94 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE homme a la cuisse emportée d’un boulet de canon et est renversé; son frère, employé à la même pièce d’artillerie, vient pour l’embrasser; il lui répond : « Mon frère, retire-toi; retourne à ton poste, tu y es nécessaire; pour moi, je suis trop heureux de mourir pour ma patrie; que chacun en fasse autant ». « On remarque aussi celui de deux chasseurs du 1er régiment, qui, quoique blessés assez sérieusement, continuaient à se battre, et qui, forcés par leurs camarades de se retirer pour aller se faire panser, revinrent à leur poste aussitôt après l’avoir été (1) . Gillet. ( V ifs applaudissements ) . 39 Le député Javogues (2) monte à la tribune, et donne le détail des matières d’or et d’argent qu’il a recueillies pendant sa mission dans les départemens de Rhône et Loire. Ensuite il déclare que, trompé par de faux rapports des ennemis de la République, il a outragé son collègue Couthon dans une proclamation; mais qu’il a reconnu son erreur, qu’il la désavoue et rétracte, et qu’il ne cessera d’estimer et d’ho-norer ses collègues Couthon et Maignet. Il demande que sa rétraction soit insérée au bulletin; ce qui est décrété (3). JAVOGUES : Dans la mission dont j’ai été chargé dans les départements de Rhône-et-Loire, Saône-et-Loire et de l’Ain, j’ai recueilli une foule d’objets d’or et d’argenterie, débris de la fortune des rebelles et des fédéralistes, et tribut du zèle des bons citoyens. Au moment de mon rappel, je n’ai pu apporter avec moi que mes registres, qui ont été déposés jusqu’à ce jour au comité de salut public. J’ai laissé à Commune-Affranchie vingt et une caisses qui contiennent six mille trente marcs, argenterie et or; en espèces d’or et d’argent monnayées, 678,067 1. 6 s.; en assignats, 117,236 liv. 9 sous. Dix montres et deux boîtes en or, avec plusieurs croix de Saint-Louis et croix d’église, dont quelques unes sont garnies de diamants. Je demande que les états de tous ces articles soient insérés au Bulletin, et qu’il soit donné ordre aux représentants du peuple d’envoyer les vingt et une caisses à la trésorerie nationale. Après avoir annoncé les effets que j’ai recueillis dans ma mission pour être déposés sur l’au-(1) Mon., XX, p. 273; Débats, n° 578, p. 4; J. Mont., n° 159; C. Eg., n° 611, p. 163, 612, p. 169; J. Sablier, n° 1270; C. TJniv., 2 flor.; J. Matin, n° 611; Audit, nat., n° 575; Ann. pair., n° 475, 476; J. Fr., n° 574; J. Lois, n°B 570, 571; J. Perlet, n° 576; J. Paris, n° 476 et 477; Ann. Rép. Fr., n° 142, 143; Batave, n° 430; M.U., XXXIX, 29; Feuille Rép., n° 292; Rép., n° 122; Mess. Soir, n° 611. (2) Et non Javogue. (3) P.V., XXXVI, 19. C. Univ., 3 flor.; Débats, n° 578; Ann. patr., n° 475; Rép., n° 122. J. Fr., n° 574; J. Mont., n° 159; J. Matin, n° 611; J. Paris, n° 677; J. Lois, n° 570; M.U., XXXIX, 30; C. Eg., n° 611, p. 164; J. Perlet, n° 576; Ann. Rép. Fr., n° 143; J. Sablier, n° 1271; Audit, nat., n° 575; Batave, n° 430; Feuille Rép., n° 292. tel de la patrie, je m’empresse de donner à un collègue dont je révère autant les vertus que j’estime son patriotisme brûlant une réparation qu’il a droit d’exiger. Des scélérats qui avaient surpris ma confiance, abusant de mon exaltation républicaine, m’avaient égaré sur le compte de notre estimable collègue Couthon; j’ai eu le malheur de céder aux insinuations perfides de ces hommes pervers; j’ai outragé notre collègue dans une proclamation que je désavoue, que je rétracte (vifs applaudissements), que je voue solennellement au blâme de l’opinion publique. (Nouveaux applaudissements). Mon cœur n’a jamais cessé d’aimer, d’honorer le citoyen Couthon, ainsi que le citoyen Maignet. Voilà la profession de foi dont je ne me serais jamais écarté si j’eusse toujours été moi. Je prie la Convention de la recevoir et de permettre qu’elle soit insérée au Bulletin. Je sais que Couthon n’en a pas besoin; mais c’est pour moi que je demande. Un homme pur doit reconnaître avec franchise ses erreurs, et les réparer autant qu’il est en lui. (Les applaudissements recommencent et se prolongent) (1). Couthon déclare, à son tour, qu’il sait que Javogues a été trompé, et qu’il n’a jamais cessé de l’estimer (2). COUTHON : Citoyens, jamais je n’ai haï les hommes; je n’ai fait que détester leurs mauvaises actions. Javogues a eu des torts avec moi; il les répare aujourd’hui d’une manière authentique. Depuis longtemps je les avais oubliés; il ne me reste qu’à dire à mon collègue qu’il doit à l’avenir se prémunir contre les tentatives et les insinuations des hommes perfides qui ne cherchent qu’à nous désunir. Citoyens, demeurons unis; marchons tous d’un pas égal vers le bonheur du peuple qui nous a confié ses intérêts, et montrons-nous dignes par notre sagesse et notre énergie de représenter le peuple français. Je le répète, j’oublie, ou plutôt j’avais depuis longtemps oublié les légers torts que Ja-voques avait eus envers moi; sa démarche prouve qu’il avait été trompé, je déclare en présence de mes collègues que je lui voue aujourd’hui autant d’estime que d’amitié. Javogues et Couthon s’embrassent. (On applaudit) (3). 40 Un autre membre [BILLAUD-VARENNE] du comité de salut public fait un rapport sur la guerre et les moyens de la soutenir (4). BILLAUD-VARENNE : Citoyens, à l’ouverture d’une campagne qui sera terrible, car il est temps de terminer cette lutte révoltante de la royauté contre la république, le comité de salut public a senti la nécessité de fixer enfin les bases du système qui doit régler notre politique. S’il ne faut que du courage ou un excès de désespoir pour entreprendre une révolution, (1) Mon., XX, 273. Bin, 1er flor. Le Mon. écrit Javoques. (2) P.V., XXXVI, 19. (3) Mon., XX, 273. v4) P.V., XXXVI, 20. Bin, 1er flor. 94 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE homme a la cuisse emportée d’un boulet de canon et est renversé; son frère, employé à la même pièce d’artillerie, vient pour l’embrasser; il lui répond : « Mon frère, retire-toi; retourne à ton poste, tu y es nécessaire; pour moi, je suis trop heureux de mourir pour ma patrie; que chacun en fasse autant ». « On remarque aussi celui de deux chasseurs du 1er régiment, qui, quoique blessés assez sérieusement, continuaient à se battre, et qui, forcés par leurs camarades de se retirer pour aller se faire panser, revinrent à leur poste aussitôt après l’avoir été (1) . Gillet. ( V ifs applaudissements ) . 39 Le député Javogues (2) monte à la tribune, et donne le détail des matières d’or et d’argent qu’il a recueillies pendant sa mission dans les départemens de Rhône et Loire. Ensuite il déclare que, trompé par de faux rapports des ennemis de la République, il a outragé son collègue Couthon dans une proclamation; mais qu’il a reconnu son erreur, qu’il la désavoue et rétracte, et qu’il ne cessera d’estimer et d’ho-norer ses collègues Couthon et Maignet. Il demande que sa rétraction soit insérée au bulletin; ce qui est décrété (3). JAVOGUES : Dans la mission dont j’ai été chargé dans les départements de Rhône-et-Loire, Saône-et-Loire et de l’Ain, j’ai recueilli une foule d’objets d’or et d’argenterie, débris de la fortune des rebelles et des fédéralistes, et tribut du zèle des bons citoyens. Au moment de mon rappel, je n’ai pu apporter avec moi que mes registres, qui ont été déposés jusqu’à ce jour au comité de salut public. J’ai laissé à Commune-Affranchie vingt et une caisses qui contiennent six mille trente marcs, argenterie et or; en espèces d’or et d’argent monnayées, 678,067 1. 6 s.; en assignats, 117,236 liv. 9 sous. Dix montres et deux boîtes en or, avec plusieurs croix de Saint-Louis et croix d’église, dont quelques unes sont garnies de diamants. Je demande que les états de tous ces articles soient insérés au Bulletin, et qu’il soit donné ordre aux représentants du peuple d’envoyer les vingt et une caisses à la trésorerie nationale. Après avoir annoncé les effets que j’ai recueillis dans ma mission pour être déposés sur l’au-(1) Mon., XX, p. 273; Débats, n° 578, p. 4; J. Mont., n° 159; C. Eg., n° 611, p. 163, 612, p. 169; J. Sablier, n° 1270; C. TJniv., 2 flor.; J. Matin, n° 611; Audit, nat., n° 575; Ann. pair., n° 475, 476; J. Fr., n° 574; J. Lois, n°B 570, 571; J. Perlet, n° 576; J. Paris, n° 476 et 477; Ann. Rép. Fr., n° 142, 143; Batave, n° 430; M.U., XXXIX, 29; Feuille Rép., n° 292; Rép., n° 122; Mess. Soir, n° 611. (2) Et non Javogue. (3) P.V., XXXVI, 19. C. Univ., 3 flor.; Débats, n° 578; Ann. patr., n° 475; Rép., n° 122. J. Fr., n° 574; J. Mont., n° 159; J. Matin, n° 611; J. Paris, n° 677; J. Lois, n° 570; M.U., XXXIX, 30; C. Eg., n° 611, p. 164; J. Perlet, n° 576; Ann. Rép. Fr., n° 143; J. Sablier, n° 1271; Audit, nat., n° 575; Batave, n° 430; Feuille Rép., n° 292. tel de la patrie, je m’empresse de donner à un collègue dont je révère autant les vertus que j’estime son patriotisme brûlant une réparation qu’il a droit d’exiger. Des scélérats qui avaient surpris ma confiance, abusant de mon exaltation républicaine, m’avaient égaré sur le compte de notre estimable collègue Couthon; j’ai eu le malheur de céder aux insinuations perfides de ces hommes pervers; j’ai outragé notre collègue dans une proclamation que je désavoue, que je rétracte (vifs applaudissements), que je voue solennellement au blâme de l’opinion publique. (Nouveaux applaudissements). Mon cœur n’a jamais cessé d’aimer, d’honorer le citoyen Couthon, ainsi que le citoyen Maignet. Voilà la profession de foi dont je ne me serais jamais écarté si j’eusse toujours été moi. Je prie la Convention de la recevoir et de permettre qu’elle soit insérée au Bulletin. Je sais que Couthon n’en a pas besoin; mais c’est pour moi que je demande. Un homme pur doit reconnaître avec franchise ses erreurs, et les réparer autant qu’il est en lui. (Les applaudissements recommencent et se prolongent) (1). Couthon déclare, à son tour, qu’il sait que Javogues a été trompé, et qu’il n’a jamais cessé de l’estimer (2). COUTHON : Citoyens, jamais je n’ai haï les hommes; je n’ai fait que détester leurs mauvaises actions. Javogues a eu des torts avec moi; il les répare aujourd’hui d’une manière authentique. Depuis longtemps je les avais oubliés; il ne me reste qu’à dire à mon collègue qu’il doit à l’avenir se prémunir contre les tentatives et les insinuations des hommes perfides qui ne cherchent qu’à nous désunir. Citoyens, demeurons unis; marchons tous d’un pas égal vers le bonheur du peuple qui nous a confié ses intérêts, et montrons-nous dignes par notre sagesse et notre énergie de représenter le peuple français. Je le répète, j’oublie, ou plutôt j’avais depuis longtemps oublié les légers torts que Ja-voques avait eus envers moi; sa démarche prouve qu’il avait été trompé, je déclare en présence de mes collègues que je lui voue aujourd’hui autant d’estime que d’amitié. Javogues et Couthon s’embrassent. (On applaudit) (3). 