334 |Assemblée nationale.] M. Malonet. Je demande à l’Assemblée de décider aujourd’hui la formation du juré et les éléments de sa composition. Si le juré n’est pas exclusivement composé de propriétaires, ce sera l’institution la plus barbare ; il y aura de quoi trembler. M. Duport, rapporteur. Le comité s’est occupé de cette question ; l’essence du juré étant dans la confiance qu’a la société dans la conviction et le jugement de ses membres, c’est évidemment dans leur choix que réside la meilleure composition du juré. Je crois toutefois que cette discussion devra venir au moment où il sera traité des qualités propres aux jurés. Je demande que l’Assemblée, actuellement qu’elle a pris un parti sur les preuves écrites, discute demain Ja question de savoir s’il y aura oui ou non un tribunal criminel par département. M. Sentetz. Je demande que le comité nous présente un article relatif à l’écriture de l’interrogatoire de l’accusé devant l’officier de police. M. Duport, rapporteur. Cette question appartient naturellement à la loi générale des interrogatoires; pour ne pas intervertir l’ordre des délibérations, je demande qu’elle soit renvoyée au moment où cette loi sera discutée. M. de Cazalès. Je demande que la discussion s’établisse sur la généralité du plan de l’organisation du jury. M. Duport, rapporteur. La totalité du plan est depuis longtemps connu ; il a été débattu. Recommencer une nouvelle discussion sur cet objet, ce serait du temps perdu. (L’Assemblée décrète que, dans sa séance de demain, elle s’occupera de la formation des tribunaux criminels.) Un de MM. les secrétaires fait lecture de la lettre suivante adressée à l’Assemblée nationale parM. Duportail, ministre de la guerre : « Monsieur le Président, « J’ai appris seulement hier ce qui s’est passé dimanche dernier à i’Afsemblée nationale, au sujet de Perpignan et que j’y avais été accusé de n’avoir point exécuté le décret qui ordonne d’envoyer un régiment dans cette ville : quoique l’Assemblée n’ait donné aucune valeur à cette dénonciation, je n’en crois pas moins de mon devoir de prouver qu’elle était sans fondement, et justifier ainsi la contiance dont elle a bien voulu m’honorer dans cette occasion. « 11 y a six semaines que le département des Pyrénées-Orientales, et MM. les députés de ce département à l’Assemblée nationale, m’exposèrent le besoin urgent qu’il avait d’un renfort de garnison : j’en rendis compte à Sa Majesté, qui ordonna défaire passer à Perpignan le premier bataillon de Cambresis, qui était à Na-varreins; ce batailon a dû partir le 1er de ce mois, et il arrivera aujourd’hui à Perpignan : le décret dont il est question est survenu ; alors il a été expédié des ordres au second bataillon de Cambresis, de partir d’Orthez pour suivre Ja destination du premier, et il doit y être rendu le 26 de ce mois : ainsi, postérieurement an décret la garnison de Perpignan aura été augmentée d’un régiment entier; l’esprit et même la lettre du décret auront doue été remplis. [19 janvier 1791.] « J’ai tout lieu de me féliciter en ce moment que les choses aient pu s’exécuter ainsi ; cependant je prendrai la liberté, Monsieur le Président, de vous observer qu’il aurait pu, malgré toute ma bonne volonté, en arriver autrement. « D’abord, la quantité que nous avons de troupes de ligne est beaucoup au-dessous de ce qu’exigeraient les besoins et les désirs de chaque département, surtout de ceux de la partie méridionale de ia France; je dois d’ailleurs vous faire connaître les obstacles que j’éprouve souvent à leurs mouvements : tantôt ce sont les régiments qui, eux-mêmes, laissent entrevoir un esprit de résistance qu’il faut craindre de mettre à l’épreuve ; tantôt des municipalités, des corps administratifs an mneent qu’ils ne laisseront pas partir les régiments qu’ils possèdent, ou qu’ils ne recevront pas tel autre qu'ils savent leur être destiné; quelquefois ils veulent arrêter, en tout ou en partie, ceux qui passent sur leur territoire. « Je ne donnerai pas plus