[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j |2f ‘novembre r93 '-645 Romme demande la permission de faire quel¬ ques observations à ce sujet. A Saint-Claude, dit-il, on vient de démolir une ci-devant abbaye de Bénédictins. On a trouvé dans les murs plusieurs squelettes d’hom¬ mes, et sous la plaque d’une cheminée, à quatre pieds de profondeur, le squelette d’une femme, avec celui de son enfant. A Dôle, tous les édifices publics portent en¬ core l’inscription suivante : « Justifia, réligio, ceterna urbis fata » Je demande qu’on lui substi¬ tue celle-ci : « Liberté, Egalité. » (Décrété.) Phïlippeaux demande qu’on proscrive les ins¬ criptions latines, comme étant, presque toutes aristocrates. Treilhard observe qu’un grand nombre rap¬ pellent des faits historiques. La motion du préopinant est renvoyée au comité d’instruction publique. Un autre membre [Forestier (1)] fait un rap¬ port (2), au nom des comités des finances et de législation, sur le traitement des ecclésiastiques qui abdiqueront leurs fonctions. Après discussion, le décret suivant est adopté : « La Convention nationale, après avoir en¬ tendu le rapport de ses comités des finances et de législation, décrète ce qui suit : Art. 1er. « Les évêques, curés et vicaires qui ont abdiqué ou qui abdiqueront leur état et fonctions de prê¬ trise, recevront de la République par forme de secours annuel, savoir : ceux qui sont actuelle¬ ment d’un âge au-dessous de 50 ans, la somme de 800 livres ceux de 50 ans accomplis jusqu’à 70 accomplis, celle de 1,000 livres; et ceux de ce dernier âge, la somme de 1,200 livres. Art. 2. « Les secours divers mentionnés en l’article ci-dessus ne seront pas susceptibles d’accroisse¬ ment en passant d’un des trois âges déterminés à l’autre; ils seront payables à l’échéance de chaque semestre par le receveur du district du domicile de chaque individu, qui sera tenu de justifier de ses certificats de résidence, de non-émigration, de payement des contributions et de civisme. Art. 3. « Le quartier commencé le 1er octobre, et qui finira au 1er janvier prochain, sera payé sur l’an¬ cien pied (3). » Compte rendu du Moniteur universel (4). Forestier. Citoyens, on vous a distribué hier un projet de décret sur le traitement à (1) D’après la minute du décret qui se trouve aux Archives nationales, carton C 282, dossier 786, et d’après les divers journaux de l’époque. (2) Voy. ci-dessus, séance du 27 brumaire an II, p. 370, le rapport de Forestier. (3) Procès-verbaux de la Convention, t. 26, p. 35. (4) Moniteur universel [n° 64 du 4 frimaire an II (dimanche 24 novembre 1793), p. 258, col. 2]. Voy. accorder aux prêtres qui abdiquent leur état. Soit que le changement subit qui semble s’être opéré dans l’esprit du peuple à l’égard de ses prêtres n’ait été accéléré , ainsi que parlamalveil-veillance et l’intrigue infatigable de Pitt et de Cobourg, soit que l’on doive le considérer comme une irruption volcanique de la vérité trop long¬ temps captive, il devient indispensable que la Convention nationale s’empare de ce mouve¬ ment, quelle qu’en soit la cause, et le fasse encore tourner habilement au profit de la chose publique. / Elle a solennellement promis de salarier ou plutôt de pensionner les prêtres actuels. Eh bien serait -il politique, serait -il juste, qu’elle les laissât au dépourvu de tout, au moment où, entraînés par le torrent de l’opinion publique, ils abjurent un état qui leur procurait une vie commode? Dans un monde où le despotisme et la théo¬ cratie avaient tout arrangé, pouvait -il se trouver beaucoup de professions, beaucoup d’arts qui ne fussent déraisonnables et pernicieux? Mais quand la main de la liberté bouleverse tout; quand elle détruit de fond en comble un édifice monstrueux, ce n’est point pour empirer le sort des hommes dont elle renouvelle les rapports sociaux. Dès l’enfance on était destiné à prendre le prétendu ordre de prêtrise comme tous les autres états. Le fonds de ceux-ci est conservé, on leur a seulement donné des formes et une direction républicaines. Quant à la prêtrise, la continua¬ tion de son exercice est devenue une honte et même un crime. Mais les prêtres pouvaient n’être en général que