40 Un autre membre [BILLAUD-VARENNE] du comité de salut public fait un rapport sur la guerre et les moyens de la soutenir (4). BILLAUD-VARENNE : Citoyens, à l’ouverture d’une campagne qui sera terrible, car il est temps de terminer cette lutte révoltante de la royauté contre la république, le comité de salut public a senti la nécessité de fixer enfin les bases du système qui doit régler notre politique. S’il ne faut que du courage ou un excès de désespoir pour entreprendre une révolution, (1) Mon., XX, 273. Bin, 1er flor. Le Mon. écrit Javoques. (2) P.V., XXXVI, 19. (3) Mon., XX, 273. v4) P.V., XXXVI, 20. Bin, 1er flor. SÉANCE DU 1er FLORÉAL AN II (20 AVRIL 1794) - N° 40 95 il faut autant de persévérance que de sagesse pour la bien conduire; il faut en outre de la grandeur d’âme et du génie pour la terminer; c’est donc à vous à en prévoir toutes les chances, à en calculer tous les résultats. Trop longtemps nous avons marché au hasard; qui n’a ni système arrêté, ni plan tracé, se rend le jouet des événements, se met à la merci des passions humaines, se laisse entraîner continuellement par les circonstances loin du but où il veut tendre. Ce n’est pas ainsi qu’une prévoyante politique prépare ses succès; elle s’étudie à prévenir les échecs, sans trop les craindre; elle profite des hasards favorables, sans jamais y compter. Tout ce qui est douteux lui paraît illusoire ou précaire; tout ce qui est inopiné n’a souvent que la durée d’un éclair. Veut-on réussir avec certitude; on doit commencer par connaître sa véritable position, par déterminer ce qui importe davantage, par élaguer tout ce qui n’est que spécieux; et alors, en prenant ses mesures d’après ce concours de combinaisons, on marche d’un pas assuré, on renverse tous les obstacles, on écarte tous les périls; en un mot, on arrive par la seule force de la direction qu’on s’est donnée. Quand Rome brisa le trône et chassa les Tarquins, Rome, pour assurer cette révolution, n’eut que des ennemis extérieurs à combattre et à vaincre. Rome encore à son adolescence trouva même dans cette guerre le principe de sa grandeur. Ce fut la nécessité de se défendre qui, électrisant son énergie et son courage, centupla ses forces, et qui la rendit bientôt un colosse ayant pour piédestal l’univers asservi. Mais vous, fondateurs de la République française, vous en avez jeté les bases sous des auspices bien autrement défavorables. Déjà la royauté ébranlée par la puissance du peuple, quoique fortement appuyée par les ennemis du bonheur public, s’empressait de conjurer l’orage, et avait trouvé le temps, pendant trois années, de faire jouer tous les ressorts qui anéantissent la liberté. L’habitude de croupir depuis tant de siècles dans l’esclavage, les passions qu’elle enfante, les préjugés qu’elle enracine, les vices qu’elle propage, la misère qu’elle aggrave, devinrent dans les mains du despotisme autant de leviers propres à écraser le peuple par le peuple. Il ne manquait plus, pour nous porter les derniers coups, que le fléau d’une guerre sanglante et simultanée avec les puissances de l’Europe et avec nous-mêmes. Aussi à l’ouverture de votre session, tandis que les Prussiens se répandaient comme un torrent fougueux dans les plaines de la ci-devant Champagne, que Léopold assiégeait Lille et Thionville, Pitt marchandait Toulon et soulevait Lyon et Marseille. Enfin, la superstition, remuant le limon impur des marais de la Vendée, réalisait dans les départements maritimes de l’Ouest la fable de Gédéon. Certes, alors il était indubitable que quelque nouveau César croyait déjà toucher au dénouement en voyant la France déchirer, comme Caton, ses entrailles de ses propres mains. Mais Caton ne fut qu’un simple mortel; et le peuple, image de la nature, est impérissable comme elle. Comme elle il sort plus ferme, plus puissant, plus majestueux, du sein des tempêtes qui semblaient menacer de confondre l’univers et qui ne sont que des accidents nécessaires pour renouveler parfois ce que les siècles ont usé. La guerre, qui semblait devoir consommer notre ruine, est pourtant ce qui nous a sauvés. La guerre, en enflammant tous les esprits, en agrandissant tous les cœurs, en inspirant comme passion dominante la gloire de sauver la patrie, a rendu le peuple constamment éveillé sur ses dangers, sans cesse exaspéré contre les forfaits de la monarchie et du fanatisme, toujours aussi ardent pour combattre les despotes jusqu’au dernier qu’inexorable envers les traîtres méditant le massacre de nos armées et l’asservissement de la France. La guerre de la Vendée, en ralliant sous ses bannières les hommes les plus corrompus, a servi elle -même à purger la terre de la liberté de ce ramas de brigands; elle a servi à mettre dans tout son jour l’atrocité du royalisme, la sanguinaire hypocrisie des prêtres; elle a servi à démasquer ceux-là mêmes qui •n’étaient restés sous les drapeaux de la république que pour lui porter des coups plus sûrs ou que pour mieux assouvir leur ambition sous les emblèmes du patriotisme. De là pour le peuple de nouveaux traits de lumière qui, par cette série de cruautés et de trahisons, n’ont laissé partout que des impressions hideuses et révoltantes. Ils portent donc avec eux un motif de consolation, ces événements qui par leur noirceur ont perpétué et accru la haine de la tyrannie ! Haine naturelle, juste et inséparable de l’amour de la liberté, qui, dans le passage subit de la servitude à la république, c’est-à-dire de la dégradation de l’espèce humaine à l’élévation la plus sublime de sa dignité, a suppléé les vertus civiles que nous n’avions pas encore, et qui a atténué les résultats perfides de l’immoralité de tant d’êtres pervertis. C’est cette haine profonde de la tyrannie qui, se mêlant par enthousiasme aux combinaisons même des conspirateurs, les a enlacés plusieurs fois dans leurs propres pièges; c’est elle qui les a enchaînés à son triomphe dans les journées du 14 juillet, du 6 octobre, du 10 août, du 17 mai; c’est elle qui, soutenant, en dépit de tant d’intrigues, l’opinion publique au plus haut degré, vous a entraînés dans ce tourbillon lumineux, loin du gouffre si souvent entr’ouvert sous vos pas, pour vous placer à une élévation qui met déjà vos ennemis sous vos pieds. Maintenant il s’agit de s’y maintenir; car si la révolution est dans le peuple, son succès dépend des vertus, de l’énergie, de la sage politique de ceux qui tiennent le timon des affaires. Le peuple français vous a imposé une tâche aussi vaste que difficile à remplir. L’établissement de la démocratie chez une nation qui a longtemps langui dans les fers peut être comparé à l’effort de la nature dans la transition si étonnante du néant à l’existence : effort plus grand sans doute que le passage de la vie à l’anéantissement. Il faut, pour ainsi dire, recréer le peuple qu’on veut rendre à la liberté, puisqu’il faut détruire d’anciens préjugés, changer d’antiques habitudes, perfectionner des affections dépravées, restreindre des besoins superflus, extirper des vices invétérés. Il faut donc une action forte, une impulsion véhémente, propre à développer les vertus civiques et à comprimer les passions de la cupidité et de l’intrigue. Citoyens, l’inflexible austérité de Lycurgue devint à Sparte la base inébranlable de la répu-SÉANCE DU 1er FLORÉAL AN II (20 AVRIL 1794) - N° 40 95 il faut autant de persévérance que de sagesse pour la bien conduire; il faut en outre de la grandeur d’âme et du génie pour la terminer; c’est donc à vous à en prévoir toutes les chances, à en calculer tous les résultats. Trop longtemps nous avons marché au hasard; qui n’a ni système arrêté, ni plan tracé, se rend le jouet des événements, se met à la merci des passions humaines, se laisse entraîner continuellement par les circonstances loin du but où il veut tendre. Ce n’est pas ainsi qu’une prévoyante politique prépare ses succès; elle s’étudie à prévenir les échecs, sans trop les craindre; elle profite des hasards favorables, sans jamais y compter. Tout ce qui est douteux lui paraît illusoire ou précaire; tout ce qui est inopiné n’a souvent que la durée d’un éclair. Veut-on réussir avec certitude; on doit commencer par connaître sa véritable position, par déterminer ce qui importe davantage, par élaguer tout ce qui n’est que spécieux; et alors, en prenant ses mesures d’après ce concours de combinaisons, on marche d’un pas assuré, on renverse tous les obstacles, on écarte tous les périls; en un mot, on arrive par la seule force de la direction qu’on s’est donnée. Quand Rome brisa le trône et chassa les Tarquins, Rome, pour assurer cette révolution, n’eut que des ennemis extérieurs à combattre et à vaincre. Rome encore à son adolescence trouva même dans cette guerre le principe de sa grandeur. Ce fut la nécessité de se défendre qui, électrisant son énergie et son courage, centupla ses forces, et qui la rendit bientôt un colosse ayant pour piédestal l’univers asservi. Mais vous, fondateurs de la République française, vous en avez jeté les bases sous des auspices bien autrement défavorables. Déjà la royauté ébranlée par la puissance du peuple, quoique fortement appuyée par les ennemis du bonheur public, s’empressait de conjurer l’orage, et avait trouvé le temps, pendant trois années, de faire jouer tous les ressorts qui anéantissent la liberté. L’habitude de croupir depuis tant de siècles dans l’esclavage, les passions qu’elle enfante, les préjugés qu’elle enracine, les vices qu’elle propage, la misère qu’elle aggrave, devinrent dans les mains du despotisme autant de leviers propres à écraser le peuple par le peuple. Il ne manquait plus, pour nous porter les derniers coups, que le fléau d’une guerre sanglante et simultanée avec les puissances de l’Europe et avec nous-mêmes. Aussi à l’ouverture de votre session, tandis que les Prussiens se répandaient comme un torrent fougueux dans les plaines de la ci-devant Champagne, que Léopold assiégeait Lille et Thionville, Pitt marchandait Toulon et soulevait Lyon et Marseille. Enfin, la superstition, remuant le limon impur des marais de la Vendée, réalisait dans les départements maritimes de l’Ouest la fable de Gédéon. Certes, alors il était indubitable que quelque nouveau César croyait déjà toucher au dénouement en voyant la France déchirer, comme Caton, ses entrailles de ses propres mains. Mais Caton ne fut qu’un simple mortel; et le peuple, image de la nature, est impérissable comme elle. Comme elle il sort plus ferme, plus puissant, plus majestueux, du sein des tempêtes qui semblaient menacer de confondre l’univers et qui ne sont que des accidents nécessaires pour renouveler parfois ce que les siècles ont usé. La guerre, qui semblait devoir consommer notre ruine, est pourtant ce qui nous a sauvés. La guerre, en enflammant tous les esprits, en agrandissant tous les cœurs, en inspirant comme passion dominante la gloire de sauver la patrie, a rendu le peuple constamment éveillé sur ses dangers, sans cesse exaspéré contre les forfaits de la monarchie et du fanatisme, toujours aussi ardent pour combattre les despotes jusqu’au dernier qu’inexorable envers les traîtres méditant le massacre de nos armées et l’asservissement de la France. La guerre de la Vendée, en ralliant sous ses bannières les hommes les plus corrompus, a servi elle -même à purger la terre de la liberté de ce ramas de brigands; elle a servi à mettre dans tout son jour l’atrocité du royalisme, la sanguinaire hypocrisie des prêtres; elle a servi à démasquer ceux-là mêmes qui •n’étaient restés sous les drapeaux de la république que pour lui porter des coups plus sûrs ou que pour mieux assouvir leur ambition sous les emblèmes du patriotisme. De