d’étendue au tableau des contrariétés que je peux éprouver dans cette partie de mon auministration; il pourrait plaire aux ennemis de la Constitution, qui croiraient y trouver des moyens de la calomnier, et de prouver l’impossibilité de son établissement; ils me sauraient gré de justifier ainsi leurs vaines déclamations : mais je rejette leurs perfides applaudissements, et je dois détruire leurs coupables espérances. « Sans doute, il y a encore des difficultés à vaincre; beaucoup a individus, même quelques corps admini.'tratifs, n’ont point encore parfaitement compris les décrets, ou ils se croient trop aisément dispensés, par des circonstances particulières, de s’y conformer exactement ; mais je vois dans tous de bonnes intentions , de la bonne foi, du zèle, du patriotisme; aussi les inconvénients que j’ai exposés diminuent-ils tous les jours; je réprouve depuis que je suis dans la place qui m’est confiée ; les résistances s’affaiblissent, les prétentions exagérées se relâchent, chacun commence à connaître ses devoirs en même temps que ses droits; et malgré les vœux impies des ennemis de la patrie, l’ordre se rétablira, et nous verrons bientôt, je l’espère, la Constitution, dégagée de toutes entraves, s’acheminer avec majesté vers son entier accomplissement. « Je suis avec respect, Monsieur le Président, votre, etc. « Signé : DüPORTAiL. » M. de Afontlosier. Je demande l’impression de cette lettre et son insertion au procès-verbal. M. de Foucault de Lardimalie. J’appuie la proposition du preopinaut. (L’Assemblée décrète que cette lettre sera imprimée, insérée au procès-verbal et envoyée dans tous les départements.) Un de MM. les secrétaires fait lecture d’une lettre de l'assemblée générale de la colonie de l’Ile-de-France , qui est ainsi conçue (1) : « Port-Louis, Ile-de-France, le 14 septembre 1190. « Nosseigneurs,.., » (Murmures.) M. Barnave. Je demande que l’on entende ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (1) Cette lettre n’a pas été insérée au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 janvier 1791.] cette lettre. Le mot nosseigneurs , était la forme usitée dans le temps où elle a été écrite. M. de Cazalès. Il est démontré qu’ils ne sont pas coupables pour cela du crime de lèse-nation; pour nous l’assurer, il n’est pas besoin de tout le talent de M. Barnave. M. le secrétaire , continuant la lecture : « Nosseigneurs, le bienfaisant décret que vous avez rendu le 8 mars dernier, dans votre sagesse et dans votre équité, en faveur des colonies, est parvenu en cette île le 17 juin, par le vaisseau le Stanislas , surnommé depuis, et à cette occasion, le Sauveur de l’Ile-de-France. « Nous étions dans ce moment environnés des plus grands dangers et le salut de la colonie est dû à l’arrivée imprévue, et en quelque sorte miraculeuse, de cette loi, qui comble à jamais notre reconnaissance. Nous mettrons cependant notre gloire à vous affirmer, Nosseigneurs, que notre conduite antérieure semblait avoir été dirigée, jusque dans ses moindres détails, par l’esprit qui vous a dicté cet heureux décret; vous serez convaincus, Nosseigneurs, de notre fidélité et de notre attachement aux principes de la Constitution, par les règlements provisoires d’organisation de notre assemblée administrative et de nos municipalités, formées dans toute la colonie depuis le mois dernier. Ils ont eu pour base ceux que vous avez décrétés pour l’intérieur du royaume ; mais la localité et la faiblesse de la population ont déterminé quelques modifications dans le mode, et en raison de ces changements nous avons requis, et obtenu préalablement à leur exécution, la sanction provisoire des délégués du pouvoir exécutif dans cette île. « Pénétrés du plus profond respect pour les grandes vues que vous déployez, Nosseigneurs, pour assurer le bonheur d’une grande nation : Français, et brûlants comme vous du saint amour de la patrie, et de celui d’une juste liberté, nous ne pouvions nous égarer; mais il était naturel que nous fussions, comme