[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 juillet 1789.] 267 M. l’abbé Grégoire rappelle la proposition faite ce malin, tendant à ce qu’on employât l’intervention des curés. Un membre demande que les tribunaux reçoivent par la proclamation une injonction de poursuivre les coupables, pour qu’ils soient punis selon les lois établies. M. Long. Cédons, Messieurs, cédons à l’ordre naturel des choses, en réclamant un tribunal composé de magistrats et de jurés; il existe des crimes, il faut les punir ; faites annoncer cette résolution, et vous verrez renaître le calme; alors vous inviterez le peuple à rentrer dans l’ordre, et votre proclamation ne sera plus que l’expression même de ses vœux, et le retour d’une confiance qu’il n’avait perdue que parce que les lois ont été muettes. M. Péüon propose l’établissement des jurés. La discussion allait s’engager de nouveau. Plusieurs membres demandent à aller aux voix, tant sur la motion de M. de Lally, que sur les amendements. L’Assemblée, consultée par assis et levé, adopte la motion avec l’amendement, qui porte que l’Assemblée déclarera qu’elle va s’occuper de la recherche des agents de l’autorité, coupables du crime de lèse-majesté, et d’établir un comité pour recevoir les dénonciations contre les auteurs des malheurs publics, sauf une nouvelle rédaction qui sera faite avant que la séance soit levée. A cet effet, le comité de rédaction sort pour s’occuper de son travail. A une heureaprès minuit, la nouvelle rédaction de la proclamation est présentée et lue à l’Assemblée. On y fait quelques légers changements sur les observations de quelques membres, et elle est enfin approuvée et arrêtée en la manière suivante: PROCLAMATION. « L’Assemblée nationale, considérant que, depuis le premier instant où elle s’est formée, elle n’a pris aucune résolution qui n’ait dû lui obtenir la confiance des peuples ; « Qu’elle a déjà établi les premières bases sur lesquelles doivent reposer la liberté et la félicité publiques ; « Que le Roi vient d’acquérir plus de droits que jamais à la confiance de ses fidèles sujets; « Que non-seulement il les a invités lui-même à réclamer leur liberté et leurs droits ; mais que, sur le vœu de l’Assemblée, il a encore écarté tous les su jets de méfiance qui pouvaientporter l’alarme dans les esprits; « Qu’il a éloigné de sa capitale les troupes dont l’aspect ou l’approche y avaient répandu l’effroi ; « Qu’il a éloigné de sa personne les conseillers qui étaient un objet d’inquiétude pour la nation; « Qu’il a rappelé ceux dont elle désirait le retour ; « Qu'il est venu dans l’Assemblée nationale, avec l’abandon d’un père au milieu de ses enfants, lui demander de l’aider à sauver l’Etat ; « Que, conduit par les mêmes sentiments, il est allé dans sa capitale se confondre avec son peuple, et dissiper par sa présence toutes les craintes qu’on avait pu concevoir ; « Que, dans ce concert parfait entre le chef et les représentants de la nation, après la réunion consommée de tous les ordres, l’Assemblée s’occupe et ne cessera de s’occuper du grand objet de la constitution ; « Que toute méfiance qui viendrait actuellement altérer une si précieuse harmonie ralentirait les travaux de l’Assemblée, serait un obstacle aux intentions du Roi, et porterait en même temps une funeste atteinte à l’intérêt général de la nation et aux intérêts particuliers de tous ceux qui la composent ; « Qu’enfin il n’est pas de citoyen qui ne doive frémir à la seule idée de troubles dont les suites si déplorables seraient la dispersion des familles, l’interruption du commerce; pour les pauvres, la privation de secours ; peur les ouvriers, la cessation du travail ; pour tous, le renversement de l’ordre social ; «< Invite tous les Français à la paix, au maintien de l’ordre et de la tranquillité publique, à la confiance qu’ils doivent à leur Roi et à leurs représentants, et à ce respect pour les lois, sans lequel il n’est pas de véritable liberté ; « Déclare, quant aux dépositaires du pouvoir qui auraient causé