là pour le peuple de nouveaux traits de lumière qui, par cette série de cruautés et de trahisons, n’ont laissé partout que des impressions hideuses et révoltantes. Ils portent donc avec eux un motif de consolation, ces événements qui par leur noirceur ont perpétué et accru la haine de la tyrannie ! Haine naturelle, juste et inséparable de l’amour de la liberté, qui, dans le passage subit de la servitude à la république, c’est-à-dire de la dégradation de l’espèce humaine à l’élévation la plus sublime de sa dignité, a suppléé les vertus civiles que nous n’avions pas encore, et qui a atténué les résultats perfides de l’immoralité de tant d’êtres pervertis. C’est cette haine profonde de la tyrannie qui, se mêlant par enthousiasme aux combinaisons même des conspirateurs, les a enlacés plusieurs fois dans leurs propres pièges; c’est elle qui les a enchaînés à son triomphe dans les journées du 14 juillet, du 6 octobre, du 10 août, du 17 mai; c’est elle qui, soutenant, en dépit de tant d’intrigues, l’opinion publique au plus haut degré, vous a entraînés dans ce tourbillon lumineux, loin du gouffre si souvent entr’ouvert sous vos pas, pour vous placer à une élévation qui met déjà vos ennemis sous vos pieds. Maintenant il s’agit de s’y maintenir; car si la révolution est dans le peuple, son succès dépend des vertus, de l’énergie, de la sage politique de ceux qui tiennent le timon des affaires. Le peuple français vous a imposé une tâche aussi vaste que difficile à remplir. L’établissement de la démocratie chez une nation qui a longtemps langui dans les fers peut être comparé à l’effort de la nature dans la transition si étonnante du néant à l’existence : effort plus grand sans doute que le passage de la vie à l’anéantissement. Il faut, pour ainsi dire, recréer le peuple qu’on veut rendre à la liberté, puisqu’il faut détruire d’anciens préjugés, changer d’antiques habitudes, perfectionner des affections dépravées, restreindre des besoins superflus, extirper des vices invétérés. Il faut donc une action forte, une impulsion véhémente, propre à développer les vertus civiques et à comprimer les passions de la cupidité et de l’intrigue. Citoyens, l’inflexible austérité de Lycurgue devint à Sparte la base inébranlable de la répu- 96 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE blique; le caractère faible et confiant de Solon replongea Athènes dans l’esclavage : ce parallèle renferme toute la science du gouvernement. Le consul Brutus, en condamnant à la mort ses deux fils coupables de trahison, prévit bien qu’une telle sévérité, frappant à la fois d’admiration et de terreur, étoufferait pour longtemps tout germe de conspiration : calcul tellement juste qu’après cet exemple terrible il ne resta plus d’autre ressource à Tarquin que de tenter le sort d’un combat dans lequel il fut vaincu et la liberté de Rome assurée. Aussi qui osera aujourd’hui projeter la ruine de la patrie depuis que vous avez mis la justice à l’ordre du jour ? La république plane seule triomphante. Lorsque toutes les factions sont abattues, leurs vils agents, ne songeant plus qu’à leur sûreté personnelle, ressemblent aux tronçons épars d’une vipère qui cherchent en vain à se réunir, et dont les convulsions sont les derniers symptômes de l’existence. Quels flots de sang on eût épargnés si, le 14 juillet, la massue du peuple eût exterminé l’odieux Capet et ses infâmes courtisans ! Les révolutions sont un état de guerre politique entre une nation poussée à bout et les dominateurs qui l’ont opprimée. Ceux-ci, dans leur rage, ne respirent que massacres et dévastations, autant pour se venger de l’essor qu’a pris le peuple que pour le ramener à la servitude par la terreur et la désolation. C’est le meurtre prémédité du corps social, qu’on ne peut prévenir que par la mort des conjurés; c’est l’assassin qu’on tue pour ne pas tomber sous ses propres coups. L’échafaud de Catilina sauva la vie au sénat romain et à des milliers de victimes. Avoir frappé les chefs de deux conspirations également puissantes, c’est avoir évité la perte des hommes qu’ils égaraient; c’est avoir soustrait au carnage le peuple et ses représentants; c’est avoir préparé le triomphe de nos armes, en forçant les postes avancés de l’ennemi, en enlevant son quartier général avant même de lui livrer bataille. Ce n’est pas que la malveillance se taise lorsqu’elle pourra moins s’agiter que jamais; elle s’attache à toutes les nuances politiques pour en tirer avantage, elle qui ne rêve que désordre et chaos pour assurer ses succès; elle, en un mot, qui épie sans cesse les bonnes et les mauvaises actions pour empoisonner le bien et aggraver le mal ! Attendez-vous donc que, réduite à vous calomnier, elle s’empressera de répandre quelques nuages sur vos intentions, dans l’espoir de vous enlever la confiance publique. Si les rênes du gouvernement sont flottantes, le fourbe ambitieux se plaint que ceux qui les dirigent manquent d’énergie, de vues, d’expérience; et ces clameurs et ce zèle affecté n’ont pour objet que d’envahir des places où l’on puisse se partager les débris de l’Etat. Mais l’attitude du gouvernement est-elle ferme et imposante; l’intrigue alors épouvantée essaie de jeter l’effroi dans les esprits faibles, et de rallier à son parti les consciences qui ne sont pas sans peur et sans reproches. Cette alternative met la patrie entre deux écueils, difficiles peut-être à éviter si la liberté pouvait suivre la même marche que la tyrannie. Celle-ci sent le besoin de s’envelopper des ombres du mystère pour cacher une partie de sa difformité; l’autre, au contraire, se place en évidence, de peur que ses formes robustes et ses mouvements nerveux ne prennent dans l’obscurité une empreinte défectueuse. La publicité de vos délibérations, étant la double garantie des droits du peuple et de son opinion à votre égard, devient votre mutuelle sauvegarde. Ainsi, tant qu’il existera une race impie, prolongeant les crises de la révolution pour la faire tourner à son profit, ne craignez point de vous montrer sévères : la justice est tellement dans la nature que jamais aucune nation ne se souleva contre elle. C’est l’iniquité seule qui révolte : celui qui est jugé d’avance par ses remords ne trouve même pas au fond de sa conscience un appui contre sa condamnation. A la vérité, la justice fut trop longtemps une expression abusive ou plutôt profanée; trop longtemps l’oppression, la mauvaise foi, la cupidité ont couvert leurs attentats du manteau sacré de la justice; mais elle a des traits si prononcés, elle a un caractère si fortement calqué sur les droits de l’homme et sur les vertus, que sa physionomie ne peut paraître équivoque. La justice est la raison et la volonté du peuple, et non la décision arbitraire et incohérente des magistrats qui en sont l’organe. La justice se constitue par une exacte similitude, pour tous les citoyens, d’utilité commune et d’obligations individuelles, de récompenses nationales et de peines afflictives; de sorte que l’égalité n’est elle-même que le règne de la justice dans toute sa plénitude, ce qui détruit cette fausse idée que le machiavélisme s’efforce de suggérer, en peignant artificieusement l’égalité sous les couleurs dégoûtantes de la licence et du brigandage. La justice est dans le supplice de Manlius, qui invoque en vain trente victoires effacées par sa trahison. L’iniquité apprête la ciguë que boit Socrate, refusant à ses amis de se dérober à la mort par respect pour les lois. La justice appelle deux fois en jugement Pausanias, n’ayant pu le convaincre d’intelligence avec Xerxès dès la première citation; elle rejette dédaigneusement la ridicule accusation de Quintus et de Petillius contre Sci-pion l’Africain. La justice s’indigne de la fierté et de l’avarice de Coriolan, et le condamne à l’exil pour avoir osé faire une demande contraire aux intérêts du peuple, tandis qu’elle va chercher Fabri-cius et Paul Emile dans l’obscurité des travaux champêtres pour les placer à la tête des légions qui ont vaincu Pyrrhus et Carthage. La justice est l’organe de la vérité, et la foudre qui pulvérise l’imposture. La justice abhorre la cruauté, et son glaive ne frappe les têtes coupables que pour soustraire le peuple aux poignards des assassins. La justice est l’égide des nations libres contre la fureur de dominer : elle sert d’appui à l’innocence contre la perversité puissante ou ambitieuse; elle encourage le talent; elle frappe de réprobation le vice et l’intrigue. Ainsi, tant que l’homme probe respire en paix et que le méchant est seul comprimé, le gouvernement fait son devoir. La tyrannie commence le jour où l’on est proscrit parce qu’on est pur ou qu’on veut résister à l’oppression, et 96 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE blique; le caractère faible et confiant de Solon replongea Athènes dans l’esclavage : ce parallèle renferme toute la science du gouvernement. Le consul Brutus, en condamnant à la mort ses deux fils coupables de trahison, prévit bien qu’une telle sévérité, frappant à la fois d’admiration et de terreur, étoufferait pour longtemps tout germe de conspiration : calcul tellement juste qu’après cet exemple terrible il ne resta plus d’autre ressource à Tarquin que de tenter le sort d’un combat dans lequel il fut vaincu et la liberté de Rome assurée. Aussi qui osera aujourd’hui projeter la ruine de la patrie depuis que vous avez mis la justice à l’ordre du jour ? La république plane seule triomphante. Lorsque toutes les factions sont abattues, leurs vils agents, ne songeant plus qu’à leur sûreté personnelle, ressemblent aux tronçons épars d’une vipère qui cherchent en vain à se réunir, et dont les convulsions sont les derniers symptômes de l’existence. Quels flots de sang on eût épargnés si, le 14 juillet, la massue du peuple eût exterminé l’odieux Capet et ses infâmes courtisans ! Les révolutions sont un état de guerre politique entre une nation poussée à bout et les dominateurs qui l’ont opprimée. Ceux-ci, dans leur rage, ne respirent que massacres et dévastations, autant pour se venger de l’essor qu’a pris le peuple que pour le ramener à la servitude par la terreur et la désolation. C’est le meurtre prémédité du corps social, qu’on ne peut prévenir que par la mort des conjurés; c’est l’assassin qu’on tue pour ne pas tomber sous ses propres coups. L’échafaud de Catilina sauva la vie au sénat romain et à des milliers de victimes. Avoir frappé les chefs de deux conspirations également puissantes, c’est avoir évité la perte des hommes qu’ils égaraient; c’est avoir soustrait au carnage le peuple et ses représentants; c’est avoir préparé le triomphe de nos armes, en forçant les postes avancés de l’ennemi, en enlevant son quartier général avant même de lui livrer bataille. Ce n’est pas que la malveillance se taise lorsqu’elle pourra moins s’agiter que jamais; elle s’attache à toutes les nuances politiques pour en tirer avantage, elle qui ne rêve que désordre et chaos pour assurer ses succès; elle, en un mot, qui épie sans cesse les bonnes et les mauvaises actions pour empoisonner le bien et aggraver le mal ! Attendez-vous donc que, réduite à vous calomnier, elle s’empressera de répandre quelques nuages sur vos intentions, dans l’espoir de vous enlever la confiance publique. Si