384 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAMES. j f brumaire an n Et vous, représentants de ee peuple magna¬ nime, vous qui êtes appelés à fonder, au sein de tous les orages, la première république du monde, songez que, dans quelques mois, elle doit être sauvée et affermie par vous. Vos ennemis savent bien que s’ils pouvaient désormais vous perdre, ce ne serait que par vous-mêmes. Faites, en tout, le contraire de ce qu’ils veulent que vous fassiez. Suivez toujours un plan invariable de gouvernement fondé sur les principes d’une sage et vigoureuse politi¬ que. Vos ennemis voudraient donner, à la cause sublime que vous défendez, un air de légèreté et de folie ; soutenez-la avec toute la dignité de la raison. On veut vous diviser; restez toujours unis. On veut réveiller au milieu de vous l’or¬ gueil, la jalousie, la défiance : ordonnez à toutes les petites passions de se taire. Le plus beau de tous les titres est celui que vous portez tous. Nous serons tous assez grands, quand tous nous aurons sauvé la patrie. On veut annuler et avilir le gouvernement républicain dans sa naissance: donnez-lui l’activité, le ressort et la considération dont il a besoin. Ils veulent que le vaisseau de la République flotte au gré des tempêtes, sans pilote et sans but : saisissez le gouvernail d’une main ferme, et conduisez - le, à travers les écueils, au port de la paix et du bonheur. La force peut renverser un trône; la sagesse seule peut fonder une république. Démêlez les pièges continuels de nos ennemis; soyez révo¬ lutionnaires et politiques; soyez terribles aux méchants, et secourables aux malheureux ; fuyez à la fois le cruel modérantisme et l’exagération systématique des faux patriotes : soyez dignes du peuple que vous représentez; le peuple hait tous les excès : il ne veut être ni trompé ni protégé, il veut qu’on le défende en l’hono-rant. Portez la lumière dans l’antre de ces modernes Cacus, où. l’on partage les dépouilles du peuple en conspirant contre sa liberté. Etouffez-les dans leurs repaires et punissez enfin le plus odieux de tous les forfaits, celui de revêtir la contre-révolution des emblèmes sacrés du patriotisme, et d’assassiner la liberté avec ses propres armes. Le période où vous êtes est celui qui est destiné à éprouver le plus fortement la vertu républicaine. A la fin de cette campagne, l’in¬ fâme ministère de Londres voit d’un côté la ligue presque ruinée par ses efforts insensés, les armes de ,l’ Angleterre déshonorées, sa for¬ tune ébranlée, et la liberté assurée par le carac¬ tère de vigueur que vous avez montré ; au-dedans, il entend les cris des Anglais mêmes, prêts à lui demander compte de ses crimes. Dans sa frayeur, il a reculé jusqu’au mois de janvier la tenue de ce parlement, dont l’appro¬ che l’épouvante. Il va employer ce temps à commettre parmi vous les derniers attentais qu’il médite, pour suppléer à l’impuissance de vous vaincre. Tous les indices, toutes les nou¬ velles, toutes les pièces saisies depuis quelque temps se rapportent à ce projet. Corrompre les représentants du peuple susceptibles de l’être, calomnier ou égorger ceux qu’ils n’ont pu corrompre, enfin arriver à la dissolution de la représentation nationale, voilà le but auquel tendent toutes les manœuvres dont nous sommes les témoins, tous les moyens patrioti¬ quement contre-révolutionnaires que la perfidie prodigue pour exciter une émeute dans Paris et bouleverser la République entière. Représentants du peuple français, connaissez votre force et votre dignité. Vous pouvez con¬ cevoir un orgueil légitime. Applaudissez-vous, non seulement d’avoir anéanti la royauté et puni les rois, abattu les coupables idoles devant qui le monde était prosterné, mais surtout de l’avoir étonné par un acte de justice dont il n’avait jamais vu l’exemple, en promenant le glaive de la loi sur les têtes criminelles qui s’élevaient au milieu de vous, mais d’avoir écrasé jusque-s ici les factions sous le poids du niveau national. Quel que soit le sort personnel qui vous attend, votre triomphe est certain. La mort même des fondateurs de la