vous l’avez été, environnés d’embûches et de machinations. « Nous avons pu nous flatter un moment, Nosseigneurs, que votre décret du 8 mars, ainsi que les instructions qui y sont annoncées, parviendraient officiellement au représentant du roi en cette île; mais notre attente a été vaine chaque jour, et ce n’est que par une voie particulière que nous avons eu connaissance, le 29 du mois dernier, des instructions qui nous concernent, en date du 28 mars. Convaincus, par l’expérience, de l'impossibilité ne parvenir peut-être jamais à achever la Constitution en cette colonie, si elle attendait, par la voie ministérielle même, un avis de la Révolution, nous avons pris le parti de demander au gouverneur général actuel, qui heureusement est Français, l’exécution de vos instructions, et celle du décret qui les accepte; il a fait droit à notre demande, et sous huitaine les assemblées paroissiales, qui doivent confirmer ou annihiler notre assemblée générale pour en créer une autre, auront exprimé leur vœu. Quelle que soit leur dérision, nous n’avons point à craindre que la conduite que nous avons tenue soit la cause déterminante de la seconde alternative; si elle est préférée, nous sommes sûrs, Nosseigneurs, d’obtenir de vous cette justice, dès que le tableau fidèle de nos travaux aura été soumis à votre sagesse. « Le premier devoir que rempliront nos députés auprès de vous sera de vous rendre le compte C3o le plus détaillé de la Révolution dans cette île ; nous bénissons la Providence de ce qu’elle s’est opérée sans qu’il ait été versé une seule goutte de sang; leur départ est fixé au 15 du mois prochain sur le vaisseau particulier V Amphitrite. Nous nous bornons en ce moment à vous présenter sommairement l’état des choses : la frégate la Nymphe , le premier vaisseau de la saison qui fasse voile pour l’Europe, est chargée de cette adresse. Tous ceux qui le suivront vous porteront successivement les preuves non équivoques de notre zèle, de notre fidélité et de notre dévouement à fa patrie, à sa Constitution, à la loi et au roi, ainsi que les assurances jamais trop répétées de l’étemelle reconnaissance de cette colonie envers les augustes représentants de la nation à laquelle nous avons le bonheur et la gloire d’appartenir. « Nous sommes avec le plus profond respect, « Nosseigneurs, « Vos très humbles et très obéissants serviteurs; les membres composant l’assemblée générale de la colonie de l’Ile-de-France. «Par l’assemblée générale, Ricard de Bignicourt, président; Jolivet et Durrans, secrétaires. » Un membre demande l’impression de cette adresse et son insertion au procès-verbal. (Gette motion est adoptée.) M. le Président donne lecture d’une lettre par laquelle M. Bailly, maire de Paris, annonce la vente, faite hier, de trois maisons nationales, situées enclos Saiul-Martm : la première, louee l,1661ivres, estimée 14,319 livres, adjugée 30,100 livres ; la 2e louée 600 livres, estimée 10,400 livres, adjugée 10,800 livres; la 3a louée 1570 livres, estimée 22,040 livres, adjugée 59,300 livres. (La séance est levée à 3 heures.) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE ) DU 19 JANVIER 1791. Nota. — ■ M. Dupont, député du bailliage de Nemours , ayant fait imprimer et distribuer son opinion sur la manière dont les jurés doivent recevoir la déposition des témoins, ce travail doit naturellement prendre place parmi les documents parlementaires de l’Assemblée nationale. OPINION DE M. Dupont, DÉPUTÉ DU BAILLIAGE DE NEMOURS, sur la manière dont les jurés doivent recevoir la déposition des témoins (1). Je sens que j’écris trop : mais en demandant la parole, je pourrais ne pas l’obtenir; en l’obtenant, je pourrais n’être point écouté, lorsqu’il s’agit d’une matière qui n’est pas l’objet particulier de mes études. Cependant, comment être chargé de représenter ses concitoyens dans le corps constituant de l’Empire sous lequel doivent vivre eux et leurs descendants, et taire sa (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur.