit qu’elle a d’épurer les sociétés populaires. Cet homme, nommé Giot, a emporté, en partant, la caisse de nos collègues aux Pyrénées. CAVAIGNAC : L’arrestation de cet homme n’a rien qui m’étonne : je l’ai bien connu, tandis que j’étais à l’armée, et je sais que c’est un de ceux qui observaient les opérations et les principes des représentants du peuple, pour en rendre compte ensuite aux divers partis qui agi-(91) P.-V., XLVII, 71-78. C 321, pl. 1332, p. 39, imprimé de 8 p., signé de Cambacérès; p. 40, minute du décret de la main de Cambacérès, rapporteur. Bull., 18 vend.; Débats, n” 748, 290. SÉANCE DU 18 VENDÉMIAIRE AN III (9 OCTOBRE 1794) - N° 53 33 talent la République. Ce n’est pas le seul de cette espèce que nous ayons fait arrêter; il y avait, entre autres, un nommé Dejean, agent de la commission des subsistances, dont l’impéritie n’était surpassée que par l’insolence. La première fois qu’il parut devant nous, ce fut pour nous insulter; il nous dit que nos fonctions étaient de surveiller les armées et les opérations des généraux, et qu’il appartenait à lui et à ses pareils de donner du pain aux soldats. Giot avait été chargé de recueillir les prises faites sur les Espagnols et la riche moisson de la vallée de Bastan; il resta plus de trois semaines sans en rien faire, et nous fûmes obligés de le faire nous-mêmes ; enfin, il vint à Elis-sondo, en Espagne, nous demander des chevaux et de l’argent, que nous lui refusâmes en lui disant que la République n’avait pas besoin d’hommes qui ne faisaient rien, et qui n’avaient d’autres soins que celui de voir si, parmi les prises, il ne se trouvait pas quelques bijoux qu’ils pussent mettre dans leur poche. Giot a agité la société populaire de Bayonne, qui est bonne en masse, et qui avait toujours été dans les meilleurs principes. Pendant tout le temps que nous restâmes dans cette commune, il y prêcha un modérantisme outré en faveur des aristocrates, dont les parents, qui remplissaient les tribunes de la société, l’accablaient d’applaudissements. Les observations de Cavaignac sont renvoyées au comité de Sûreté générale (92). BOURDON (de l’Oise) : Il ne suffit pas de faire une Adresse au peuple français pour l’éclairer sur les vrais principes ; les transports avec lesquels elle a été reçue de la Convention et du peuple prouvent que l’on sera toujours écouté lorsqu’on mettra en action la justice et la vertu ; mais le comité de Sûreté générale trahirait ses devoirs s’il ne vous disait pas que cette Adresse, qui peut faire un excellent effet sur l’esprit des bons citoyens, n’est pas suffisante pour comprimer les méchants. Nous sommes instruits que, dans Paris et dans toutes les grandes commîmes de la République, il y a des conciliabules de voleurs et de scélérats qui conspirent en secret. On a chassé du ci-devant évêché, qui était devenu le réceptacle de l’anarchie, le club dit électoral, et il est allé tenir séance à votre porte, dans la salle du Muséum. Savez-vous ce qu’on y discutait cette nuit? l’anéantissement de la Convention ; on y posait en principe que la Convention n’avait été envoyée que pour juger le dernier tyran et faire une constitution ; on en concluait qu’elle devait se retirer après, et laisser aux brigands qui se sont mis à côté des patriotes le doux plaisir de ravager la plus belle république du monde, de faire périr les propriétaires et de se gorger de richesses. Le peuple, témoin de ces horreurs, mais qui ne les partage pas, a interrompu plu-(92) Moniteur, XXII, 201; Ann. R.F., n" 18; Ann. Patr., n° 647; C. Eg., n” 782; J. Mont., n“ 163; J. Paris, n° 19; J. Perlet, n” 746; J. Univ., n° 1780; Mess. Soir, n 782; M.U., XLIV, 285; Rép., n” 19. sieurs fois les orateurs, et les a rappelés aux principes. Ce qui s’est passé hier dans ce club vous indique ce que vous devez faire. Il faut se servir de la massue du peuple contre les méchants : comme Hercule il faut combattre les voleurs et les brigands. Je crois que les mesures que je vais vous proposer seront de nature à déjouer tous les complots qu’ils voudraient ourdir (93). [Il est donc de votre devoir de ne pas