les rênes du gouvernement sont flottantes, le fourbe ambitieux se plaint que ceux qui les dirigent manquent d’énergie, de vues, d’expérience; et ces clameurs et ce zèle affecté n’ont pour objet que d’envahir des places où l’on puisse se partager les débris de l’Etat. Mais l’attitude du gouvernement est-elle ferme et imposante; l’intrigue alors épouvantée essaie de jeter l’effroi dans les esprits faibles, et de rallier à son parti les consciences qui ne sont pas sans peur et sans reproches. Cette alternative met la patrie entre deux écueils, difficiles peut-être à éviter si la liberté pouvait suivre la même marche que la tyrannie. Celle-ci sent le besoin de s’envelopper des ombres du mystère pour cacher une partie de sa difformité; l’autre, au contraire, se place en évidence, de peur que ses formes robustes et ses mouvements nerveux ne prennent dans l’obscurité une empreinte défectueuse. La publicité de vos délibérations, étant la double garantie des droits du peuple et de son opinion à votre égard, devient votre mutuelle sauvegarde. Ainsi, tant qu’il existera une race impie, prolongeant les crises de la révolution pour la faire tourner à son profit, ne craignez point de vous montrer sévères : la justice est tellement dans la nature que jamais aucune nation ne se souleva contre elle. C’est l’iniquité seule qui révolte : celui qui est jugé d’avance par ses remords ne trouve même pas au fond de sa conscience un appui contre sa condamnation. A la vérité, la justice fut trop longtemps une expression abusive ou plutôt profanée; trop longtemps l’oppression, la mauvaise foi, la cupidité ont couvert leurs attentats du manteau sacré de la justice; mais elle a des traits si prononcés, elle a un caractère si fortement calqué sur les droits de l’homme et sur les vertus, que sa physionomie ne peut paraître équivoque. La justice est la raison et la volonté du peuple, et non la décision arbitraire et incohérente des magistrats qui en sont l’organe. La justice se constitue par une exacte similitude, pour tous les citoyens, d’utilité commune et d’obligations individuelles, de récompenses nationales et de peines afflictives; de sorte que l’égalité n’est elle-même que le règne de la justice dans toute sa plénitude, ce qui détruit cette fausse idée que le machiavélisme s’efforce de suggérer, en peignant artificieusement l’égalité sous les couleurs dégoûtantes de la licence et du brigandage. La justice est dans le supplice de Manlius, qui invoque en vain trente victoires effacées par sa trahison. L’iniquité apprête la ciguë que boit Socrate, refusant à ses amis de se dérober à la mort par respect pour les lois. La justice appelle deux fois en jugement Pausanias, n’ayant pu le convaincre d’intelligence avec Xerxès dès la première citation; elle rejette dédaigneusement la ridicule accusation de Quintus et de Petillius contre Sci-pion l’Africain. La justice s’indigne de la fierté et de l’avarice de Coriolan, et le condamne à l’exil pour avoir osé faire une demande contraire aux intérêts du peuple, tandis qu’elle va chercher Fabri-cius et Paul Emile dans l’obscurité des travaux champêtres pour les placer à la tête des légions qui ont vaincu Pyrrhus et Carthage. La justice est l’organe de la vérité, et la foudre qui pulvérise l’imposture. La justice abhorre la cruauté, et son glaive ne frappe les têtes coupables que pour soustraire le peuple aux poignards des assassins. La justice est l’égide des nations libres contre la fureur de dominer : elle sert d’appui à l’innocence contre la perversité puissante ou ambitieuse; elle encourage le talent; elle frappe de réprobation le vice et l’intrigue. Ainsi, tant que l’homme probe respire en paix et que le méchant est seul comprimé, le gouvernement fait son devoir. La tyrannie commence le jour où l’on est proscrit parce qu’on est pur ou qu’on veut résister à l’oppression, et SÉANCE DU 1er FLORÉAL AN IX (20 AVRIL 1794) - N° 40 97 dès ce moment le gouvernement perd sa véritable force, cette force morale qui, identifiée à l’opinion publique, s’élève au-dessus des passions humaines; cette force plus puissante que les baïonnettes, et que le despotisme lui-même cherche à ménager; cette force qui rompt tout à coup les fers d’une nation esclave, en provoquant une explosion contre le tyran devant lequel l’on tremblait tout à l’heure; cette force qui, repoussant Thémistocle et Miltiade, donna tant de prépondérance à Aristide, uniquement parce qu’il fut juste. Malheur donc à ceux pour qui le règne de la justice devient un signal de stupeur ! Ceux-là sont les ennemis de tout ordre social, puisqu’il n’existe ni gouvernement, ni liberté, ni prospérité publique, sans ce mobile coercitif qui règle tous les mouvements du corps politique et qui leur donne un développement sage et utile. Apparemment ces êtres si fort effrayés prennent le cri de leurs remords pour la voix publique qui les désigne, qui les traduit déjà aux pieds des tribunaux. Insensés ! profitez du moins des exemples qui vous terrifient. Si vous craignez l’échafaud, songez qu’on y arrive à grands pas en marchant d’erreurs en écarts, et bientôt de délits en forfaits. Citoyens, travailler sans relâche à la solidité indestructible de la république, voilà la première, la plus impérative de vos obligations. Tout ce qui ne tend pas directement à cette fin devient une faute grave; tout ce qui s’y oppose est un attentat; c’est creuser soi-même l’abîme sur les bords duquel vous devez employer toute votre puissance pour arrêter le peuple. Que dis-je ! s’il était entr’ouvert, nouveaux Décius, ce serait à vous seuls à vous y engloutir pour le combler ! Il n’est point de dévouement, il n’est point de sacrifice que la patrie n’ait le droit d’exiger de vous. Placés au premier poste, vous avez contracté l’engagement de sauver le peuple, et ce ne sont pas des législateurs qui ont déjà fait de si grandes choses qui pourront trahir leur serment. Qu’importe la mort quand la gloire vous immortalise, quand tous les hommes de bien vous regrettent, quand tous les cœurs magnanimes se font honneur de vous ressembler ? La mort de Lepeletier et de Marat a donné des commotions salutaires au corps politique par l’horreur qu’inspirent de si noirs attentats. Ces deux hommes ont marqué et leur place et la nôtre. La honte est pour celui qui, de cette enceinte, ne fixerait pas ses regards sur le Panthéon ! Que serait-ce donc pour quiconque voudrait s’arrêter ? La mort des défenseurs de la liberté crie encore plus fortement vengeance contre ceux qui paralysent la marche de la révolution que contre les despotes qui nous font la guerre. Ces monstres sont par état les dévastateurs de l’univers; mais le mauvais citoyen est un meurtrier perfide qui plonge traîtreusement le couteau dans le sein de ses propres frères. Crime atroce, qui reçoit tôt ou tard sa punition ! Le sang qu’a fait couler la trahison de Mon-tesquiou est déjà retombé sur la tête de Ver-gniaud et de ses complices, qui surprirent le rapport du premier décret d’accusation lancé contre � ce général. Ce fut la longue impunité accordée à ce conspirateur qui enhardit l’infâme Brunet à suivre son exemple, qui inspira tant d’audace au scélérat Custine, qui permit au fourbe Houchard de nous ravir les fruits d’une victoire qui pouvait terminer la guerre, par le cernement de l’armée anglaise et par la prise de son duc d’York. Périssent comme ces traîtres tous les généraux qui les imitent ! Si les émigrés ont été au désespoir en apprenant la nouvelle du supplice d’Hébert et de Ronsin, les rois ligués contre nous pâliront, ils seront perdus le jour où les états-majors de nos armées auront enfin été complètement épurés. C’est là que toutes les factions ont eu soin de placer leurs créatures, pour se former des points d’appui; c’est là que les partisans artificieux de l’ancien régime sont allés se poster pour donner plus facilement la main à leurs amis secrets. Mais croyez que la recherche s’en fait scrupuleusement; et peut-être, pour achever de vous faire connaître tous les hommes vendus, en trouvera-t-on la liste dans le portefeuille de quelque Autrichien. Quoi qu’il en soit, nous frapperons sans pitié ceux dont les masques pourront tomber successivement. C’est l’hécatombe la plus propice qu’on puisse offrir à la victoire. D’ailleurs, quand on a douze armées sous la tente, ce ne sont pas seulement les défections qu’on doit craindre et prévenir; l’influence militaire et l’ambition d’un chef entreprenant qui sort tout à coup de la ligne sont également à redouter. L’histoire nous apprend que c’est par là que toutes les républiques ont péri. Dans une monarchie, la force armée est le premier instrument et la première victime du despotisme; dans un Etat libre, les chefs qui la commandent sont toujours inquiétants; il faut appréhender quelquefois jusqu’à leurs exploits. Dumouriez triomphe à Jemappes et ses victoires dans les Pays-Bas n’avaient pour objet que d’investir ce scélérat d’une confiance sans bornes, afin qu’il pût plus aisément anéantir la république. Tout peuple jaloux de sa liberté doit se tenir en garde contre les vertus même des hommes qui occupent des postes éminents. C’est la confiance aveugle qui enfante l’idolâtrie, et c’est l’idolâtrie qui égare l’amour-propre, qui réveille l’ambition, qui corrompt les âmes faibles et disposées à devenir vicieuses. Le fourbe Périclès se servit des couleurs populaires pour couvrir les chaînes qu’il forgea aux Athéniens. N’oubliez pas que le premier tyran de Rome, parti de cette cité avec le titre de simple général, y rentra après la conquête des Gaules en vainqueur et en maître; n’oubliez pas que l’armée de Fairfax appuya l’usurpation de Cromwell; n’oubliez pas les tentatives de La-fayette pour faire marcher le camp retranché de Sedan sur Paris; n’oubliez pas surtout l’intention bien prononcée tout récemment de vous conduire à la stratocratie en hérissant insensiblement la France d’armées révolutionnaires : comme si, dans un Etat où tout citoyen est soldat, la force publique de l’intérieur pouvait être autre chose que la masse du peuple. Aussi ont-ils voulu bien ouvertement la contre-révolution tous ceux qui ont tenté tour à tour d’empêcher l’armement des citoyens. Les tyrans qui divisent leurs sujets en oppresseurs et en opprimés rangent dans la classe des délits le droit de port d’armes quand on n’est pas sur la liste 8 SÉANCE DU 1er FLORÉAL AN IX (20 AVRIL 1794) - N° 40 97 dès ce moment le gouvernement perd sa véritable force, cette force morale qui, identifiée à l’opinion publique, s’élève au-dessus des passions humaines; cette force plus puissante que les baïonnettes, et que le despotisme lui-même cherche à ménager; cette force qui rompt tout à coup les fers d’une nation esclave, en provoquant une explosion contre le tyran devant lequel l’on tremblait tout à l’heure; cette force qui, repoussant Thémistocle et Miltiade, donna tant de prépondérance à Aristide, uniquement parce qu’il fut juste. Malheur donc à ceux pour qui le règne de la justice devient un signal de stupeur ! Ceux-là sont les ennemis de tout ordre social, puisqu’il n’existe ni gouvernement, ni liberté, ni prospérité publique, sans ce mobile coercitif qui règle tous les mouvements du corps politique et qui leur donne un développement sage