ou causeraient par leurs crimes, les malheurs du peuple, qu’ils doivent être accusés, convaincus et punis, mais qu’ils ne doivent l’être que par la loi, et qu’elle doit les tenir sous sa sauvegarde, jusqu’à ce qu’elle ait prononcé sur leur sort; que la poursuite des crimes de lèse-nation appartient aux représentants de la nation ; que l’Assemblée, dans, la constitution dont elle s’occupe sans relâche, indiquera le tribunal devant lequel sera traduite toute personne accusée de ces sortes de crimes, pour être jugée suivant la loi et après une instruction publique; « Et sera la présente déclaration imprimée et envoyée, par tons les députés, à tous leurs commettants respectifs. » La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE DUC DE LIANCOURT. Séance du vendredi 24 juillet 1789 (1). A l’ouverture de la séance, ont été présentées plusieurs adresses rédigées dans les mêmes principes et remplies des mêmes sentiments que celles qui ont précédé. Après lecture de celle d’Arras, on a rendu compte de celles des villes de Marseille, Moulins, Châlons-sur-Marne, Saint-Pons en Languedoc, Luxeuil, Lure, Gien-sur-Loir, Sainte-Mènehould, Boulai, Romans, Concarneau, Niort, Clamecy, Caussade en Quercy, Castelnau etMontratier, de la même province; Saint-Georges près Montpellier ; deux de la ville de Vienne, en date des 12 et 18 juillet; une des citoyens de Reims, une autre des fabricants de la même ville ; une des citoyens de Saint-Pierre-le-Moutier, une autre des électeurs du bailliage de Vire, de la sénéchaussée d’Annonay, de Chàteau-Chinon en Morvan ; des électeurs et officiers municipaux de la ville de Meaux, des officiers municipaux de Vienne; des communes de Nuits, Joigny, Saint-Sauveur de Locminê; des remerciements de la même ville au clergé, pour le zèle et le patriotisme qu’il a montré aux journées des 17, 23 et 27 juin dernier. Après la lecture du procès-verbal des séances de la veille, on a lu des lettres d’Evreux, Péronno (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 268 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 juillet 1789.] et Meulan, qui annoncent l’établissement de leurs gardes bourgeoises ; des déclarations de la noblesse du bailliage deGien et du comté de Mâ-connois, qui donnent aux pouvoirs de leurs députés une extension illimitée. M. Gouttes, curé d’Argilliers, a fait le rapport de la députation de M. le cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg, pour le bailliage d’IIague-nau et de celle de M. l’abbé Boug, nommé sou suppléant. M. Gouttes. Messieurs, M. le cardinal de Rohan, nommé d’abord par acclamation par tous les membres du clergé du bailliage d’Haguenau, est ensuite élu par la voie régulière du scrutin. Le lieutenant général du bailliage lui apprend son élection ; il répond en ces termes : Ma santé ne me permet pas d’accepter, les gens de l’art ne m’en font pas espérer une meilleure de plusieurs mois ; je ne renonce pas cependant à aller aux Etats généraux. M. l’abbé Boug, nommé son suppléant, consulte M. le garde des sceaux, qui répond, le 24 mai, que la lettre de M. de Rohan contient un refus exprès; qu’un député absent et qui ne peut pas se rendre doit être remplacé par son suppléant, sans qu’il puisse jamais plus faire valoir les droits de son élection. M. le cardinal est instruit de la réponse de M. le garde des sceaux. Il' était à Saverne, où il s’empresse de consigner devant un notaire sa protestation contre cette décision ; et il fait connaître son intention d’aller aux Etats généraux, lorsque les causes qui l’en empêchent auront cessé. Un règlement du 3 mai avait décidé qu’un suppléant ne serait admis à remplacer un député que dans le cas de mort de celui-ci, ou d’une démission formelle. M. le cardinal n’a point donné sa démission ; il est vrai qu’il n’a pas accepté expressément, mais' il s’est réservé la faculté d’aller aux Etats généraux, lorsque la maladie, qui tenait plutôt à des causes politiques que physiques, lui permettrait de so rendre à son poste. M. le rapporteur dit que la majorité des membres du comité est d’avis qu’il faut écrire à M. le cardinal, pour savoir s’il accepte ou s’il refuse la députation. M. l’abbé Boug défend lui-même sa cause dans un discours assez long. M. ***. La loi doit être une barrière insurmontable, et rien ne peut et ne doit autoriser à la franchir. 