laisser plus longtemps régner une agitation dangereuse : votre adresse, citoyens, est pour les gens vertueux; une adresse leur suffira; mais il faut des mesures rigoureuses pour les méchans; et je vais vous en proposer que je crois indispensables pour assurer la tranquillité publique.] (94) [Ce n’est pas des adresses qu’il faut à cette race d’hommes, c’est la massue de la justice et de la loi qui peut seule les écraser. On attribuera encore votre juste sévérité à l’amour du sang et du carnage; car on sait que l’aristocratie se sert encore de cette arme usée pour vous. Mais le salut du peuple vous commande de punir ses ennemis. Cédez donc un moment aux douces émotions que vous a fait naître l’adresse qui vient de vous être lue, pour écouter le projet de loi que je vous propose. Ce projet de loi, en cinq articles, tendoit à déclarer que la Convention maintiendroit le gouvernement révolutionnaire, et regarderoit et traiteroit comme suspects tous ceux qui, par leurs discours ou leurs écrits, tenteroient d’ébranler la fidélité due à la Convention nationale, et aux arrêtés des représentans du peuple] (95). Bourdon propose ensuite de déclarer que la Convention ne souffrira pas qu’il soit porté atteinte à la souveraineté et à la dignité du peuple français par l’abus du droit de pétition et par aucune motion insidieuse ; qu’il n’y a pas lieu de délibérer sur la demande en rétablissement des assemblées demi-décadaires, non plus que sur celui de la municipalité de Paris, et de regarder comme suspects, ceux qui, dans la nuit du 9 thermidor, ont prêché la désobéissance à la Convention, et ceux qui depuis ont continué ce système dans la République. Goupilleau (de Fontenay) pense que les propositions de Bourdon (de l’Oise) ont besoin d’être méditées, et il en demande le renvoi au comité de Sûreté générale (96). TALLIEN : Les propositions qui viennent d’être faites touchent d’une manière trop directe à l’intérêt national et à la tranquillité publique pour qu’elles n’aient pas besoin d’être discutées. Nous convenons tous avec le préopinant qu’il est des hommes qui veulent perpétuer les agitations, anéantir la liberté publique [l’esprit (93) Moniteur, XXII, 201-202 ; Ann. R.F., n 18 ; Ann. Patr., n' 647; C. Eg., n° 782; J. Mont., n° 163; J. Paris, n° 19; J. Perlet, n 746; J. Univ., n° 1780; Mess. Soir, n° 782; M.U., XLIV, 284-285; Rép., n 19. (94) Débats, n 748, 291. (95) J. Paris, n“ 19. (96) Moniteur, XXII, 202. 34 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE public (97)], détruire la Convention nationale. C’est là le but de Pitt et de Cobourg, et il faut avouer que leurs projets sont suivis ici de la manière la plus directe. Chacun de nous réprouve comme lui les propositions astucieuses qui avaient été faites dans le club électoral : sans doute les hommes qui les ont mises en avant sont des émissaires de l’étranger qui veulent saper le gouvernement révolutionnaire, qui veulent faire demander au peuple à élire ses magistrats, afin de donner aux malveillants les moyens d’allumer la guerre civile en France; mais ce ne sont pas les seuls agitateurs sur lesquels la sévérité de la loi et de la Convention doit peser; il ne faut ni deux poids, ni deux mesures. Tous ceux qui dans ce moment veulent s’élever contre l’autorité centrale, contre la Convention, doivent être punis d’une manière exemplaire. On vous a dénoncé Giot, mais on ne vous a pas dit dans quelle Société il a osé nier à la Convention le droit d’épurer les Sociétés populaires. Quoi ! la Convention n’aurait pas le droit de dire à une Société : Voyons si vous n’avez pas parmi vous des complices de Robespierre? Nous savons que vous avez rendu des services à la patrie, mais nous ne souffrirons pas qu’à côté de nous vous vous éleviez en autorité rivale de celle que le peuple nous a confiée ! Quels sont ces hommes qui, n’ayant jamais pris la parole dans la Convention nationale, vont aux Jacobins faire des discours qui sont colportés dans les sections, et dont on exige la lecture préférablement aux rapports des comités de la Convention. Il ne faut pas que la représentation