et utile. Apparemment ces êtres si fort effrayés prennent le cri de leurs remords pour la voix publique qui les désigne, qui les traduit déjà aux pieds des tribunaux. Insensés ! profitez du moins des exemples qui vous terrifient. Si vous craignez l’échafaud, songez qu’on y arrive à grands pas en marchant d’erreurs en écarts, et bientôt de délits en forfaits. Citoyens, travailler sans relâche à la solidité indestructible de la république, voilà la première, la plus impérative de vos obligations. Tout ce qui ne tend pas directement à cette fin devient une faute grave; tout ce qui s’y oppose est un attentat; c’est creuser soi-même l’abîme sur les bords duquel vous devez employer toute votre puissance pour arrêter le peuple. Que dis-je ! s’il était entr’ouvert, nouveaux Décius, ce serait à vous seuls à vous y engloutir pour le combler ! Il n’est point de dévouement, il n’est point de sacrifice que la patrie n’ait le droit d’exiger de vous. Placés au premier poste, vous avez contracté l’engagement de sauver le peuple, et ce ne sont pas des législateurs qui ont déjà fait de si grandes choses qui pourront trahir leur serment. Qu’importe la mort quand la gloire vous immortalise, quand tous les hommes de bien vous regrettent, quand tous les cœurs magnanimes se font honneur de vous ressembler ? La mort de Lepeletier et de Marat a donné des commotions salutaires au corps politique par l’horreur qu’inspirent de si noirs attentats. Ces deux hommes ont marqué et leur place et la nôtre. La honte est pour celui qui, de cette enceinte, ne fixerait pas ses regards sur le Panthéon ! Que serait-ce donc pour quiconque voudrait s’arrêter ? La mort des défenseurs de la liberté crie encore plus fortement vengeance contre ceux qui paralysent la marche de la révolution que contre les despotes qui nous font la guerre. Ces monstres sont par état les dévastateurs de l’univers; mais le mauvais citoyen est un meurtrier perfide qui plonge traîtreusement le couteau dans le sein de ses propres frères. Crime atroce, qui reçoit tôt ou tard sa punition ! Le sang qu’a fait couler la trahison de Mon-tesquiou est déjà retombé sur la tête de Ver-gniaud et de ses complices, qui surprirent le rapport du premier décret d’accusation lancé contre � ce général. Ce fut la longue impunité accordée à ce conspirateur qui enhardit l’infâme Brunet à suivre son exemple, qui inspira tant d’audace au scélérat Custine, qui permit au fourbe Houchard de nous ravir les fruits d’une victoire qui pouvait terminer la guerre, par le cernement de l’armée anglaise et par la prise de son duc d’York. Périssent comme ces traîtres tous les généraux qui les imitent ! Si les émigrés ont été au désespoir en apprenant la nouvelle du supplice d’Hébert et de Ronsin, les rois ligués contre nous pâliront, ils seront perdus le jour où les états-majors de nos armées auront enfin été complètement épurés. C’est là que toutes les factions ont eu soin de placer leurs créatures, pour se former des points d’appui; c’est là que les partisans artificieux de l’ancien régime sont allés se poster pour donner plus facilement la main à leurs amis secrets. Mais croyez que la recherche s’en fait scrupuleusement; et peut-être, pour achever de vous faire connaître tous les hommes vendus, en trouvera-t-on la liste dans le portefeuille de quelque Autrichien. Quoi qu’il en soit, nous frapperons sans pitié ceux dont les masques pourront tomber successivement. C’est l’hécatombe la plus propice qu’on puisse offrir à la victoire. D’ailleurs, quand on a douze armées sous la tente, ce ne sont pas seulement les défections qu’on doit craindre et prévenir; l’influence militaire et l’ambition d’un chef entreprenant qui sort tout à coup de la ligne sont également à redouter. L’histoire nous apprend que c’est par là que toutes les républiques ont péri. Dans une monarchie, la force armée est le premier instrument et la première victime du despotisme; dans un Etat libre, les chefs qui la commandent sont toujours inquiétants; il faut appréhender quelquefois jusqu’à leurs exploits. Dumouriez triomphe à Jemappes et ses victoires dans les Pays-Bas n’avaient pour objet que d’investir ce scélérat d’une confiance sans bornes, afin qu’il pût plus aisément anéantir la république. Tout peuple jaloux de sa liberté doit se tenir en garde contre les vertus même des hommes qui occupent des postes éminents. C’est la confiance aveugle qui enfante l’idolâtrie, et c’est l’idolâtrie qui égare l’amour-propre, qui réveille l’ambition, qui corrompt les âmes faibles et disposées à devenir vicieuses. Le fourbe Périclès se servit des couleurs populaires pour couvrir les chaînes qu’il forgea aux Athéniens. N’oubliez pas que le premier tyran de Rome, parti de cette cité avec le titre de simple général, y rentra après la conquête des Gaules en vainqueur et en maître; n’oubliez pas que l’armée de Fairfax appuya l’usurpation de Cromwell; n’oubliez pas les tentatives de La-fayette pour faire marcher le camp retranché de Sedan sur Paris; n’oubliez pas surtout l’intention bien prononcée tout récemment de vous conduire à la stratocratie en hérissant insensiblement la France d’armées révolutionnaires : comme si, dans un Etat où tout citoyen est soldat, la force publique de l’intérieur pouvait être autre chose que la masse du peuple. Aussi ont-ils voulu bien ouvertement la contre-révolution tous ceux qui ont tenté tour à tour d’empêcher l’armement des citoyens. Les tyrans qui divisent leurs sujets en oppresseurs et en opprimés rangent dans la classe des délits le droit de port d’armes quand on n’est pas sur la liste 8 98 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE de leurs satellites. Grande leçon pour les nations libres, où chaque individu, pénétré de ses droits, doit être plus attaché à son fusil et à sa pique qu’à son existence ! Cette masse imposante et compacte du peuple sera dans tous les temps l’unique contre -poids propre à balancer les dangers de l’ascendant que donne le commandement militaire, si le gouvernement identifié à la nation sait par sa prudence et par sa vigueur établir partout un équilibre parfait, semblable à la raison qui fait de l’homme un être sublime tant qu’elle le dirige, et un insensé ou un furieux du moment qu’elle l’abandonne. Le gouvernement militaire est le pire après la théocratie, plus funeste seulement parce qu’elle s’enracine jusqu’au fond des consciences et que ses victimes sont des séides. Le gouvernement militaire n’a pour ministres que la violence et la mort; c’est un glaive laissé dans les mains de la cruauté personnifiée; c’est un tigre altéré de sang, et redoutable encore quand il est enchaîné. Puisse l’horreur qu’il inspire ne jamais s’affaiblir, et nous rappeler sans cesse qu’il n’est qu’une fermeté soutenue et coactive qui soit capable d’écarter ce nouveau péril. C’est un principe politique renfermé dans cet axiome d’un ancien : Cedant arma togœ. César eût-il méprisé le décret qui le destituait, eût-il osé passer le Rubicon, s’il n’eût point été instruit que déjà le sénat de Rome se laissait maîtriser par Pompée ? Restez donc grands comme le peuple que vous représentez, et vous imposerez par votre énergie à tous les élans de l’ambition, et d’un seul regard vous ferez rentrer dans la fange tous ces reptiles qui se traînent autour de vous pour s’élever en parcourant la cime où vous êtes; et les rois que nous combattons, fussent-ils des géants, ils ne paraîtront plus que des pygmées en votre présence. Qu’ils viennent tous avec leurs hordes d’esclaves ! vingt-cinq millions d’hommes sont debout pour accourir à votre voix, si nos légions étaient insuffisantes. Mais quoi ! leur nombre a doublé depuis les victoires de Dunkerque, de Maubeuge, de Toulon, de Landau, et certes, avec des troupes si enflammées de valeur et de patriotisme, il n’en faut pas tant pour achever la défaite d’ennemis à moitié terrassés. Nous ne vous parlons point des puissances dont l’existence liée à la vôtre les contraint de rester neutres, ni de celles qui n’attendent qu’un dernier coup d’audace de notre part pour se détacher entièrement de la confédération royale, ou même pour se prononcer contre elle. Il suffit de considérer sous les rapports politiques vos ennemis déclarés, et vous verrez que cette guerre porte en soi la source de votre splendeur et le germe de leur propre destruction; car eussent-ils jamais obtenu le plus léger avantage sur des républicains sans les perfidies successives de ces chefs indignes de les conduire dans le chemin de la gloire, et qui seuls ont prêté à des bandes d’esclaves quelques succès éphémères ? Déjà, par l’énergie que vous avez mise dans votre marche, vous avez brisé tous les intérêts liberticides, déjoué toutes les spéculations qui avaient armé les cours de l’Europe contre nous. Quel espoir peut rester à l’empereur et au roi d’Espagne depuis que la justice nationale a scellé la liberté française par le sang impur de ses tyrans ? Les prétentions de la Prusse et de l’Angleterre sont rentrées dans le néant avec Brissot, Carra, Hébert, Danton et Fabre d’Eglantine. Ce n’est pas le dépècement de la France que voulaient les puissances coalisées, mais le rétablissement de la royauté, mais le renversement d’une république qui, par le progrès des lumières, basée sur la liberté et l’égalité, défendue par une nation puissante, menaçait leur propre couronne. Monarques ignorants ! si vous connaissiez l’histoire, vous sauriez que Porsenna prétendit aussi rétablir Tarquin sur le trône, mais que l’entreprise héroïque d’un seul homme fit autant qu’une armée victorieuse; vous sauriez que Mutius-Scœvola, par une intrépidité plus qu’humaine, avertit le roi d’Etrurie qu’il n’y avait qu’une retraite précipitée qui pût le soustraire au danger d’avoir imprudemment attaqué une nation capable d’enfanter de si grands prodiges. Et vous qui jouez le rôle de ce despote, que pouvez-vous donc attendre de la guerre des tyrans contre la liberté ? la mort, quand douze cent mille républicains sont là pour vous la donner. Vous l’avez voulu; eh bien, nous ne nous arrêterons point que vous ne soyez vaincus, et votre puissance réduite à l’impossibilité absolue de nuire, ou même d’inquiéter une nation qui sera libre en dépit de vous et de vos perfidies. Mais rassurez-vous, peuples chez qui nous allons porter la foudre ! ce n’est pas vous, vous que la servitude tient rampants dans la poussière, que ses éclats peuvent atteindre. La foudre ne pulvérise dans les forêts que les chênes orgueilleux qui percent jusqu’aux nues. La foudre de la liberté ne peut avoir pour point de mire que ces tours gothiques, qui, de leur faîte gigantesque, surchargent la terre et écrasent l’humanité. Il faut donc que les deux maisons d’Autriche et de Bourbon s’écroulent jusque dans leurs fondements, pour construire de leurs décombres un temple à la Paix, qui soit indestructible. Et toi aussi, tremble, Albion ! l’heure de la décadence n’est pas éloignée. Tu n’as eu jusqu’à ce jour que l’audace du crime; ta faiblesse est démontrée par la lâcheté de tes moyens. On n’a pas recours à la perfidie, à la corruption, à l’infamie d’une fabrication avouée de faux assignats, quand on trouve en soi-même quelque sentiment de force ou de valeur. Qu’est devenu cet orgueil qui te faisait prétendre