liberté n’est-elle pas un triom¬ phe? Tout meurt, et les héros de l’humanité, et les tyrans qui l’oppriment; mais à des condi¬ tions différentes. Jusque sous le règne des lâches empereurs de Rome, la vénération publique couronnait les images sacrées des héros qui étaient morts en combattant contre eux ; on les appelait les der¬ niers des Romains. Rome dégradée semblait dire chaque jour au tyran : « Tu n’es point un homme ; nous-mêmes, nous avons perdu ce titre en tom¬ bant dans tes fers. Les seuls hommes, les seuls Romains sont ceux qui ont eu le courage de se dévouer pour délivrer la terre de toi ou de tes pareils. » Pleins de ces idées, pénétrés de ces principes, nous seconderons votre énergie de tout notre pouvoir. En butte aux attaques de toutes les passions, obligés de lutter à la fois contre les puissances ennemies de la République et contre les hommes corrompus qui déchirent son sein, placés entre la lâcheté hypocrite et la fougue imprudente du zèle, comment aurions-nous osé nous charger d’un tel fardeau sans les ordres sacrés de la patrie? Comment pourrions -nous le porter, si nous n’étions élevés au-dessus de notre faiblesse par la grandeur même de notre mission, si nous ne nous reposions avec confiance, et sur votre vertu, et sur le caractère sublime du peuple que vous représentez ? L’un de nos devoirs les plus sacrés était de vous faire respecter au dedans et au dehors. Nous avons voulu aujourd’hui vous présenter un tableau fidèle de votre situation politique et donner à l’Europe une haute idée de vos prin¬ cipes. Cette discussion a aussi pour objet parti¬ culier de déjouer les intrigues de vos ennemis pour armer contre vous vos alliés et surtout les cantons suisses et les Etats-Unis d’Améri¬ que (1). Nous vous proposons, à cet égard, le décret suivant : DÉCRET. « La Convention nationale, voulant manifester aux yeux de l’univers les principes qui la diri¬ gent et qui doivent présider aux relations de (1) D’après le Journal de Perlel [n° 422 du 28 bru¬ maire an II (lundi 18 novembre 1793), p. 389), Y Auditeur national [n° 422 du 28 brumaire an II (lundi 18 novembre 1793), p. 4], les Annales patrio¬ tiques et littéraires [n° 322 du 29 brumaire an II (mardi 19 novembre 1793), p. 1491, col. 1] et le Journal de la Montagne [n° 5 du 28e jour du 2e mois de l’an II (lundi 18 novembre 1793), p. 40, col. 1], le discours de Robespierre fut interrompu à diverses reprises par les plus vifs applaudissements. t {Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. J fl brumaire an II 395 ( 17 novembre 1793 toutes les sociétés politiques; voulant en même temps déconcerter les manœuvres perfides em¬ ployées par ses ennemis pour alarmer sur ses intentions le fidèles alliés de. la nation française, les cantons suisses et les Etats-Unis d’Amé¬ rique : Art. 1er. « La Convention nationale déclare, au nom du peuple français, que la résolution constante de la République est de se montrer terrible en¬ vers ses ennemis, généreuse envers ses alliés, juste envers tous les peuples. Art. 2. « Les traités qui lient le peuple français aux Etats-Unis d’Amérique et aux Cantons suisses seront fidèlement exécutés. Art. 3. « Quant aux modifications qui auraient pu être nécessitées par la révolution qui a changé le gouvernement français, ou par les mesures générales et extraordinaires que la République a été obligée de prendre momentanément pour la défense de son indépendance et de sa liberté, la Convention nationale se repose sur la loyauté réciproque et sur l’intérêt commun de la Répu¬ blique et de ses alliés. Art. 4. « La Convention nationale enjoint aux citoyens et à tous les fonctionnaires civils et militaires de la République de respecter et faire respecter le territoire de toutes les nations neutres ou alliées. Art. 5. « Le comité de Salut public est chargé de s’occuper des moyens de resserrer de plus en plus les liens de l’union et de l’amitié entre la République et ses alliés et notamment les Cantons suisses et les Etats-Unis d’Amérique. Art. 6. « Dans toutes les discussions sur les objets particuliers de réclamations respectives, il