nationale laisse flotter les rênes du gouvernement dans un moment où les fripons et les intrigants veulent s’en saisir ; elle ne doit pas souffrir que des hommes qui furent longtemps aux genoux de l’idole du jour, que des hommes qui ont fui au milieu du danger, et qui n’ont reparu ici que quand les jours de périls ont été passés, insultent les patriotes; ils veulent en usurper le titre. Jetez vos regards sur le club des Jacobins et sur le club électoral; voyez tout, et que, partout où il y a des ennemis de la liberté publique, ils sont punis. Je n’ai jamais partagé l’opinion de ceux qui ont cru qu’on devait anéantir les Sociétés populaires ; mais je pense qu’il faut les utiliser en les épurant, qu’il ne faut plus qu’elles servent de marche-pied à des hommes coupables pour parvenir à leur but audacieux. Il faut que les trois comités pèsent sagement les mesures qui ont été proposées par Bourdon, afin de calmer toutes les agitations, afin d’embrasser la totalité de la République, et pour que nous puissions ensuite nous occuper du bonheur du peuple; car, ne vous y trompez pas, tous les citoyens attendent avec impatience la réunion des hommes de bien contre ceux qui veulent le désordre, contre ceux qui veulent perpétuer l’agitation pour perpétuer leur domination. Nous voulons tous le règne de la liberté et de l’égalité, et je trouve que dans l’Adresse on n’a pas assez appuyé sur ce dernier mot, afin (97) Débats, n 748, 291. de répondre à ceux qui osent mettre en question si nous soutiendrons l’égalité, qui osent dire que nous voulons anéantir le gouvernement démocratique. La Convention n’admet aucune distinction entre les patriotes, et tous les bons citoyens sont des frères ; il n’y a que les fripons, les intrigants, les ambitieux et les agitateurs qui forment une classe à part : c’est celle du crime. (On applaudit.) (98) [Il est temps, dit Tallien, que tous les gens de bien se regardent comme des frères ; que tous ceux qui veulent sincèrement la liberté et l’égalité se réunissent comme ces hommes qui ne veulent que trouble et désordre pour perpétuer leur domination : on a osé parler de classes de distinction; les fripons, les méchans, les ambitieux ne sont d’aucune classe ( Vifs applaudissement). Il faut poursuivre le crime partout (On applaudit). Il faut que partout la vertu triomphe ( Nouveaux applaudissements )] (99). Les bons citoyens sont les hommes utiles, les laborieux agriculteurs, les artisans robustes, les zélés défenseurs de la patrie; mais ceux qui veulent vivre sans rien faire, qui veulent subsister de rapines, qui veulent se mettre à la tête du gouvernement pour en dilapider les finances, ces hommes-là sont les mauvais citoyens, ils doivent être abattus. Elevons sur leurs ruines la colonne de l’Égalité, et montrons au peuple cette divinité chérie, embrassant et soutenant la Liberté (100). [Que la loi soit égale pour tous, reprend Tallien, qu’elle pèse, qu’elle frappe également sur tous, et les fripons, et les intrigans, et les dila-pidateurs, et les ambitieux disparoîtront ( Applaudissemens )] (101) Je demande que les trois comités soient chargés de vous faire un rapport détaillé sur les mesures vigoureuses à prendre contre les agitateurs de toutes les espèces, afin qu’après les avoir anéantis nous puissions nous occuper paisiblement des grands travaux qui nous restent à faire pour le bonheur du peuple. Cette proposition est adoptée (102). 54 La Convention renvoie à son comité de Sûreté générale l’adresse de la société populaire de Clermont-Ferrand [Puy-de-Dôme], qui prétend que la masse du peuple a été outragée dans ses droits les plus inviolables, parce qu’on a mis en question, parce qu’on a demandé la destruction des Jacobins, de tous les Jacobins, parce qu’on (98 ) Moniteur, XXII, 202 ; Ann. R.F., n° 18, 19; Ann. Patr., n° 647; C. Eg., n' 782; J. Mont., n“ 163; J. Paris, n 19; J. Perlet, n° 746; Mess. Soir, n° 782; M.U., XLIV, 285; Rép., n 19. (99) Débats, n° 748, 292. (100) Moniteur, XXII, 202. (101) Débats, n 748, 292. (102) Moniteur, XXII, 202. C* II 21, p. 8, pour le décret de renvoi, rapporteur Tallien.