à l’empire des mers et couvrir l’Océan de tes forteresses flottantes ? Songe donc que ce n’est pas de l’or qu’il faut pour subjuguer un peuple qui est plein de l’amour de la liberté. Nous t’avons appris à Toulon qu’une ville enlevée d’assaut est une propriété plus réelle que celle qu’on achète. Quel spectacle honteux offres-tu à l’univers ! Tu fuis lâchement sur la Méditerranée pour aller rejoindre le traître Paoli, ton complice, et tâcher de nous prendre la Corse, affaiblie d’avance par la guerre civile que tu y as allumée. Dans la Manche, ta flotte se tient à l’ancre pour observer de loin si les flammes de l’incendie que tu fomentes depuis dix-huit mois parmi nous n’étincelleront pas enfin des extrémités de la république jusqu’à son centre. Va, tu as encore ici perdu tes guinées. La nation française n’est pas cette poignée d’hommes tarés, toujours prêts à se vendre à qui veut les tenir 98 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE de leurs satellites. Grande leçon pour les nations libres, où chaque individu, pénétré de ses droits, doit être plus attaché à son fusil et à sa pique qu’à son existence ! Cette masse imposante et compacte du peuple sera dans tous les temps l’unique contre -poids propre à balancer les dangers de l’ascendant que donne le commandement militaire, si le gouvernement identifié à la nation sait par sa prudence et par sa vigueur établir partout un équilibre parfait, semblable à la raison qui fait de l’homme un être sublime tant qu’elle le dirige, et un insensé ou un furieux du moment qu’elle l’abandonne. Le gouvernement militaire est le pire après la théocratie, plus funeste seulement parce qu’elle s’enracine jusqu’au fond des consciences et que ses victimes sont des séides. Le gouvernement militaire n’a pour ministres que la violence et la mort; c’est un glaive laissé dans les mains de la cruauté personnifiée; c’est un tigre altéré de sang, et redoutable encore quand il est enchaîné. Puisse l’horreur qu’il inspire ne jamais s’affaiblir, et nous rappeler sans cesse qu’il n’est qu’une fermeté soutenue et coactive qui soit capable d’écarter ce nouveau péril. C’est un principe politique renfermé dans cet axiome d’un ancien : Cedant arma togœ. César eût-il méprisé le décret qui le destituait, eût-il osé passer le Rubicon, s’il n’eût point été instruit que déjà le sénat de Rome se laissait maîtriser par Pompée ? Restez donc grands comme le peuple que vous représentez, et vous imposerez par votre énergie à tous les élans de l’ambition, et d’un seul regard vous ferez rentrer dans la fange tous ces reptiles qui se traînent autour de vous pour s’élever en parcourant la cime où vous êtes; et les rois que nous combattons, fussent-ils des géants, ils ne paraîtront plus que des pygmées en votre présence. Qu’ils viennent tous avec leurs hordes d’esclaves ! vingt-cinq millions d’hommes sont debout pour accourir à votre voix, si nos légions étaient insuffisantes. Mais quoi ! leur nombre a doublé depuis les victoires de Dunkerque, de Maubeuge, de Toulon, de Landau, et certes, avec des troupes si enflammées de valeur et de patriotisme, il n’en faut pas tant pour achever la défaite d’ennemis à moitié terrassés. Nous ne vous parlons point des puissances dont l’existence liée à la vôtre les contraint de rester neutres, ni de celles qui n’attendent qu’un dernier coup d’audace de notre part pour se détacher entièrement de la confédération royale, ou même pour se prononcer contre elle. Il suffit de considérer sous les rapports politiques vos ennemis déclarés, et vous verrez que cette guerre porte en soi la source de votre splendeur et le germe de leur propre destruction; car eussent-ils jamais obtenu le plus léger avantage sur des républicains sans les perfidies successives de ces chefs indignes de les conduire dans le chemin de la gloire, et qui seuls ont prêté à des bandes d’esclaves quelques succès éphémères ? Déjà, par l’énergie que vous avez mise dans votre marche, vous avez brisé tous les intérêts liberticides, déjoué toutes les spéculations qui avaient armé les cours de l’Europe contre nous. Quel espoir peut rester à l’empereur et au roi d’Espagne depuis que la justice nationale a scellé la liberté française par le sang impur de ses tyrans ? Les prétentions de la Prusse et de l’Angleterre sont rentrées dans le néant avec Brissot, Carra, Hébert, Danton et Fabre d’Eglantine. Ce n’est pas le dépècement de la France que voulaient les puissances coalisées, mais le rétablissement de la royauté, mais le renversement d’une république qui, par le progrès des lumières, basée sur la liberté et l’égalité, défendue par une nation puissante, menaçait leur propre couronne. Monarques ignorants ! si vous connaissiez l’histoire, vous sauriez que Porsenna prétendit aussi rétablir Tarquin sur le trône, mais que l’entreprise héroïque d’un seul homme fit autant qu’une armée victorieuse; vous sauriez que Mutius-Scœvola, par une intrépidité plus qu’humaine, avertit le roi d’Etrurie qu’il n’y avait qu’une retraite précipitée qui pût le soustraire au danger d’avoir imprudemment attaqué une nation capable d’enfanter de si grands prodiges. Et vous qui jouez le rôle de ce despote, que pouvez-vous donc attendre de la guerre des tyrans contre la liberté ? la mort, quand douze cent mille républicains sont là pour vous la donner. Vous l’avez voulu; eh bien, nous ne nous arrêterons point que vous ne soyez vaincus, et votre puissance réduite à l’impossibilité absolue de nuire, ou même d’inquiéter une nation qui sera libre en dépit de vous et de vos perfidies. Mais rassurez-vous, peuples chez qui nous allons porter la foudre ! ce n’est pas vous, vous que la servitude tient rampants dans la poussière, que ses éclats peuvent atteindre. La foudre ne pulvérise dans les forêts que les chênes orgueilleux qui percent jusqu’aux nues. La foudre de la liberté ne peut avoir pour point de mire que ces tours gothiques, qui, de leur faîte gigantesque, surchargent la terre et écrasent l’humanité. Il faut donc que les deux maisons d’Autriche et de Bourbon s’écroulent jusque dans leurs fondements, pour construire de leurs décombres un temple à la Paix, qui soit indestructible. Et toi aussi, tremble, Albion ! l’heure de la décadence n’est pas éloignée. Tu n’as eu jusqu’à ce jour que l’audace du crime; ta faiblesse est démontrée par la lâcheté de tes moyens. On n’a pas recours à la perfidie, à la corruption, à l’infamie d’une fabrication avouée de faux assignats, quand on trouve en soi-même quelque sentiment de force ou de valeur. Qu’est devenu cet orgueil qui te faisait prétendre à l’empire des mers et couvrir l’Océan de tes forteresses flottantes ? Songe donc que ce n’est pas de l’or qu’il faut pour subjuguer un peuple qui est plein de l’amour de la liberté. Nous t’avons appris à Toulon qu’une ville enlevée d’assaut est une propriété plus réelle que celle qu’on achète. Quel spectacle honteux offres-tu à l’univers ! Tu fuis lâchement sur la Méditerranée pour aller rejoindre le traître Paoli, ton complice, et tâcher de nous prendre la Corse, affaiblie d’avance par la guerre civile que tu y as allumée. Dans la Manche, ta flotte se tient à l’ancre pour observer de loin si les flammes de l’incendie que tu fomentes depuis dix-huit mois parmi nous n’étincelleront pas enfin des extrémités de la république jusqu’à son centre. Va, tu as encore ici perdu tes guinées. La nation française n’est pas cette poignée d’hommes tarés, toujours prêts à se vendre à qui veut les tenir SÉANCE DU 1er FLORÉAL AN II (20 AVRIL 1794) - N° 40 Vÿ-99 à sa solde, ni quelques déserteurs de la cause populaire, qui tombent d’eux-mêmes en courant après la fortune ou l’envahissement du pouvoir. Célèbre cabinet de Londres, voilà pourtant le résultat de ta haute politique : un opprobre éternel pour toi-même, et l’échafaud pour tes amis. Maintenant il ne te reste plus pour nous frapper qu’à nous combattre; car nous avons aussi des flottes prêtes à mettre à la voile, et et de plus des républicains pour les monter et pour vaincre les vils esclaves d’un despote imbécile ! Ou va donc sonner au même instant et la charge et l’abordage, qui furent toujours pour l’ardeur française le signal de la victoire. Un plan général de campagne est arrêté; il a pris même un caractère plus terrible en le combinant au sein des orages. Il est calqué sur ce principe politique : nous marchons, non pour conquérir, mais pour vaincre, non pour nous laisser entraîner par l’ivresse des triomphes, mais pour cesser de frapper à l’instant où la mort d’un soldat ennemi serait inutile à la liberté. L’expérience des siècles nous a suffisamment prouvé qu’un peuple guerrier apprête pour lui-même le joug qu’il impose aux autres nations. La soif des conquêtes ouvre l’âme à la fierté, à l’ambition, à l’avarice, à l’injustice, à la férocité, passions qui transforment tôt ou tard le petit nombre en dominateurs et le surplus en esclaves; mais nous qui ne voulons fixer la victoire que pour assurer la république, nous savons que cette campagne doit être décisive. Après quatre années d’efforts, d’oscillations, de déchirements, il est temps que cette chaîne de calamités ait un terme. Sentiment inné de la conservation des êtres, c’est réaliser ton propre vœu ! et si le sang coule encore, du moins va-t-il servir pour la première fois à sceller à jamais les droits de l’humanité. C’est le dernier sacrifice meurtrier dont elle aura à gémir, puisqu’il est offert pour fixer le retour sur la terre de l’appréciation des hommes, de l’estime qu’ils se doivent, de la confiance qu’elle inspire, de la probité qui la suit, de la bienveillance qui l’accompagne, de l’activité laborieuse, honorée, de l’émulation qu’elle excite, du bien-être individuel qu’elle procure, et de l’harmonie civile qui lie étroitement tous les citoyens par le charme d’une si belle existence. Tel est le tableau ravissant qui doit adoucir et dissiper insensiblement les ombres de notre horizon politique. Sachons faire mentir ces êtres blasés qui ne croient même pas à la possibilité de la vertu parce que leur haleine méphitique a trop souvent flétri ce qu’ils approchent; mais ils mentent eux-mêmes à leur conscience. Us n’auraient donc pas d’âme s’ils n’ont jamais senti le remords. Les vices sont comme les plantes vénéneuses : il faut les chercher exprès pour en trouver; au lieu que les productions salutaires et vivifiantes croissent de tous côtés sous nos pas. Cependant il ne suffirait point d’avoir mis la justice et la vertu à l’ordre du jour si Ton ne s’empressait d’en accélérer les développements par l’instruction publique, non suivant l’idée qu’on attache communément à cette expression, mais telle� qu’elle doit être chez un peuple qui se régénère. Pour lui l’instruction publique n est pas seulement dans les écoles ni exclusivement pour l’enfance; elle est destinée à tous les citoyens. Ce n’est point la simple culture de l’esprit, mais l’épuration du cœur, mais la propagation des sentiments républicains. On répand cette instruction par des institutions propres à faire connaître à tous les citoyens ces vérités simples qui forment les éléments du bonheur social; elle est dans la dignité et l’importance de vos délibérations; elle est dans le zèle et les discussions lumineuses des Sociétés populaires; elle est dans tous les lieux où la nation se rassemble; elle est dans les armées, où les héros de la liberté s’endurcissent dans les fatigues et apprennent à braver la mort pour assurer le triomphe de la république; elle est dans l’exemple des vertus privées que donne un père de famille entouré de ses enfants. Cette instruction publique découle aussi des bons ouvrages de morale, des journaux patriotiques, des pièces de théâtre exemptes d’obscénités et ne retraçant que des scènes de vertu et de civisme; elle est encore dans les fêtes publiques, et même dans les monuments érigés aux grandes actions, à la piété filiale, à tous les élans sublimes qui honorent le cœur humain. Oublier, dans un Etat libre, d’éclairer la nation par tous les moyens qui parlent aux sens et à l’âme, c’est perdre de vue ce qui peut coopérer le plus efficacement à la réformation; c’est compromettre la liberté en négligeant de créer un caractère national qui identifie de plus en plus le peuple à sa constitution. Si la tyrannie a besoin d’abrutir l’espèce humaine pour la mieux comprimer, la république exige que chacun connaisse ses droits et ses devoirs, pour que, jaloux de conserver les premiers, il devienne plus scrupuleux à remplir ses obligations. La société est un échange journalier de secours réciproques, et celui-là n’est pas bon citoyen dont l’âme ne s’épanouit pas quand il trouve l’occasion d’obliger son semblable. Concentrer le bonheur en soi-même, c’est s’isoler au détriment de l’association civile, c’est circonscrire ses propres jouissances en renonçant aux plus douces sensations, à la bienfaisance, à la gratitude, à l’amitié même. Citoyens, vous aurez beaucoup fait pour la patrie si, par le désintéressement qui illustra les fondateurs des républiques anciennes, vous apprenez aux Français à se dépouiller de ce funeste égoïsme, reste impur du système monarchique qui divise pour constituer sa puissance dans la désunion, et par suite dans la faiblesse de ceux qu’il opprime; égoïsme qui, ne montrant à chacun que sa ville ou soi-même, engage les uns à tout arrêter et les autres à vouloir obtenir au-delà du besoin, ce qui dérange sans cesse les répartitions combinées par le gouvernement; égoïsme qui fournit un moyen de plus à la malveillance en réussissant encore à nous fédéraliser par départements, par districts, par communes, par familles, par individus. Quoi ! dans la contrée la plus industrieuse et la plus petite, une disette factice se perpétue ! Est-ce à nous à nous souiller des crimes de la tyrannie ? Que firent de plus l’infâme Terray et l’odieux Foulon ? Jetés sur la terre pour jouir de ses bienfaits, comment pouvons -nous en être plus avares qu’elle-même ? Voyez les campagnes; jamais elles ne donnèrent de plus belles espérances; et c’est nous qui les rendrions vaines ! c’est nous aui disputerions d’inhumanité avec les barbares qui nous cernent ! c’est nous qui SÉANCE DU 1er FLORÉAL AN II (20 AVRIL 1794) - N° 40 Vÿ-99 à sa solde, ni quelques déserteurs de la cause populaire, qui tombent d’eux-mêmes en courant après la fortune ou l’envahissement du pouvoir. Célèbre cabinet de Londres, voilà pourtant le résultat de ta haute politique : un opprobre éternel pour toi-même, et l’échafaud pour tes amis. Maintenant il ne te reste plus pour nous frapper qu’à nous combattre; car nous avons aussi des flottes prêtes à mettre à la voile, et et de plus des républicains pour les monter et pour vaincre les vils esclaves d’un despote imbécile ! Ou va donc sonner au même instant et la charge et l’abordage, qui furent toujours pour l’ardeur française le signal de la victoire. Un plan général de campagne est arrêté; il a pris même un caractère plus terrible en le combinant au sein des orages. Il est calqué sur ce principe politique : nous marchons, non pour conquérir, mais pour vaincre, non pour nous laisser entraîner par l’ivresse des triomphes, mais pour cesser de frapper à l’instant où la mort d’un soldat ennemi serait inutile à la liberté. L’expérience des siècles nous a suffisamment prouvé qu’un peuple guerrier apprête pour lui-même le joug qu’il impose aux autres nations. La soif des conquêtes ouvre l’âme à la fierté, à l’ambition, à l’avarice, à l’injustice, à la férocité, passions qui transforment tôt ou tard le petit nombre en dominateurs et le surplus en esclaves; mais nous qui ne voulons fixer la victoire que pour assurer la république, nous savons que cette campagne doit être décisive. Après quatre années d’efforts, d’oscillations, de déchirements, il est temps que cette chaîne de calamités ait un terme. Sentiment inné de la conservation des êtres, c’est réaliser ton propre vœu ! et si le sang coule encore, du moins va-t-il servir pour la première fois à sceller à jamais les droits de l’humanité. C’est le dernier sacrifice meurtrier dont elle aura à gémir, puisqu’il est offert pour fixer le retour sur la terre de l’appréciation des hommes, de l’estime qu’ils se doivent, de la confiance qu’elle inspire, de la probité qui la suit, de la bienveillance qui l’accompagne, de l’activité laborieuse, honorée, de l’émulation qu’elle excite, du bien-être individuel qu’elle procure, et de l’harmonie civile qui lie étroitement tous les citoyens par le charme d’une si belle existence. Tel est le tableau ravissant qui doit adoucir et dissiper insensiblement les ombres de notre horizon politique. Sachons faire mentir ces êtres blasés qui ne croient même pas à la possibilité de la vertu parce que leur haleine méphitique a trop souvent flétri ce qu’ils approchent; mais ils mentent eux-mêmes à leur conscience. Us n’auraient donc pas d’âme s’ils n’ont jamais senti le remords. Les vices sont comme les plantes vénéneuses : il faut les chercher exprès pour en trouver; au lieu que les productions salutaires et vivifiantes croissent de tous côtés sous nos pas. Cependant il ne suffirait point d’avoir mis la justice et la vertu à l’ordre du jour si Ton ne s’empressait d’en accélérer les développements par l’instruction publique, non suivant l’idée qu’on attache communément à cette expression, mais telle� qu’elle doit être chez un peuple qui se régénère. Pour lui l’instruction publique n est pas seulement dans les écoles ni exclusivement pour l’enfance; elle est destinée à tous les citoyens. Ce n’est point la simple culture de l’esprit, mais l’épuration du cœur, mais la propagation des sentiments républicains. On répand cette instruction par des institutions propres à faire connaître à tous les citoyens ces vérités simples qui forment les éléments du bonheur social; elle est dans la dignité et l’importance de vos délibérations; elle est dans le zèle et les discussions lumineuses des Sociétés populaires; elle est dans tous les lieux où la nation se rassemble; elle est dans les armées, où les héros de la liberté s’endurcissent dans les fatigues et apprennent à braver la mort pour assurer le triomphe de la république; elle est dans l’exemple des vertus privées que donne un père de famille entouré de ses enfants. Cette instruction publique découle aussi des bons ouvrages de morale, des journaux patriotiques, des pièces de théâtre exemptes d’obscénités et ne retraçant que des scènes de vertu et de civisme; elle est encore dans les fêtes publiques, et même dans les monuments érigés aux grandes actions, à la piété filiale, à tous les élans sublimes qui honorent le cœur humain. Oublier, dans un Etat libre, d’éclairer la nation par tous les moyens qui parlent aux sens et à l’âme, c’est perdre de vue ce qui peut coopérer le plus efficacement à la réformation; c’est compromettre la liberté en négligeant de créer un caractère national qui identifie de plus en plus le peuple à sa constitution. Si la tyrannie a besoin d’abrutir l’espèce humaine pour la mieux comprimer, la république exige que chacun connaisse ses droits et ses devoirs, pour que, jaloux de conserver les premiers, il devienne plus scrupuleux à remplir ses obligations. La société est un échange journalier de secours réciproques, et celui-là n’est pas bon citoyen dont l’âme ne s’épanouit pas quand il trouve l’occasion d’obliger son semblable. Concentrer le bonheur en soi-même, c’est s’isoler au détriment de l’association civile, c’est circonscrire ses propres jouissances en renonçant aux plus douces sensations, à la bienfaisance, à la gratitude, à l’amitié même. Citoyens, vous aurez beaucoup fait pour la patrie si, par le désintéressement qui illustra les fondateurs des républiques anciennes, vous apprenez aux Français à se dépouiller de ce funeste égoïsme, reste impur du système monarchique qui divise pour constituer sa puissance dans la désunion, et par suite dans la faiblesse de ceux qu’il opprime; égoïsme qui, ne montrant à chacun que sa ville ou soi-même, engage les uns à tout arrêter et les autres à vouloir obtenir au-delà du besoin, ce qui dérange sans cesse les répartitions combinées par le gouvernement; égoïsme qui fournit un moyen de plus à la malveillance en réussissant encore à nous fédéraliser par départements, par districts, par communes, par familles, par individus. Quoi ! dans la contrée la plus industrieuse et la plus petite, une disette factice se perpétue ! Est-ce à nous à nous souiller des crimes de la tyrannie ? Que firent de plus l’infâme Terray et l’odieux Foulon ? Jetés sur la terre pour jouir de ses bienfaits, comment pouvons -nous en être plus avares qu’elle-même ? Voyez les campagnes; jamais elles ne donnèrent de plus belles espérances; et c’est nous qui les rendrions vaines ! c’est nous aui disputerions d’inhumanité avec les barbares qui nous cernent ! c’est nous qui 100 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE calculerions de sang-froid notre propre ruine ! Français, que faites-vous ? L’ennemi nous a-t-il vaincus ? la liberté est-elle perdue, pour songer nous-mêmes à nous exterminer ? Mais ce projet exécrable n’appartient qu’à quelques monstres cachés encore dans le repaire anfractueux du crime. Ils ont beau faire, ils n’échapperont pas à l’œil perçant de la justice; elle est déjà sur leurs traces, et son bras vengeur et inexorable saura dans peu en délivrer l’univers. Assurément ce serait avoir une étrange idée de la liberté que de supposer qu’à l’exemple du royalisme licencieux elle ne pût même tolérer des vertus civiles; ce n’eût pas été la peine de faire une révolution qui coûte tant de sacrifices, et ce n’est point pour la prolongation d’un régime tissu de forfaits que les soldats de la patrie affrontent la mort et déploient chaque jour tant de constance et d’héroïsme. La république est la fusion de toutes les volontés, de tous les intérêts, de tous les talents, de tous les efforts, pour que chacun trouve dans cet ensemble des ressources communes, une portion de bien égale à sa mise. Prétendre au-delà, c’est être injuste; s’emparer, c’est devenir coupable. Une seule exception est légitime, celle qui réclame en faveur des infirmités, de la vieillesse, des revers imprévus. Citoyens, nous avons promis d’ho-norer le malheur, il sera bien plus beau de le faire disparaître. Aussi la mendicité va-t-elle enfin trouver son extinction dans la manificence nationale, non à la manière des rois : ils entassent des milliers d’infortunés dans des hospices, tombeaux qui engloutissent le misérable