des hommes dans l’erreur, et ils ont besoin de secours et de subsistances. Qu’on ne les désespère pas par des rigueurs extrêmes. On ne reste pas longtemps attaché à une doc¬ trine, à des maximes proscrites par la raison universelle. La majeure partie des prêtres pourra donc redevenir utile. Il est bon sans doute de laisser la terreur à l’ordre du jour, quand la crise révolutionnaire dure encore ; mais on peut tempérer ce sentiment en mettant à ses côtés la justice et la bienfai sance, pour tendre la main à l’infortune et à l’erreur qui ouvre les yeux. C’est dans ces intentions qu’a été conçu le projet de décret que je vais lire et sur lequel il s’agit d’ouvrir la discussion. Forestier fait lecture de ce projet (1). Un membre. Le projet de décret que les comi¬ tés réunis vous proposent, est inconvenant sous plusieurs rapports. D’abord il accorde un traitement moindre à celui qui sacrifie à la raison et à la patrie ses erreurs religieuses, qu’à celui qui y persiste, et entretient encore par ce moyen, au milieu de la République, le germe du fana¬ tisme; ensuite les secours ne sont nullement gradués suivant les proportions naturelles. Citoyens, je pense qu’avant de rien décider sur le sort des prêtres, ü faut examiner si la nation ne doit pas plutôt des secours à des hommes indigents qui ont défendu leur patrie, qu’à des prêtres qui ont abjuré un ministère de menson-d’autre part ci-après, annexe n° 1, p. 660, le compte rendu de la même discussion, d’après divers jour¬ naux. (1) Voy. ci-dessus, séance du 27 brumaire an II, p. 370, le projet de décret présenté par Forestier 646 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j l/�embrTl793 ges, et qui sont assez jeunes pour pouvoir tra¬ vailler. Quand vous avez aboli les institutions vicieuses de l’ancien régime, avez-vous donné des traitements à tous les individus qui le composaient? Non; vous n’avez donné des secours qu’à ceux qui étaient hors d’état de gagner leur vie. On devait suivre la même distinction pour les prêtres. Le projet de décret est absurde, parce qu’il continue un salaire à des évêques, à des prêtres, tandis que vous propagez dans la République ce principe d’éternelle vérité, que les prêtres ont été les fléaux des nations, et que c’est par leurs mains que la terre a été arrosée du sang des peuples. Citoyens, je crois qu’il faut laisser un libre cours à la raison dont vous voyez chaque jour les progrès. Je demande l’ajournement du projet de décret qui vous est présenté; mais je m’oppose et je m’opposerai toujours à ce qu’on salarie un prêtre en état de travailler. Merlin (de Thionville). Et moi aussi, je trouve absurde ce décret, qui accorde une pen¬ sion plus forte aux prêtres qui continuent d’exer¬ cer leurs fonctions, qu’à ceux qui abandonnent leur métier. Cependant, je ne suis pas de l’avis du préopinant Je crois qu’il est de la justice et de l’humanité de la République, de ne pas aban¬ donner les prêtres trop âgés pour se procurer les moyens de subsister; mais je demande que la pension que l’Assemblée leur accordera, soit égale pour tous, et que ceux qui continueraient à enseigner le mensonge et l’erreur, ne soient pas mieux traités que ceux qui abdiqueraient leur état. Cambon. Personne sans doute ne m’accusera de vouloir favoriser les prêtres, mais j’ai des observations à faire sur le décret qui vient de vous être présenté. Citoyens, le peuple vient d’abaisser sa massue sur le fanatisme; la philo¬ sophie a dirigé son bras. Je crois que nous aurions dû laisser à la raison le temps de rétablir son empire dans toutes les parties de la République, et ne parler de prêtres qu’au moment où l’opi¬ nion publique éclairée n’aurait laissé entrevoir aucun danger en traitant cette matière vraiment délicate. Citoyens, Paris a toujours donné l’exemple des grandes mesures à toute la Répu¬ blique ; il fallait attendre que le coup qu’il vient de porter à la superstition fût connu des autres départements aussi patriotes que lui, mais pas aussi éclairés. Je pense qu’on doit ajourner au premier janvier prochain le décret proposé, en laissant aux prêtres jusqu’à cette époque le traitement dont ils jouissent. Danton. Citoyens, l’opinion du peuple fran¬ çais s’est prononcée; la raison nationale est à son apogée; le règne des prêtres est passé, mais le règne politique vous appartient. C’est à vous d’adopter ce qui est utile au peuple, et de rejeter ce qui peut le perdre ou lui nuire. Sur quelle considération fondez-vous les décrets que vous rendez? Sur l’économie du sang des hommes. Sachez, citoyens, que vos ennemis ont mis à profit pour vous perdre jusqu’à la philosophie qui vous dirige; ils ont cru qu’en accueillant les prêtres que la raison porte à abandonner leur état, vous persécuteriez ceux qui sont aveuglés par le bandeau de l’erreur. Le peuple est aussi juste qu’éclairé. L’Assemblée ne veut salarier aucun culte; mais elle exècre la persécution, et ne ferme point l’oreille aux cris de l’humanité. Citoyens, accordez des secours à tous les prêtres ; mais que ceux qui sont encore dans l’âge de pren¬ dre un état ne puissent prétendre aux secours de la nation après s’être procuré les moyens de subsister. Si Pitt a pensé que l’abolition du fanatisme serait un obstacle à votre rentrée dans la Belgique, par la persécution que vous ferez éprouver aux prêtres, qu’il soit détrompé, et qu’il apprenne à respecter une nation géné¬ reuse qu’il n’a cessé de calomnier. Citoyens, il faut concilier la politique avec la saine raison; apprenez que, si vous ôtez aux prêtres les moyens de subsister vous les réduisez à la cruelle alternative, ou de mourir de faim, ou de se réunir avec les rebelles de la Vendée. Soyez persuadés que tout prêtre, observant le cours de la raison, se hâtera d’alléger les charges de la République en devenant utile à lui-même, et que ceux qui voudront encore secouer les torches de la discorde - seront arrêtés par le peuple qui écrase tous ses ennemis sous le char de la Révolution. Je demande l’économie du sang des hommes, je demande que la Convention soit juste envers ceux qui ne sont pas signalés comme les ennemis. du peuple. Citoyens, n’y eût-il qu’un seul prêtre, qui, privé de son état, se trouve sans ressource, vous lui devez de quoi vivre. Soyez justes, politiques, grands comme le peuple. Au milieu de sa fureur vengeresse, il ne s’écarte jamais de la justice, il la veut. Proclamez-la en son nom, et vous rece¬ vrez les applaudissements. Levasseur. Le fanatisme a été de’tout temps le plus grand fléau de l’humanité. Si on vous eût dit : Législateurs philosophes, gavée de l’argent vous préserverez les hommes des maux qu’il leur cause, eussiez-vous hésité? Eussiez-vous marchandé le bonheur du genre humain? Non, sans doute; vous eussiez répandu l’or à grands flots. Eh bien, en assurant un traitement aux prêtres, vous rendez un service à l’humanité, et vous faites disparaître pour jamais le fana¬ tisme de dessus le sol de la France. Mais si vous ajournez leurs moyens de subsistance, les prêtres au lieu d’abjurer, tâcheront peut-être de ressus¬ citer la superstition. Hier, je passai dans la commune de Luzarche; il y a quelque temps que j’y avais trouvé un. scélérat de prêtre, qui depuis a été traduit au tribunal révolutionnaire, pour avoir, par son influence, égaré l’esprit des citoyens de cette commune ; je fus même obligé d’en faire arrêter plusieurs. Je leur parlai hier le langage de la vé¬ rité, avec toute l’énergie dont je suis capable; le vicaire monta en chaire, me remit ses lettres de prêtrise et adressa ce discours à ses concitoyens r « Je n’ai jamais cru ce que je vous ai enseigné; on m’a donné l’état de prêtre, je l’ai professé; mais la force de la vérité me force d’abjurer aujourd’hui un état dont le mensonge est la prin¬ cipale étude. » Je repris ensuite la parole, et je dis aux habi¬ tants que la profession de foi de leur vicaire et l’abjuration non provoquée]de tant de prêtres, qui n’étaient point dirigés par l’intérêt, devaient enfin leur dessiller les yeux et leur faire connaître l’empire de la raison. Les habitants me demandèrent alors de con¬ sacrer à la raison leur ancienne église. « Vous êtes les maîtres, leur dis-je, de le faire, et mes pouvoirs cessent . là où la raison a repris ses droits. » La municipalité était présente, ils se consultèrent entre eux et décidèrent que leur ancienne église serait désormais un temple