ma¬ nifestera aux nations amies et notamment aux Cantons suisses et aux Etats-Unis d’Amérique, par tous les moyens compatibles avec les circon¬ stances impérieuses où se trouve la République, les sentiments d’équité, de bienveillance et d’estime, dont la nation française est animée envers eux. Art. 7. « Le présent décret et le rapport du comité de Salut public seront imprimés et traduits dans toutes les langues, répandus dans toute la République et dans les pays étrangers, pour attester à l’univers les principes de la Républi¬ que française et les attentats de ses ennemis contre la sûreté générale de tous les peuples. » Le décret ci-dessus, proposé par le comité de Salut Public, a été rendu par la Convention nationale. lx* SÉRIE, T. EXXIX. Compte rendu du Moniteur universel (1). Robespierre, au nom du comité de Salut 'public, a présenté le tableau de la situation de l’ Europe, relativement à la République française. Il a présenté un projet de décret qui a été unani¬ mement adopté en ces termes : « La Convention nationale voulant attester à tous les peuples les principes qui la dirigent et qui doivent présider aux relations de toutes les sociétés politiques; voulant en même temps déconcerter les mouvements perfides employés par ses ennemis pour alarmer sur ses intentions les deux fidèles alliés de la nation française, les Cantons suisses et les Etats-Unis d’Amérique : Art. 1er. « La Convention nationale déclare, au nom du peuple français, que la résolution constante de la République française est de se montrer terrible envers ses ennemis, généreuse envers ses alliés, juste envers tous les peuples. (1) Moniteur universel [n° 58 du 28 brumaire an II (lundi 18 novembre 1793), p. 236, col. 2]. D’autre part, le Journal des Débats et des Décrets (brumaire an II, n° 425, p. 369) et le Mercure uni¬ versel [28 brumaire an II (lundi 18 novembre 1793), p. 286, col. 2] rendent compte du discours de Robes¬ pierre dans les termes suivants : jgg , . ■ I. Compte rendu du Journal des Débats et des Décrets. Robespierre, au nom du comité de Salut public , fait un rapport sur la situation de la République à l’égard de tous les peuples de l’Europe. Cet ouvrage est trop important par son objet, et trop précieux par la manière dont il est fait, pour le soumettre à une analyse trop imparfaite. Nous l’imprimerons en entier. Aujourd’hui, nous donnons seulement le décret dont il a développé les bases et les motifs, et qui a été adopté au milieu des plus vifs applaudis¬ sements. (Suit le texte du décret que nous avons inséré ci-dessus, p. 377, d'après le procès-verbal.) Barère. Je ne me permettrai pas de rien ajouter au rapport politique et profond qui vient de vous être fait par Robespierre; mais il est une mesure, et une mesure urgente que je vous proposerai d’ajouter à celles que vous venez d’adopter. Cette mesure tient aux égards que se doivent entre eux les peuples libres et que les Suisses ont droit d’at¬ tendre de nous; c’est d’ordonner que le rappo'rt et le décret que vous venez d’entendre soient envoyés par un courrier extraordinaire aux Suisses et aux autres puissances alliées de la République. Je terminerai par deux réflexions. L’intrigue s’agite plus que jamais, et dans la Suisse et jusque dans l’intérieur de la République française, pour rompre leur alliance. Il faut la ré¬ duire au silence. Notre comité de Salut public s’en est occupé. Le rapport de Robespierre avait pour objet les intérêts du gouvernement français à l’ex¬ térieur; celui qui vous sera fait demain par Billaud-Varenne aura pour objet l’établissement, l’organi¬ sation du gouvernement intérieur, mais d’un gou¬ vernement révolutionnaire et vigoureux. Un troi¬ sième tiendra à donner à la Convention et à ses comités la mesure de puissance qu’ils doivent avoir aux yeux de l’Europe. Citoyens, on n’a cessé de calomnier, et le gouver¬ nement anglais calomnie tous les jours encore la Révolution française. Il répète avec affectation qu’il n’existe en France aucun point central de gouverne¬ ment; il faut prouver le contraire. La.proposition de Barère est décrétée. 25