11 faut donc que désormais chaque ministre soit responsable, non-seulement des maux qu’il fait, mais encore de la suspension du bien qu’il empêche de faire aux autres, et toute tyrannie doit être marquée au sceau de la réprobation. Trop longtemps le cardinal de Rohan a gémi sous le glaive du despotisme ; il est temps de briser les chaînes d’un prélat qui brûle de partager avec vous les pénibles fonctions de votre sacré ministère, et de contribuer par ses efforts à la régénération du royaume et au grand œuvre de la constitution. En vain M. Boug a-t-il prétendu qu’il ne s’agissait, dans les articles du règlement, que de ceux qui avaient déjà exercé la députation. Un mandataire, a-t-il dit, n’est censé mandataire que lorsqu’il est chargé de mandais; un député ne doit conséquemment être réputé tel que lorsqu’il a exercé la députation. Get argument, tout spécieux qu’il est, ne peut arrêter l’Assemblée. Un membre de la noblesse combat vivement les prétentions de M. l’abbé Boug. 11 fait ce dilemme: M. le cardinal a accepté ou non accepté. Dans ces deux cas, les prétentions du suppléant sont mal fondées. S’il a accepté, pourquoi M. Boug vient-il se présenter? S’il ne l’a pas fait, si sa non-acceptation était commandée, donc ce refus n’en est pas un. Le droit du garde des sceaux est absolument nul ; il n’avait pas droit de prononcer sur une pareille question. On remarque que la cause de M. le cardinal trouve de nombreux partisans parmi les députés des communes, qui le considèrent comme une victime de la tyrannie. Ils observent que son silence même ne peut être interprété ; qu’il faudrait, delà part de ses commettants, une acceptation formelle de son refus ; qu’il a bien soin d’agir ainsi, puisqu’il a protesté légalement contre l’injustice qu’on lui faisait de le priver d’un droit qu’il ne devait qu’au choix de son clergé pour le représenter aux Etats et stipuler des intérêts. Ges observations ne sont pas également goûtées des membres delà noblesse et du haut clergé. — Au moins remarque-t-on qu’ils craignent d’énoncer un avis contraire aux sentiments de la cour. Un grand nombre des premiers quittent les gradins pour ne pas délibérer. M. Iflébrard. On a conclu que M. le cardinal n’ayant point accepté, il y avait un refus formel. Rétorquez l’argument : il a été forcé de ne pas accepter; donc cette espèce de refus est une vraie acceptation. Il a consigné l’acte de son acceptation par sa réclamation entre les mains du président de son ordre, La déclaration de M. le cardinal, de ne point renoncer à la faculté d’entrer aux Etats généraux, milite contre les prétentions du suppléant et contre ses procédés. Jamais une maladie n’a exclu un homme des droits librement acquis par le vœu de ses commettants à les représenter aux Etals généraux et à y stipuler leurs intérêts ; c’est vouloir pervertir les intentions des commettants, et dire qu’ils n’ont pas voulu ce qu’ils ont voté; c’est une absurdité énorme. Je conclus donc que, ni M. le lieutenant général, ni le suppléant, ni le garde des sceaux, ne pouvaient aller contre le vœu du clergé d’Alsace. M. de Montmorency dit qu’il est chargé par ses commettants de réclamer contre la lettre d’exil qui retient M. le cardinal. Il pense qu’un pareil ordre ne peut pas empêcher un député de se rendre à une Assemblée libre. M. Le Belletier de Saint-Fargean conclut pour l’admission de M. de Rohan, attendu qu’il n’a pas refusé formellement. Je m’applaudis, ajoute-t-il, d’avoir opiué deux fois pour le soustraire aux vexations du pouvoir arbitraire. M. l’abbé d’Eymar (1 ). Messieurs, ce n’est point l’acte de députation qu’on attaque, lorsqu’on (1) Le discours de M. l’abbé d’Eymar n’a pas ëlé inséré au Moniteur.