pour prolonger son existence dans l’oppression et dans la douleur, tandis que l’orgueil du despotisme en retire un double avantage, celui de pouvoir se parer d’une apparence de commisération et de libéralité, et celui plus dangereux encore de se montrer moins odieux en dérobant aux regards de la multitude une partie du tableau révoltant des maux que ses folies et ses concussions attirent sur l’humanité. Un peuple généreux, au contraire, uniquement mu par des sentiments d’équité, distribue des secours sans ostentation; ils parviennent à domicile. C’est la vraie bienfaisance qui va elle-même chercher le besoin relégué dans l’obscurité, et qui sait qu’on n’a rien fait pour l’indigence si on ne lui tend la main que pour lui enlever la plus douce consolation, que pour l’arracher des bras de sa famille et de ses amis. Voulez-vous empêcher que cette lèpre politique attaque désormais le corps social ? Faites qu’on ne puisse pas se dispenser, sans se couvrir de honte, de se mettre en état d’exercer une profession utile; faites surtout que nul, avec des bras vigoureux et l’amour du travail, ne cherche vainement à s’occuper; que des édifices publics, que des ateliers, que des canaux, que des grandes routes offrent partout au citoyen laborieux un travail assuré. Le despotisme place le misérable entre le besoin et le crime; dans un Etat libre, on épargne à l’innocence indigente la nécessité de se rendre coupable. Saisissez l’homme dès sa naissance pour le conduire à la vertu par l’admiration des grandes choses et l’enthousiasme qu’elles inspirent; que chaque action héroïque ait son trophée; que chaque sentiment généreux soit célébré dans des fêtes publiques et fréquentes. Ce sont ces tableaux animés et touchants qui laissent des impressions profondes, qui élèvent l’âme, qui agrandissent le génie, qui électrisent tour à tour le civisme et la sensibilité : le civisme, principe sublime de l’abnégation de soi-même; la sensibilité, source inépuisable de tous les penchants affectueux et sociables. Ce sont des rapprochements réitérés qui conduisent insensiblement les hommes à se faire un besoin de se rechercher, de se mêler ensemble, qui les accoutument à placer leur plaisir le plus vif dans leur réunion, et leur joie dans une participation générale aux mêmes transports, aux mêmes jouissances. Que la patrie, mère commune, serre indistinctement dans ses bras tous ses enfants ! Sans les préférences injustes et marquées de nos parents, les membres d’une même famille s’estimeraient et se chériraient à l’envi. Que ses soins s’étendent jusqu’aux derniers instants de l’existence, et songez qu’il ne serait point inutile pour l’opinion que la patrie présidât elle-même à la pompe funèbre de tous les citoyens. La mort est un rappel à l’égalité, qu’un peuple libre doit consacrer par un acte public qui lui retrace sans cesse cet avertissement nécessaire. Une pompe funèbre est un hommage consolant qui efface jusqu’à l’empreinte hideuse du trépas; c’est le dernier adieu de la nature. L’homme pervers est le seul que la réprobation publique précipitera dans le tombeau avec le mépris ou l’indignation qui doivent poursuivre le crime au-delà du néant. Citoyens, c’est ainsi qu’au sein de l’erreur, des préjugés, de l’ignorance, l’antiquité a produit de si grands hommes; c’est ainsi qu’on monte les consciences et l’opinion au ton des âmes libres; c’est ainsi que le gouvernement trouve toute facilité d’opérer le bien par l’ascendant de la moralité; en un mot, c’est ainsi que chaque jour on attache plus fortement le peuple à la liberté, et qu’on intéresse de plus en plus ses défenseurs à hâter son triomphe, ne fût-ce que pour venir plus promptement jouir des fruits de la victoire, de la confiance et de la raison (le rapport est souvent interrompu par les plus vifs applaudissements) . Voici le projet de décret que je suis chargé de vous présenter (1). [Adopté.] « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport du comité de salut public, déclare qu’appuyée sur les vertus du Peuple Français, elle fera triompher la République démocratique, et punira sans pitié tous ses ennemis. « Le décret sera imprimé dans toutes les langues, envoyé aux départements et aux ar-(1) Mon., XX, 273; Débats, n08 578, p. 7; 580, p. 30; 581, p. 37; M.U., XXXIX, p. 31-32, 78-79, 126-128, 173-175, 188-191, 219-225; C. Univ., 4, 7, 8, 9 flor.; C. Eg., n08 611, p. 164, 616, p. 202, 620, p. 235, 623, p. 260, 624, p. 266, 625, p. 277; J. Sablier, noa 1271, 1292, 1294, 1298; Batave, n08 430, 431; J. Perlet, n° 576; J. Paris, n° 677; J. Matin, n° 611; J. Lois, n° 570; Ann. Rép. Fr., n° 143; J. Fr., n° 574; Audit, nat., n° 575; Feuille Rép., n° 292; Ann. patr., nos 475, 485, 486, 488, 490; Rép., n08 122, 126; Mess. Soir, n° 611. Rapport imprimé in-8° (B.N. 8°, Le38 774). 100 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE calculerions de sang-froid notre propre ruine ! Français, que faites-vous ? L’ennemi nous a-t-il vaincus ? la liberté est-elle perdue, pour songer nous-mêmes à nous exterminer ? Mais ce projet exécrable n’appartient qu’à quelques monstres cachés encore dans le repaire anfractueux du crime. Ils ont beau faire, ils n’échapperont pas à l’œil perçant de la justice; elle est déjà sur leurs traces, et son bras vengeur et inexorable saura dans peu en délivrer l’univers. Assurément ce serait avoir une étrange idée de la liberté que de supposer qu’à l’exemple du royalisme licencieux elle ne pût même tolérer des vertus civiles; ce n’eût pas été la peine de faire une révolution qui coûte tant de sacrifices, et ce n’est point pour la prolongation d’un régime tissu de forfaits que les soldats de la patrie affrontent la mort et déploient chaque jour tant de constance et d’héroïsme. La république est la fusion de toutes les volontés, de tous les intérêts, de tous les talents, de tous les efforts, pour que chacun trouve dans cet ensemble des ressources communes, une portion de bien égale à sa mise. Prétendre au-delà, c’est être injuste; s’emparer, c’est devenir coupable. Une seule exception est légitime, celle qui réclame en faveur des infirmités, de la vieillesse, des revers imprévus. Citoyens, nous avons promis d’ho-norer le malheur, il sera bien plus beau de le faire disparaître. Aussi la mendicité va-t-elle enfin trouver son extinction dans la manificence nationale, non à la manière des rois : ils entassent des milliers d’infortunés dans des hospices, tombeaux qui engloutissent le misérable pour prolonger son existence dans l’oppression et dans la douleur, tandis que l’orgueil du despotisme en retire un double avantage, celui de pouvoir se parer d’une apparence de commisération et de libéralité, et celui plus dangereux encore de se montrer moins odieux en dérobant aux regards de la multitude une partie du tableau révoltant des maux que ses folies et ses concussions attirent sur l’humanité. Un peuple généreux, au contraire, uniquement mu par des sentiments d’équité, distribue des secours sans ostentation; ils parviennent à domicile. C’est la vraie bienfaisance qui va elle-même chercher le besoin relégué dans l’obscurité, et qui sait qu’on n’a rien fait pour l’indigence si on ne lui tend la main que pour lui enlever la plus douce consolation, que pour l’arracher des bras de sa famille et de ses amis. Voulez-vous empêcher que cette lèpre politique attaque désormais le corps social ? Faites qu’on ne puisse pas se dispenser, sans se couvrir de honte, de se mettre en état d’exercer une profession utile; faites surtout que nul, avec des bras vigoureux et l’amour du travail, ne cherche vainement à s’occuper; que des édifices publics, que des ateliers, que des canaux, que des grandes routes offrent partout au citoyen laborieux un travail assuré. Le despotisme place le misérable entre le besoin et le crime; dans un Etat libre, on épargne à l’innocence indigente la nécessité de se rendre coupable. Saisissez l’homme dès sa naissance pour le conduire à la vertu par l’admiration des grandes choses et l’enthousiasme qu’elles inspirent; que chaque action héroïque ait son trophée; que chaque sentiment généreux soit célébré dans des fêtes publiques et fréquentes. Ce sont ces tableaux animés et touchants qui laissent des impressions profondes, qui élèvent l’âme, qui agrandissent le génie, qui électrisent tour à tour le civisme et la sensibilité : le civisme, principe sublime de l’abnégation de soi-même; la sensibilité, source inépuisable de tous les penchants affectueux et sociables. Ce sont des rapprochements réitérés qui conduisent insensiblement les hommes à se faire un besoin de se rechercher, de se mêler ensemble, qui les accoutument à placer leur plaisir le plus vif dans leur réunion, et leur joie dans une participation générale aux mêmes transports, aux mêmes jouissances. Que la patrie, mère commune, serre indistinctement dans ses bras tous ses enfants ! Sans les préférences injustes et marquées de nos parents, les membres d’une même famille s’estimeraient et se chériraient à l’envi. Que ses soins s’étendent jusqu’aux derniers instants de l’existence, et songez qu’il ne serait point inutile pour l’opinion que la patrie présidât elle-même à la pompe funèbre de tous les citoyens. La mort est un rappel à l’égalité, qu’un peuple libre doit consacrer par un acte public qui lui retrace sans cesse cet avertissement nécessaire. Une pompe funèbre est un hommage consolant qui efface jusqu’à l’empreinte hideuse du trépas; c’est le dernier adieu de la nature. L’homme pervers est le seul que la réprobation publique précipitera dans le tombeau avec le mépris ou l’indignation qui doivent poursuivre le crime au-delà du néant. Citoyens, c’est ainsi qu’au sein de l’erreur, des préjugés, de l’ignorance, l’antiquité a produit de si grands hommes; c’est ainsi qu’on monte les consciences et l’opinion au ton des âmes libres; c’est ainsi que le gouvernement trouve toute facilité d’opérer le bien par l’ascendant de la moralité; en un mot, c’est ainsi que chaque jour on attache plus fortement le peuple à la liberté, et qu’on intéresse de plus en plus ses défenseurs à hâter son triomphe, ne fût-ce que pour venir plus promptement jouir des fruits de la victoire, de la confiance et de la raison (le rapport est souvent interrompu par les plus vifs applaudissements) . Voici le projet de décret que je suis chargé de vous présenter (1). [Adopté.] « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport du comité de salut public, déclare qu’appuyée sur les vertus du Peuple Français, elle fera triompher la République démocratique, et punira sans pitié tous ses ennemis. « Le décret sera imprimé dans toutes les langues, envoyé aux départements et aux ar-(1) Mon., XX, 273; Débats, n08 578, p. 7; 580, p. 30; 581, p. 37; M.U., XXXIX, p. 31-32, 78-79, 126-128, 173-175, 188-191, 219-225; C. Univ., 4, 7, 8, 9 flor.; C. Eg., n08 611, p. 164, 616, p. 202, 620, p. 235, 623, p. 260, 624, p. 266, 625, p. 277; J. Sablier, noa 1271, 1292, 1294, 1298; Batave, n08 430, 431; J. Perlet, n° 576; J. Paris, n° 677; J. Matin, n° 611; J. Lois, n° 570; Ann. Rép. Fr., n° 143; J. Fr., n° 574; Audit, nat., n° 575; Feuille Rép., n° 292; Ann. patr., nos 475, 485, 486, 488, 490; Rép., n08 122, 126; Mess. Soir, n° 611. Rapport imprimé in-8° (B.N. 8°, Le38 774).